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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/20785/2021

ACJC/862/2025 du 24.06.2025 sur JTPH/338/2023 ( OO ) , MODIFIE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20785/2021 ACJC/862/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU MARDI 24 JUIN 2025

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ [GE], partie appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 9 octobre 2023 (JTPH/338/2022recte 2023) et intimée, représentée par Me Pierre VUILLE, avocat, rue des Alpes 15, case postale 1592,
1211 Genève 1,

et

B______ SA, sise ______ [GE], intimée et appelante, représentée par [le service d'assistance juridique] C______,

D______ CAISSE DE CHOMAGE, sise ______ (SO), partie intervenante.


EN FAIT

A.           Par acte déposé le 9 novembre 2023, A______ (ci-après l'appelante) appelle d'un jugement JTPH/338/2022 (recte 2023), rendu le 9 octobre 2023.

A teneur de ce jugement, le Tribunal des prud'hommes, groupe 1, a décidé ce qui suit :

« Au fond :

4. condamne B______ SA à verser à A______ la somme brute de CHF 1832.60 (mille huit cent trente-deux francs et soixante centimes) avec intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 21 octobre 2021;

5. invite la partie qui en a la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles;

6. condamne B______ SA à verser à A______ la somme nette de CHF 624.05 (six cent vingt-quatre francs et cinq centimes) avec intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 21 octobre 2021;

7. condamne B______ SA à remettre à A______ un certificat de travail final conforme aux exigences légales, dans le sens du présent jugement;

8. dit et constate que A______ dispose de la qualité d’autrice sur l’ensemble des designs qu’elle a réalisés entre le mois de mars 2020 et le 5 juillet 2021, dans le cadre de sa relation contractuelle avec B______ SA;

9. dit et constate que B______ SA a 1’obligation de mentionner A______ comme autrice lors de toute diffusion de l'un ou plusieurs des designs précités;

10. déboute les parties de toute autre conclusion ».

Ladite action, intentée le 28 janvier 2022 par A______, tendait au paiement de :

-            55'369 fr. 35 net, à titre de salaire, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 15 décembre 2020;

-            81'837 fr. net, à titre d'indemnisation des heures supplémentaires, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 21 octobre 2021;

-            7'139 fr. 50 net, à titre d’indemnité de vacances, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 21 octobre 2021;

-            34'800 fr. net, à titre d’indemnité pour « rupture injustifiée des rapports de travail »;

-            25'000 fr. à titre d'indemnité pour tort moral, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 21 octobre 2021;

-            20'000 fr. à titre de rétribution spéciale pour les designs, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 21 octobre 2021;

-            7'000 fr. à titre de remboursement du matériel et des frais imposés par l’exécution de son travail, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 21 octobre 2021.

En outre, A______ concluait à ce qu'il soit constaté que le licenciement du 5 juillet 2021 était abusif, à ce que la société soit condamnée à procéder à toutes les démarches requises en vue d’annoncer 1’existence du contrat de travail aux assurances sociales et à s’acquitter des charges légales et conventionnelles sur tous les salaires dus du 1er mars 2020 au 30 septembre 2021.

Elle réclamait également la remise de fiches de salaire pour la période de mars 2020 à septembre 2021, d’un certificat de salaire pour les années 2020 et 2021, ainsi que d’un certificat de travail final, sous la menace de la peine d’amende prévue par l’article 292 du Code pénal suisse (ci-après CP). Elle concluait, en outre, à ce que B______ SA soit condamnée, à sa requête, à lui verser une amende d’ordre de 500 fr. au plus pour chaque jour d’inexécution, dès le onzième jour suivant 1’entree en force de la décision.

Enfin, A______ exigeait que la qualité d’autrice lui soit reconnue par B______ SA pour l’intégralité de ses œuvres, et que le Tribunal reconnaisse l’obligation de la société de la mentionner lors de toute diffusion. L’action tendait également à l’établissement d’un certificat de travail.

D______ CAISSE DE CHOMAGE concluait par requête d’intervention principale du 4 février 2022 dans le cadre du litige opposant les parties. Ce faisant, elle concluait à ce que B______ SA soit condamnée à lui verser 6'351 fr. 20 net.

B______ SA concluait, à titre préalable, à ce que le Tribunal constate que la relation contractuelle liant les parties relevait du contrat de mandat au sens des articles 394 ss CO. A titre principal, elle concluait au déboutement de A______ et de la partie intervenante de leurs conclusions, sous suite de frais. Elle assignait également A______, par le biais d’une demande reconventionnelle, au paiement de la somme nette de 120'000 fr. avec intérêts moratoires à 5% 1’an dès le 25 novembre 2021 à titre de dommage subi du fait de la violation de 1’accord de confidentialité du 6 mars 2020.

Subsidiairement et dans l’hypothèse où le Tribunal venait à qualifier les rapports contractuels liant les parties de contrat de travail, B______ SA concluait au déboutement de A______ et de la partie intervenante de leurs conclusions, avec suite de frais. En outre, elle concluait à ce que A______ soit condamnée, à titre reconventionnel, au paiement de 120’000 fr. net avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 25 novembre 2021, en raison du dommage subi du fait de la violation de l’accord de confidentialité du 6 mars 2020.

B.            Devant la Cour, l'appelante demande l’annulation des chiffres 4, 7, 10 à 15 et 17 du dispositif du jugement et cela fait, à ce que la relation contractuelle la liant à B______ SA soit qualifiée de contrat de travail au sens des articles 319 ss CO, à la condamnation de cette dernière au paiement des montants suivants :

-            55'369 fr. 35 net avec intérêts à 5% l’an dès le 15 décembre 2020 au titre de salaire;

-            7'139 fr. 50 net avec intérêts à 5% l’an dès le 21 octobre 2021 au titre de salaire afférent aux vacances;

-            13'639 fr. 50 net avec intérêts à 5% l’an dès le 21 octobre 2021 au titre d’heures supplémentaires.

Elle sollicite également que le licenciement du 5 juillet 2021 soit constaté comme étant abusif et qu’il lui soit octroyé une indemnité pour rupture injustifiée équivalant à 4 mois de salaire, soit 23'200 fr. net. Elle conclut à ce que B______ SA soit condamnée à procéder à toutes les démarches requises en vue d’annoncer l’existence du contrat de travail aux assurances sociales et condamner B______ SA à s’acquitter des charges légales et conventionnelles sur tous les salaires dus du 1er mars 2020 au 30 septembre 2021.

Elle conclut, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP, à ce que B______ SA soit condamnée à remettre les fiches de salaires pour la période de mars 2020 à septembre 2021, un certificat de salaire pour les années 2020 et 2021, ainsi qu’un certificat de travail. A défaut de remise de ces documents, elle demande la condamnation de B______ SA, sur requête de Madame A______, à une amende d’ordre de 500 fr. au plus pour chaque jour d’inexécution (art. 343 al. 1 let. c CPC). Au surplus, elle conclut à la confirmation des chiffres 1, 2, 3, 5, 6, 8, 9 et 16 du dispositif du jugement du Tribunal des prud’hommes du 9 octobre 2023 (JTPH/338/2022recte 2023), avec suite de frais et dépens.

En effet, selon A______, les relations contractuelles ayant lié les parties doivent être qualifiées de contrat de travail au sens des art. 319 CO et ss. pour toute la durée des relations notamment en raison de la relation de subordination à E______, sa présence et son intégration au sein de l’entreprise, sa dépendance économique et l’absence d’autres clients, la durée des relations et les modalités de rémunération. La résiliation du contrat est selon elle abusive car ferait suite aux prétentions salariales formulées par celle-ci.

D______ CAISSE DE CHOMAGE réitère ses conclusions de première instance par mémoire du 19 février 2024.

L'intimée quant à elle conclut au rejet de l’appel et forme un appel joint dans son mémoire de réponse expédié le 19 février 2024. Elle demande que A______ et D______ CAISSE DE CHOMAGE soient déboutées de toutes leurs conclusions. Cela fait, elle conclut à l’annulation des chiffres 10, 12, 13, 14, 15 et 17 du dispositif du jugement JTPH/338/2022 (recte 2023) rendu par le Tribunal des prud’hommes le 9 octobre 2023 et à ce que A______ soit condamnée à lui verser 40'000 fr. avec intérêts à 5% l’an dès le 25 novembre 2021 à titre de dommage subi du fait de la violation de l’accord de confidentialité du 6 mars 2020, avec suite de frais et dépens.

Elle estime que A______ était mandatée, hormis la période du 15 février au 31 mai 2021 où les parties étaient liées par un contrat de travail, et que A______ a violé l’accord de confidentialité précité, causant par là un dommage de 40'000 fr., montant correspondant à la valeur du mandat admise par A______.

L’appelante a répondu à l’appel joint par mémoire du 8 avril 2024. Elle a conclu au rejet de l’appel joint. D______ CAISSE DE CHOMAGE a dupliqué par mémoire du 7 mai 2024 et réitéré ses conclusions prises dans son mémoire du 19 février 2024. Elle s’en est rapportée à justice s’agissant de l’appel joint. L’intimée n’a pas fait usage de son droit de répliquer sur appel joint et dupliquer sur appel principal et s’est contentée de renvoyer à ses écritures du 19 février 2024. La cause a été gardée à juger le 31 mai 2024.

Les éléments suivants résultent du dossier, s'agissant des prétentions encore litigieuses au stade de l'appel :

C.           a. B______ SA (ci-après l’intimée) est une société de droit suisse dont le but est 1’exploitation d’un atelier d’habillage, de sertissage et de polissage, ainsi que le commerce et la fabrication de bijoux, de montres, de pierres précieuses et d’autres articles de luxe; son siège est à Genève.

F______ est président du conseil d’administration de la société et dispose d’une signature individuelle. Entre le 29 novembre 2019 et le 15 février 2023, G______ a assumé, quant à elle, la fonction d’administratrice de la société avec signature collective à deux. Quant à E______, il a été président du conseil d’administration et directeur de la société entre le 29 novembre 2019 et le 6 avril 2022. A ce titre, il était au bénéfice d’une signature collective à deux (cf. extrait du Registre du commerce; faits admis par les parties).

b. A______ se présente comme designer / graphiste freelance depuis janvier 2016 dans son profil LinkedIn et son propre site Internet (cf. pièces 1 à 3 déf.).

Entre 2020 et 2021, A______ avait publié en ligne plusieurs logo, affiches et divers dessins qu’elle alléguait avoir créés sur mandat pour diverses personnes (cf. pièces 2 et 3 déf.).

Elle disposait du matériel nécessaire à cette activité, à savoir un H______ [tablette tactile] d’une valeur, après réduction, de 1’601 fr. acquis le 22 décembre 2018, un téléphone portable (dont la facture est au nom de son compagnon I______) acquis également le 22 décembre 2018 pour un montant de 1'489 fr., ainsi qu’un ordinateur portable (dont la facture est également au nom de I______) acquis le 22 mars 2018, pour un montant de 3'329 fr. (cf. pièce 59 dem.).

c. En mars 2020, A______ a rencontré E______ en vue d’une possible collaboration portant sur la réalisation de designs de montres de luxe pour des clients de B______ SA. Il a ainsi été convenu que A______ soumettrait des propositions à E______ en lien avec plusieurs projets spécifiques de la société, ce afin de lui démontrer l’étendue de ses capacités (faits admis par les parties).

A cet effet, un accord de confidentialité a été conclu par A______ et B______ SA le 6 mars 2020. Cet accord couvrait 1’ensemble des documents et informations remis par la société dans le cadre de la mission confiée à A______. Il prévoyait que toute information confidentielle, soit notamment les documents, projets et propositions établis par A______ dans le cadre de sa mission, était la propriété exclusive de B______ SA (pièce 4 dem.; faits admis par les parties).

Le 22 juin 2020, A______ a établi une première facture à 1’attention de B______ SA, pour un montant total de 4'000 fr. (pièces 12 et 16 dem.).

d. Le 13 juillet 2020, A______ et B______ SA ont conclu un contrat de mandat d’une durée renouvelable de trois mois, par lequel la première s’engageait à fournir à la seconde des croquis, des dessins et des concepts dans le cadre de projets dans les domaines de 1’horlogerie et de la joaillerie. La rémunération mensuelle convenue était de 5'800 fr. net.

A______ était, pour sa part, tenue de garder strictement confidentielles les informations relatives aux affaires et à la clientèle de B______ SA.

A teneur du contrat, le mandat pouvait être résilié en tout temps, moyennant le respect d’un préavis d’une semaine pour la fin d’un mois (pièce 14 dem.).

e. Dans le cadre de sa collaboration avec B______ SA, A______ se rendait régulièrement dans les locaux de la société pour y travailler ou participer à certaines réunions. Elle travaillait également chez elle ou dans le Valais (cf. pièce 4 déf., faits admis par les parties).

La présence de A______ dans les locaux de 1’entreprise n’était jamais imposée à cette dernière, de même que sa participation aux réunions. Cela ressort des échanges WhatsApp entre A______ et E______, dans lesquels le second s’enquérait des disponibilités de la première pour des entretiens téléphoniques ou des rendez-vous clients (cf. pièce 4 déf.).

A______ ne disposait pas d’une adresse électronique de la société B______ SA.

S’agissant des instructions de travail, E______ transmettait à A______ les demandes des clients et lui donnait personnellement des instructions sur le travail à accomplir (faits admis par les parties).

E______ a demandé à trois occasions en mars et avril 2021 à A______ si elle pouvait acheter de la crème à café ou des bouteilles d’eau en venant au bureau, tout en précisant « Si ce n’est pas un problème pour toi quand tu viens au bureau de faire un crochet […] ? » « Redis-moi autrement je m’organise » (cf. pièce 6 dem.).

f. Durant le second semestre de l’année 2020, A______ et E______ se sont entretenus avec G______ au sujet du nouveau projet de cette dernière. G______ envisageait, en effet, de créer une entité juridique, soit la société J______ SA, laquelle aurait pour but le développement, la production et la commercialisation de montres de luxe et de bijoux dans le respect des règles de développement durable (pièce 48 dem.).

Dans le contexte des discussions entre ces trois intervenants, E______ et A______ ont été invités à assumer les fonctions respectives de « CEO - Co founder » et « Designer - Projet Manager » de J______ SA (pièce 49 dem.).

g. Entre le mois d’août 2020 et le mois de juillet 2021, A______ a adressé plusieurs factures successives à B______ SA, pour les montants suivants (pièces 16 et 90 dem.):

-            5'800 fr. (facture n°2 du 17 aout 2020);

-            5'800 fr. (facture n°3 pour les services déployés entre le 15 aout et le 15 septembre 2020);

-            5'800 fr. (facture n°4 pour les services déployés entre le 15 septembre et le 15 octobre 2020);

-            5'800 fr. (facture n°5 pour les services déployés entre le 15 octobre et le 15 novembre 2020);

-            3'000 fr. (facture n°6 pour les services déployés entre le 15 novembre et le 15 décembre 2020);

-            3'000 fr. (facture n°7 pour les services déployés entre le 15 décembre 2020 et le 15 janvier 2021);

-            3'000 fr. (facture n°9 – corrigée en « n°8 » – du 15 février 2021);

-            5'000 fr. (facture n°9 pour les services déployés jusqu’au 30 juin 2021).

B______ SA s’est acquittée de la totalité de ces sommes (pièce 90 dem.; faits admis par les parties).

h. En février ou mars 2021, un projet de contrat de travail à durée déterminée couvrant la période du 15 février 2021 au 31 mai 2021 a été établi par B______ SA.

Ce contrat prévoyait une rémunération brute de 2'000 fr. pour la période du 15 au 18 février 2021, ainsi qu’un salaire mensuel de 5'000 fr. brut pour les mois de mars à mai 2021 (pièce 55 dem.).

Bien que ce projet n’ait jamais été signé par A______, cette dernière a reçu des fiches de salaire en février, mars, avril et mai 2021. Elle a également perçu les sommes nettes de l’838 fr. 90, 4'597 fr. 35, 4'597 fr. 25, 7'274 fr. 75 et 2'301 fr. 85 à titre de salaire, étant précisé que ces montants comprenaient également une prime de 5'000 fr. brut (pièces 29 et 55 dem.; faits admis par les parties).

i. Aucun projet de contrat à durée indéterminée n’a été versé à la procédure.

j. Au mois de mars 2021, A______ a facturé la somme totale de 11'000 fr. à K______ dans le cadre du projet « L______ » (pièce 6 def.).

k. Le 27 mai 2021,1’Office cantonal des assurances sociales (OCAS), soit pour lui la Caisse genevoise de compensation (CGC), a rendu une décision d’affiliation concernant A______, informant cette dernière qu’elle avait procédé à son affiliation au 1er janvier 2021 en tant que personne de condition indépendante (pièce 7 def.).

Cette affiliation avait été requise par A______ (fait non contesté).

Le 28 janvier 2021, l’intimée lui avait proposé de répartir son activité entre trois entités soit B______ SA, M______ et N______ SA, afin de donner 1’illusion qu’elle avait plusieurs clients, pour permettre cette affiliation (cf. pièce 78 dem.).

Par courrier daté du 5 août 2021, 1'Office avait toutefois annulé sa décision d’affiliation du 27 mai 2021, suite à 1’opposition formée par A______ (pièces 31 et 66 dem.).

l. Le 5 juillet 2021, E______ a adressé un courriel à A______, l’informant que les mandats de design que lui avait confiés B______ SA prendraient fin le 30 juin 2021. Il a précisé, en outre, que tous les dessins réalisés entre le 15 juillet 2020 et le 30 juin 2021 étaient la propriété exclusive de B______ SA (pièce 50 dem.).


 

Le 19 juillet 2021, A______ a, sous la plume de son conseil, indiqué former opposition à son licenciement, qu’elle considérait comme abusif. Elle réclamait également le paiement d’un solde de salaire, le remboursement de son matériel informatique, la correction de sa fiche de salaire du mois de mai 2021, le versement d’une indemnité de vacances, la remise d’un certificat de travail, ainsi que la reconnaissance de son droit de paternité sur les designs réalisés dans le cadre de sa collaboration avec B______ SA (pièce 52 dem.).

m. Par requête de conciliation déposée au greffe du Tribunal des prud’hommes le 21 octobre 2021, A______ a assigné B______ SA en paiement de la somme totale de 231’145 fr. 85.

Une audience de conciliation s'est tenue le 24 novembre 2021, sans succès, de sorte qu'à l’issue de celle-ci, une autorisation de procéder a été délivrée à A______.

n. Par demande ordinaire déposée au greffe universel le 28 janvier 2022, A______ a assigné B______ SA en paiement de la somme totale de 231’145 fr. 85, sous suite de frais, qu’il soit constaté que le licenciement du 5 juillet 2021 était abusif, que B______ SA soit condamnée à procéder à son affiliation aux assurances sociales et à s’acquitter des charges de même qu’à remettre divers documents, comme détaillé sous considérant A du présent arrêt.

A 1'appui de ses conclusions, A______ a en substance allégué qu’elle était à la recherche d’un emploi lorsqu’elle avait fait la connaissance de E______ en mars 2020. Elle n’avait alors pas le statut d’indépendante. Dès le début de sa collaboration avec B______ SA, une relation de subordination avait immédiatement été instaurée entre elle et son supérieur direct, E______. En effet, ce dernier lui donnait des instructions précises et détaillées et lui impartissait des délais extrêmement courts, de sorte qu’elle n’avait aucune autonomie dans l’exécution de ses tâches et était totalement à sa disposition. En outre, elle travaillait exclusivement pour B______ SA et était intégrée dans l’entreprise. Enfin, les factures adressées à la société entre les mois d’aout 2020 et de juin 2021 avaient été établies à la demande expresse de B______ SA, au moment de la signature du contrat de mandat. Au vu de ces éléments, A______ considérait que la relation contractuelle qu’elle avait entretenue avec B______ SA devait être qualifiée de contrat de travail, et ce en dépit de 1’intitulé de la convention du 13 juillet 2020.

A______ considérait ainsi pouvoir prétendre à un solde salarial correspondant à la différence entre la rémunération convenue dans le contrat de mandat – laquelle s’apparentait, selon elle, à un salaire – et les montants effectivement perçus pendant toute la durée des rapports contractuels. A cet égard, elle a allégué qu’elle n’avait pas été payée pour les travaux de prospection effectués entre mars et mai 2020. Ce n’était qu’en juin 2020 que E______ lui avait proposé un salaire mensuel de 4'000 fr. net. La société s’était toutefois contentée de lui payer la somme de 2'000 fr. Par la suite, E______ lui avait régulièrement promis des augmentations de salaire, ainsi que 1’octroi d’un bonus qui devait se situer entre 10’000 fr. et 15'000 fr. Elle n’avait toutefois perçu qu’une prime de 5'000 fr.

En outre, elle avait dû faire 1’acquisition de son propre matériel de travail, dont la valeur pouvait être estimée à 6'383 fr. B______ SA n’avait mis aucune ressource à sa disposition et ne lui avait pas remboursé les frais afférents à ses déplacements professionnels à 1’extérieur des locaux de 1’entreprise.

A______ a, par ailleurs, soutenu que sa charge de travail était non seulement très importante mais qu’elle avait augmenté au fil des mois. Elle n’avait été en mesure de prendre qu’une semaine de vacances au mois d’août 2020. En outre, elle estimait avoir exécuté un minimum de six heures supplémentaires par jour durant son emploi au sein de B______ SA. A cela s’ajoutait que E______ se montrait nerveux et autoritaire et faisait peser sur ses épaules une pression constante. Cette situation avait occasionné un stress grandissant chez elle, lequel s’était traduit par des douleurs au dos et aux yeux, un abcès buccal, une insomnie chronique, ainsi qu’une perte de poids.

Dès lors qu’elle n’était pas affiliée en tant qu’indépendante, B______ SA avait établi des fiches de salaire rétroactives couvrant la période de février à juin 2021, pour un salaire mensuel brut de 5'000 fr. Le 11 juin 2021, E______ 1'avait convoquée et lui avait indiqué qu’elle ne bénéficierait pas d’une augmentation de salaire. Il lui avait toutefois proposé une rémunération mensuelle brute oscillant entre 3'000 fr. et 5'000 fr. pour une centaine d’heures de travail dans des dossiers de prospection. Elle avait refusé cette proposition et avait réclamé une augmentation salariale substantielle. B______ SA 1’avait licenciée quelques jours plus tard, afin de ne pas avoir à honorer ses promesses. La société ne lui avait, en outre, jamais remis de certificat de travail final.

Entre mars 2020 et juillet 2021, A______ a allégué avoir déployé ses services dans le cadre de multiples dossiers, soit notamment les projets « O______ », « P______ », « Q______ », « R______ », « S______ », « T______ », « M______ », « U______ », « V______ », « W______ », « X______ », « Y______ », « Z______ », « AA______ », « AB______ », « AC______ », « AD______ » et « AE______ ».

A 1’appui de ses allégations, A______ a notamment produit les designs attestant de son activité entre mars 2020 et juillet 2021 (pièces 3, 7 à 9, 15, 17 à 28 dem.), ainsi que les statistiques du logiciel de dessin qu’elle utilisait (pièces 5, 10, 11, 13 et 32 à 45 dem.). Elle a également produit une facture établie par AF______, ostéopathe-acupuncteur, datant du 29 octobre 2020 (pièce 47 dem.). Enfin, trois factures datées des 22 mars 2018 et 22 décembre 2018 étaient également versées, portant sur un ordinateur, une tablette et un téléphone portable, dont deux d'entre elles étaient libellées au nom de I______ (pièce 59 dem.).

Le 17 mars 2022, A______ s’est acquittée d’une avance de frais de 2'310 fr.

o. Le 4 février 2022, D______ CAISSE DE CHOMAGE a déposé à l’office postal une requête d’intervention principale dans le cadre du litige opposant les parties. Ce faisant, elle a allégué avoir versé à son assurée la somme nette de 6'351 fr. 20, correspondant aux indemnités journalières pour les périodes de décomptes des mois de juillet à septembre 2021. Elle a également rappelé qu’elle s’était subrogée dans les droits de son assurée à l’encontre de son-employeur, à concurrence du montant avancé. Sur cette base, elle a conclu à ce que B______ SA soit condamnée à lui verser 6'351 fr. 20 net.

A 1’appui de sa requête, D______ CAISSE DE CHOMAGE a notamment produit les décomptes des mois de juillet, août et septembre 2021 (pièce 8 partie intervenante).

p. Par mémoire de réponse déposé à l’office postal le 31 mai 2022, B______ SA a conclu, à titre préalable, à ce que le Tribunal constate que la relation contractuelle liant les parties relevait du contrat de mandat au sens des articles 394 ss CO. A titre principal, elle a conclu au déboutement de A______ et de la partie intervenante de leurs conclusions, sous suite de frais. Elle a également assigné A______, par le biais d’une demande reconventionnelle, au paiement de la somme nette de 120'000 fr. avec intérêts moratoires à 5% 1’an dès le 25 novembre 2021 à titre de dommage subi du fait de la violation de 1’accord de confidentialité du 6 mars 2020.

Subsidiairement et dans l’hypothèse où le Tribunal venait à qualifier les rapports contractuels liant les parties de contrat de travail, B______ SA a conclu au déboutement de A______ et de la partie intervenante de leurs conclusions, avec suite de frais. En outre, elle a conclu à ce que A______ soit condamnée, à titre reconventionnel, au paiement de 120’000 fr. net avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 25 novembre 2021, en raison du dommage subi du fait de la violation de l’accord de confidentialité du 6 mars 2020.

A 1'appui de ses conclusions, elle a en substance allégué que A______ exerçait une activité de designer freelance depuis 2016, ce qui ressortait tant du contenu des réseaux sociaux de l’intéressée que de son site internet. C’était donc en tant qu’indépendante que A______ s’était présentée à E______ et avait manifesté son intérêt à collaborer avec elle. Les parties avaient ainsi conclu un contrat de mandat et convenu que A______ serait rémunérée sur une base mensuelle fixe, afin qu'elle-même puisse gérer ses liquidités au mieux. Durant toute la durée de sa collaboration avec elle, A______ disposait librement de son temps, organisait son travail comme elle l’entendait, offrait ses services à d’autres clients et utilisait sa propre adresse courriel. Les parties étaient donc liées par un rapport de sous-traitance.

B______ SA a ajouté que ce n’était qu’au début de l’année 2021 qu'elle avait réalisé n'avoir pas demandé à A______ son attestation d’affiliation à la CGC en tant qu’indépendante. Attendu que A______ n’était pas en mesure de transmettre ce document, elles avaient conclu un contrat de travail à durée déterminée couvrant la période du 15 février au 31 mai 2021. Le but de ce contrat était de régulariser la situation de A______ de manière provisoire, dans l’attente de 1’affiliation de l’intéressée auprès de la CGC.

B______ SA a encore indiqué qu'à tout le moins durant l’année 2021, A______ avait violé l’accord de confidentialité du 6 mars 2020 à plusieurs reprises en publiant sur ses réseaux sociaux des dessins effectués dans le cadre des missions qu'elle lui avait confiées. K______ – qui était à la fois client de A______ et son client – avait ainsi résilié le mandat qui le liait à elle, au motif que A______ avait publié des designs du projet de sa montre. En conséquence, le projet avait dû être abandonné et elle avait été contrainte de rembourser un acompte de 20'000 fr. à K______. En définitive, la perte de ce mandat lui avait occasionné une perte de 120'000 fr.

A 1’appui de ses allégations, B______ SA a notamment produit des captures d’écran du site internet et du profil Linkedln de A______ (pièces 1 à 3 déf.), ainsi qu’une facture de B______ SA à K______ et une attestation de remboursement du 25 novembre 2021 (pièce 9 déf.). Elle a également produit des échanges WhatsApp entre A______ et E______, dans lesquels le second s’enquérait des disponibilités de la première pour des entretiens téléphoniques ou des rendez-vous clients. Il ressort également de ces échanges que A______ travaillait tant chez elle ou dans le Valais, que dans les bureaux de B______ SA (pièce 4 déf.).

Le 31 août 2022, B______ SA s’est acquittée d’une avance de frais de l'200 fr.

q. Par mémoire de réponse sur demande reconventionnelle déposé à 1’office postal le 15 décembre 2022, A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle a notamment allégué que B______ SA lui avait demandé de prospecter pour le compte de la société, ce qui impliquait d’effectuer des publications sur les réseaux sociaux, y compris dans le cadre du projet de K______. Au début de l’année 2021, B______ SA lui avait par ailleurs proposé de répartir son activité entre les trois entités B______ SA, M______ et N______ SA, afin de donner 1’illusion qu’elle avait plusieurs clients. En outre, A______ a allégué qu’elle n’avait pas exécuté d’autres mandats pendant sa collaboration avec B______ SA. Les designs auxquels se référait B______ SA se rapportaient à des projets personnels ou des dessins réalisés à titre gracieux pour des amis, ce avant ou après son activité au sein de B______ SA. Enfin, la société lui avait fait parvenir un certificat de salaire pour 1’annee 2021 en mai 2022.

A 1’appui de ses écritures, A______ a notamment produit un certificat de salaire relatif à 1’exercice 2021 (pièce 65 dem.), ainsi que des échanges avec K______ (pièce 88 dem.).

r. Par mémoire déposé à l’office postal le 27 février 2023, B______ SA s’est déterminée sur la réplique à la demande principale et sur la réponse à la demande reconventionnelle de A______.

s. A 1’audience de débats d'instruction du 3 mai 2023, les parties ont persisté dans leurs conclusions et confirmé l’ensemble des allégués contenus dans leurs écritures respectives.

t. Lors de 1’audience de débats principaux du 8 juin 2023, A______, interrogée, a déclaré qu’en mars 2020, il avait été initialement convenu, d’entente avec E______, qu’un contrat de travail serait signé. Comme elle 1’avait en effet indiqué à B______ SA, elle n’avait pas le statut d’indépendante. La conclusion du contrat de travail n’avait toutefois pas été possible, en raison de la fermeture de la société due à la pandémie du COVID-19. En juin 2020, E______ lui avait demandé d’établir une facture de 4'000 fr., tout en lui indiquant que c’était le seul moyen pour elle d’être payée. Ce montant – dont seule la moitié lui avait finalement été versée – n’était pas à la hauteur du travail fourni et de ses compétences. Sa charge de travail excédait les huit heures par jour. En outre, elle travaillait durant les week-ends et les jours fériés et faisait parfois des nuits blanches. E______ lui imposait de se rendre aux réunions, sans lui demander si elle était disponible. Dans le cadre de sa collaboration avec B______ SA, elle avait un bureau, un badge pour accéder aux locaux de l’entreprise, ainsi qu’une place de parking. En outre, elle participait aux pauses-café et aux apéritifs organisés par B______ SA. Elle était présentée comme la designer de la société.

Entre novembre 2020 et janvier 2021, elle n’avait perçu que 3'000 fr. net par mois. On lui avait dit que cela était en raison de la crise et qu’elle serait mieux rémunérée par la suite. En mai 2021, E______ 1’avait convoquée pour lui annoncer que son salaire mensuel serait supérieur à 5'800 fr. dès le mois de juillet 2021, puis serait régulièrement revu à la hausse pour atteindre 15'000 fr. à la fin de 1’année. Au cours du mois de juin 2021, E______ lui avait finalement fait savoir que sa rémunération n’augmenterait pas.

Elle a, par ailleurs, admis que le devis pour la montre de K______, développée en avril 2021, se montait à 40'000 fr. et que B______ SA avait déjà perçu un acompte pour ce projet.

u. Interrogée, G______ a affirmé qu’il n’avait jamais été question qu’un contrat de travail soit conclu entre les parties, dès lors que A______ était une designer freelance. Lorsqu’elle avait rencontré A______ en avril 2020, cette dernière lui avait montré des dessins qu’elle réalisait pour d’autres clients. Les horaires et la charge de travail de A______ étaient variables, dans la mesure où cette dernière était libre de décider où et comment elle effectuait ses tâches. A______ n’était pas au bureau tous les jours et ne consacrait pas tout son temps à B______ SA. Le projet J______ SA faisait partie des mandats que B______ SA avait confiés à A______.

Par ailleurs, G______ a déclaré qu’elle avait établi un contrat de travail à durée déterminée lorsqu’elle avait réalisé que 1’attestation d’affiliation à la caisse AVS de A______ ne figurait pas dans son dossier. Le mandat liant les parties avait été résilié en raison des violations de 1’accord de confidentialité commises par A______ et parce que celle-ci réclamait un une rémunération exorbitante. Elle n’avait pas connaissance des problèmes de santé de A______.

v. Lors des audiences de débats principaux des 21 et 27 juin 2023, plusieurs employés et ex-employés de B______ SA, soit AG______, AH______ et AI______, ont déclaré que A______ était bien intégrée dans l’entreprise, qu’elle participait aux pauses-café ou aux évènements organisés par B______ SA et qu’ils la considéraient comme une collègue. Ils ont également précisé qu’elle disposait d’un bureau ou à tout le moins d’une salle aménagée pour qu’elle puisse y travailler.

En ce qui concerne la nature des relations contractuelles entre les parties, E______ et AJ______ - ancienne comptable de B______ SA - ont affirmé que A______ exerçait une activité indépendante lorsqu’elle collaborait avec B______ SA. A______ n’avait pas d’horaires fixes, elle disposait librement de son temps et pouvait s’organiser comme elle 1’entendait. AJ______ a précisé, à cet égard, qu’elle ne recevait pas les plannings, les relevés de pointage ou les feuilles d’absences et de congés de A______, alors même que les autres collaborateurs devaient lui transmettre ces documents. Quant à E______, il a ajouté que la présence de A______ dans les locaux de 1’entreprise n’était jamais imposée à cette dernière, de même que sa participation aux réunions.

S’agissant de la charge de travail de A______, seuls AG______ et AH______ ont déclaré être d’avis que A______ travaillait sous pression et que E______ pouvait se montrer nerveux, selon AH______, voire autoritaire selon AG______.

Entendu en qualité de témoin, K______ a déclaré qu’il avait été mis en relation avec B______ SA par 1’intermediaire de A______, étant précisé qu’il souhaitait produire une montre. Il avait fait la connaissance de A______ en février-mars 2021 via les réseaux sociaux. Il avait successivement été client de A______ et de B______ SA. La production de la montre avait dû être interrompue en raison de publications sur un réseau social de A______ qui n’étaient pas conformes à la vision qu’il se faisait du projet. Toutefois, il n’avait pas demandé le remboursement de son acompte auprès de B______ SA, dans la mesure où il souhaitait toujours pouvoir produire la montre.

Lors des audiences de débats principaux des 27 et 28 juin 2023, plusieurs proches de A______, soit AK______, I______, AL______, AM______, AN______ et AO______, ont été entendus en qualité de témoin.

Ils ont unanimement déclaré que A______ semblait être accaparée par son activité chez B______ SA et qu’elle travaillait souvent le soir ou les weekends. AK______, I______, AL______, AN______ et AO______ ont également relevé que A______ avait rencontré des problèmes de santé (fatigue, problèmes de dos, herpes, orgelet), qu’ils attribuaient au stress et à une surcharge de travail. AL______ a précisé, pour sa part, qu’il s’agissait d’angoisses survenues après sa période de travail et découlant du différend qu’elle avait avec son ex-employeur.

I______ a, par ailleurs, affirmé qu’il vivait avec A______. Selon lui, cette dernière travaillait exclusivement pour B______ SA, avait des horaires de bureau classiques et effectuait fréquemment des heures supplémentaires. E______ la sollicitait par téléphone en dehors des heures de travail.

Il a indiqué que B______ SA avait présenté à A______ en mars 2021 un projet de contrat à durée déterminée, il a également indiqué qu’il ne savait « pas si le contrat avait été corrigé, [qu’il ne l’avait] plus eu en mains », que sa compagne avait reçu des fiches de salaire à partir de mars 2021 et qu’il en avait « déduit que le contrat était en ordre » (p-v d’audience du 28 juin 2023).

Lors de 1’audience de débats principaux du 3 juillet 2023, A______ a déclaré réduire ses prétentions en versement d’un bonus à 2'000 fr., étant précisé qu’elle les avait précédemment chiffrées à 10'000 fr.

A 1’issue de 1’administration des preuves, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions respectives, puis, le Tribunal a gardé la cause à juger.

w. Dans son jugement du 9 octobre 2023 dont est appel, le Tribunal des prud'hommes a considéré que les relations contractuelles entre le mois de mars 2020 et la mi-février 2021, ainsi qu’entre le 1er juin et le 5 juillet 2021 devaient être qualifiées de contrat de mandat.

Le Tribunal a considéré que A______ disposait, d’un degré de liberté important dans 1’organisation de son travail, ne soumettait pas ses plannings à la société et ne faisait pas parvenir à cette dernière ses relevés de pointage ou ses feuilles d’absence et de congés, contrairement aux autres collaborateurs. Sa présence dans les locaux ou sa participation aux réunions n’était pas imposée. Elle n'avait pas d’obligation de se tenir à disposition de B______ SA à certaines heures ou dates, les réunions ou entretiens téléphoniques avec les clients étaient fixés d’entente entre les parties. Le ton employé par A______ et E______ dans leurs échanges démontrait un rapport d’égal à égal et non de supérieur à subordonnée (cf. pièces 6 dem. et 4 déf.). B______ SA ne disposait pas d’un pouvoir de contrôle et de direction envers A______. L’implication de A______ dans la vie de 1’entreprise découlait non pas d’instructions ou de directives contraignantes de la part de B______ SA, mais d’une simple préférence personnelle de A______. Celle-ci avait la possibilité de développer sa propre clientèle. A______ et B______ SA avaient d’ailleurs toutes deux été mandatées par le même client, K______ (cf. pièce 6 dem.). Les éléments caractéristiques du contrat de travail tenant à la mise à disposition du temps de l’employé, ainsi qu’au rapport de subordination et de dépendance entre employé et employeur, dans ses composantes personnelle, fonctionnelle, temporelle et économique, faisaient défaut. Le fait que A______ ait elle-même fait l’acquisition du matériel nécessaire à son activité et qu’elle n’ait jamais disposé d’une adresse courriel de la société plaidaient en défaveur d’un contrat de travail, tout comme les indications dans son profil LinkedIn (cf pièce 2 déf.) ou son affiliation en tant qu’indépendante auprès de la CGC (cf. pièce 7 déf.). Par ailleurs, bien que non déterminant, la convention du 13 juillet 2020 était intitulée « contrat de mandat » (pièce 14 dem.) et A______ avait adressé des factures successives de mars 2020 à mi-février 2021 de même qu’en juin 2021 (cf. pièce 90 dem.).

En résumé, l’existence d’un contrat de travail durant la période en question n’avait pas été démontrée.

Partant de ce constat, toutes ses prétentions découlant des art. 319 ss CO, étaient rejetées, hormis pour la période allant du 15 février au 31 mai 2021 où un contrat de travail à durée déterminée régissait les relations des parties. Ainsi, le Tribunal a condamné B______ SA au paiement des vacances afférentes à la période du 15 février au 31 mai 2021, au paiement d’une indemnité pour usage du matériel informatique, à la remise d’un certificat de travail (condamnations non contestées par A______ en appel). Il a également constaté que A______ devait être reconnue autrice lors de toute diffusion de ses designs par B______ SA (non contesté en appel également).

S’agissant de la demande reconventionnelle de B______ SA, le Tribunal des prud’hommes a retenu qu’il n’avait pas été établi avec certitude si A______ s’était effectivement rendue coupable d’une violation de l’accord de confidentialité conclu avec B______ SA, les échanges de messages produits par A______ laissant supposer qu’elle était chargée de promouvoir le projet de K______ via les réseaux sociaux (cf. pièce 88 dem.).

Par ailleurs, B______ SA n’avait pas pu apporter le moindre début de preuve de 1’existence et de la quotité de son prétendu dommage. Le lien de causalité n’avait pas été établi car l’« attestation de remboursement » datant du 25 novembre 2021 était largement postérieure à la résiliation le 5 juillet 2021 et portait sur le remboursement d’un acompte facturé le 5 juillet 2021, ce qui était incohérent.

Dans ces circonstances, la demande reconventionnelle devait être rejetée.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel a été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ) contre une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) statuant sur un litige prud'homal dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 et 92 al. 2 CPC). L'appel a été déposé dans le délai utile de 30 jours à compter de la notification de la décision (art. 142, 145 al. 1 let. b, 146, et 311 al. 1 CPC) et il respecte la forme prescrite (art. 130, 131 et 311 CPC).

L'appel est ainsi recevable.

1.2 Il en va de même de l'appel joint déposé simultanément à la réponse sur appel principal (art. 313 al. 1 CPC).

1.3 La Chambre des prud'hommes revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3). Le Tribunal établit sa conviction par une libre appréciation des preuves administrées (art. 157 CPC). Autrement dit, il décide d'après sa conviction subjective personnelle si les faits se sont produits ou non, c'est-à-dire s'ils sont prouvés (ou établis) ou non (Hohl, Procédure civile, tome I, 2001, p. 152 ss n. 785 ss; Vouilloz, La preuve dans le Code de procédure civile suisse, PJA 2009 p. 830 ss).

2.             En premier lieu, l’appelante reproche au Tribunal d’avoir établi les faits de manière erronée en retenant, sous la lettre H de son jugement, que B______ SA a établi un projet de contrat de travail à durée déterminée en février 2021.

Selon l’appelante, c’est un projet de contrat à durée indéterminée qui lui aurait été présenté par B______ SA et le contrat à durée déterminée serait une pièce fabriquée à posteriori par B______ SA à des fins procédurales.

L’appelante s’appuie pour ce faire sur le témoignage de son compagnon I______. Si ce dernier a effectivement confirmé que l’intimée a présenté à A______ un projet de contrat à durée indéterminée, il a également indiqué qu’il ne savait « pas si le contrat avait été corrigé, [qu’il ne l’avait] plus eu en mains », que sa compagne avait reçu des fiches de salaire à partir de mars 2021 [ce qui n’exclut pas un contrat à durée déterminée] et qu’il en avait « déduit que le contrat était en ordre » (p-v d’audience du 28 juin 2023).

Il convient surtout de retenir que l’appelante n’a jamais produit dans la présente procédure le projet de contrat à durée indéterminée qu’elle allègue avoir reçu.

Elle n’a pas non plus réagi au courrier de l’intimée du 5 août 2021, ce qu’elle n’aurait pas manqué de faire si le contrat annexé était un document qu’elle n’avait jamais vu auparavant (cf. pièce 55 dem.).

Par ailleurs, l’appelante a – en contrariété avec les propos de son conseil – émis une facture n°9 d’un montant de 5'000 fr. pour les services déployés durant le mois de juin 2021 considérant visiblement que la durée du contrat de travail n’allait pas au-delà du 31 mai 2021 (cf. pièces 16, 54 et 55 dem.).

Le fardeau de la preuve de l'existence d'un contrat de travail et de son contenu incombe, selon l'art. 8 CC, à celui qui entend en déduire des droits. Compte tenu de l’ensemble des faits qui précède, le témoignage seul de I______ – lequel a affirmé n'avoir vu qu’un projet – ne suffisait pas à établir qu’un contrat à durée indéterminée aurait été conclu entre les parties.

C’est donc à juste titre que le Tribunal des prud’hommes a retenu qu’un contrat à durée déterminée tel que produit par l’appelante sous sa propre pièce 55 avait été conclu entre les parties. Il n’existe donc aucune constatation inexacte des faits à ce niveau.

3.             L’appelante reproche ensuite au Tribunal des prud’hommes d’avoir violé l’art. 159 CPC en auditionnant E______, ancien administrateur, comme témoin en lieu et place de partie.

Selon l’art. 159 CPC, « lorsqu’une personne morale est partie au procès, ses organes sont traités comme une partie dans la procédure d’administration des preuves ».

S’il est clair qu’un administrateur ne peut être auditionné comme témoin, le statut procédural d’un ancien administrateur ne fait pas l’objet d’une jurisprudence unanime (Commentaire Romand CPC – Schweizer, art. 159 N 20 et ss; arrêt du Tribunal fédéral 5A_127/2013 du 1er juillet 2013, c. 3.1; ATF 147 II 144, consid. 4.7.2). En effet, trois dates pourraient déterminer si l’ancien administrateur doit être auditionné comme témoin ou partie : « celle des faits sur lesquels la personne entendue est appelée à déposer, celle de l’entrée en litispendance et celle de l’audition » (CR CPC – Schweizer, art. 159 N 20 et ss). Diverses considérations plaident en faveur de ces différents moments. Une partie de la doctrine considère que « devant les flottements des jurisprudences cantonales en la matière, publiées ou non, et faute de tout point d’ancrage légal, il est proposé ici d’assimiler à une partie […] toute personne qui présente les caractéristiques d’une partie, alternativement lors de l’introduction de l’instance ou lors de son audition » (CR CPC – Schweizer, art. 159 N 25).

En l’espèce, il ressort de l’extrait du Registre du commerce de l’intimée que E______ a été administrateur entre le 29 novembre 2019 et le 6 avril 2022, soit durant 2 ans et demi. Ses fonctions ont certes cessé après l’introduction de la présente procédure, mais cela faisait tout de même plus d’un an qu’il n’était plus administrateur de l’intimée au moment de son audition et n’avait plus d’intérêt personnel à prendre parti dans la présente affaire. Il convient par ailleurs de relever ici que les divers échanges entre E______ et A______ produits dans la procédure, viennent confirmer la déposition de E______ dont la crédibilité ne peut être remise en cause.

Ainsi, la loi et la jurisprudence ne définissant pas de moment déterminant, le Tribunal des prud’hommes pouvait librement décider, en fonction des circonstances, de l’entendre comme partie ou témoin, sans pour autant violer la loi.

4.             Puis, l’appelante soutient que le Tribunal aurait consacré une constatation inexacte des faits dans la partie en droit en retenant en page 17 du jugement attaqué qu’elle aurait un « degré de liberté important dans l’organisation de son travail », que « [sa] présence […] dans les locaux de l’entreprise ou aux réunions n’était jamais imposée », en page 18 que « le ton employé par A______ et E______ dans leurs échanges laisse supposer que les deux individus entretenaient un rapport d’égal à égal et non pas de supérieur à subordonné », que « il n’est pas démontré que B______ SA, soit pour elle E______, disposait d’un pouvoir de contrôle et de direction envers A______ ». L’appelante reproche en réalité au Tribunal une mauvaise appréciation des preuves concernant le lien de subordination.

A ce titre, AG______, AH______ et AI______ ont certes affirmé lors de leurs auditions respectives le 21 juin 2023 que « Si elle dépendait de quelqu’un, c’était de E______ »; « Elle dessinait pour E______ » « E______ venait dans le bureau de A______ pour lui donner des indications sur les dessins qu’elle devait réaliser pour des projets » « Il y avait aussi de la pression émanant de E______ pour développer des projets »; « Elle était subordonnée à E______ ». Or, il n’a jamais été contesté que les instructions étaient données par E______ ou encore que le travail ait pu être stressant. Les mandats sont également très souvent menés sous instructions du mandant, de sorte que le mandataire n’effectue pas ses tâches avec une totale liberté. L’accomplissement de certains mandats peut aussi se faire sous pression. On pensera par exemple à l’activité d’avocat ou d’architecte, qui s’exécute souvent sur instructions du mandant et parfois sous la pression du temps, comme des délais courts. Il n’en demeure pas qu’ils se qualifient de mandats.

L’appelante fait référence aux pièces 6 à 9, 15, 17 à 28 et 62 dem. lesquelles selon elle démontreraient qu’elle était à la disposition totale de E______. Ces pièces montrent de nombreux échanges entre l’appelante et E______ où ce dernier donne des instructions quant aux dessins, ou l’informe du retour d’un client, ce qui peut parfaitement s’inscrire dans le cadre d’un mandat comme précité.

Les témoignages de AJ______ et E______ ont montré que la demanderesse n’avait pas d’horaires fixes, et qu’elle pouvait disposer de son temps comme elle l’entendait.

Ces témoignages sont appuyés par certains échanges entre l’appelante et E______, où l’appelante avise ce dernier de quand et d’où elle entend travailler. A titre d’exemple, le 21 août 2020, elle explique qu’elle ne pourra pas participer à un rendez-vous client car son compagnon « voulait monter quelques jours en Valais pour se reposer » et propose de reporter le rendez-vous, ce qui ne s’apparente aucunement à une relation employeur-employé (cf. pièce 63 dem.). Il en ressort très clairement qu’elle décide de ses jours et heures de travail et son lieu de travail et se coordonne avec E______ dans un souci d’exécution adéquat du mandat.

Le respect de délais pour la production de dessins ne peut, par ailleurs, être considéré comme une impossibilité de disposer de son temps, les délais étant souvent une exigence dans la réalisation de mandats.

Il n’est d’ailleurs pas contesté que l’appelante ne pointait pas et n’était pas tenue de remettre les feuilles d’absence ou de congé contrairement aux autres collaborateurs, ce qui corrobore également une absence de contrôle de la part de l’intimée.

Le Tribunal en a déduit à juste titre qu’elle disposait d’un degré de liberté important et n’était pas sous le contrôle et la direction de l’intimée.

L’appelante relève encore que E______ lui a demandé d’acheter de la crème à café et des bouteilles d’eau en vue d’une réunion avec des clients de l’intimée (cf. pièce 6 dem.). Si tel est effectivement le cas, ce dernier l’a fait tout en précisant « Si ce n’est pas un problème pour toi quand tu viens au bureau de faire un crochet […] ? » « Redis-moi autrement je m’organise », ce qui démontre qu’il s’agit plutôt d’une faveur demandée à l’appelante. Ainsi, le Tribunal n’a pas procédé à une mauvaise appréciation des preuves en retenant que « le ton employé par A______ et E______ dans leurs échanges laisse supposer que les deux individus entretenaient un rapport d’égal à égal et non pas de supérieur à subordonné ».

5.             L’appelante reproche ensuite au Tribunal d’avoir consacré une constatation inexacte des faits dans la partie en droit en retenant en page 18 du jugement attaqué que malgré le fait que l’appelante consacrait énormément de temps et d’effort à son activité auprès de l’intimée, elle conservait la possibilité d’avoir d’autres clients. L’appelante reproche au Tribunal d’avoir procédé à une mauvaise appréciation des preuves concernant cette possibilité. Elle estime que son temps était entièrement consacré à l’intimée de sorte qu’il ne lui était pas possible en pratique d’avoir d’autres mandats.

Or, il importe peu de savoir si l’appelante faisait effectivement usage ou non de cette possibilité. A ce titre, il convient de rappeler que durant sa relation avec l’intimée, elle avait conservé comme client K______, qu’elle lui avait d’ailleurs adressé une facture de 11'000 fr. Elle continuait à se présenter en ligne comme étant designer / graphiste freelance et publiait plusieurs travaux en indiquant qu’il s’agissait de mandats sur lesquels elle travaillait. Ces publications lui permettaient de se marketer en vue de l’obtention d’autres mandats en tant qu’indépendante. Les explications de l’appelante quant au fait qu’il s’agissait d’accroitre sa crédibilité auprès des futurs clients de l’intimée ou permettre de prospecter ne sont pas crédibles, les travaux publiés concernant des affiches pour des restaurants ou des dessins d’animaux. Elle avait, par ailleurs, requis et obtenu son affiliation auprès de la CGC comme indépendante, avant de la contester. S’il semble crédible que l’intimée ait proposé de répartir fictivement son mandat entre trois entités pour faciliter l’affiliation comme indépendante, l’appelante ne s’est pas non plus opposée à cette manière de faire, visiblement tenant à établir son statut d’indépendante. On relèvera d’ailleurs que durant le second semestre de l’année 2020, l’appelante avait envisagé de collaborer avec la société J______ SA (pièce 48 dem.), ce qui vient confirmer qu’elle avait la possibilité d’avoir d’autres mandats même si elle explique ne pas en avoir fait usage, hormis pour le mandat la liant à K______. Son contrat ne prévoyait pas non plus de clause d’exclusivité en faveur de l’intimée.

Le Tribunal a ainsi retenu à juste titre que l’appelante travaillait de manière assidue mais n’avait aucune obligation de consacrer l’entier de son temps à l’intimée, d’autant plus que cette dernière ne pouvait pas connaître son emploi du temps ni contrôler sa présence, celle-ci n’ayant pas d’horaires déterminés, ne devant pas pointer, ni justifier de ses absences.

6.             L’appelante soutient que le Tribunal aurait consacré une constatation inexacte des faits dans la partie en droit en retenant en page 20 que l’appelante a « tacitement consenti au montant de sa rémunération » ou qu’elle n’a pas prouvé « qu’elle aurait expressément refusé l’adaptation de sa rémunération ou aurait été contrainte d’adresser à la société des notes d’honoraires pour des montants inférieurs à ceux qui avaient été convenus ». L’appelante reproche au Tribunal une mauvaise appréciation des preuves concernant sa rémunération.

G______ a expliqué lors de son audition le 8 juin 2023 que le mandat de l’appelante avait été résilié en raison des publications faites par l’appelante et du fait qu’elle réclamait des honoraires de 15’000 fr. par mois. Il n’empêche que l’appelante a émis des factures tout au long de la collaboration, hormis la période où elle était sous contrat de travail. Il n’existe aucune pièce ou témoignage dans le dossier qui constituerait un début d’indice quant au fait qu’elle se serait opposée à sa rémunération, que E______ aurait promis d’autres montants ou un autre type de rémunération ou encore qu’elle aurait été contrainte d’émettre lesdites factures. Le simple fait qu’elle ait réclamé une augmentation de ses honoraires ne saurait prouver qu’il n’y avait pas d’accord sur le montant des rémunérations précédentes. Le Tribunal a donc retenu à juste titre qu’il y avait accord sur les rémunérations passées.

7.             L’appelante reproche au Tribunal des prud’hommes d’avoir violé les art. 18, 319 et 320 CO en qualifiant les relations de mandat.

7.1 Par le contrat de travail, le travailleur s'engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixe d'après le temps ou le travail fourni (salaire aux pièces ou à la tâche) (art. 319 al. 1 CO).

Les quatre éléments constitutifs du contrat de travail sont donc les suivants (arrêts du Tribunal fédéral 4A_594/2018 du 6 mai 2019 consid. 4.1.1; 4A_500/2018 du 11 avril 2019 consid. 4.1; 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1; SJ 1990 p. 185; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 4ème ed. 2019, pp. 22 s.; Aubert, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2ème ed. 2012, n. 1 ad art. 319 CO, p. 1966; Streiff/Von Kaenel/Rudolph, Arbeitsvertrag, 7ème ed. 2012, n. 2 ad art. 319 CO, p. 71; Rehbinder/Stockli, Berner Kommentar, 2ème ed. 2010, n. 1 ss ad art. 319 CO, pp. 19 ss) :

- une prestation personnelle de travail;

- la mise à disposition par le travailleur de son temps pour une durée déterminée ou indéterminée;

- un rapport de subordination;

- un salaire.

La prestation personnelle de travail consiste en une activité humaine comprenant une prestation positive (active ou passive), de nature physique ou intellectuelle, déterminée, fournie par le travailleur en faveur de l’employeur, sans obligation de résultat (Wyler/Heinzer, Droit du travail, 4ème ed. 2019, p. 22).

Les parties conviennent d'un rapport durable qui ne s'éteint pas par 1'echange unique d'une prestation et d'une contre-prestation, ce qui peut distinguer le contrat de travail du contrat de mandat (art. 394 ss CO) ou du contrat d'entreprise (art. 363 ss CO). Le travailleur s'engage à mettre son temps à la disposition de l'employeur en vue de l'accomplissement de 1'activite prévue. Le plus souvent, la réalisation de ce critère découle de 1'engagement du travailleur pour une durée déterminée ou, en règle générale, indéterminée. L'importance de l'élément temporel se manifeste donc non seulement par rapport à la durée des rapports contractuels eux-mêmes mais également par la libre détermination, entre les parties, de la durée du travail et de l'aménagement du temps de travail dans le cadre contractuel (Widmer Luchinger/ Oser, Basler Kommentar, Obligationenrecht, vol. I, 7ème ed. 2020, n. 11 ad art. 319 CO, p. 2051; Bruchez/Mangold/Schwaab, Commentaire du contrat de travail, 4ème ed. 2019, n. 4 ad art. 319 CO, p. 32; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 4ème ed. 2019, p. 25; Aubert, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2ème ed. 2012, n. 3 et 4 ad art. 319 CO, p. 1966; Rehbinder/Stockli, Berner Kommentar, 2ème ed. 2010, n. 11 ad art. 319 CO, p. 23).

Le rapport de subordination revêt une importance primordiale dans la qualification du contrat de travail. Il s'agit de l'élément caractéristique essentiel du contrat de travail. Il présuppose que le travailleur est soumis à 1'autorite de l'employeur pour l'exécution du contrat et cela au triple point de vue personnel, fonctionnel (organisation et contrôle), temporel (horaire de travail) et, dans une certaine mesure, économique (ATF 125 III 78 consid. 4, trad, in SJ 1999 I p. 385; 121 1259 consid. 3a; arrêts du Tribunal fédéral 4A_500/2018 du 11 avril 2019 consid. 4.1; 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid; 2.1; 4A_200/2015 du 3 septembre 2015 consid. 4.2.1; Wyler/Heinzer, Droit du travail, 4ème ed. 2019, p. 23; Dunand, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 16 ad art. 319 CO, p. 5; Rehbinder/Stockli, Berner Kommentar, 2ème ed. 2010, n. 42 ad art. 319 CO, p. 38; Staehelin, Zürcher Kommentar, 4ème ed. 2006, n. 26 ad art. 319 CO, p. 26).

L'existence du rapport de dépendance et de subordination doit être appréciée à la lumière de faits matériels et de critères formels. Les indices formels sont notamment la qualification du contrat individuel de travail, le mode de rémunération appliqué et le fait d'avoir procédé aux déductions légales usuelles, tant sociales que fiscales. Les indices matériels sont notamment l’intensité du devoir d'obéissance, 1'obligation de respecter des horaires prédéfinis, l'éventuelle autorisation d'accomplir sa prestation en un lieu donné, sans que celui-ci ne soit imposé par la nature de la prestation, l'accomplissement de tâches en collaboration avec d'autres employés et l'accomplissement d'une activité subordonnée qui, par nature, implique une occupation dépendante (Rehbinder, Schweizerisches Arbeitsrecht, 15ème ed. 2002, n. 47 ss, pp. 40 ss).

A teneur de l'article 319 al. 1 in fine CO, l'employeur s'engage à verser une rémunération au travailleur. Ce salaire peut être fixé d'après le temps – à 1'heure, à la journée, à la semaine, au mois, à l'année, etc. – ou selon le travail fourni – salaire aux pièces, à la tâche, à la commission, etc. – (arrêt du Tribunal fédéral 4A_363/2017 du 4 mai 2018 consid. 3.1.1; Aubert in Commentaire romand, Code des obligations I, 2ème ed. 2012, n. 15 ad art. 319 CO, p. 1967). Ce critère distingue le contrat de travail du contrat de mandat ou du contrat d'entreprise en ce sens que, dans le cadre de ces deniers, la rémunération du mandataire ou de 1'entrepreneur rétribue 1'activite ou 1'ouvrage même, et non pas seulement la mise à disposition de temps (Dunand, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n. 23 ss ad art. 319 CO, pp. 7 s.; Aubert, op. cit., n. 16, pp. 1967 s.).

Le mandat est, quant à lui, un contrat par lequel le mandataire s’oblige, dans les termes de la convention, à gérer l’affaire dont il s’est chargé ou à rendre les services qu’il a promis (art. 394 al. 1 CO). Les règles du mandat s’appliquent aux travaux qui ne sont pas soumis aux dispositions légales régissant d’autres contrats (art. 394 al. 2 CO).

Le contrat de travail se distingue du mandat en particulier par l’existence d’un lien de subordination qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle personnel, organisationnel et temporel ainsi que dans une certaine mesure, économique (ATF 121 I 259 consid. 3a p. 262; arrêts du Tribunal fédéral 4A_500/2018 du 11 avril 2019 consid. 4.1; 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1; 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1; 4A_504/2015 du 28 janvier 2016 consid. 2.1.1; 4A_200/2015 du 3 septembre 2015 consid. 4.2.1).

Il y a dépendance économique lorsque d’autres sources de revenus sont exclues et que la personne ne peut pas, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu (arrêt 4A_64/2020, consid. 6.3.6).

La qualification juridique d'un contrat se base sur le contenu de celui-ci (ATF 144 III 43 consid. 3.3). Dans une première étape, il s'agit de déterminer le contenu du contrat en recherchant la réelle et commune intention des parties (art. 18 al. 1 CO). Si une telle intention ne peut être constatée, le contenu du contrat doit être interprété selon le principe de la confiance (ATF 145 III 365 consid. 3.2.1;
144 III 43 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2). Une fois le contenu du contrat déterminé, il s'agit, dans une seconde étape et sur cette base, de catégoriser juridiquement la convention (arrêt 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 5 et les références citées). La qualification juridique d'un contrat est une question de droit. Le juge applique le droit d'office (art. 57 CPC) et détermine d'office les règles légales applicables à la convention des parties. Il n'est lié ni par la qualification effectuée par les parties ni par les expressions ou dénominations inexactes dont les parties ont pu se servir soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (falsa demonstratio non nocet) (art. 18 al. 1 CO; ATF 131 III 217 consid. 3; 129 III 664 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_64/2020 précité consid. 5 et les références citées).

7.2 L’appelante reproche d’abord au Tribunal d’avoir retenu l’existence d’un contrat de mandat entre le mois de mars 2020 à mi-février 2021, d’un contrat de travail de mi-février à fin mai 2021, puis à nouveau d’un mandat entre le 1er juin et le 5 juillet 2021, sans expliquer en quoi les éléments constitutifs d’un contrat de travail étaient réalisés de mi-février 2021 à fin mai 2021 mais le ne le seraient pas durant les deux autres périodes. A titre d’exemple, elle cite que l’appelante n’a pas non plus enregistré ses heures ou disposé d’une adresse électronique professionnelle durant le contrat de travail.

L’intimée avait expliqué à ce titre avoir réalisé, au début de l’année 2021, avoir omis de demander à l’appelante son attestation d’affiliation à la CGC en tant qu’indépendante. Cette dernière ne disposant pas de ce document, elles avaient conclu un contrat de travail à durée déterminée couvrant la période du 15 février au 31 mai 2021, le but de ce contrat étant de régulariser la situation de l’intimée de manière provisoire, dans l’attente de son affiliation. Parallèlement, l’appelante avait entrepris les démarches pour s’affilier et obtenu le 27 mai 2021 son affiliation rétroactive au 1er janvier 2021. Si l’intimée reconnaissait la qualité d’employé à l’appelante comme le prétend cette dernière, ce n’est non seulement pas un contrat à durée déterminée qui aurait été conclu mais l’appelante n’aurait pas simultanément entrepris des démarches pour s’affilier en tant qu’indépendante. Les explications de l’intimée relatives à la nécessité de régulariser provisoirement la situation de l’appelante sont parfaitement concordantes avec les démarches entreprises par l’appelante pour ce faire.

Si la nature effective de la relation n’avait pas changé, c’était en raison du fait que le contrat de travail à durée déterminée n’avait pour seul but de régulariser la situation de l’appelante.

L’intimée n’avait certes pas imposé d’horaire de travail ni contrôlé les absences de l’appelante durant la durée du contrat de travail à durée déterminée car l’intention des parties était de reprendre le contrat de mandat dès l’affiliation de l’appelante en tant qu’indépendante.

Il sera relevé ici que l’appelante avait adressé une facture à K______ en mars 2021, soit durant le contrat de travail à durée déterminée, démontrant à nouveau que la conclusion du contrat précité avait bien pour but de régulariser la situation de l’intimée et l’intention des parties quant à la nature de leurs relations n’avait pas changé.

7.3 Puis, l’appelante reproche au Tribunal d’avoir omis d’interpréter arbitrairement le contrat du 13 juillet 2020, qui selon elle, comportait toutes les caractéristiques d’un contrat de travail, à savoir une rémunération mensuelle fixe, une certaine période ainsi qu’un délai de résiliation. Elle relève également que les parties avaient signé un contrat de confidentialité qui prévoyait que toute réalisation établie par l’appelante était la propriété exclusive de l’intimée, qui est une prérogative d’employeur et non d’un mandant.

Le Tribunal fédéral, dans un arrêt 4A_592/2016 du 16 mars 2017, consid. 2.2.2, a qualifié de mandat les relations liant une entreprise à un consultant, payé à la journée passée en mission et non en travail effectif, travaillant selon un planning qu’il établissait lui-même, et dont le contrat ne prévoyait pas de clause d’exclusivité. Le consultant ne choisissait pas le lieu de ses missions ni leur contenu et devait suivre les instructions de l’entreprise concernant ceux-ci. Les instructions influant sur l’objet et le contrôle de la part de l’entreprise, notamment en termes d’horaire de travail ou d’heures de travail effectivement exécutées (alors même qu’un système de rotation entre repos et travail était prévu par contrat) faisant défaut, le contrat a été qualifié de mandat.

En effet, seul l'examen de l'ensemble des circonstances du cas concret permet de déterminer si le travail est effectué de manière dépendante ou indépendante (ATF 129 III 664 consid. 3.2 p. 668; 112 II 41 consid. 1a/aa p. 46).

L’existence d’une rémunération fixe, d’un délai de résiliation ou encore d’une clause relative à la propriété intellectuelle ne saurait ainsi suffire à démontrer que les parties étaient liées par un contrat de travail. L’absence de lien de subordination, la liberté de l’appelante quant à l’organisation de son temps, l’existence de à tout le moins un autre mandat, mais également le fait que l’appelante se présentait comme un designer freelance, qu’elle avait émis des factures comme indépendante et sollicité son affiliation en tant qu’indépendante auprès de la CGC, excluent une qualification des relations de contrat de travail au sens de l’art. 319 ss CO.

7.4 Enfin, l’appelante reproche au Tribunal – cette fois sous l’angle de la violation de la loi – de ne pas avoir retenu l’existence d’un lien de subordination, son intégration dans l’entreprise, l’absence d’autres clients et par conséquence une dépendance économique.

En 1’espece, seule la qualification des relations contractuelles entre le mois de mars 2020 et la mi-février 2021, et entre le 1er juin et le 5 juillet 2021 demeure litigieuse.

Il a été établi précédemment que l’appelante bénéficiait d’une grande autonomie dans l’organisation de son travail, ce que confirment les auditions menées. AJ______ et E______ ont déclaré que l’appelante n’avait pas d’horaire fixe et organisait librement son emploi du temps. Elle ne soumettait ni planning, ni relevés de temps, ni justificatifs d’absence à l’intimée, contrairement aux autres collaborateurs. Sa présence dans les locaux ou aux réunions n’était pas imposée. Des échanges entre elle et E______ montrent qu’elle travaillait souvent depuis son domicile ou depuis le Valais, sans obligation de disponibilité à des heures ou jours précis, les rendez-vous clients étant fixés d’un commun accord. Le ton égalitaire de leurs communications renforce l’idée d’une relation sans subordination hiérarchique. L’appelante participait certes à la vie de l’entreprise, disposait d’un bureau et était perçue comme une collègue par d’autres salariés. Cependant, comme retenu par le Tribunal des prud'hommes, cette intégration semble résulter de sa propre initiative plutôt que d’instructions contraignantes. Il n’a pas été démontré que l’intimée ou E______ exerçait un pouvoir de direction ou de contrôle à son égard. Il ressort aussi que l’appelante avait la possibilité de développer sa propre clientèle. Le contrat de mandat n’interdisait pas l’exercice d’une activité parallèle. Elle avait même eu un autre mandat durant la collaboration avec l’intimée, à savoir K______.

Dès lors, comme retenu à juste titre dans le jugement entrepris, les éléments typiques d’un contrat de travail – tels que la mise à disposition du temps ou le lien de subordination personnel, fonctionnel, temporel ou économique – font défaut.

Le fait que l’appelante avait acheté elle-même son matériel de travail, se présentait comme graphiste freelance sur les réseaux sociaux, ou encore qu’elle ait sollicité et obtenu son affiliation à la CGC en tant qu’indépendante, viennent confirmer ce qui précède.

Le Tribunal des prud’hommes a donc considéré à raison que les relations ayant lié les parties entre le mois de mars 2020 à mi-février 2021 et entre le 1er juin et le 5 juillet 2021, ne pouvaient pas être qualifiées de contrat de travail au sens des articles 319 ss CO.

8.             Dans la mesure où le jugement entrepris ne consacre pas de violation des art. 18, 319 et 320 CO et que la qualification de l’existence d’un contrat de travail est rejetée, il ne peut y avoir de violation des art. 322 al 1, 329a al. 1, 336, 336a, 337, 337c et 321c CO.

L’appelante sera donc déboutée de ses conclusions tendant au versement de montants à titre de salaire, vacances, heures supplémentaires ainsi que celles tendant au versement d’une indemnité pour résiliation abusive. L’appelante sera également déboutée de ses conclusions relatives à la déduction des charges sociales et à la remise des fiches de salaire.

Le jugement du Tribunal de première instance étant confirmé, l’intimée devra remettre à l’appelante un certificat de travail pour la période du 15 février au 31 mai 2021, et les fiches de salaire afférentes à cette période.

En tant que de besoin, conformément à l’art. 236 al. 3 CPC, l’intimée sera condamnée à remettre ledit certificat de travail, sous la menace de la peine d’amende prévue par l’art. 292 CP. Faute d’exécution dans les dix jours dès l’entrée en force de la présente décision, l’intimée sera condamnée, sur requête de l’appelante, à une amende d’ordre de 500 fr. pour chaque jour d’inexécution (art. 343 al. 1 let. c CPC).

9.             S’agissant de la violation de l’art. 394 al. 3 CO, le Tribunal n’a pas non plus erré.

L’appelante explique qu’il est illusoire que de penser que sa rémunération puisse passer de 5'800 fr. en octobre 2020 à 3'000 fr. en novembre 2020 alors que la charge de travail n’avait pas été réduite. Elle estime également que le Tribunal aurait dû se prononcer sur la rémunération due pour le travail effectué de mars à juin 2020, aucun élément ne démontrant qu’elle avait accepté de travailler gratuitement. Ainsi, l’appelante aurait droit pour cette période à être payée selon l’usage.

Selon l’art. 394 al. 3 CO, une rémunération est due au mandataire si la convention ou l’usage lui en assure une.

Le Tribunal a retenu à juste titre que le contrat de mandat du 13 juillet 2020 – conclu pour une durée renouvelable de trois mois – prévoyait des honoraires mensuels de 5'800 fr. et que les honoraires mensuels de l'appelante ont manifestement été revus à la baisse en automne 2020, soit au moment de la reconduction du contrat de mandat. L'appelante a reçu une rémunération mensuelle de 3'000 fr. entre les mois de novembre 2020 et de janvier 2021. Elle a également reçu la somme nette de 5'000 fr. pour le mois de juin 2021 (cf. pièce 90 dem.). Le Tribunal a également retenu à juste titre que le montant des honoraires perçus correspondait parfaitement aux factures établies par l’appelante tout au long de sa collaboration avec l’intimée et qu’elle n’avait produit aucune preuve permettant d’établir, ni même de rendre vraisemblable qu’elle aurait adressé à l’intimée des factures pour des montants inférieurs à ceux convenus.

S’agissant de la période de mars à mai 2020, il convient de relever que l’appelante a admis en procédure qu’il avait été convenu qu’elle soumettrait des propositions à E______ en lien avec plusieurs projets spécifiques de l’intimée, ce afin de lui démontrer l’étendue de ses capacités. L’appelante n’a pas émis de facture pour cette période, ni n’a démontré s’être enquis auprès de l’intimée au sujet d’une quelconque rémunération.

En dernier lieu, il convient de relever que l’appelante n’a à aucun moment démontré quel serait l’usage dans le domaine, notamment quant à la quotité de la rémunération. Tout porte ainsi à croire que les factures émises et y compris l’absence de factures émises de mars à mai 2020 reflètent la volonté commune des parties. Par conséquent, l’intimée n’est pas débitrice envers l'appelante d’un différentiel d’honoraires.

10.         Dans son appel joint, l’intimée demande le paiement de 40'000 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 25 novembre 2021, à titre de dommage subi du fait de la violation de l’accord de confidentialité du 6 mars 2020 par l’appelante.

Elle reproche premièrement au Tribunal une constatation inexacte des faits en omettant deux faits à savoir que l’appelante a admis que le projet de K______ était devisé à 40'000 fr. et que l’intimée avait perçu un acompte pour ce projet. Ces faits ont été effectivement admis par l’appelante de sorte qu’ils ont été retenus dans la partie en faits du présent arrêt. Toutefois, comme il sera examiné ci-après, plusieurs conditions de l’article 97 al. 1 CO faisant défaut, cette constatation lacunaire demeure sans conséquence aucune.

En vertu de l'art. 398 al. 1 CO, qui renvoie à l'art. 321e al. 1 CO, le mandataire répond du dommage qu'il cause au mandant intentionnellement ou par négligence.  

Sa responsabilité est donc subordonnée aux quatre conditions suivantes, conformément au régime général de l'art. 97 CO : (1) une violation des obligations qui lui incombent en vertu du contrat, notamment la violation de ses obligations de diligence et de fidélité (art. 398 al. 2 CO; ATF 134 III 534 consid. 3.2.2; 127 III 357 consid. 1); (2) un dommage; (3) un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation du contrat et le dommage; et (4) une faute (arrêts du Tribunal fédéral 4A_349/2022 du 14 février 2023 consid. 4.1.1; 4A_624/2021 du 8 avril 2022 consid. 3.1; 4A_445/2021 du 4 avril 2022 consid. 4.1). 

Le mandant supporte le fardeau de l'allégation objectif (objektive Behauptungslast) et le fardeau de la preuve (Beweislast) des trois premières conditions conformément à l'art. 8 CC; il incombe en revanche au mandataire de prouver qu'aucune faute ne lui est imputable (" à moins qu'il ne prouve... ") (arrêts précités 4A_349/2022 consid. 4.1.1; 4A_624/2021 consid. 3.1; 4A_445/2021 consid. 4.1).  

A noter enfin que le dommage juridiquement reconnu réside dans la diminution involontaire de la fortune nette : il correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu’aurait ce même patrimoine si l’évènement dommageable ne s’était pas produit. Le dommage peut se présenter sous la forme d’une diminution de l’actif, d’une augmentation du passif, d’une non-augmentation de l’actif ou d’une non-diminution du passif (ATF 128 II 22 consid. 2e; 127 III 73 consid. 4; 126 III 388 consid. 1 1a; 122 IV 279 consid. 2a; 121 IV 104 consid. 2c).

Dans le cas d’espèce, il est admis que des publications ont eu lieu. L’appelante affirme qu’elles ont été faites sur demande de l’intimée, ce que cette dernière conteste.

Entendu à ce sujet, K______ a confirmé que la production de sa montre avait dû être interrompue suite aux publications sur les réseaux sociaux de l’appelante car elles n’étaient pas conformes à sa vision du projet. De plus, il a confirmé qu’il n’avait pas demandé le remboursement de l’acompte auprès de l’intimée car il souhaitait toujours pouvoir produire la montre. Le Tribunal a d’ailleurs relevé à juste titre que la date de l’attestation de remboursement ne coïncidait pas avec les publications et portait sur un acompte facturé le 5 juillet 2021, soit le jour même de la résiliation du mandat de l’appelante. Il ne pouvait ainsi pas s’agir du remboursement d’un acompte versé avant les publications. Cette analyse est d’ailleurs conforme au témoignage de K______.

D’abord, l’instruction n’a pas permis d’établir avec certitude si l’appelante s’était effectivement rendue coupable d’une violation de l’accord de confidentialité. S’il ne fait aucun doute que des publications ont été faites par l’appelante, les échanges de messages produits par cette dernière laissent supposer que 1’interessée était chargée de promouvoir le projet de K______ via les réseaux sociaux (cf. pièce 88 dem.).

Même à considérer qu’il y ait eu violation de l’accord de confidentialité, la preuve de l’existence d’un dommage fait sans conteste défaut. En effet, K______ a confirmé lors de son audition ne pas avoir résilié le mandat ni sollicité le remboursement de l’acompte car il souhaitait toujours pouvoir produire la montre en question. Ainsi, qu’il ait été établi que le projet était devisé à 40'000 fr. ou qu’un acompte avait été reçu par l’intimée ne change rien à ce qui précède.

Au demeurant, le fait que le projet de K______ ait été mis en « stand-by » depuis deux ans ne saurait dire qu’une indemnité pour gain manqué de 20'000 fr., correspondant aux 40'000 fr. devisés moins les 20'000 fr. perçus, est due. Pour rappel, la violation de la clause de confidentialité n’est pas établie. Encore une fois, à considérer qu’elle l’ait été, le dommage ferait défaut, K______ ayant confirmé son intention de produire cette montre. Il importe ainsi peu de savoir si et pour quelle raison le projet n’a pas fait l’objet de travaux par l’intimée depuis deux ans.

Dans ces circonstances, le Tribunal a considéré à raison que l’appelante ne pouvait pas être tenue pour responsable d’une violation de ses obligations contractuelles à 1’egard de l’intimée.

L’intimée doit donc être déboutée de ses conclusions en appel joint.

11.         Il résulte des développements qui précèdent que l'appel, hormis les mesures d’exécution relatives à la remise du certificat de travail, ainsi que l’appel joint doivent être rejetés et la décision attaquée confirmée hormis le point précité.

12.         Au regard de la valeur litigieuse supérieure à 50'000 fr., il y a lieu de percevoir des frais judiciaires pour la procédure d'appel (art. 114 let. c cum 116 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC).

13.         Les frais judiciaires de l'appel seront arrêtés à 1'250 fr. (art. 5 et 71 RTFMC), mis à la charge de l'appelante qui succombe, hormis pour les mesures d’exécution concernant la remise du certificat de travail qui reste un point très mineur (art. 95 al. 2 et 106 al. 1 CPC). Les frais sont entièrement compensés avec l'avance de même montant fournie par l’appelante, qui reste acquise à l'État de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

14.         Les frais judiciaires de l'appel joint seront arrêtés à 300 fr., mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). L’intimée sera condamnée à verser 300 fr. à l’Etat de Genève.

Il n'est pas alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevables l'appel formé le 9 novembre 2023 par A______ ainsi que l’appel joint formé le 19 février 2024 par B______ SA contre le jugement JTPH/338/2022 (recte 2023) rendu le 9 octobre 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/20785/2021.

Au fond :

Annule le chiffre 7 du dispositif de ce jugement. Statuant à nouveau sur ce point:

Condamne B______ SA à remettre à A______ un certificat de travail final conformes aux exigences légales, dans le sens du présent arrêt et sous la menace de la peine d’amende prévue par l’art. 292 CP.

Faute d’exécution dans les dix jours dès l’entrée en force de la présente décision, B______ SA sera condamnée, sur requête de A______, à une amende d’ordre de 500 fr. pour chaque jour d’inexécution.

Confirme le jugement pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d’appel:

Arrête les frais de l'appel principal à 1'250 fr., compensés avec l’avance opérée, acquise à l'Etat de Genève.

Arrête les frais de l'appel joint à 300 fr.

Met à la charge de A______ l’entier des frais de l'appel principal, soit 1'250 fr.

Condamne B______ SA à verser à l’Etat de Genève 300 fr.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Sirin YÜCE, présidente; Madame Nadia FAVRE, Monsieur Valery BRAGAR, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.


 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.