Décisions | Chambre des prud'hommes
CAPH/88/2024 du 13.11.2024 sur JTPH/90/2024 ( OS ) , CONFIRME
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/6664/2023 CAPH/88/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des prud'hommes DU MERCREDI 13 NOVEMBRE 2024 |
Entre
A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 12 avril 2024 (JTPH/90/2024), représentée par Me Yama SANGIN, avocat, Lexpro, rue Rodolphe-Toepffer 8, 1206 Genève,
et
Monsieur B______, domicilié ______ (France), intimé.
A. Par jugement JTPH/90/2024 du 12 avril 2024, le Tribunal des prud’hommes
(ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure simplifiée, a, à la forme, déclaré recevable la demande formée le 22 mai 2023 par B______ contre A______ SA (chiffre 1 du dispositif), déclaré irrecevable l’amplification des conclusions déposée le 13 novembre 2023 par B______ (ch. 2) ; au fond, le Tribunal a condamné A______ SA à verser à B______ la somme brute de 12'140 fr. 73 (ch. 3), invité la partie qui en a la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles (ch. 4), dit qu’il ne serait pas perçu de frais, ni alloué de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 6).
B. a. Le 14 mai 2024, A______ SA a formé appel contre ce jugement, reçu le 15 avril 2024, auprès de la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice
(ci-après : la Chambre des prud’hommes), concluant à l’annulation des chiffres 3 et 4 de son dispositif, à ce qu’il soit dit que le licenciement immédiat de B______ était justifié, qu’aucun salaire ne lui était dû, ni aucune indemnité pour licenciement injustifié.
b. L’intimé a conclu à la confirmation du jugement attaqué et a produit des pièces nouvelles, non numérotées.
c. A______ SA a répliqué, persistant dans ses conclusions et concluant en outre à ce que les preuves nouvelles et faits nouveaux allégués par l’intimé soient déclarés irrecevables.
d. L’intimé a renoncé à dupliquer.
e. Par avis du 2 octobre 2024 du greffe de la Chambre des prud’hommes, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure soumise à la Chambre des prud’hommes.
a. A______ SA est une société de droit suisse dont le siège est à Genève et dont le but est notamment l’exploitation d’établissements publics.
A______ SA exploite notamment un restaurant au no. ______, rue 1______ à Genève, géré par C______ et D______.
b. B______ a été engagé par A______ SA à partir du 24 juin 2022 en qualité d’aide-cuisinier. Les parties ont signé successivement deux contrats, le premier le 24 juin 2022 de durée déterminée et le second le 16 août 2022 de durée indéterminée.
En dernier lieu, le salaire mensuel brut de l’employé s’élevait à 4'235 fr. 14, treizième salaire en sus.
c. Par courrier du 25 octobre 2022, A______ SA a adressé à B______ un premier avertissement. Il était reproché à l’employé d’avoir utilisé « des paroles déplacées » à l’égard de l’employeur.
Selon la mention figurant au bas de ce courrier, il aurait été remis en mains propres à l’employé le 25 octobre 2022. B______ a contesté avoir reçu ledit courrier et a affirmé, devant le Tribunal, n’en avoir entendu parler que postérieurement à son licenciement.
d. Par courrier du 2 février 2023, A______ SA a résilié avec effet immédiat le contrat de travail de B______.
Il était reproché à ce dernier « une altercation verbale à l’encontre de D______ », ainsi que le non-respect des directives, malgré un avertissement.
e. B______ a été en incapacité de travail totale du 2 février au 25 mai 2023, selon les certificats médicaux versés à la procédure.
f. Par requête de conciliation du 4 avril 2023, B______ a conclu à la condamnation de A______ SA à lui verser la somme de 18'000 fr., correspondant à des salaires et heures supplémentaires impayés ; il a également conclu à ce que son salaire soit calculé à nouveau. Il a allégué avoir été licencié pendant une période de maladie, sans que l’employeur lui ait notifié le motif « la faute grave et injustifiée ».
g. Par demande déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2023, qui faisait suite à la délivrance de l’autorisation de procéder le 9 mai 2023, B______ a conclu à ce que A______ SA soit condamnée à lui verser la somme de 14'400 fr. à titre de salaire pour les mois de février à mai 2023, sous réserve d’amplification, et a réclamé une copie de son permis de travail.
h. Dans sa réponse du 16 août 2023, A______ SA a conclu au rejet de la demande.
Elle a allégué que D______ était arrivé au restaurant, le 2 février 2023, aux environs de 10h30 du matin et avait constaté que B______ était à son poste de travail. A aucun moment, durant la matinée, ce dernier n’avait fait état d’une quelconque maladie. Il s’était autorisé des pauses cigarettes, sans respecter les horaires prévus sur son planning. Aux environs de 12h00, une autre employée, E______, était arrivée à son poste de travail et B______ s’en était pris violemment à elle, « suite à une réflexion de la veille dans le groupe de travail ». D______ s’était alors rendu en cuisine, afin de demander aux deux employés et principalement à B______ de baisser le ton, afin de ne pas incommoder les clients présents. L’altercation entre les deux employés avait toutefois rapidement repris et D______ était retourné en cuisine afin de leur demander de mettre un terme à leur dispute. En quittant la cuisine, il avait claqué la porte pour marquer son mécontentement. Il y était ensuite retourné pour y demander des aliments et B______ l’avait pointé du doigt d’un air menaçant, en lui disant qu’il ne devait plus claquer la porte. D______ avait alors répondu qu’il faisait ce qu’il voulait dans son propre restaurant. B______, visiblement très nerveux, s’était approché de lui avec le grand couteau qu’il utilisait pour couper les oignons, qu’il n’avait pas lâché en lui parlant. E______ s’était alors précipitée pour mettre fin à la dispute. D______ s’était senti en danger. Il avait immédiatement demandé à B______ d’arrêter de travailler et lui avait signifié son licenciement immédiat pour faute grave. L’employé avait refusé de partir sans avoir reçu un document écrit motivant son renvoi, document qui lui avait été présenté vers 14h30 et qu’il avait refusé de signer. B______ avait quitté le restaurant après ces faits, puis s’était rendu chez le médecin. A______ SA a indiqué être en mesure d’apporter la preuve de ses allégations grâce aux enregistrements effectués par les caméras de surveillance du restaurant, une clé USB ayant été versée à la procédure.
i. Par courrier du 13 novembre 2023, B______ a amplifié ses conclusions.
j. Le Tribunal a tenu différentes audiences les 8 et 22 novembre 2023, ainsi que le 16 janvier 2024, au cours desquelles il a entendu les parties, ainsi que plusieurs témoins ; leurs déclarations utiles seront résumées ci-après.
B______ a allégué que le 2 février 2023, D______, arrivé au restaurant vers 11h00, était énervé, car il devait travailler seul, C______ étant en vacances. B______ lui avait dit qu’il allait avancer la mise en place et qu’il souhaitait pouvoir se rendre chez le médecin, car il avait mal à une cheville en raison d’une ancienne fracture. Il n’avait pas pu prendre sa pause à 11h00 car il était seul et était ensuite sorti pour fumer une cigarette. D______ s’était fâché. Celui-ci était entré dans la cuisine pendant que B______ coupait les oignons. Ce dernier avait dit à D______ qu’il ne devait pas le « traiter comme ça » et lui avait parlé tout en coupant les légumes. B______ a affirmé n’avoir jamais été agressif sur son lieu de travail.
D______ est partiellement revenu sur le contenu du mémoire réponse de A______ SA. Il a allégué que B______ lui avait adressé un signe menaçant en levant le doigt et en lui disant qu’il ne devait plus jamais claquer la porte ; il s’était avancé vers lui dans la même posture, l’air agressif, mais il n’avait plus de couteau.
E______, cuisinière, employée par A______ SA au moment des faits, a confirmé avoir eu une discussion animée avec B______ le 2 février 2023, portant sur des questions d’ordre professionnel ; le ton était monté et D______ avait demandé à B______ de parler moins fort et il avait fermé la porte de la cuisine, car il y avait des clients dans la salle du restaurant. Ce comportement n’avait pas plu à B______, lequel s’était rendu dans la salle pour en parler avec D______, avant de revenir en cuisine. Pendant le service, D______ avait dû revenir une seconde fois en cuisine afin de calmer B______. Le ton était monté entre eux et D______ avait dit à B______ d’arrêter de travailler ; celui-ci avait refusé de partir et D______, après un moment, lui avait apporté un document. B______ s’était ensuite changé, avait posé le matériel de travail et avait quitté l’établissement. E______ a précisé n’avoir jamais eu, avant le 2 février 2023, une discussion avec B______, lequel n’avait jamais été agressif à son égard. Elle a ajouté ce qui suit : « mais avec le patron, il en était presque arrivé aux mains ». Le matin du 2 février 2023, B______ lui avait dit devoir se rendre chez le médecin avec son fils, car celui-ci était malade.
Les témoins F______, G______ et H______, entendus par le Tribunal, n’ont pas assisté à l’altercation entre D______ et B______ le 2 février 2023.
G______, ami d’enfance de D______, a expliqué, en substance, avoir été appelé le 2 février 2023 par ce dernier, qui lui avait demandé de venir au restaurant, car il ne se sentait pas en sécurité ; il avait précisé qu’il y avait des tensions avec l’un de ses employés. G______ s’était rendu sur place et n’avait pas constaté qu’il se passait quelque chose de grave. D______ lui avait demandé de s’asseoir à une table à l’écart et de « veiller sur lui ».
H______, qui s’occupait de la comptabilité de A______ SA, a indiqué avoir reçu un appel de D______ le 2 février 2023. Ce dernier lui avait demandé de lui rédiger un courrier de licenciement pour faute grave destiné à B______. H______ lui avait expliqué qu’il fallait des preuves pour justifier le licenciement avec effet immédiat. D______ avait confirmé qu’il désirait la lettre de licenciement. Le témoin savait qu’il y avait eu des insultes entre les parties, ainsi que des menaces de la part de B______ ; il ne s’en souvenait pas précisément, n’ayant pas été présent sur les lieux.
La cause a été gardée à juger par le Tribunal au terme de l’audience du 16 janvier 2024.
C. a. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a retenu que, selon le courrier de licenciement, l’employé avait été licencié pour deux motifs : l’altercation verbale avec D______ et le non-respect des directives, malgré un avertissement. Les vidéos produites par l’employeuse ne comportant pas de son, il était difficile de saisir l’intensité de l’altercation et leur visionnage n’avait pas permis de considérer que l’employé s’était montré menaçant à l’égard de D______. La vidéo n. 1, qui montrait la cuisine entre 12h23 et 12h25, permettait d’apercevoir l’employé s’adresser à D______ en le pointant du doigt, puis s’approcher de lui sans couteau, E______ s’étant interposée entre les deux hommes. La vidéo n. 2 montrait la salle du restaurant entre 14h57 et 15h17 : on y voyait l’employé quitter l’établissement après avoir lu son courrier de licenciement. Selon la seule témoin ayant assisté à l’altercation, D______ et B______ en étaient presque arrivés aux mains, sans toutefois passer à l’acte. En ce qui concernait le second motif du licenciement avec effet immédiat, soit le fait que l’employé n’aurait pas respecté les directives de l’employeuse malgré un avertissement, il n’était pas suffisant pour retenir que l’employé aurait commis une faute grave, même en admettant que l’employé avait reçu l’avertissement du 25 octobre 2022, ce que A______ SA n’avait pas prouvé. Dès lors, cette dernière, qui supportait le fardeau de la preuve, n’était pas parvenue à démontrer l’existence de justes motifs au licenciement donné avec effet immédiat, lequel était injustifié.
Pour le surplus, le Tribunal a retenu que l’employé se trouvait dans sa première année de service lorsqu’il avait été licencié avec effet immédiat, de sorte qu’il avait droit à un mois de préavis, lequel aurait dû commencer à courir le 1er mars 2023 ; il avait toutefois été suspendu jusqu’au 31 mars 2023, soit pendant la période de protection contre le congé donné en temps inopportun, d’un mois. L’employé pouvait ainsi être licencié dès le 1er avril 2023, de sorte que son délai de congé était arrivé à échéance le 30 avril 2023. Il avait par conséquent droit au paiement de 3'670 fr. 45 (4'235 fr. 40 / 30 jours x 26 jours) du 3 au 28 février 2023, de 8'470 fr. 28 (4'235 fr. 40 x 2 mois) du 1er mars au 30 avril 2023, soit un montant total de 12'140 fr. 73.
b. Dans son appel, l’appelante a fait grief au Tribunal d’avoir constaté les faits de manière incomplète. La vidéo n. 1 montrait en effet que B______ avait pointé son doigt sur D______ et s’était approché de lui, tout en continuant à le pointer du doigt ; E______ s’était interposée entre son patron et son collègue et avait tenté de calmer ce dernier. Quelques secondes plus tard, B______ était sorti de la cuisine et s’était à nouveau approché de D______, toujours en le pointant du doigt et en insistant ; E______ avait tenté de le calmer. Bien que la vidéo ne soit pas pourvue du son, le Tribunal aurait dû retenir, sur la base des images, auxquelles s’ajoutaient les témoignages de E______, de G______ et de H______, que B______ avait adopté à l’égard de D______ un comportement agressif et menaçant, propre à justifier le licenciement avec effet immédiat.
1. 1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 124 let. a LOJ), dans le délai utile de 30 jours et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 308 al. 1 let. a et 311 al. 1 CPC), à l'encontre d'une décision finale de première instance qui statue sur des conclusions pécuniaires dont la valeur litigieuse, compte tenu de l'ensemble des prétentions demeurées litigieuses en première instance, est supérieure à 10'000 fr. (art. 91 al. 1 et 308 al. 2 CPC).
1.2 La valeur litigieuse étant inférieure à 30'000 fr. (art. 91 CPC), la procédure simplifiée est applicable (art. 243 al. 1 CPC) et la présente cause est soumise aux maximes inquisitoire limitée (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC) et de disposition
(art. 58 al. 1 CPC).
1.3 L'instance d'appel revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).
2. 2.1 Les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont pris en compte qu’aux conditions suivantes : a. ils sont invoqués ou produits sans retard ; b. ils ne pouvaient être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s’en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (art. 317 al. 1 CPC).
2.2 Les pièces nouvelles produites en appel par l’intimé sont irrecevables, dans la mesure où il aurait pu les produire devant le Tribunal et n’a pas indiqué les raisons qui l’auraient empêché de le faire. Elles ne sont, quoiqu’il en soit, pas pertinentes pour l’issue du litige.
3. L’appelante fait grief au Tribunal d’avoir considéré que le licenciement avec effet immédiat était injustifié.
3.1.1 Selon l'art. 337 CO, l'employeur et le travailleur peuvent résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).
Selon la jurisprudence, la résiliation immédiate pour justes motifs est une mesure exceptionnelle et doit être admise de manière restrictive. Seul un manquement particulièrement grave peut justifier une telle mesure; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2.1). Par manquement, on entend généralement la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, mais d'autres incidents peuvent aussi justifier une telle mesure; ainsi, une infraction pénale commise au détriment de l'autre partie constitue en règle générale un motif justifiant la résiliation immédiate. Lorsque les faits invoqués à l'appui d'un congé immédiat concernent le comportement de l'autre partie, ils doivent être objectivement propres à détruire le rapport de confiance mutuelle qui est essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l'atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement être exigée, ne serait-ce que jusqu'à la fin ordinaire de ces derniers (ATF 142 III 579 consid. 4.2; 137 III 303 consid. 2.1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_595/2018 du 22 janvier 2020 consid. 3.1; DONATIELLO, in CR CO I,
3ème éd. 2021, n. 6 ad art. 337 CO).
3.1.2 Il appartient à la partie qui se prévaut de justes motifs de résiliation immédiate d'en établir l'existence (art. 8 CC).
Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 in initio CO) et il applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC).
Un acte agressif, une menace, voire des insultes, peut, selon les circonstances, justifier ou non un licenciement immédiat (arrêts du Tribunal fédéral 4A_60/2014 précité consid. 3.3; 4C.247/2006 du 27 octobre 2006 consid. 2.6; 4C.435/2004 du 2 février 2005 consid. 4.4). En règle générale, l'injure grave unique proférée par le travailleur à l'adresse de son employeur (en l'absence de collègues ou clients) ne justifie un congé immédiat que si la situation de tension accrue qui s'est manifestée dans les gros mots en question ne relève pas d'un comportement non conforme au contrat ou à la loi de la part de l'employeur lui-même. Ce dernier ne doit donc rien avoir à se reprocher. En revanche, lorsque l'injure grave est proférée devant des collègues ou devant les patients d'un cabinet médical, l'atteinte est si grave qu'elle justifie un licenciement immédiat. C'est également le cas lorsque les injures ont lieu dans le cadre de discussions privées sur internet mais qui sont accessibles à des tiers, notamment les collègues. Des insultes telles que "gros con" et "pédé", aggravées de menaces, justifient typiquement une résiliation immédiate, sans avertissement préalable (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4ème éd. 2019, pp. 730-731 et les arrêts cités, not. arrêt du Tribunal fédéral 4D_79/2016 du 23 mars 2017 consid. 6).
Il faut distinguer l'infraction due à un état d'énervement et de perte de maîtrise de celle commise avec une intention de nuire à l'employeur (arrêts du Tribunal fédéral 4A_60/2014 précité consid. 3.4; 4A_333/2009 du 3 décembre 2009).
3.2.1 En l’espèce, il est établi qu’une altercation a opposé, le 2 février 2023, D______, gérant du restaurant exploité par l’appelante, et l’intimé. L’appelante, qui supportait le fardeau de la preuve, n’est toutefois pas parvenue à démontrer que le comportement de l’intimé avait atteint un degré de gravité suffisant pour justifier son licenciement immédiat.
Il sera tout d’abord relevé que l’appelante n’a pas hésité à soutenir, dans son mémoire réponse du 16 août 2023, que l’intimé avait menacé D______ au moyen d’un couteau. Cette version des faits a toutefois été infirmée par les images vidéo ainsi que par les déclarations de E______, et l’appelante elle-même a renoncé à l’invoquer à nouveau dans son acte d’appel, D______ n’ayant, sur ce point, pas confirmé le contenu du mémoire réponse de l’appelante lors de son audition par le Tribunal. L’altercation ayant donné lieu au licenciement immédiat n’a donc jamais atteint le degré de gravité allégué par l’appelante dans un premier temps.
Il résulte certes des images vidéo et des déclarations de E______ que le ton était monté entre l’intimé et D______, que le premier s’était adressé au second en le pointant du doigt et que les deux protagonistes avaient failli en venir aux mains, sans toutefois passer à l’acte. Il peut sans doute être retenu que l’intimé n’avait pas apprécié l’intervention de D______ ; ce dernier semblait toutefois également énervé, puisque l’appelante a expliqué dans sa réponse du 16 août 2023 qu’il avait claqué la porte en sortant de la cuisine afin de marquer son mécontentement, et ce au mépris de la tranquillité de la clientèle, qu’il prétendait pourtant vouloir préserver. Aucun élément concret ne permet par ailleurs de retenir que l’intimé aurait insulté ou proféré des menaces à l’encontre de D______. L’appelante ne l’a pas soutenu et E______ n’en a pas fait état. G______, arrivé sur place après l’altercation, n’avait pour sa part pas constaté qu’il s’était passé quelque chose de grave ; quant à H______, qui s’était entretenu au téléphone avec D______ immédiatement après les faits, il s’est contenté d’indiquer devant le Tribunal qu’il «savait qu’il y avait eu des insultes entre les parties, ainsi que des menaces de la part de l’intimé », sans pouvoir être plus précis. Or, cette déclaration, émanant d’une personne n’ayant pas assisté à l’altercation, est en contradiction avec le témoignage de E______ et n’est pas corroborée par le mémoire réponse de l’appelante du 16 août 2023.
Au vu de ce qui précède, il ne saurait être retenu que l’intimé a menacé D______ au moyen d’un couteau, ni qu’il l’a injurié, ni même qu’il l’a menacé verbalement. L’altercation résultait par conséquent d’un état d’énervement des deux intéressés et le comportement adopté par l’intimé n’a pas atteint un degré suffisant justifiant son licenciement avec effet immédiat.
3.2.2 Le second motif de licenciement figurant dans le courrier du 2 février 2023, à savoir le non-respect des directives par l’intimé, n’a pas été corroboré par les témoins entendus. Une éventuelle violation desdites directives, soit, selon les allégations de l’appelante dans sa réponse du 16 août 2023, la prise de pauses cigarettes sans respecter les horaires prévus sur le planning, n’aurait, quoiqu’il en soit, pas justifié un licenciement avec effet immédiat, étant relevé pour le surplus que l’appelante n’est pas parvenue à démontrer avoir notifié à l’intimé son courrier d’avertissement du 25 octobre 2022.
3.3 Compte tenu de ce qui précède, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré que le licenciement de l’intimé avec effet immédiat était injustifié.
3.4 L’appelante n’ayant pas critiqué le calcul auquel a procédé le Tribunal pour fixer la somme due à l’intimé, il ne sera pas revenu sur ce point et le jugement attaqué sera intégralement confirmé.
4. La valeur litigieuse étant inférieure à 50'000 fr., il ne sera pas perçu de frais judiciaires (art. 71 RTFMC).
Il n’est pas alloué de dépens ni d’indemnité pour la représentation en justice dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes (art. 22 al. 2 LaCC).
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PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :
A la forme :
Déclare recevable l’appel formé par A______ SA contre le jugement JTPH/90/2024 rendu le 12 avril 2024 par le Tribunal des prud’hommes dans la cause C/6664/2023.
Au fond :
Confirme le jugement attaqué.
Dit qu’il n’est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens d’appel.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Madame Paola CAMPOMAGNANI, présidente; Madame Monique FLÜCKIGER, Monsieur Michael RUDERMANN, juges assesseurs ; Madame Fabia CURTI, greffière.
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Indication des voies de recours et valeur litigieuse :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119
al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 15'000 fr.