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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/15144/2021

CAPH/53/2024 du 17.06.2024 sur JTPH/111/2023 ( OO ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15144/2021 CAPH/53/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU LUNDI 17 JUIN 2024

 

Entre

A______ SARL, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 6 avril 2023 (JTPH/111/2023), représentée par Me Yann LAM, avocat, MBLD Associés, rue Joseph-Girard 20, case postale 1611, 1227 Carouge,

 

et

Madame B______, domiciliée ______, intimée, représentée par
Me Christian BRUCHEZ, avocat, WAEBER AVOCATS, rue Verdaine 12, case
postale 3647, 1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/111/2023 du 6 avril 2023, reçu par les parties le 11 avril 2023, le Tribunal des prud'hommes, après avoir déclaré recevable la demande formée le 16 décembre 2021 par A______ SARL contre B______, renoncé à l’audition de C______ et de D______ en qualité de témoins et renoncé à retirer des déclarations du témoin E______ du dossier (chiffres 1 à 3 du dispositif), a débouté A______ SARL de ses conclusions (ch. 4) dit qu’il n’était pas perçu de frais ni alloué de dépens (ch. 5) et débouté les parties de toute autre conclusion (ch. 6).

B.            a. Par acte expédié le 16 mai 2023 à la Cour de justice, A______ SARL forme appel contre les chiffres 4 et 6 du dispositif du jugement précité, dont elle requiert l'annulation. Elle conclut à la condamnation de B______ à lui verser la somme de 75'000 fr. avec intérêts à 5 % dès le 1er juin 2021.

b. Dans sa réponse du 1er septembre 2023, B______ conclut à la confirmation du jugement attaqué, avec suite de frais.

c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, en persistant dans leurs conclusions.

d. Elles ont été informées le 16 janvier 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour:

a. A______ SARL, sise rue 1______ no. ______ à Genève, inscrite le ______ 2015 au Registre du commerce, a pour but la gestion d’un ou plusieurs centres destinés à offrir toutes les prestations usuelles en matière d’hygiène dentaire. F______ en est l’associé gérant avec signature individuelle.

A______ SARL exploite dans le canton deux centres, l'un à la rue 1______ no. ______, l'autre à G______ [GE].

b. B______ a travaillé au sein du cabinet de A______ SARL situé à la rue 1______ no. ______ comme hygiéniste dentaire du 15 juillet 2019 au 31 mai 2021, sur la base d'un contrat de travail du 15 juillet 2019, qu'elle a résilié en février 2021 pour l'échéance du délai de congé contractuel. Le contrat prévoyait un salaire mensuel brut de 6'700 fr. (art. 6) et comprenait la clause de prohibition de faire concurrence suivante:

"En raison de la connaissance de la clientèle et du préjudice sensible qui peut en découler, l’employée s’engage à s’abstenir, après la fin des rapports de travail, de faire concurrence à la A______ Sàrl.

L’employée s’interdit en particulier, pendant une durée de 12 mois à compter de la fin des rapports de travail, de faire concurrence à la A______ Sàrl, de quelque manière que ce soit, notamment de s’intéresser par une prise de participation, d’exploiter, directement ou indirectement, de travailler dans tout autre cabinet dentaire.

La présente clause est valable dans un rayon d’un kilomètre autour de l’immeuble sis, rue 1______ no. ______ - [code postal] Genève.

En cas d’infraction à la présente disposition, l’employée paiera à la A______ Sàrl une peine conventionnelle de CHF 75'000.- (septante-cinq mille francs suisses), sous réserve de tout dommage supplémentaire.

La A______ Sàrl pourra exiger de l’employée, en sus du paiement de la peine conventionnelle et de la réparation du dommage supplémentaire, la cessation du trouble, soit le respect de la présente clause.

Le paiement de la peine conventionnelle ne libère en effet pas l’employée de son obligation de non concurrence" (art. 9).

c. Les employés suivants ont fait ou font toujours partie du personnel de A______ SARL:

- H______ comme médecin-dentiste du 3 mars 2018 au 31 mai 2021,

- I______ comme médecin-dentiste du 2 janvier 2017 au 31 mai 2021,

- J______ comme chef de clinique et chirurgien depuis mai 2020,

- K______ comme médecin-dentiste et chef de clinique depuis l'été 2020,

- L______ comme assistante dentaire de février 2018 à novembre 2020,

- M______ comme apprentie assistante dentaire de 2019 à 2020,

- N______ comme apprentie assistante dentaire d'avril 2019 à juillet 2020,

- O______, comme responsable administrative depuis octobre 2020,

- E______ comme "assistante responsable et réception", puis comme assistante de direction de novembre 2019 à juin 2021,

- P______ comme assistante administrative depuis le 1er juillet 2021.

Concernant les spécialités des médecins-dentistes, H______ "s'occupait très bien des enfants", alors que I______ effectuait ses traitements, notamment de racine, sous microscope opératoire (témoignage L______).

d. A______ SARL diffusait l’image de ses employés par diverses photographies ou vidéos sur les réseaux sociaux. L’identité des praticiens était dévoilée sur le site internet de A______ SARL, leur profil étant toutefois limité à la mention du titre, de la date d’obtention du diplôme et des langues parlées. Quant aux hygiénistes et assistants dentaires, seuls leurs prénoms figuraient sur le site internet, à l'exclusion de leurs noms de famille. Les badges portés par les hygiénistes dentaires sur le lieu de travail n'indiquaient que le prénom et la fonction de l'intéressé.

Il n’y avait pas de plaque au nom des médecins-dentistes et des hygiénistes dentaires à l’entrée de A______ SARL. Cette dernière était très active sur le plan de la communication, notamment sur les réseaux sociaux.

Les médecins-dentistes et les hygiénistes dentaires avaient accès à la base de données des patients.

e. En date du ______ janvier 2021, Q______ SA a été inscrite au Registre du commerce de Genève. La société, sise rue 2______ no. ______ à Genève, a pour but tous services en matière de médecine dentaire et tous soins de prévention ou d’esthétique. H______ et I______ en ont été administrateurs du ______ janvier au 6 avril 2021. En mars 2021, les deux précités ont démissionné de A______ SARL avec effet au 31 mai 2021.

B______ a été engagée comme hygiéniste dentaire par Q______ SA à compter du 1er juillet 2021. Selon A______ SARL, le nouveau lieu de travail de B______ se trouve à une distance de 841 m à vol d'oiseau de son cabinet de la rue 1______ no. ______.

Le 8 juillet 2021, le site internet www.Q______.ch a été mis en ligne. L'équipe était composée de H______, I______ et B______.

f. Après l'échec de la tentative de conciliation, A______ SARL a, par demande du 16 décembre 2021, ouvert action devant le Tribunal contre B______ en paiement de 75'000 fr. avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 1er juin 2021, à titre de peine conventionnelle pour violation de l’obligation de non-concurrence.

f.a Elle a allégué qu’elle était très active sur le plan de la communication. Elle avait par exemple mis en place, dès l’année 2017, une assurance de garantie de soins gratuits: si un patient n’avait pas de problèmes dentaires préexistants et respectait les conseils de son hygiéniste dentaire, ainsi que les rendez-vous annuels planifiés en fonction de sa santé bucco-dentaire, le cabinet s’engageait à prendre en charge tout soin qu'il serait nécessaire d'effectuer malgré l'implication du patient dans le maintien d'une bonne hygiène bucco-dentaire. Les patients présentant des problèmes de santé bucco-dentaire pouvaient également être admis à ce programme moyennant un traitement initial. La mise en place de ce programme avait été très médiatisée.

Lors de la prise d’un premier rendez-vous à la clinique, notamment à travers le site internet, le patient n’avait pas la possibilité de choisir son hygiéniste dentaire (ou son médecin-dentiste). L’attribution était effectuée en fonction de la première disponibilité.

Les hygiénistes dentaires (et les médecins-dentistes) ne disposaient pas de plaque à leur nom, seul le nom de la clinique y figurait. Par ailleurs, les devis ne mentionnaient pas le nom de l’hygiéniste dentaire (ni du médecin-dentiste); ils étaient émis au nom de la clinique. Les patients étaient des clients de la clinique et non de l’hygiéniste (ou du médecin-dentiste) qui était amené à effectuer le traitement.

Les hygiénistes dentaires (et les médecins-dentistes) avaient accès à la base de données des patients qui comprenait notamment leurs coordonnées et leur dossier médical. Sur la base de ces données, il était possible de connaître exactement et spécifiquement les besoins de chaque patient.

Dans la mesure où la majorité des clients participait au programme d’assurance, un examen initial était effectué pour déterminer l’état de leur santé bucco-dentaire et le nombre de séances annuelles nécessaires auprès de l’hygiéniste dentaire afin de prévenir les traitements.

H______, I______ et B______ entretenaient "une certaine confusion" auprès de patients, lesquels étaient recontactés, au point que certains pensaient que Q______ SA était "une annexe des locaux" de A______ SARL. Une patiente avait décommandé un rendez-vous en raison du fait qu'elle en avait eu un autre auprès de Q______ SA. A l’appui de ces allégations, A______ SARL a produit un courriel du 25 septembre 2021 par lequel une patiente lui indiquait ce qui suit: « J’ai en principe rdv aujourd’hui à 15:30 au [Centre] A______ de la rue 2______ » (pièce 10 A______ SARL).

f.b En relation avec la validité de l'art. 9 du contrat de travail, "s'agissant du caractère libéral de la profession d'hygiéniste et de la possibilité dès lors pour les parties de convenir de clauses de non-concurrence", A______ SARL a fait valoir que "contrairement à d'autres cabinets où les patients où le lien prépondérant (sic) se fai[sait] avec le praticien", ses patients "étaient des clients de la clinique avant tout, notamment en raison du concept d'assurance proposé". Par ailleurs, "les noms des hygiénistes ne figur[aient] ni à l'entrée du cabinet, ni sur les devis envoyés aux patients. Ces derniers n'[avaient] pas la possibilité de choisir, lors du premier rendez-vous, leur hygiéniste, celui ou celle-ci leur étant attribué en fonction des disponibilités de chacun. La prestation qui [était] offerte au patient par l'hygiéniste [était] dénuée de composante personnelle".

Ainsi, la clause était valable. B______ l'avait violée de manière pleinement intentionnelle. Elle avait de plus manifesté une volonté claire "de capter l'ancienne clientèle" de A______ SARL, en laissant planer une certaine confusion, ce qui avait amené des patients à prendre rendez-vous "auprès de ce qu'ils pensaient être la clinique "A______" de [la rue] 2______". La clause était donc raisonnable et le montant de la peine conventionnelle n'était pas excessif.

g. Dans sa réponse du 2 mars 2022, B______ a conclu au rejet des conclusions de A______ SARL.

Elle a allégué qu'elle avait exercé pendant huit ans au Canada avant de s’installer en Suisse en 2019. Elle avait également suivi des formations en médecine dentaire holistique, en thérapie myofonctionnelle et en trouble du sommeil, acquérant ainsi une vision globale de la médecine dentaire. Elle était capable d’exercer sa profession en français, anglais et vietnamien, ce qui contribuait à tisser un lien de confiance particulier avec la patientèle.

Seul le prénom des hygiénistes figurait sur le site internet de A______ SARL. Il en allait de même des badges portés sur le lieu de travail. L’identité complète de l’employé figurait sur les factures adressées aux patients une fois les soins prodigués. A______ SARL cherchait ainsi à dissimuler l’identité complète et les caractéristiques personnelles des employés. Malgré cela, les patients demandaient en général à être soignés par un praticien en particulier, dont elle. A l’appui de son allégué, B______ a produit le courriel d’un patient dont la teneur est la suivante: « J’ai oublié de vous demander s’il serait possible d’obtenir un rendez-vous avec la même hygiéniste que celle qui m’avait reçue la dernière fois. J’ai oublié son prénom mais j’ai été vraiment ravie de son professionnalisme et de sa gentillesse ».

Les rendez-vous auprès de A______ SARL pouvaient se prendre sur internet ou par téléphone. Les patients avaient la possibilité de sélectionner un praticien en particulier.

Elle soignait une patientèle avec laquelle elle avait noué un lien de confiance tout particulier. Pour les patients, l’identité du praticien était déterminante. Le protocole de prise en charge des patients par les hygiénistes dentaires encourageait d’ailleurs la proximité avec ceux-ci puisque selon ces directives, les praticiens devaient « prendre le temps de créer du lien avec le patient » (pièce 8 B______).

Après la fin de son contrat de travail, elle avait été fréquemment contactée par des patients qu’elle avait précédemment traités et qui, de leur propre initiative, émettaient le souhait de continuer leur traitement avec elle personnellement. A l’appui de son allégation, elle a produit un échange de messages du 29 juin 2021, par lequel une patiente lui demandait si elle pouvait obtenir un rendez-vous avec elle pour sa fille et elle la semaine suivante, un courriel du 30 juillet 2021 par lequel un patient indiquait qu’il « souhait[ait] prendre un rendez-vous de détartrage et polissage avec B______ », ainsi qu'un échange de messages dont il résulte qu'elle avait contacté en juillet 2021 une ancienne patiente, qui lui avait répondu en janvier 2022 qu’elle souhaitait poursuivre les soins dentaires avec elle (pièce 14 B______).

Elle n’avait communiqué les coordonnées de son nouvel employeur qu’à la demande des patients, lorsque ceux-ci avaient précédemment exprimé leur volonté de continuer à être soignés par elle. Il était arrivé que des patients fassent la demande expresse auprès de A______ SARL que leur dossier médical soit transféré afin de pouvoir continuer à être soignés par elle, ce que cette dernière avait refusé.

h. Parallèlement, A______ SARL a agi devant le Tribunal également à l'encontre de H______ et I______. Elle leur a réclamé le paiement de 75'000 fr. chacun à titre de peine conventionnelle pour violation de la clause de prohibition de faire concurrence contenue dans leurs contrats de travail, clause identique à celle figurant dans le contrat de B______ (cf. ci-dessus let.b).

Les deux affaires ont été enregistrées sous les numéros de cause C/15141/2021 (H______) et C/15170/2021 (I______).

Par ordonnance du 10 août 2022, le Tribunal a joint l'instruction des causes C/15141/2021, C/15144/2021 et 15170/2021.

i. Lors de l’audience du 2 novembre 2022, le Tribunal a procédé à l'interrogatoire de F______, pour A______ SARL, de B______, de H______ et de I______.

i.a F______ a déclaré que certains futurs patients appelaient afin d’être soignés par un praticien particulier mais que cela ne représentait que 1% des appels. Ensuite, les patients étaient toujours soignés par le même praticien pour un traitement donné. En revanche, lorsque le traitement était terminé, les patients pouvaient demander à être traités par le même praticien ou par le prochain libre, donc par un praticien potentiellement différent. Les praticiens devaient être bienveillants, sympathiques et prendre soin des patients.

La clause de non-concurrence, d’une durée limitée et d’un périmètre peu éloigné, était destinée à éviter qu’un collaborateur prenne la base de données patients et s’installe à côté. Il s'agissait de protéger la "marque" et le "concept" de A______ SARL. Il avait remarqué que lorsque le projet du nouveau cabinet avait vu le jour, B______ dirigeait systématiquement ses patients auprès de ses futurs employeurs.

i.b B______ a déclaré que les praticiens étaient désignés en fonction des plannings. Les patients étaient fournis par A______ SARL. Il arrivait deux à trois fois par semaine qu’un futur patient appelle afin d’être soigné par un praticien particulier suite à des recommandations. Elle-même créait un lien de confiance avec ses patients qui la recommandaient à leurs amis et familles, ce qui lui avait permis d’élargir sa patientèle.

Pendant son emploi auprès de A______ SARL, elle n’avait jamais indiqué qu’elle allait travailler dans une autre clinique. Certains patients, qui en avaient été informés par le secrétariat, lui avaient demandé ses coordonnées. A l’approche de la fin de son contrat, elle avait indiqué aux patients qu’ils devaient s'adresser à la réception afin d’obtenir un rendez-vous avec un autre hygiéniste. Dans ces cas, les patients revenaient vers elle car ils avaient été informés par la réception qu’elle quittait A______ SARL. Elle n’avait jamais contacté d’anciens patients après avoir quitté cette dernière.

S’agissant de sa pièce 14, B______ a expliqué qu'elle avait contacté une patiente à sa demande en juillet 2021, car cette dernière lui avait spécifiquement indiqué vouloir continuer ses soins avec elle. La patiente avait su par le secrétariat que I______ et elle-même quittaient A______ SARL et était "désespérée". Elle lui avait alors donné ses coordonnées. Elle avait contacté une autre patiente dans ces mêmes circonstances. Les seuls patients contactés l’avaient été à leur demande car ils souhaitaient continuer à être traités par elle. Il n’avait jamais été dans son intention de débaucher des patients de la A______ SARL.

Lorsqu’un patient débutait un traitement, il était pris en charge par le même praticien. Après un détartrage, si le patient avait besoin de consulter un dentiste, elle le dirigeait vers celui qui lui semblait le plus adéquat au regard notamment des langues parlées ou s’il s’agissait d’un enfant.

i.c H______ a déclaré que les praticiens étaient désignés en fonction des plannings. Les patients étaient fournis par A______ SARL. Il arrivait que des futurs patients appellent afin d’être soignés par un praticien particulier suite à des recommandations dans 30% à 40% des cas. Elle-même créait un lien de confiance avec ses patients qui la recommandaient à leurs amis et familles, ce qui lui avait permis d’élargir sa patientèle. Lorsqu’un patient débutait un traitement, il était pris en charge par le même praticien. Elle n’avait proposé la garantie des soins gratuits qu’à cinq ou dix patients sur les deux-mille traités.

i.d I______ a déclaré que, lors d’un premier rendez-vous, si le futur patient ne connaissait personne au sein de A______ SARL, un praticien lui était désigné en fonction des plannings. Il arrivait que des futurs patients appellent afin d’avoir un praticien particulier suite à du bouche à oreille ou des recommandations. Il créait de la patientèle car les patients soignés étaient satisfaits de son travail. Il créait également un lien de confiance et était recommandé auprès de la famille et des amis de ses patients. Le pourcentage de recommandations était plus élevé que celui avancé par A______ SARL. Il était d’environ 30%, bien qu’il était difficile d’estimer ce chiffre avec précision. Les patients étaient initialement fournis par A______ SARL.

j. Le Tribunal a auditionné comme témoins J______, K______, L______, M______, N______, O______, E______ et P______.

j.a Tous les témoins ont déclaré que les nouveaux patients étaient attribués au premier praticien disponible, sauf si le patient demandait un praticien spécifique, ce qui n'arrivait quasiment jamais selon J______, dans 5% des cas selon E______, 10% selon M______, 20% selon O______, 30% à 50% selon N______ et 60% selon L______.

L______ a précisé à cet égard que la sélection du praticien était également effectuée sur la base de sa spécialité ou de ses connaissances linguistiques.

O______ et E______ ont déclaré que les patients venaient notamment grâce au marketing mis en place, la décoration, l’ambiance et l’accueil chaleureux. E______ a précisé que, même s’il fallait avoir un lien de confiance avec son médecin dentiste, les patients venaient en premier lieu pour le concept de A______ SARL car celle-ci avait son identité propre.

D’après M______ et N______, l’identité et le parcours professionnel des praticiens figuraient sur le site internet de A______ SARL.

Concernant le programme d’assurance de soins gratuits, les témoins J______, N______ et L______ ont expliqué qu’il n’était que rarement demandé par les patients. Le témoin M______, qui avait connaissance de l'existence de cette assurance, n’en connaissait pas le concept.

N______ a expliqué que lorsqu’un patient était content de son traitement, il recommandait le praticien à un membre de sa famille.

S’agissant du suivi des patients, les témoins J______ et E______ ont confirmé que les patients étaient des clients de A______ SARL et non des praticiens.

N______ a déclaré que les patients continuaient leur traitement avec le même praticien au sein de A______ SARL. M______, N______ et L______ ont précisé que les patients aimaient bien être toujours soignés par le même praticien car ils avaient établi un lien de confiance avec ce dernier.

Le témoin O______ a expliqué que chaque praticien suivait les protocoles de soins. Aucun praticien ne faisait mieux qu’un autre et tous les patients étaient traités de la même manière. Un patient pouvait avoir une préférence pour l’un ou l’autre des médecins, mais il ne s’agissait pas de la création d’un lien. Il n’y avait donc aucune difficulté à attribuer un patient à un autre praticien. Elle ignorait toutefois si les médecins dentistes utilisaient des méthodes ou des outils spécifiques qui les différenciaient de leurs collègues. Il n’était pas demandé à l’interne que les praticiens tissent un lien avec leurs patients.

D’après J______, O______ et E______, lorsque le médecin quittait A______ SARL, ses patients continuaient leur traitement avec un autre médecin dentiste.

O______ a déclaré qu’il arrivait dans 10% des cas en moyenne que le patient demande son dossier pour suivre le praticien. N______ a précisé qu’elle n’avait pas l’autorisation de donner au patient la nouvelle adresse du praticien qui avait quitté la clinique.

En ce qui concerne les factures, O______ a affirmé que le nom du praticien ne figurait pas sur celles-ci, à tout le moins depuis près de deux ans. J______ et N______ ignoraient si elles étaient établies au nom de A______ SARL. E______ a indiqué que tant les devis que les factures étaient émis au nom de A______ SARL; le nom du praticien se trouvait sur toutes les factures. D’après M______, l’identité du praticien figurait sur les devis, mais elle ignorait si tel était également le cas des factures. Pour L______, l’identité des praticiens figurait tant sur les devis que sur les factures.

S’agissant des commentaires de patients sur les réseaux sociaux, J______, M______, N______ et O______ ont expliqué qu’il arrivait que ceux-ci mentionnent un praticien en particulier. D’après L______, tel était le cas dans 25% des cas, d’après M______, tel était le cas dans environ un tiers des cas et d’après N______, cela était le cas dans 30% à 40% des commentaires.

E______ ignorait si B______ avait contacté des patients de A______ SARL après son départ.

E______ et O______ ont déclaré que les numéros de téléphone des médecins n’étaient jamais communiqués aux patients et que les communications étaient gérées par le secrétariat.

Selon M______, B______ avait créé des liens avec ses patients. Les hygiénistes voyaient plus souvent leurs patients.

O______ a indiqué que des patients avaient été contactés par Q______ SA.

E______ a déclaré que B______ lui avait fait part de son désir de rejoindre le futur Q______ SA peu de temps avant sa démission. O______ et J______ ignoraient que B______ désirait rejoindre ledit centre.

k. Les parties ont plaidé à l'issue de l'audience du 14 décembre 2022, en persistant dans leurs conclusions et le Tribunal a gardé la cause à juger.

l.a Dans le jugement attaqué, le Tribunal a considéré que A______ SARL avait créé une clinique dentaire avec une décoration, une ambiance et un accueil particuliers. Elle était très active sur le plan de la communication et disposait d’une identité propre. Les patients se rendaient auprès d'elle notamment grâce au marketing mis en place et son concept. S’agissant de l’assurance de soins gratuits, il ressortait de l’administration des preuves que très peu de patients en bénéficiaient, de sorte qu’il ne s'agissait pas d’un élément déterminant dans la création de la patientèle.

Il arrivait dans environ 20% des cas en moyenne qu’un nouveau patient appelle A______ SARL en sollicitant un praticien particulier. Dans les autres cas, le patient était attribué au premier praticien disponible. Il arrivait également que la sélection du praticien soit effectuée sur la base de sa spécialité ou de ses connaissances linguistiques, étant précisé que B______ avait également suivi des formations en médecine dentaire holistique, en thérapie myofonctionnelle et en trouble du sommeil, acquérant ainsi une vision globale de la médecine dentaire. Elle était capable d’exercer sa profession en français, anglais et vietnamien.

Il n’y avait pas de plaque au nom des médecins et hygiénistes à l’entrée de la clinique mais son site internet mentionnait les différents praticiens. Par ailleurs, les devis et les factures pouvaient indiquer l’identité du praticien.

Il résultait de ce qui précède que, dans la grande majorité des cas, les nouveaux patients se rendaient auprès de A______ SARL suite au marketing mis en place par cette dernière. Il n’était d’ailleurs pas contesté que les patients étaient des clients de A______ SARL et non des praticiens particuliers.

S’agissant du suivi des traitements, il ressortait de l’audition des témoins que les patients poursuivaient leur traitement avec le même praticien, sauf demande contraire expresse. Une telle relation, qui avait trait à un domaine sensible, à savoir la santé, et qui se construisait dans le temps, était de nature à créer un lien de confiance particulier.

A cet égard, l’affirmation du témoin O______ selon laquelle aucun praticien ne faisait mieux qu’un autre et que tous les patients étaient traités de la même manière n'était pas crédible, notamment au vu des différentes spécialités de chaque praticien. Ce témoin avait par ailleurs indiqué ignorer si les médecins dentistes utilisaient des méthodes ou des outils spécifiques qui les différenciaient de leurs collègues. Ainsi, bien que les patients pouvaient de prime abord être attirés par le marketing mis en place par A______ SARL, ce n’était que la qualité des soins qui permettait de fidéliser les patients.

Or, la qualité des soins ne pouvait être assurée que par les capacités personnelles des praticiens. A______ SARL diffusait l’image de ses employés par diverses photographies et vidéos sur les réseaux sociaux et leur identité apparaissait sur le site internet. Ces éléments tendaient à démontrer que l’identité du praticien avait une certaine importance pour la patientèle, puisqu’elle était précisément mise en avant à des fins publicitaires.

Par ailleurs, si les patients continuaient en principe leur traitement au sein de A______ SARL après le départ du praticien, il arrivait dans 10% des cas que le patient souhaite poursuivre son traitement avec le praticien en question. Cette proportion n’était pas négligeable et corroborait la présomption selon laquelle les praticiens tissaient des liens de confiance particuliers avec leurs patients.

Par ailleurs, le fait que les commentaires sur les réseaux sociaux pouvaient mentionner explicitement le nom du praticien venait également soutenir la thèse d’un lien de confiance particulier.

A cet égard, le témoin E______ avait indiqué qu’il fallait un lien de confiance avec son praticien, même si les patients venaient en premier lieu pour les services de A______ SARL.

Il ressort d’ailleurs des pièces produites que les patients souhaitaient continuer leur traitement avec B______. Cela démontrait de manière évidente le lien de confiance particulier existant entre un patient et son hygiéniste dentaire.

De plus, B______ avait précisément pour instruction de créer des liens avec ses patients.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal a considéré que les patients se rendaient "de prime abord" auprès de A______ SARL en raison du marketing mis en place, étant précisé que dans 20% des cas en moyenne, les patients venaient pour un praticien déterminé. Cela étant, ce n’était que la qualité des soins qui permettait de fidéliser une clientèle, lesquels dépendaient des prestations personnelles de chaque praticien.

Par ailleurs, au vu du domaine particulièrement sensible dans lequel exerçait B______, à savoir la santé, il était évident que ses prestations professionnelles étaient de nature à créer un lien de confiance particulier avec les patients. Le Tribunal a considéré qu’un patient créait un tel lien avec son hygiéniste dentaire et que l’identité de ce dernier revêtait une importance certaine pour le patient. En effet, un patient ne choisit pas son hygiéniste pour l’ambiance du cabinet mais pour la confiance qu’il place en un praticien déterminé et pour la qualité des soins. Si le patient continue son traitement avec un hygiéniste, c’est parce qu’il a confiance en ce dernier et en ses capacités professionnelles.

Par conséquent, A______ SARL n'était pas parvenue à renverser la présomption selon laquelle B______ exerçait une profession caractérisée par une forte composante personnelle. Dans la mesure où les compétences de cette dernière présentaient une importance pour les clients et qu’elle nouait un rapport personnel avec le client en lui fournissant des prestations qui dépendaient essentiellement de ses propres capacités, la clause de prohibition de concurrence n’était pas valable.

l.b Le Tribunal a également retenu que B______ n'avait pas fait part à ses collègues de son intention de rejoindre le futur Q______ SA avant sa démission.

Par ailleurs, il n’était pas prouvé qu'elle avait tenté de débaucher des patients de A______ SARL. Il ressort de la pièce 14 produite par l'employée que c’était à l’initiative des patients que celle-ci avait communiqué ses nouvelles coordonnées. La patiente contactée en juillet 2021 souhaitait continuer son traitement avec B______.

E______ ignorait si B______ avait contacté d’anciens patients et aucun témoin n’avait indiqué que tel avait été le cas. L’affirmation de O______ selon laquelle des patients avaient été contactés par Q______ SA n’était corroborée par aucun élément objectif. En particulier, les échanges de messages produits sous pièce 14 par l'employée démontraient au contraire que les patients avaient contacté B______ de leur propre initiative.

La question de savoir comment les patients avaient obtenu son contact pouvait demeurer ouverte en l’état. En effet, si les témoins E______ et O______ avaient déclaré que les numéros des praticiens n’étaient pas communiqués aux patients, il n’en demeurait pas moins que ces derniers avaient le libre choix de leur hygiéniste dentaire et qu’ils étaient libres de contacter le praticien de leur choix. Le fait qu'un patient avait indiqué avoir un entretien au [Centre] A______ de la rue 2______, ne démontrait pas qu’il avait été contacté par B______. Dans ces circonstances, aucun élément objectif ne permettait de retenir que l'employée avait contacté, de sa propre initiative, d’anciens clients dans un but de détournement de la clientèle.

EN DROIT

1.             1.1 Le jugement attaqué constitue une décision finale rendue dans une cause patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

1.2 Contrairement à ce que soutient l'intimée, l'on comprend que l'appelante critique l'appréciation des preuves effectuée par le Tribunal, même si elle se réfère aux faits retenus par celui-ci. L'appel est donc suffisamment motivé.

Ainsi, interjeté dans le délai et la forme prévus par la loi (art. 130, 131, 145 al. 1 let. a et 311 CPC), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs motivés qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_290/2014 du 1er septembre 2014 consid. 5). En particulier, la Cour contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par les juges de première instance et vérifie si ceux-ci pouvaient admettre les faits qu'ils ont retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_153/2014 du 28 août 2014 consid. 2.2.3).

1.4 La valeur litigieuse en première instance étant supérieure à 30'000 fr., la procédure ordinaire s'applique et le procès est régi par la maxime des débats, qui prévoit que les parties allèguent les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produisent les preuves qui s'y rapportent (art. 55 al. 1 CPC, art. 243 et art. 247 al. 2 CPC a contrario).

2.             L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir considéré que la clause de prohibition de faire concurrence n'était pas valable, au motif que l'intimée fournissait aux clients de l'employeur une prestation qui se caractérisait par une forte composante personnelle. A son avis, le lien de confiance entre les praticiens et les patients qui fréquentaient ses centres n'était pas prépondérant: les patients s'y rendaient en raison du concept particulier des centres et non pas pour les praticiens qui y travaillaient.

2.1 L’art. 340 CO prévoit que le travailleur qui a l’exercice des droits civils peut s’engager par écrit envers l’employeur à s’abstenir après la fin du contrat de lui faire concurrence de quelque manière que ce soit, notamment d’exploiter pour son propre compte une entreprise concurrente, d’y travailler ou de s’y intéresser (al. 1) et que la prohibition de faire concurrence n’est valable que si les rapports de travail permettent au travailleur d’avoir connaissance de la clientèle ou de secrets de fabrication ou d’affaires de l’employeur et si l’utilisation de ces renseignements est de nature à causer à l’employeur un préjudice sensible (al. 2).

2.1.1 Dans un arrêt 4A_205/2021 du 20 décembre 2021 (consid. 4.2), le Tribunal fédéral a résumé sa jurisprudence relative à la validité des clauses de prohibition de concurrence. Il a rappelé des arrêts antérieurs niant la validité de clauses de non-concurrence dans le cas d’un employé qui ne pouvait tirer profit de sa connaissance de la clientèle lorsque les rapports entre la clientèle et l’employeur avaient essentiellement un caractère personnel, fondé sur la compétence de cet employeur, par exemple s’il s’agissait d’un avocat célèbre ou d’un chirurgien réputé (la connaissance que l’employé possédait de la clientèle ne lui procurait pas, à elle seule, le moyen de rompre le lien qui pourrait exister entre son employeur et sa clientèle; ATF 78 II 39 consid. 1), dans celui d’un dentiste, où une relation personnelle était établie entre le client et l’employé lui-même (la personnalité de l’employé revêtait pour le client une importance prépondérante et interrompait le rapport de causalité qui doit exister entre la simple connaissance de la clientèle et la possibilité de causer un dommage sensible à l’employeur; arrêt du Tribunal fédéral 4C_100/2006 du 13 juillet 2007 consid. 2.6) et dans celui d’un gestionnaire de fortune au sein d’une banque (ses prestations étaient caractérisées par une forte composante personnelle, qui contrecarrait la validité de la clause d’interdiction de concurrence; arrêt du Tribunal fédéral 4A_116/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.3).

Le Tribunal fédéral a par contre retenu qu’il n’y avait pas lieu de dénier, de manière générale, toute validité à une interdiction de concurrence pour un conseiller fiscal (arrêts du Tribunal fédéral 4A_340/2011 du 13 septembre 2011 consid. 4.4.4.1; 4A_209/2008 du 31 juillet 2008 consid. 2.1).

Plus généralement, il considère qu’il n’existe aucune profession pour laquelle une interdiction de concurrence serait absolument et dans tous les cas exclue. Ainsi, le juge doit apprécier les circonstances de chaque cas. Tout au plus peut-on dire que, s’agissant des professions libérales, la facette personnelle de la relation au client revêt une importance toute particulière. Cela étant, une clause de prohibition de concurrence, fondée sur la connaissance de la clientèle, ne se justifie que si l’employé, grâce à sa connaissance des clients réguliers et de leurs habitudes, peut facilement leur proposer des prestations analogues à celles de l’employeur et ainsi les détourner de celui-ci. Ce n’est que dans une situation de ce genre que, selon les termes de l’art. 340 al. 2 CO, le fait d’avoir connaissance de la clientèle est de nature, par l’utilisation de ce renseignement, à causer à l’employeur un préjudice sensible. Il apparaît en effet légitime que l’employeur puisse dans une certaine mesure se protéger, par une telle clause, contre le risque que le travailleur détourne à son profit les efforts de prospection effectués par le premier ou pour le compte du premier (ATF 138 II 67 consid. 2.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_468/2016 du 6 février 2017 consid. 3.1).

La situation se présente différemment lorsque l’employé noue un rapport personnel avec le client en lui fournissant des prestations qui dépendent essentiellement des capacités propres à l’employé. Dans cette situation, le client attache de l’importance à la personne de l’employé dont il apprécie les capacités personnelles et pour lequel il éprouve de la confiance et de la sympathie. Une telle situation suppose que le travailleur fournisse une prestation qui se caractérise surtout par ses capacités personnelles, de telle sorte que le client attache plus d’importance aux capacités personnelles de l’employé qu’à l’identité de l’employeur. Si, dans un tel cas, le client se détourne de l’employeur pour suivre l’employé, ce préjudice pour l’employeur résulte des capacités personnelles de l’employé et non pas simplement du fait que celui-ci a eu connaissance du nom des clients (ATF 138 II 67 consid. 2.2.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_116/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.1; 4A_205/2021 du 20 décembre 2021 consid. 4.2 et les références citées).

Pour les professions libérales (dentistes, médecins, pharmaciens, avocats ou architectes) qui s'exercent dans une relation de contact avec la clientèle, l'on peut présumer que le lien de confiance personnel est prééminent, de sorte que l'absence de validité de la clause est aussi présumée (WYLER/HEINZER, Droit du travail, 4ème éd. 2019, p. 911).

2.2 En l'espèce, il faut admettre que l’activité d’une hygiéniste dentaire revêtait une composante personnelle importante et même prépondérante. Cette activité suppose une proximité physique étroite entre l'hygiéniste et les patients, proximité qui équivaut à celle d’un dentiste avec ses patients. Même en faisant abstraction des messages de clients déposés par l’intimée en première instance, il faut admettre que, dans une relation de ce genre, des liens d’attachement se créent (comme l'ont admis les témoins N______, L______, M______ et également E______, qui a évoqué la nécessité d'un lien de confiance patient/praticien), qu’un patient peut se sentir à l’aise et en confiance avec un hygiéniste dentaire et pas forcément avec un autre et particulièrement apprécier son approche des soins et que la personnalité de l'hygiéniste dentaire est importante, de sorte qu'on préfère continuer le traitement avec le même praticien (cf. témoin N______).

L’activité d'hygiéniste dentaire, professionnel de la santé soumis à la législation cantonale sur les professions de la santé, est assez clairement une question de capacités personnelles, quant à la manière de prodiguer les soins, mais aussi de confiance et de sympathie, au sens de la jurisprudence fédérale. Dans ce genre de situation, le client attache plus d’importance aux capacités personnelles de l’employé qu’à l’identité de l’employeur. Il sied de souligner par ailleurs que l'intimée a suivi des formations particulières (médecine dentaire holistique, thérapie myofonctionnelle et troubles du sommeil) pouvant lui être utiles dans l'exercice de son activité et qu'elle parle français, anglais et vietnamien. Il y a donc lieu d'admettre que les tâches effectuées par l'intimée étaient comparables aux professions libérales classiques (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_209/2008 du 31 juillet 2008 consid. 2.2).

L'appelante ne prétend pas que les tâches effectuées par l'intimée revêtaient un caractère simple et répétitif ou qu'aucune expertise particulière ne lui était nécessaire et qu'un lien de confiance, voire de confidence, n'avait pas son importance. Au contraire, elle admet l'existence d'un lien de confiance "qui existe entre tout praticien et son patient". Elle soutient cependant que ce lien n'était pas prépondérant.

En appel, l'appelante ne fait plus valoir que c'était notamment en raison du concept d'assurance proposé que les patients fréquentaient ses centres. Elle ne conteste pas la constatation du Tribunal selon laquelle très peu de patients bénéficiaient de ladite assurance, de sorte qu'il ne saurait s'agir d'un élément déterminant dans la création de la patientèle.

Les éléments mis en avant par l'employeur en appel, à savoir la décoration, l'ambiance et l'accueil particuliers, ainsi que la très forte communication, notamment sur les réseaux sociaux, ne revêtent pas un caractère prépondérant par rapports aux capacités personnelles de l'employée. L'appelante ne prétend pas, par exemple, qu'elle aurait donné comme instruction aux hygiénistes dentaires d'appliquer uniformément des techniques particulières de détartrage au sein de ses centres. Elle ne démontre pas en quoi les éléments précités la distingueraient "d'autres cabinets où le lien prépondérant se fait avec le praticien".

Ainsi, il faut admettre, avec le Tribunal, que les qualités personnelles de l'employée sont à l'origine des liens de confiance particuliers que celle-ci a noués avec la patientèle, cause prépondérante pour laquelle certains patients ont pu la suivre après la fin des rapports de travail. Le fait que les dentistes et hygiénistes dentaires ne soient pas mis personnellement en avant à des fins publicitaires, comme le fait que le premier rendez-vous soit généralement pris par les patients sans connaître le praticien ne sont pas de nature à modifier cette appréciation.

En définitive, le risque que les clients de l'appelante suivent l'intimée est imputable à ses compétences personnelles et à la relation personnelle nouée avec eux. Les quelques messages de clients ayant suivi l'intimée, produits par celle-ci, corroborent que ceux-ci étaient sensibles aux qualités personnelles inhérentes à sa personne. Comme le Tribunal l'a considéré à juste titre, sans être contredit par l'appelante (cf. ci-dessus, partie "En fait", let. C.l.b), aucun élément de la procédure ne permet de retenir que l'intimée aurait détourné des clients de l'appelante.

En conclusion, c'est à juste titre que le Tribunal a considéré que la clause de prohibition de faire concurrence contenue dans le contrat du 15 juillet 2019 n'était pas valable. Il n'y a donc pas lieu d'examiner si l'étendue de la clause est admissible ou si la peine conventionnelle est excessive.

Le jugement attaqué sera confirmé.

3.             3.1 L’appel étant infondé, il n’y a pas lieu de revoir les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC a contrario).

3.2 Au regard de la valeur litigieuse supérieure à 50'000 fr., il y a lieu de percevoir des frais judiciaires pour la procédure d'appel (art. 114 let. c cum 116 al. 1 CPC; art. 19 al. 3 let. c LaCC; art. 71 RTFMC). Ceux-ci seront arrêtés à 600 fr., mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et entièrement compensés avec l'avance du même montant versée par cette dernière, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

La procédure d'appel ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 22 al. 2 LaCC), aucune des parties n'ayant procédé de manière téméraire ou de mauvaise foi.

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des prud'hommes :


A la forme
:

Déclare recevable l'appel interjeté le 16 mai 2023 par A______ SARL contre le jugement JTPH/111/2023 rendu le 6 avril 2023 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/15144/2021.

Au fond :

Confirme le jugement attaqué.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 600 fr., les met à la charge de A______ SARL et les compense avec l'avance de frais versée, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Monique FORNI, Monsieur
Aurélien WITZIG, juges assesseurs; Madame Fabia CURTI, greffière.

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.