Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des prud'hommes

1 resultats
C/2668/2022

CAPH/72/2024 du 19.09.2024 sur JTPH/335/2023 ( OO ) , REFORME

Recours TF déposé le 30.10.2024, 4A_569/2024
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2668/2022 CAPH/72/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU JEUDI 19 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ (France), appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 6 octobre 2023 (JTPH/335/2023), représenté par Me Christian BRUCHEZ, avocat, WAEBER AVOCATS, rue Verdaine 12, case postale 3647, 1211 Genève 3,

et

B______/1______ SA, domiciliée p.a. Succursale [de Genève], ______, intimée, représentée par Me Michaël BIOT, avocat, BMJ Avocats SA, rue de Berne 3,
1201 Genève.


EN FAIT

A.           a. Par jugement JPTH/335/2023 du 6 octobre 2023, le Tribunal des prud’hommes, Gr. 3, a, à la forme, déclaré recevable la demande formée le 30 juin 2022 par A______ contre B______/1______ SA (ch. 1 du dispositif) et, statuant sur le fond, ordonné à B______/1______ SA de délivrer à A______ un certificat de travail conforme à la pièce 4 dem., en y ajoutant les mentions supplémentaires indiquées au considérant 4 du jugement (ch. 2), dit qu’il ne sera pas perçu de frais, ni alloué de dépens (ch. 3), et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4) (liasse I, p. 11).

b. Ce jugement a été expédié aux parties, en leurs domiciles élus respectifs, par plis recommandés du 6 octobre 2023 ; elles l’ont reçu le lundi 9 octobre 2023 (dossier judiciaire).

B.            a. Par acte reçu au Greffe de la Cour de justice le 7 novembre 2023, A______ a formé appel contre le jugement précité dont il requiert l’annulation de son chiffre 4, et cela fait, à ce que la Chambre des prud’hommes, statuant à nouveau, ordonne l’audition des témoins C______ sur les allégués 31 et 32 dem. et de D______ sur les allégués 31 et 32 dem. et 44 déf. ; qu’elle condamne B______/1______ SA à lui payer le montant de 35'992 fr. 88 bruts, plus intérêts à 5% l’an dès le 1er décembre 2021 ; et qu’elle déboute B______/1______ SA de toutes autres ou contraires conclusions. Enfin, il conclut, à titre subsidiaire, au renvoi de la cause au Tribunal pour audition des témoins C______ sur les allégués 31 et 32 dem. et de D______ sur les allégués 31 et 32 dem. et 44 déf., puis pour nouvelle décision dans le sens des considérants, et au déboutement de la défenderesse de toutes autres conclusions (liasse I, p. 3).

b. Par « mémoire-réponse à l’appel » du 11 décembre 2023, B______/1______ SA, intimée, a conclu au rejet de l’appel, au déboutement de l’appelant de toutes ses conclusions et à sa condamnation en tous les frais judiciaires (liasse II, p. 2).

c. Par une réplique du 29 janvier 2024, l’appelant s’est déterminé par rapport à l’argumentation développée par l’intimée (liasse III).

d. Par une brève écriture, intitulée « mémoire de duplique » du 1er mars 2024, l’intimée a persisté dans ses conclusions.

C.           La Cour retient, sur le vu du dossier et des conclusions prises par les parties en appel, les éléments de faits pertinents suivants :

a. B______/1______ SA est une société anonyme dont le siège social se trouve à E______ (ZH). Son but social est notamment les prestations au sol, l’embarquement et le débarquement d’avions, le fret, le chargement et le déchargement au sol des avions, et toutes autres opérations relatives au trafic aérien (cf. extrait du Registre du commerce).

aa. La société avait été fondée en 1996 en tant que filiale de la Société anonyme B______ (= « B______ »), et ce sous la raison sociale « B______/2______ SA/ B______/3______ AG » (cf. pièce 6 déf., p. 2). Leader dans sa branche, elle opère au niveau international et occupe quelque ______ collaborateurs.

ab. En Suisse, la société compte trois succursales, appelées « stations » (cf. pièce 4 dem.) : à Zurich-Kloten, Bâle-Mulhouse et à Genève.

ac. Quant à B______, elle est devenue, en ______ 1997, une société holding, appelée désormais B______/4______ SA (cf. ATF 134 III 107), comportant, comme filiales, entre autres, B______/5______ SA, B______/1______ AG (membre de la Division B______/6______) et F______ AG (membre de la Division B______/6______). Suite à la déconfiture du groupe B______/4______ SA, en ______ 2001, les sociétés B______/1______ AG et F______ AG ont été vendues.

b. A______, ressortissant français, né le ______ 1960, domicilié en France, a été initialement engagé par B______ à compter du 1er février 1988, en qualité de contrôleur de fret, par contrat de travail à durée indéterminée. Les rapports de travail étaient soumis au contrat collectif de travail conclu entre B______ et [les syndicats] G______ et H______ (pièce 1 dem.).

ba. Après la création de B______/4______ SA, les rapports de travail de A______ avaient été repris par F______ SA.

bc. Le 1er janvier 2005, les rapports de travail de A______ ont été transférés à B______/1______ SA (pièce 2 dem.). Son taux d’activité était maintenu à 100% (40 H/sem). Les rapports de travail sont restés soumis au contrat collectif de travail. A______ a été affilié à la [Caisse de prévoyance professionnelle] I______ [ci-après : la I______] (pièce 2 dem.).

bd. A______ est membre du Syndicat G______.

c. Au courant de l’année 2011, B______/1______ SA, succursale de Genève, et les syndicats G______ et J______ ont négocié une « convention collective de travail pour le personnel avec salaire mensuel ». Il s’agissait de remplacer la CCT du 1er janvier 2007 (cf. pièce 12 dem.). Ces négociations ont abouti et la nouvelle CCT est entrée en vigueur le 1er mars 2012 (pièce 5 dem. ; ci-après : CCT 2012). Valable jusqu’au 28 février 2015, la CCT 2012 aura été régulièrement prolongée jusqu’au 31 décembre 2019 (pièce 2 déf.).

ca. Selon son art. 2.1. let. b, la CCT 2012 fait partie intégrante du contrat de travail (pièce 5 dem.).

cb. Suite à une saisine, en décembre 2019, par les syndicats G______ et J______, de la Chambre des Relations collectives de travail (CRCT), les parties signataires sont convenues de prolonger la CCT 2012 jusqu’au 30 septembre 2020 (pièce 2 déf.).

Lors de cette procédure, [le syndicat] G______ était représenté par M. K______, secrétaire syndical G______-Trafic aérien (pièce 2 déf.).

En définitive, pour les travailleurs liés, la CCT 2012 sera restée en vigueur jusqu’au 31 mai 2021, date à laquelle elle a été remplacée par la CCT dite « de crise », conclue pour la durée du 1er juin 2021 jusqu’au 28 février 2022 (pièce 3 déf.).

da. La CCT 2012 contient un article 6.3 intitulé « Repos compensatoire pour le personnel travaillant selon des horaires entre 20H00 et 06H00 », et assorti du préambule suivant : «Dès l’âge de 50 ans révolus, les heures de travail effectuées entre 20H00 et 06H00 sont comptabilisées et donnent droit à un repos compensatoire, nommé ci-après « congé heures de nuit » dès qu’un minimum de 1'200 heures est atteint ».

La disposition prévoit ce qui suit (extraits) :

6.3.1. Détermination du droit

Total des heures travaillées entre 20H00 et 06H00, dès 50 ans révolus

« congé heures de nuit »

De

 

à

durée en mois

1

1199

 

1200

1429

6

1430

1659

7

1660

1889

8

1890

2119

9

2120

2349

10

2350

2579

11

2580

indéterminé

12

a)      ….

b)      …..

c)      Le collaborateur peut bénéficier des mois de ce congé spécifique pendant la durée de l’activité professionnelle ou, en fonction du droit, au plus tard avant la retraite I______.[1]

6.3.2. Rémunération du repos compensatoire/ « congé heures de nuit »

En règle générale, la rémunération équivaut à 80% du salaire de base mensuel calculé en fonction du taux d’activité exercé pendant les 96 mois précédant le « congé heures de nuit » (…).

6.3.3. Conditions applicables lorsque le « congé heures de nuit » est pris pendant la durée de l’activité professionnelle

Lorsque les besoins du service le permettent, le collaborateur peut bénéficier du « congé heures de nuit » pendant son activité professionnelle. Les conditions suivantes s’appliquent :

a)      La rémunération équivaut à 80% du salaire de base mensuel.

b)      Les cotisations AVS/AI/AC sont calculées sur la base du salaire à 80% auxquelles s’ajoutent les indemnités éventuelles dues pour le mois précédent.

c)      Le versement des cotisations de la I______ reste inchangé.

d)      Les primes d’assurances accidents professionnels et non professionnels sont calculées sur le salaire de base mensuel (80% au prorata des heures travaillées) + les indemnités éventuelles dues pour le mois précédent.

e)      Le 13ème salaire, la participation au résultat ainsi que le droit aux vacances sont réduits d’un douzième par mois de repos.

f)       (…)

6.3.4. Conditions applicables lorsque le « congé heures de nuit » est pris à la fin de l’activité professionnelle.

a) Les rapports de travail sont maintenus jusqu’au début de la rente de la I______.

b) La rémunération est basée sur les conditions énoncées au paragraphe 6.3.2. Elle est calculée comme suit :

Salaire 100% X Moyenne du taux d’activité au cours des 96 mois précédents X 80% X Nombre de mois selon 6.3.1 = Indemnisation totale du « congé heures de nuit ».

c)      L’indemnisation totale du « congé heures de nuit » peut être répartie sur un nombre de mois entiers supérieur ou inférieur au droit de base ; elle ne peut toutefois excéder le 100% du salaire de base.

d)      La rémunération totale du « congé heures de nuit » et du pont AVS est soumise à imposition AVS/AI. Le montant de celle-ci est déduit en une fois à la fin du premier mois de congé.

e)      Le versement des cotisations de la I______ reste inchangé.

f)       Le jour précédant le « congé heures de nuit », l’assurance accidents professionnels prend fin ; dès le début du congé, le paiement de la prime d’assurance accidents non professionnels est à la charge du collaborateur. La couverture pour les accidents non professionnels échoit exactement 30 jours après la fin de l’activité professionnelle.

g)      Le droit au 13ème salaire, ainsi que le versement des indemnités fixes ou variables cessent le jour précédant le « congé heures de nuit ».

h)      En cas de maladie ou accident survenant avant le « congé heures de nuit », le début de celui-ci peut être différé jusqu’au rétablissement ; toutefois le « congé heures de nuit » ne peut en aucun cas s’étendre au-delà de l’âge de la retraite déterminé par le règlement de la I______ (…).

i)       En cas de maladie ou d’accident survenant pendant le « congé heures de nuit », l’échéance de celui-ci n’est pas différée. Dans ce cas, le salaire assuré correspond à 80% du dernier salaire mensuel de base ».

6.3.5 (…).

db. L’art. 6.3. CCT 2012 correspond dans une large mesure à une disposition analogue, déjà contenue dans la CCT 2007 (cf. pièce 6 déf., p. 9). A noter que le « congé heures de nuit » s’ajoute à, et ne remplace pas, l’indemnisation – par un supplément de 25% du salaire horaire – des heures de travail de nuit effectuées entre 20H00 et 06H00, prévue par l’art. 6.2.1. CCT.

dc. En proie à des difficultés financières, survenues avec la crise du Covid (dès 15 mars 2020 ; cf. pièce 6 déf.), B______/1______ SA a obtenu, dans la CCT dite « de crise » du 1er juin 2021, que l’art. 6.1. CCT 2012, c’est-à-dire le régime du « congé heures de nuit » fût supprimé (cf. pièce 3 déf.).

e. ea. En 2020, A______ touchait un salaire mensuel brut de 6'105 fr. 90 X 13, plus un montant de 200 fr. par mois à titre de « participation caisse maladie » (pièce-liasse 9 dem.). Ce salaire aura été porté à 6'437 fr. bruts par mois X 13, à compter du 1er janvier 2021 (ibid).

eb. Par courrier du 4 janvier 2021, B______/1______ SA a adressé à A______ un congé-modification. L’employé s’est vu proposer un nouveau contrat de travail prévoyant, à partir du 1er juillet 2021, un salaire mensuel de 5'376 fr. bruts. Le 13ème salaire n’y figure plus. L’horaire hebdomadaire s’y trouve porté à 41,25 heures. Il s’est vu impartir un délai au 28 janvier 2021 pour accepter, par écrit, ces nouvelles conditions d’emploi, faute de quoi ses rapports de travail seraient résiliés dans un second temps (pièce 6 dem.).

ec. A______ n’a pas accepté ces nouvelles conditions d’emploi.

ed. Le 18 janvier 2021, A______ s’est vu communiquer un décompte établi par son employeur relatif à ses heures de nuit. Selon ce décompte, il avait, au 31 décembre 2020, 1'470 heures de nuit à son actif, soit droit à 7 mois de repos compensatoire. Le décompte précisait, en outre, que cela correspondait à une « indemnité congé heures de nuit » de 5'301 fr. 85 par mois (= 80% du salaire effectif de 6'427 fr. 30 + 200 fr.) (pièce 10 dem.).

ee. Le 21 janvier 2021, A______ est tombé malade. Son incapacité de travail, à 100%, aura duré jusqu’au 30 juillet 2021 (pièces-liasse 8 dem.).

ef. Par courrier du 22 juillet 2021, B______/1______ SA a notifié à A______ la résiliation des rapports de travail, moyennant préavis contractuel de 4 mois, pour l’échéance du 30 novembre 2021 (pièce 7 dem.).

eg. A______ a été libéré de son obligation de travailler durant les quatre mois de son délai de congé (cf. allégué déf. No. 43, in : liasse 19 ; allégué admis par le demandeur, in : liasse 20).

fa. Par e-mail du 29 novembre 2021, adressé à B______/1______ SA (attn. L______, Payroll Specialist), A______ a demandé « Que sont devenus mes 7 mois d’heures de nuit ? », ajoutant que « selon M. K______ (G______), celles-ci devaient m’être payées au plus tard avec mon dernier salaire » (pièce-liasse 11 dem. p. 3).

fb. L______ lui a répondu, par e-mail subséquent du même jour, que « en ce qui concerne le paiement des heures de nuit de 7 mois, je dois prendre contact avec le RH à Genève ; je n’ai pas reçu d’ordre de paiement. Je vais informer M. C______, Business Partner, qui prendra contact avec vous » (pièce-liasse 11 dem., p. 3).

fc. Par e-mails du 6 décembre 2021, A______ a relancé C______, ainsi que D______, tous deux membres des Ressources Humaines (RH) de B______/1______ SA (pièce-liasse 7 déf. p. 3).

fd. Par e-mail du 7 décembre 2021, 08H53, D______ a répondu à A______ que « M. C______ ainsi que mes collègues vous ont déjà informé à plusieurs reprises que le principe du congé heures de nuit état un droit à un repos compensatoire. Cette infirmation était bien notifiée dans l’art. 6.3 de l’ancienne CCT. Il n’y a dès lors jamais aucun paiement de fait en relation avec ces heures de nuit (…) ». (pièce-liasse 7 déf. p. 2 = pièce-liasse 12 dem. p. 1).

fe. Par e-mail du 7 décembre 2021, 10H06, A______ a demandé « des preuves écrites concernant le non-paiement des heures de nuit ». Il en a adressé copie à M. C______ (pièce-laisse 7 déf. p. 2 = pièce-liasse 12 dem. p. 1).

ff. Par e-mail du 7 décembre 2021, 10H51, D______, a adressé à A______ un extrait de l’art. 6.3. CCT 2012, surbrillant notamment l’art. 6.3.1. let. c (pièce-liasse 7 déf. p. 1 = pièce-liasse 11 dem. p. 2).

fg. Sur ce, A______ a fait intervenir son syndicat.

fh. Le 14 décembre 2021, M. K______, secrétaire syndical G______–Trafic aérien, a adressé un e-mail à B______/1______ SA, attn. Mme M______, cc. N______ – co-directeurs de la succursale de Genève (cf. pièce 3 dem.), intervenant pour A______ au sujet du sort des 1'470 heures de nuit accumulées par ce dernier. Il a proposé que le contrat de travail de ce dernier soit prolongé de sept mois, soit jusqu’au 30 juin 2022 (pièce-liasse 12 dem. p. 2).

fi. Par e-mail du 6 janvier 2022, Mme O______, Directrice des Ressources Humaines a répondu à M. K______ que « (…) Lorsque les collaborateurs bénéficient des heures de nuit, les rapports de travail sont maintenus avec B______/1______ SA. Dans la situation de Monsieur A______, son contrat a été résilié du fait qu’il n’a pas souhaité signer un nouveau contrat de travail. De ce fait, il n’a plus droit aux heures de nuit » (pièce-liasse 12 dem. p. 1).

Il ressort de la procédure ce qui suit :

D.           Par Requête de conciliation déposée au greffe du Tribunal des prud’hommes le 14 février 2022, A______ a assigné B______/1______ SA en paiement de la somme de 35'992 fr. 88 bruts, avec intérêts moratoires à 5% l’an, à titre de « congé heures de nuit ».

Une audience de conciliation s’est tenue le 24 mars 2022, sans succès, de sorte qu’une Autorisation de procéder a été délivrée à A______.

E.            a. Par demande déposée au greffe universel le 30 juin 2022, A______, par la plume de son conseil, a assigné B______/1______ SA en paiement de la somme de 35'992 fr. 88 bruts, avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er décembre 2021, à titre d’indemnité pour « congé heures de nuit » (liasse 1).

A l’appui de ses conclusions, A______ a, en substance, allégué que la Convention collective de travail applicable n’excluait aucunement l’octroi d’un « congé heures de nuit en espèces » (liasse 1, p. 8), et qu’il était évident que ce congé pouvait être remplacé par une indemnité lorsqu’il ne pouvait être pris en nature, notamment par l’application analogique des dispositions sur le droit aux vacances. Il ressortait du décompte établi par la défenderesse le 14 janvier 2021 qu’il bénéficiait, au 31 décembre 2020, d’un solde de 1'470 heures accomplies de nuit, ce qui lui donnait droit à sept mois de « congé heures de nuit ». A suivre la méthode de calcul énoncée par la CCT applicable, ce congé devait être rémunéré à hauteur de 35'992 fr. 88 bruts (6'427 fr. 30 X 80% X 7) (liasse 1 p. 9).

L’écriture était accompagnée d’un chargé de 12 pièces (liasse 2).

b. Dans son mémoire-réponse du 14 novembre 2022, B______/1______ SA s’est opposée à la demande. A l’appui de ses conclusions, elle a notamment exposé que les parties avaient été soumises aux dispositions de la CCT 2012 – 2015 et que celle-ci était parfaitement conforme aux principes énoncés en matière de travail nocturne. Le demandeur avait été régulièrement indemnisé pour ses heures de nuit effectuées durant son engagement. Le « congé heures de nuit » était un mécanisme prévu par la CCT 2012 permettant au collaborateur concerné de pouvoir en bénéficier s’il s’en prévalait durant les rapports de travail, à défaut de quoi il était réputé y avoir renoncé. Le demandeur n’avait pas fait usage de cet avantage, bien qu’il ait reçu un décompte indiquant qu’il pouvait y prétendre. Durant les derniers mois de collaboration, il lui avait été indiqué à plusieurs reprises que ce congé ne donnait droit qu’à un repos compensatoire et non pas au versement d’une indemnité (liasse 8). Pour étayer ses moyens, elle s’est également référée au jugement JTPH/269/2013 du 16 août 2013 (pièce 6 déf.).

L’écriture était accompagnée d’un chargé de 9 pièces (liasse 9) comportant, sous cote 6, un jugement du Tribunal des prud’hommes JTPH/269/2013, C/8670/2012–3 du 16 août 2013, entré en force, rendu dans un litige identique, posant, sur la base de la CCT 2007 et des mêmes articles, la même quaestio iuris. Le Tribunal, présidé de Mme P______, avait débouté le demandeur de l’époque.

c. Le demandeur a déposé, le 1er décembre 2022, une réplique spontanée – contestant notamment la portée du jugement JTPH/269/2013 du 16 août 2013 pour la solution du cas d’espèce – sa situation n’étant pas comparable à celle jugée dans ce précédent (liasse 11, p. 2).

F.            a. Par pli reçu au Greffe du Tribunal le 8 février 2023, la défenderesse a déposé un échange d’e-mails entre les parties entre le 6 et 7 décembre 2021 (liasse 14), deux allégués complémentaires (No. 43 et 44 déf.), ainsi qu’une liste non pas de témoins, mais de « personnes à entendre », à savoir Q______, directrice des Ressources humaines, C______, membre des Ressources humaines, et D______, ancienne membre des Ressources humaines (liasses 15, 15 bis, et PV du 7.6.2023 p. 3 = liasse 22).

b. Par pli reçu au Greffe du Tribunal le 21 février 2023, le demandeur a déposé des allégués et un bordereau de preuves complémentaires. En substance, il a indiqué que le fait qu’un employé ne réclamait pas son droit au « congé heures de nuit » pendant les rapports de travail ne valait pas renonciation à s’en prévaloir. Le congé en question n’était pas une faculté mais un droit du travailleur (liasses 16, 16 bis).

Le demandeur n’a pas déposé de liste de témoins (dossier judiciaire).

c. A l’audience de débats d’instruction du 23 février 2023, les parties ont confirmé leurs conclusions. Le Tribunal, présidé de Mme P______, a imparti un délai au 31 mars 2023 à la défenderesse pour déposer une duplique (PV du 23.2.2023 = liasse 18).

d. Dans son mémoire de duplique du 31 mars 2023, la défenderesse a, en substance, allégué que le but du «congé heures de nuit » était de permettre aux collaborateurs approchant de la retraite et ayant effectué des heures de nuit de bénéficier d’un repos supplémentaires s’ils le souhaitaient ; ce congé visait à accorder un avantage en temps et non pas en argent. Il ne pouvait donc être pris que pendant la durée des rapports de travail (liasse 19).

e. A l’audience de débats d’instruction du 24 avril 2023, les parties ont confirmé leurs conclusions et le Tribunal a rendu une ordonnance de preuves (PV du 24.4.2023 = liasse 21).

G.           a. A l’audience de débats principaux du 7 juin 2023, le demandeur a confirmé ses conclusions. Pendant ses heures de travail, il n’avait jamais demandé le paiement de l’indemnité relative au « congé heures de nuit », mais il l’avait réclamée après avoir reçu sa lettre de licenciement. Il n’avait aucun intérêt à demander le « congé heures de nuit » avant la fin des rapports de travail, sachant que cela l’empêcherait d’avoir sept mois de cotisations AVS. De plus, il était toujours sous contrat lorsqu’il avait réclamé cette indemnité. Il n’avait jamais renoncé à ce « congé heures de nuit » et l’entreprise n’avait pas exigé qu’il prenne ce congé et elle ne l’avait pas non plus informé qu’il pouvait perdre ce congé. La seule et unique fois où il avait été sensibilisé à ce congé compensatoire était lorsqu’il avait reçu son décompte du 18 janvier 2021 (pièce 10 dem. ; PV du 7.6.2023 p. 2 et p. 3 = liasse 22).

b. La défenderesse, représentée et s’exprimant par Q______, Directrice des Ressources humaines, a confirmé ses conclusions. Le « congé heures de nuit » était un « compteur temps » non convertible en espèces. Il s’agissait d’une prestation supplémentaire offerte à l’époque mais non pas d’un droit. Cela était clairement prévu dans la CCT applicable. En tout état, le demandeur avait été régulièrement indemnisé pour ses heures de nuit. La totalité des employés avaient été « sensibilisés » concernant ce « congé heures de nuit ». Sur question, elle n’était pas en mesure d’expliquer pour quelle raison un employé serait amené à renoncer à ce congé (PV du 7.6.2023 p. 2 = liasse 22).

c. C______, employé de la défenderesse depuis le 15 septembre 2020, directeur de l’équipe RH, a expliqué connaître le demandeur, mais n’avoir eu que des échanges téléphoniques avec lui. Le « congé heures de nuit » donnait exclusivement droit à un repos compensatoire. En aucun cas, il ne pouvait y avoir un paiement en argent. Le demandeur s’était adressé à plusieurs personnes de l’équipe RH, dont à lui, et ce demandant à être indemnisé en espèces. Les employés concernés par le « congé heures de nuit » étaient libres d’en faire usage ou d’y renoncer.

Le conseil du demandeur a souhaité poser une question à C______ relative à son allégué complémentaire 31 dem. (= liasse 17). Allégué : « En tout cas, M. A______ n’a jamais renoncé à ses congés heures de nuit ». Le Tribunal lui a refusé de poser une question par rapport à cet allégué (PV du 7.6.2023 p. 4 = liasse 22).

Le conseil du demandeur a, en outre, souhaité poser à C______ une question relative à l’allégué 16 déf. Allégué : « Il s’ensuit que le repos compensatoire pour les heures de nuit au sens du chapitre 5.3. de la CCT constituait une simple faculté accordée en complément au minimum légal. Les collaborateurs concernés étaient libres d’en faire usage ou d’y renoncer ». Question : « Pourquoi un employé renoncerait-il à son congé heures de nuit ? », ainsi qu’une question relative à l’allégué 16 déf. (= liasse 8 p. 7). Le Tribunal, à nouveau, lui a refusé cette question (PV du 7.6.2024 p. 4 = liasse 22).

Le conseil du demandeur a enfin souhaité poser à C______ une question par rapport à l’allégué complémentaire 32 dem. Allégué : « Monsieur A______ n’a par ailleurs jamais été interpellé sur son solde de « congé heures de nuit » ou mis en demeure de prendre ces heures. Il n’a été informé ni de la nécessité de les prendre en nature ni des prétendus risques de déchéance. En particulier, lorsqu’il l’a licencié, son employeur ne lui a pas demandé de solder ses « congé heures de nuit pendant le délai de congé » (liasse 17). Le Tribunal n’a pas protocolé la question, mais simplement protocolé que « la question se référant à l’allégué 32 dem. est refusée » (PV du 7.6.2023, p. 4 = liasse 22).

d. D______, employée de la défenderesse de « 2020 à 2022 », membre de l’équipe RH à Genève, a expliqué connaître le demandeur « de nom ». Le « congé heures de nuit » n’était pas une « obligation », mais un « droit », pour autant que le collaborateur soit toujours sous contrat de travail. Il s’agissait vraiment d’un repos compensatoire, il ne pouvait pas être remplacé par un paiement. « Je peux le confirmer, car la question en interne s’était posée ». « Nous en avons parlé à l’administration RH à Zurich » et « posé la question à la CFO de l’époque, qui agissait en qualité de CEO par interim Mme M______. C’était au début de l’année 2021, en mars ou avril, lorsque les nouveaux contrats avaient été proposés aux collaborateurs ». De mémoire, il y a eu des directives internes à ce sujet. Le demandeur avait été rendu attentif à ce fait, à plusieurs reprises. Elle avait attiré l’attention du demandeur à ce sujet, une fois par téléphone et une fois par e-mail (cf. pièce 11 dem.). En renonçant de signer son nouveau contrat de travail, le demandeur avait tacitement renoncé à ce congé (PV du 7.6.2023 p. 5–6 = liasse 22).

Le conseil du demandeur a souhaité poser à D______ une question se référant à son allégué 31 dem., à l’allégué 16 déf., à l’allégué 32 dem., ainsi qu’à l’allégué 44 déf. dont la teneur est la suivante : « M. A______ n’aurait dès lors, en toute hypothèse, pas pu prendre son « congé heures de nuit », ayant été en incapacité de travail, soit libéré de ses obligations de travail tout en étant rémunéré à 100% » (liasse 15 p. 3). Le Tribunal les a, ici aussi, refusées – sans les protocoler (PV du 7.6.2023 p 5).

H.           a. Dans son jugement du 6 octobre 2023, le Tribunal n’a pas motivé son refus de laisser au conseil du demandeur les trois questions que ce dernier entendait poser, par rapport à trois allégués, à C______ lors de l’audience des débats principaux du 7 juin 2023.

b. Concernant le « congé heures de nuit », le Tribunal a d’emblée retenu, mais sans se référer à sa décision, rendue dans une affaire identique, le 16 août 2013 (JTPH/269/2013, C/8670/2012–3), que la demande était infondée. Toutefois, il a repris la motivation contenue dans ladite décision de 2013.

La demande était infondée dès lors qu’à teneur de la CCT 2012 ledit « congé heures de nuit » était uniquement possible d’être « pris en nature » pendant la durée de l’activité professionnelle. Le demandeur était informé, « bien avant la fin des rapports de travail au 30 novembre 2021 », qu’il lui incombait, s’il entendait en profiter, de solliciter à temps ce « congé heures de nuit ». Le fait d’avoir fait valoir ce droit « pour la première fois » à la fin des rapports de travail, le 29 novembre 2021, n’ouvrait pas le droit de réclamer une indemnisation. Du reste, la CCT ne prévoyait pas qu’un « congé heures de nuit » non pris durant les rapports de travail puisse être converti en une indemnisation pécuniaire à la fin des rapports de travail (liasse Ia, p. 9).

I.              a. Dans son mémoire-appel l’appelant fait d’abord grief au Tribunal d’avoir interdit à son conseil, lors de l’audience du 7 juin 2023, de poser des questions au « témoin » C______ sur les allégués 31 dem. 16 déf. et 32 dem., et à la témoin D______ des questions sur les allégués 31 dem., 16 déf., 32 dem. et 44 déf. De surcroît, le Tribunal aurait omis de motiver ces refus. Ce faisant, le Tribunal aurait violé son droit d’être entendu et son droit à la preuve, droits garantis par les arts. 29 Cst. féd., 53 al. 1, 152 al. 1 et 238 let. g CPC (liasse I, p. 5–7).

Sur le fond, l’appelant fait grief au Tribunal d’avoir violé les art. 341 CO et 357 CO ainsi que l’art. 6.3 CCT.

En substance, l’appelant conteste l’interprétation faite par le Tribunal de l’art. 6.3 [art. 6.3.1 – 6.3.5] relatif au congé compensatoire, nommé « congé heures de nuit ».

Il conteste que son droit au repos compensatoire, respectivement à son indemnisation, serait périmé parce qu’il l’aurait fait valoir tardivement, la veille de son dernier jour de travail (liasse I, p. 8).

Il conteste aussi avoir renoncé à ce congé – s’agissant d’un droit impératif, prévu par une CCT (art. 357 al. 1 CO), le travailleur n’est pas réputé y renoncer (sans contre-concession équivalente) durant les rapports de travail (cf. art. 341 al. 1 CO) (liasse I, p. 8–9).

Par ailleurs, il soutient le droit à l’indemnisation du « congé heures de nuit » sur la base d’une application, par analogie, de la jurisprudence relative à l’indemnisation des vacances que le travailleur n’a pu prendre (liasse I, p. 10).

Enfin, et de façon centrale, il reproche au Tribunal d’avoir considéré que la CCT ne lui donnerait droit, s’agissant du « congé heures de nuit », qu’à un repos compensatoire « facultatif » et en nature, à prendre pendant les rapports de travail, mais qu’elle ne prévoirait pas une indemnisation au cas où ce congé n’aurait pas été pris à temps (ibid. p. 10).

b. Dans son mémoire-réponse à l’appel, l’intimée se réfère à l’interprétation de la CCT faite par le Tribunal (liasse II, p. 3 – 4).

Elle souligne que l’objectif du « congé heures de nuit » était de permettre aux collaborateurs – qui en remplissaient les conditions – de bénéficier d’un repos supplémentaire à l’approche de la retraite. Admettre une conversion en argent de ce congé serait revenu à contourner le but recherché par la CCT. Le texte, du reste, ne contient aucune disposition prévoyant qu’à défaut d’une prise en nature de ce congé, il devrait être indemnisé. Enfin, le collaborateur était libre de prendre ce congé, ou d’y renoncer, l’employeur ne pouvant le lui imposer (liasse II, p. 6).

Il n’y avait pas lieu non plus de recourir à une application par analogie des règles relatives aux vacances pour justifier une indemnisation du « congé heures de nuit » (liasse II, p. 7).

Enfin, il était tout à fait licite d’assortir le bénéfice du « congé heures de nuit » de conditions et d’incombances. Ainsi, si le travailleur tarde à le faire valoir, son droit est périmé (liasse II, p. 8).

c. Dans sa réplique du 29 janvier 2024, l’appelant persiste à soutenir, à l’appui de sa thèse de l’indemnisation, le bien-fondé d’une application par analogie des règles relatives au droit des vacances (liasse III, p. 1–2).

d. Dans sa duplique du 1er mars 2024, l’intimée persiste à contester l’application par analogie des règles relatives au droit des vacances. Cette façon de faire ne repose sur aucune base légale. Par ailleurs, contrairement à l’art. 329 c CO, la CCT ne prévoit pas, en faveur de l’employeur, un droit de fixer le principe et la date de prise du « congé heures de nuit » (liasse IV, p. 2–3).

EN DROIT

1.             Recevabilité

1.1. Interjeté contre une décision finale (art. 308 al. 1 let. a CPC) auprès de l’autorité compétente (art. 124 let. a LOJ) dans le délai utile de 30 jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 142 al. 1 et 3 et art. 311 CPC), et vu que la valeur litigieuse au dernier état des conclusions (c’est-à-dire en première instance : TF 5A_261/2013 du 13 septembre 2013 consid. 3.3.) dépassait le seuil de 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), l’appel est recevable.

1.2. L’appel peut être formé pour a. violation du droit et/ou b. constatation inexacte des faits (art. 310 CPC).

1.3. Le juge d’appel dispose d’un pouvoir d’examen complet et il revoit librement les questions de fait comme les questions de droit (art. 310 CPC). Il n’est pas lié à l’état de faits dressé par l’instance précédente ; il peut le compléter (ATF
144 III 394 consid. 4.1.4 = JdT 2019 II 147 ; Seiler, Die Berufung nach ZPO, Zurich, 2013, p. 206). Il contrôle librement l’appréciation des preuves effectuée par le Tribunal et il vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu’il a retenus (art. 157 CPC ; ATF 138 III 374 consid. 4.3.1 ; TF 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3). Enfin, il applique le droit d’office (iura novit curia ; art. 57 CPC) ; cela signifie que le juge est libre d’appliquer le droit, en s’écartant cas échéant de l’analyse juridique et des arguments de parties (Haldy, in : CPC-CR 2ème éd., 2019, N. 3 ad art. 57 CPC).

2.             Violation du droit d’être entendu.

2.1. L’appelant fait grief au Tribunal d’avoir refusé à son conseil lors de l’audience du 7 juin 2023 de poser des questions au « témoin » C______ sur les allégués 31 dem., 16 déf. et 32 dem., et à la témoin D______ des questions sur les allégués 31 dem., 16 déf., 32 dem. et 44 déf. De surcroît, le Tribunal aurait omis de motiver ces refus. Et de se prévaloir de l’art 29 Cst. féd, et des arts. 53 al. 1, 152 al. 1 et 238 let. g CPC.

2.2. L’art. 29 Cst. féd. spécifie, sous la note marginale « Garanties générales de procédure » que « Les parties ont le droit d’être entendues » (al. 2). Il s’agit d’un droit fondamental qui, en procédure civile, trouve son écho à l’art. 53 al. 1 CPC. La disposition concrétise le droit d’une partie de participer à l’administration de preuves pertinentes et valablement offertes (Dang/ Nguyen, CR-Cst. féd., I, 2021, Nos. 156 ss).

2.2.1. Le droit d’être entendu, en procédure civile, comporte, entre autres, « le droit à la preuve » (« Recht auf Beweis » ; art. 8 CC ; art. 152 CPC ; ATF 143 III 297 consid. 9.3.1 ; 124 III 241 consid. 2 = JdT 2000 I 130 ; TF 4A_335/2019 du 29.04.2020 consid. 6.2.2 = RSPC 2020 p. 538), soit donc, notamment, le droit de poser (ou faire poser) des questions aux témoins, et ce tant par rapport aux allégués formulés, que sous forme de questions complémentaires par rapport aux réponses données (art. 173 CPC).

2.2.2. La preuve a pour objet les faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC ; Hofmann/Lüscher, Le Code de procédure civile, Berne, 3e éd. 2024, p. 171).

2.2.3. Le juge peut refuser une question lorsque les preuves administrées lui ont permis de se forger sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion » (ATF 146 III 73 consid. 5.2.2 ; 143 III 297 consid. 9. 3.2 ; TF 2C_1125/2018 du 7 janvier 2019 consid. 5.1 ; Schweizer, CR-CPC, op. cit. N. 10 ad art. 152 CPC).

2.2.4. Si le juge refuse une question, il incombe à la partie questionnante de faire verbaliser le refus (art. 176 al. 1 CPC ; Schweizer, in : CR-CPC, op. cit. N. 4 ad art. 173 CPC ; Hasenböhler, Das Beweisrecht der ZPO, vol. 2, Zurich, 2019, p. 149). Au juge ensuite de motiver son refus, soit séance tenante, ou dans son jugement.

2.3. En l’espèce, l’on ignore pour quelles raisons le Tribunal avait refusé les questions litigieuses posées au « témoin » C______ et à la témoin D______. Il aurait dû motiver son refus. Il se peut que, se souvenant de son jugement rendu en 2013, dans une affaire « identique », il se soit forgé sa conviction ex ante quant à l’issue du litige.

2.3.1. Quoi qu’il en soit, le Tribunal eût dû s’expliquer. L’instrument du refus d’admettre des questions posées à des témoins est d’un maniement délicat. Il se peut toujours qu’une question, qui lui paraît inutile ou non pertinente, paraisse, ultérieurement, aux juges d’appel, utile et pertinente.

2.3.2. En l’occurrence, l’appelant, qua demandeur, avait sollicité du Tribunal le droit de pouvoir poser aux deux témoins des questions par rapport à plusieurs allégués, régulièrement introduits (Bordereau des preuves complémentaires du 23.2.2023, p. 2 = liasse 16), et qu’il estimait, sur le vu du mémoire-réponse de la défenderesse (liasse 8), pertinents, dont celui-ci : « M. A______ n’a jamais renoncé à son « congé heures de nuit » (allégué No. 31 dem. = liasse 17 p. 3) et « Par ailleurs il n’a jamais été interpellé sur son solde de « congé heures de nuit » ou mis en demeure de prendre ses heures (en nature) (….) » (allégué No. 32 dem. = liasse 17 p. 3). L’intimée – qua défenderesse, avait contesté ces allégués au motif qu’ils relevaient du droit (« ad 32 », liasse 18, p. 3).

2.4. En définitive, la question de la violation ou non de son droit d’être entendu alléguée par l’appelant peut rester indécise pour les motifs ci-après.

2.4.1. La renonciation, par une partie, à un droit d’action ou de créance ne se présume pas. Selon l’art. 8 CC, il incombe à la partie qui se prévaut du moyen d’en apporter la preuve (TF 5A_344/2018 du 18 septembre 2018, consid. 4.2 ; Guldener, Beweiswürdigung und Beweislast nach schweizerischem Zivilprozessrecht, Zurich, 1955, p. 26).

2.4.1.1. En l’espèce, il incombait à l’intimée d’apporter la preuve que l’appelant aurait concrètement renoncé à l’exercice de son « congé heures de nuit », respectivement, à défaut, à son indemnisation – à supposer que, sur le vu de l’art. 341 al. 1 CO il fût susceptible de le faire. Cette preuve n’a pas été apportée.

2.4.1.2. L’on notera, pour être complet, que, certes, l’exercice d’un acte juridique tel qu’une renonciation peut découler d’un silence prolongé (Vionnet, L’exercice des droits formateurs, Zurich, 2008, p. 185). Encore faut-il qu’on ait affaire à un silence informé, c’est-à-dire le titulaire, informé de son droit, entend par son silence communiquer une telle volonté de sa part et que, s’il est travailleur, sa renonciation, eu égard à l’art. 341 al. 1 CO cum art. 357 CO soit juridiquement possible.

2.4.2. De même, et s’agissant de l’absence d’une interpellation patronale formulée à temps, adressée à l’appelant, de prendre le « congé heures de nuit » en nature, sous peine de perte du droit, – absence d’interpellation alléguée par l’appelant –, il incombait à l’intimée d’apporter la preuve d’avoir formulé à temps une telle interpellation.

2.4.2.1. Cette interpellation a été alléguée ; elle aurait été faite oralement, à réitérées reprises. Le point a été contesté. La Cour n’en est pas convaincue : eût-elle été faite, p. ex. fin 2020, elle aurait fort probablement déclenché une réaction de l’appelant – dans la mesure où ce dernier, à tort ou à raison, semblait être parti de l’idée qu’il avait le choix entre prise en nature de ce congé ou son indemnisation.

3.             Fond

3.1. Les parties se déchirent au sujet de l’interprétation de l’art. 6.3 [6.3.3.] CCT 2012 B______/1______ SA consacré au principe du «congé heures de nuit ».

3.2. Les clauses d’une CCT ayant un effet direct et impératif sur les contrats individuels entres les employeurs (et : dans le cas d’une CCT maison : employeur) et employés qu’elles lient (cf. art. 357 al. 1 CO) sont dites normatives (ATF
115 II 251 consid. 4a). Les dispositions normatives d’une CCT doivent être interprétées de la même manière qu’une loi (ATF 140 V 449 consid. 4.2 ;
136 III 283 consid. 2.3.1 ; 127 III 318 consid. 2a ; 4A_557/2021 du 7 juin 2022 consid. 4.1 ; Bruchez, in : Andermatt et alii, Droit collectif du travail, Bâle, 2010, N. 121 ad art. 356 CO ; id., in : Dunand/Mahon (éd), Commentaire du contrat de travail, Berne, 2e éd., 2022, N. 54 ad art. 356 CO ; Rudolph, Richterliche Rechtsfindung im Arbeitsrecht, Zurich, 2021 p. 132-134 N. 242-243).

3.2.1. D’après la jurisprudence, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). On peut cependant s’écarter de cette interprétation s’il y a des raisons sérieuses de penser que le texte de la loi ne reflète pas la volonté réelle du législateur ; de tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi. Lorsque plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 136 III 283 consid. 2.3.1).

3.2.1.1. Dans le domaine de l’interprétation des dispositions normatives d’une CCT, il ne faut pas exagérer la distinction entre l’interprétation des lois et les règles sur l’interprétation des contrats ; la volonté des cocontractants et ce que l’on peut comprendre selon le principe de la bonne foi constituent également des moyens d’interprétation (ATF 136 III 283 consid. 2.3.1 ; 133 III 213 consid. 5.2 ; ATF 142 III 758 consid. 4.4.2; TF 4A_220/2022 du 19 octobre 2022 consid. 3.1.1.; Bucheli, Zur Auslegung des Gesamtarbeitsvertrages und des allgemeinverbindlich erklärten Gesamtarbeitsvertrages, thèse Berne, 1969, p. 103: «Interpretation vom Standpunkt der vernünftigen und korrekten Gesetzesadressaten»; TF 4A_467/2016 du 8 février 2017 consid. 3.2.; KG ZG, 20.2.1989 in : JAR 1990 p. 150 consid. 4b ; CAPH/231/2021 du 22.12.2021 consid. 2.12 ; Bruchez, in: Commentaire du contrat de travail, op. cit. N. 55 ad art. 356 CO note 156 et arrêts y cités; Meier Anne, CR-CO I, 3ème éd., 2021, N. 18 ad art. 356 CO; Meier-Hayoz, Berner Kommentar, 1962, N. 144 ad art. 1 CC).

3.2.1.2. Une interprétation objective, c’est-à-dire selon le principe de la confiance (art. 18 al. 1 CO) de dispositions normatives d’une CCT se justifie en particulier, lorsque, comme en l’espèce, l’on a affaire à une CCT–maison (« Firmentarifvertrag »), où l’employeur, parce que signataire de la CCT, a participé à la rédaction de la norme, mais que le travailleur lié, lui, n’y a pas participé. Le travailleur est alors fondé à comprendre celle-ci comme le ferait un tiers destinataire de bonne foi. Sa confiance doit être protégée (ATF 133 III 213 consid. 5.2 ; TF 4A_467/2016 du 8 février 2017 consid. 3.2 ; CAPH/231/2021 du 22.12.2021. consid. 2.1.2).

3.2.2. En l’espèce, il est patent que l’art. 6.3 (et ses sous-sections) CCT dédié à la thématique « congé heures de nuit » ne spécifient nulle part qu’à défaut d’avoir été, et à temps, « pris en nature », le droit serait périmé et que son indemnisation serait exclue. L’intimée en déduit un silence qualifié.

3.2.2.1. Le Tribunal n’a pas procédé à une enquête sur la « volonté historique » du « législateur » ; en particulier, il n’a pas acheminé les parties à produire les « travaux préparatoires » à la CCT 2012. A juste titre : en maxime de débats, il n’avait pas à le faire. Il appartenait aux parties, et en particulier à l’intimée, parce que co-signataire de la CCT et de ce fait seule détentrice de tels éléments – de les produire aux débats. Elle ne l’a pas fait.

3.2.2.2. L’intimée n’a pas non plus produit des éléments permettant de retenir une pratique constante, confirmant sa lecture de l’art. 6.3 CCT – et permettant d’affirmer que sa lecture était partagée par ses partenaires signataires de la CCT. Il y a, à ce propos, même un indice permettant de retenir l’inverse : lors de ses tentatives d’obtenir, à la fin des rapports de travail, l’indemnisation de son «congé heures de nuit », l’appelant, à teneur du dossier (cf. liasse 2, pièce 12 dem.), avait bénéficié du concours du syndicat G______–Trafic aérien, syndicat co-signataire de la CCT 2012, et ce par la plume de K______, secrétaire syndical.

3.2.2.3. L’intimée ne l’a pas fait, se contentant de produire un jugement du Tribunal des prud’hommes de 2013, rendu sous la même présidence corroborant sa lecture – dans un cas présentant (sous la précédente CCT 2007) la même quaestio iuris (liasse 9, pièce 6 déf.). La « pratique » patronale alléguée, à l’époque, n’avait été confirmée que par des « témoins » cadres RH de l’intimée, un représentant d’un des deux syndicats signataires n’a pas été entendu. Il se trouve, renseignement pris, que ledit jugement est entré en force ; il n’a pas été « examiné » par une juridiction d’appel. Dès lors, cette décision de première instance ne saurait lier la Cour.

3.2.2.4. L’on notera en passant que, dans le cas jugé en 2013, l’employé de l’époque, dont les rapports de travail avaient pris fin le 31 juillet 2010, avait été rendu attentif par la Direction RH de l’intimée, et ce déjà en 2007 et en 2009, sur le fait que le « congé heures de nuit » n’était accordé qu’en nature, et qu’il lui appartenait de le faire valoir à temps.

3.2.3. Le but du « congé heures de nuit » de la CCT 2012 résidait dans le souci, souci partagé par les parties signataires de la CCT, d’accorder aux collaborateurs âgés de 50 ans et ayant effectué, au fil du temps, 1'200 heures de travail de nuit ou plus, un repos compensatoire, dont la durée était fonction d’une formule mathématique précise. Ce repos compensatoire était rémunéré à 80% du salaire de base. Il s’agissait d’une prestation patronale dans la droite ligne des « largesses » patronales, convenues avec les syndicats, de l’époque B______ (de B______/4______ SA et de ses filiales). Il n’a pas été soutenu qu’une exceptionnelle indemnisation de ce congé, en lieu et place de sa prise en nature (rémunérée) contreviendrait au sens et au but de la norme.

3.2.4. Selon l’art. 6.3.3. CCT, phrase introductive, l’octroi du « congé heures de nuit » dépendait, entre autres, des besoins de service. Autrement dit, l’exercice, en nature, de ce droit dépendait, en définitive, non seulement du « choix » du travailleur, mais surtout, du bon vouloir de l’employeur.

3.2.4.1. En d’autres termes, la CCT ne règle pas le sort du « congé heures de nuit » lorsque le travailleur, par son choix ou par le choix de l’employeur, se trouve dans l’impossibilité d’exercer son droit « en nature ». Il n’est nulle part question, dans le texte, que ce cas entraînerait la perte, par déchéance, du droit, en ce sens qu’aucune indemnisation ne serait possible. L’on n’est pas en présence d’un silence qualifié (« kein qualifiziertes Schweigen »). Au contraire, le point aurait dû être réglé. Le texte présente à l’évidence une lacune proprement dite (echte Gesetzeslücke) qu’il incombe au juge, par souci d’équité, de combler (art. 1 al. 2 CC ; ATF 141 III 43 = JdT 2015 II 278 ; 140 III 206 = JdT 2015 II 233 ; 137 III 487 consid. 6.2 B______ ; 133 III 213 consid. 5. 2 = JdT 2010 I 231 ; 128 I 34 consid. 3b).

3.2.5. Selon la jurisprudence et la doctrine, le juge, appelé à combler une lacune proprement dite dans une loi ou dans une CCT, peut procéder par la voie de l’analogie avec des solutions que le législateur a retenues dans des domaines voisins (ATF 134 III 497 consid. 4.3 [indemnité pour la clientèle par application analogique de l’art. 418 u CO] ; 118 II 139 consid. 1 = JdT 1993 390 = JAR 1993 p. 187 [application par analogie, en cas de libération du travailleur de la place de travail durant le préavis, de l’obligation d’imputer le gain réalisé ailleurs selon l’art. 337 c al. 2 CO ; TF 4A_425/2017 du 10 avril 2018 consid. 3.2 [CTT laiteries VD, absence d’un article fixant un salaire minimal ; application, par analogie, du CTT laiteries VS]; Emmenegger/Tschentscher, Berner Kommentar, 2012, N. 379 ad art. 1 CC ; Stöckli, Berner Kommentar, 1999, N. 134 ad art. 356 CO).

3.2.5.1. En l’espèce, il apparaît tout à fait judicieux, comme le soutient l’appelant, de combler la lacune évoquée par application analogique de la jurisprudence relative à l’indemnisation des vacances que le travailleur n’a pu prendre en nature avant la fin des rapports de travail. En principe, le travailleur doit prendre ses vacances en nature, et ce avant la fin des rapports de travail. La loi ne prévoit pas d’exception à l’interdiction d’indemniser (cf. art. 329 d al. 2 CO). Toutefois, la jurisprudence admet, de façon constante, et à certaines conditions, l’indemnisation des vacances qui n’ont pas été prises (Cerottini, in : Dunand/Mahon, op. cit. N. 24 ss ad art. 329 d CO ; Etter/Facincani/Sutter, Arbeitsvertrag, Berne, 2021, N. 19 ad art. 329 d CO).

3.3. En conclusion, la prétention de l’appelant est fondée.

3.3.1. Les calculs opérés par son conseil à l’appui du montant réclamé n’ont pas été contestés.

3.3.2. Il convient donc d’annuler le jugement entrepris et, statuant à nouveau, condamner l’intimée à verser à l’appelant le montant de 35'992 fr. 88 bruts, plus intérêts à 5% dès le 1er décembre 2021.

4. Frais

4.1. La valeur litigieuse ne dépassant pas, en appel, le seuil de 50'000 fr., la procédure est gratuite (art. 71 RTFMC, RS/GE 1.05.10).

4.2. Il n’est pas alloué de dépens ni d’indemnité pour la représentation en justice dans les causes soumises à la juridiction des prud’hommes (art. 22 al. 1 LaCC, RS/GE 1.05).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevable l’appel interjeté le 7 novembre 2023 par A______ contre le jugement JTPH/335/2023 rendu le 6 octobre 2023 dans la cause C/2668/2022.

Au fond :

Annule le jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Condamne B______/1______ SA à payer à A______ le montant de 35'992 fr. 88 bruts, plus intérêts à 5% l’an dès le 1er décembre 2021.

Sur les frais :

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur Werner GLOOR, président; Monsieur Roger EMMENEGGER, Madame
Fiona MAC PHAIL, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.



[1] ) Âge de retraite réglementaire I______ : 63 ans.