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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/25783/2022

ACJC/449/2025 du 31.03.2025 sur JTBL/596/2024 ( OBL ) , JUGE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25783/2022 ACJC/449/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 31 MARS 2025

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 4 juin 2024, représenté par Me Gérard BRUTSCH, avocat, rue Prévost-Martin 5, case postale 60, 1211 Genève 4,

et

1) Monsieur B______, domicilié ______ [GE], intimé,

2) Monsieur C______, domicilié ______ [GE], autre intimé,

3) D______ SA, c/o E______ Sàrl, ______ [GE], autre intimée.


EN FAIT

A.           Par jugement JTBL/596/2024 du 4 juin 2024, reçu par A______ le 7 juin 2024, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal) a condamné le précité à payer 15'401 fr. 70 à C______ et B______ (ch. 1 du dispositif) et 26'624 fr. à B______ (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B.            a. Par acte expédié le 5 juillet 2024 à la Cour de justice, A______ a formé appel contre ce jugement, concluant à son annulation et, cela fait, au déboutement de B______, C______ et D______ SA de toutes leurs conclusions.

b. Les précités n'ont pas répondu à l'appel dans le délai fixé à cet effet.

c. La cause a été gardée à juger le 27 septembre 2024, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 16 février 2011, C______ et B______, locataires, et A______, bailleur, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'une arcade de 120 m2 située au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ no. ______ à F______ [GE], destinée à l'exploitation d'une discothèque. La gérance de l'immeuble est assurée par G______ (ci-après : la régie).

Le bail a débuté le 1er janvier 2011. Le loyer a été fixé en dernier lieu à 54'000 fr. par an, soit 4'500 fr. par mois, et la provision pour charges (chauffage, eau chaude, climatisation) à 3'000 fr. par an, soit 250 fr. par mois.

b. Le 28 février 2011, les mêmes parties ont conclu un second contrat de bail à loyer portant sur la location de locaux commerciaux de 36 m2 situés au 1er étage de l'immeuble susmentionné, destinés à l'usage de bureaux.

Le bail a débuté le 1er mars 2011. Le loyer a été fixé à 11'400 fr. par an, soit 950 fr. par mois, et la provision pour charges (chauffage, eau chaude, climatisation) à
1'200 fr. par an, soit 100 fr. par mois.

c. Le 11 novembre 2019, B______, locataire, et A______, bailleur, ont conclu un nouveau contrat de bail à loyer portant sur la location des locaux précités, ainsi que d'autres surfaces dans le même immeuble, pour un total de 371 m2 répartis au sous-sol, au rez-de-chaussée et au 1er étage.

Le bail a débuté le 15 novembre 2019, les locaux étant destinés à l'exploitation d'un bar-restaurant, d'une buvette, d'une discothèque et de bureaux. Le loyer a été fixé à 97'200 fr. par an, soit 8'100 fr. par mois, et la provision pour charges (chauffage, eau chaude) à 4'000 fr. par an, soit environ 333 fr. 30 par mois.

Selon les clauses particulières du contrat, ce nouveau bail « annul[ait] toute convention antérieure relative aux locaux loués ». Il y était en outre stipulé ce qui suit :

« Participation sur travaux à charge bailleur : L'ensemble des travaux prévu par le locataire devra faire l'objet d'une étude effectuée par un mandataire professionnellement qualifié (architecte et ingénieur civil) et d'un dépôt d'autorisation de construire auprès des autorités compétentes. […]

Gratuité du loyer : Le locataire, procédant aux travaux de rénovation ainsi qu'à l'obtention des autorisations y relatives, à ses frais, 9 mois de gratuité de loyer hors charges, […] lui sont octroyés et ce dès le 15 novembre 2019. […] Le premier loyer est dû à partir du 15 août 2020 ».

d. Le 15 décembre 2021, dans le cadre de la cause C/2______/2013 opposant B______ et C______ (demandeurs) à A______ (défendeur), dont l'objet ne ressort pas du dossier, le Tribunal a homologué la transaction suivante :

« 1. Il est convenu que les locataires sont exonérés du paiement du loyer net pour l'ensemble des locaux faisant l'objet de l'ancien bail du 16 février 2011 et du nouveau bail du 11 novembre 2019, dès le 1er septembre 2019, sous réserve des décomptes de charges.

2. Dès l'obtention de l'autorisation par le bailleur en vue de l'homologation des vitrines et portes (entrée de l'ancienne discothèque et entrée de la nouvelle arcade), le délai de neuf mois de gratuité de loyer, hors charges, prévu au deuxième paragraphe des clauses particulières du contrat de bail du 11 novembre 2019 commencera à courir.

3. Le bailleur ne s'oppose pas à l'ajout de la société D______ SA à titre de colocataire du contrat de bail du 11 novembre 2019 sous réserve des vérifications usuelles concernant la solvabilité de cette société.

4. Les parties n'ont plus aucune prétention à faire valoir les unes envers les autres concernant les deux baux susmentionnés moyennant bonne exécution du présent accord et sous réserve des décomptes de charges.

5. Le présente procès-verbal vaut décision entrée en force au sens de l'article 241 CPC, le Tribunal condamnant les parties à respecter et à exécuter toutes les clauses du présent accord.

6. La cause est rayée du rôle. »

e. Le 22 novembre 2022, B______, C______ et D______ SA (ci-après : les demandeurs ou les intimés) ont déposé une requête de conciliation à l'encontre de A______ (ci-après : le bailleur ou l'appelant), concluant à ce que ce dernier soit condamné à leur rembourser la somme de 38'603 fr. Le 20 mars 2023, suite à l'échec de la tentative de conciliation, ils ont introduit leur demande en paiement - à savoir un courrier renvoyant à leur requête de conciliation (annexée audit courrier) - devant le Tribunal.

Ils ont allégué avoir continué à payer le loyer des bureaux situés au 1er étage, pour la période du 1er septembre 2019 au 31 mars 2022, ce qui correspondait à un montant total de 31'350 fr. (950 fr. x 33 mois) (allégué 5). Suite à la transaction du 15 décembre 2021, ils avaient également payé deux montants de 4'500 fr. «s'agissant des locaux en sous-sol», soit 9'000 fr. en tout (allégué 6). En outre, ils avaient contesté les décomptes de frais accessoires pour les exercices 2017 à 2021 (allégué 7). A ce sujet, ils renvoyaient au courrier « extrêmement détaillé » qu'ils avaient adressé au conseil du bailleur le 24 mai 2022 (allégué 8). Eu égard aux termes de la transaction du 15 décembre 2021, ils avaient donc versé en trop, depuis le 1er septembre 2019, un montant global de 40'659 fr. (recte : 40'350 fr. [31'350 fr. + 9'000 fr.]). En tenant compte des montants déjà remboursés par le bailleur, celui-ci devait encore leur rembourser la somme de 38'603 fr. (allégué 9).

En annexe à la demande, ils ont produit pêle-mêle des dizaines de documents non assemblés, sans numérotation intelligible ni bordereau, comprenant notamment des tableaux, des décomptes de la régie listant divers paiements effectués par C______ et la société H______ SARL, ainsi que de nombreuses factures et décomptes de frais accessoires. Hormis la transaction du 15 décembre 2021 (« pièce 1 » mentionnée à l'allégué 1) et le courrier du 24 mai 2022 adressé au conseil du bailleur (« pièce 2 » mentionnée à l'allégué 8), la demande ne fait aucune référence aux documents susmentionnés.

f. Dans sa réponse du 17 mai 2023, le bailleur a conclu au rejet de la demande. Il a contesté les allégués 5 à 9 de la demande, exposant que les « chiffres » mentionnés à l'allégué 5 étaient erronés et qu'il ignorait à quoi correspondaient les montants de 4'500 fr. figurant à l'allégué 6. Selon un décompte établi par la régie (pièce 1 déf.), B______ s'était acquitté, de fin 2019 à mi-avril 2023, d'un montant de quelque 18'837 fr., correspondant pour l'essentiel aux acomptes de charges dont le précité restait redevable au-delà du 1er septembre 2019. Au surplus, la qualité de locataire n'avait jamais été conférée à D______ SA, de sorte que celle-ci ne disposait pas de la légitimation active.

g. A l'audience du Tribunal du 10 octobre 2023, les demandeurs ont déposé des déterminations spontanées, aux termes desquels ils ont amplifié leurs conclusions et conclu au paiement de 43'103 fr. Ils ont déposé une nouvelle liasse de documents, sans bordereau, contenant notamment le contrat de bail du 16 février 2011 (annexe 1), la transaction du 15 décembre 2021 (annexe 2), le contrat de bail du 28 février 2011 (annexe 3), divers relevés de compte, avis de débit et avis de crédit (annexes 4 et 5), ainsi que des tableaux peu compréhensibles faisant état de différences entre des factures et des décomptes de charges (annexe 6).

h. Dans ses déterminations du 17 novembre 2023, le bailleur a conclu au déboutement des demandeurs. Il s'est notamment prévalu du fait que la transaction du 15 novembre 2021 valait pour solde de tout compte. Il a allégué que plusieurs paiements effectués après le 1er septembre 2019 concernaient en réalité des loyers déjà échus à cette date. Il était par ailleurs impossible - au vu des pièces produites et des explications confuses des demandeurs - de déterminer quels paiements avaient été effectués par qui (C______, B______, H______ SARL ?) et à quel titre (locaux concernés, mensualités concernées ?).

i. A l'audience du 6 février 2024, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives, sans formuler d'offres de preuve complémentaires. Le Tribunal a ensuite gardé la cause à juger.

D. Dans la partie "EN FAIT" du jugement attaqué, le Tribunal a dressé la liste d'une trentaine de paiements effectués par C______ et B______ entre le 1er septembre 2019 et le 31 mai 2022, sans se référer aux allégués des parties et/ou aux pièces produites par celles-ci. Dans la partie "EN DROIT" du jugement, il a retenu, en substance, que D______ SA n'avait pas la légitimation active, faute d'être partie aux baux conclus en février 2011 et novembre 2019. Contrairement à ses allégations, A______ n'avait pas affecté la totalité des paiements litigieux à des arriérés de loyer antérieurs au 1er septembre 2019. Il n'avait pas non plus établi de décomptes de charges pour les exercices 2019 à 2022, de sorte qu'il ne pouvait pas exiger des locataires qu'ils s'acquittent des charges y afférentes. Partant, ceux-ci pouvaient prétendre au remboursement des paiements effectués en trop conformément à l'art. 62 CO.

EN DROIT

1.             1.1 L'appel est recevable pour avoir été interjeté auprès de l'autorité compétente (art. 122 let. a LOJ), dans le délai utile de 30 jours et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 142 ss et 311 CPC), à l'encontre d'une décision finale de première instance rendue dans une affaire de nature pécuniaire dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

1.2 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC).

La Cour dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit, mais uniquement dans la limite des griefs suffisamment motivés qui sont formulés (cf. art. 311 al. 1 CPC; ATF 142 III 413 consid. 2.2.4). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le Tribunal (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

1.3 La valeur litigieuse étant supérieure à 30'000 fr. et la cause ne concernant pas l'un des cas prévus par l'art. 243 al. 2 let. c CPC, la procédure ordinaire est applicable (art. 219 et 243 CPC).

Le litige est régi par la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC), qui prévoit que les parties allèguent les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et produisent les preuves qui s'y rapportent, et par la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC), qui prévoit que le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse.

2. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir établi les faits de façon inexacte, en violation de la maxime des débats, sans que l'on comprenne sur quels allégués et/ou pièces celui-ci s'était fondé pour parvenir à la conclusion qu'un trop-perçu devait être remboursé aux intimés. En particulier, vu l'absence de motivation et de renvoi aux offres de preuves pertinentes, on ignorait comment le Tribunal avait calculé la quotité de ce trop-perçu. A cet égard, l'appelant fait valoir que les écritures de première instance des intimés (soit la demande du 20 mars 2023 et les déterminations spontanées du 10 octobre 2023) ne respectaient pas les exigences de forme des art. 219 ss CPC, en particulier celles relatives aux fardeaux de l'allégation et de l'administration des preuves. Les pièces produites et les allégués des intimés ne permettaient pas de déterminer quels montants avaient été payés, à quel titre, quand et par qui. Or l'intimé B______, unique locataire des locaux depuis la mi-novembre 2019, ne pouvait pas prétendre au remboursement de sommes d'argent qu'il n'avait pas lui-même payé, faute de légitimation active.

2.1.
2.1.1
En vertu de l'art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit.

En tant que règle sur la répartition du fardeau de la preuve, cet article détermine laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve d'un fait pertinent. Le demandeur doit ainsi alléguer et prouver chacun des faits pertinents à l'appui de sa prétention. Lorsque le juge ne parvient pas à constater un fait dont dépend le droit litigieux, il doit alors statuer au détriment de la partie qui aurait dû prouver ce fait (ATF 132 III 689 consid. 4.5; 129 III 18 consid. 2.6).

2.1.2 La qualité pour agir (légitimation active) ou pour défendre (légitimation passive) est une question de droit matériel. La légitimation active se réfère à la titularité du droit matériel invoqué dans le cadre du procès, tandis que la légitimation passive se rapporte à l'obligation correspondante (ATF 142 III 782 consid. 3.1.3.2; 130 III 417 consid. 3.1 et 3.4). Cette question - que le juge examine d'office - ressortit aux dispositions applicables au fond du litige; son défaut conduit au rejet de l'action, qui intervient indépendamment de la réalisation des éléments objectifs de la prétention concernée (ATF 138 III 537 consid. 2.2.1). Il incombe au demandeur de prouver les faits dont il tire sa qualité pour agir (art. 8 CC;
ATF 123 III 60 consid. 3a).

2.1.3 En procédure ordinaire, la demande doit contenir la désignation des parties, les conclusions, l'indication de la valeur litigieuse, les allégations, l'indication des moyens de preuve proposés, la date et la signature (art. 221 al. 1 CPC).

Dans le cadre de la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC), il incombe aux parties, et non au juge, de rassembler les faits du procès. Les parties doivent alléguer les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions (fardeau de l'allégation subjectif), produire les moyens de preuve qui s'y rapportent (fardeau de l'administration des preuves) et contester les faits allégués par la partie adverse (fardeau de la contestation), le juge ne devant administrer les moyens de preuve que sur les faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC) (ATF 149 III 105 consid. 5.1;
144 III 519 consid. 5.1). Le juge ne peut ni suppléer ni suggérer des faits qu'une partie n'aurait pas allégués spontanément (arrêts du Tribunal fédéral 4A_437/2017 et 4A_439/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.6).

Doivent être allégués les faits pertinents, c'est-à-dire les éléments de fait concrets correspondant aux faits constitutifs de l'état de fait de la règle de droit matériel (c'est-à-dire les "conditions" du droit) applicable dans le cas particulier (arrêt du Tribunal fédéral 4A_31/2023 du 11 janvier 2024 consid. 4.1.2).

Selon l'art. 221 al. 1 let. d CPC, respectivement l'art. 222 al. 2 CPC, les faits doivent être allégués en principe dans la demande, respectivement dans la réponse pour les faits que doit alléguer le défendeur. Ils peuvent l'être dans la réplique et la duplique si un deuxième échange d'écritures est ordonné ou, s'il n'y en a pas, lors des débats d'instruction ou à l'ouverture des débats principaux (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_31/2023 loc. cit.). Ils doivent être suffisamment motivés pour que la partie adverse puisse se déterminer sur eux et que le juge puisse savoir quels sont les faits admis, respectivement les faits contestés sur lesquels des moyens de preuve devront être administrés (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1.1).

En vertu de l'art. 221 al. 1 let. e CPC, la demande contient l'indication, pour chaque allégation, des moyens de preuves proposés. Le but de cette exigence est, notamment, que le tribunal puisse reconnaître sur quels faits se fonde le demandeur et avec quoi il entend les prouver (arrêt du Tribunal fédéral 5A_822/2022 du 14 mars 2023 consid. 6.3.2.2). Un moyen de preuve ne doit être considéré comme régulièrement offert que lorsque l'offre de preuve peut être reliée sans équivoque à l'allégation de fait qui doit ainsi être prouvée, et inversement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_360/2017 du 30 novembre 2017 consid. 4). Il n'est pas exclu que le renvoi à une pièce puisse respecter l'exigence de motivation, à condition cependant que les passages pertinents soient mentionnés clairement dans la demande et qu'il n'existe pas de doute sur sa portée si bien qu'une reproduction mot à mot n'aurait aucun sens (arrêt du Tribunal fédéral 4A_281/2017 du 22 janvier 2018 consid. 5.1, résumé in RSPC 2018, 1713). En revanche, un simple renvoi en bloc à des pièces du dossier en guise d'exposé des faits ne satisfait pas à ces exigences (arrêts du Tribunal fédéral 4A_264/2015 du 10 août 2015 consid. 4.2.2; 5A_61/2015 du
20 mai 2015 consid. 4.2.1.3). Il importe que le tribunal et la partie adverse n'aient pas besoin de rechercher la présentation des faits dans l'ensemble des annexes. Ce n'est pas à eux qu'il incombe de fouiller dans les pièces pour chercher si l'on peut y trouver des éléments en faveur de la partie qui supporte le fardeau de l'allégation (arrêt du Tribunal fédéral 4A_195/2014 du 27 novembre 2014 consid. 7.3.3).

En ce qui concerne l'allégation d'une facture ou d'un compte, le demandeur doit en principe en alléguer les différents postes dans sa demande. La jurisprudence admet toutefois qu'il n'y indique que le montant total lorsqu'il peut se référer à, et produire, une pièce qui contient toutes les informations nécessaires de manière claire et complète, au point que l'exigence de la reprise du détail de la facture ou du compte dans les allégués de la demande n'aurait pas de sens. Il ne suffit pas que la pièce produite contienne, sous une forme ou sous une autre, lesdites informations. Leur accès doit être aisé et aucune marge d'interprétation ne doit subsister. Le renvoi figurant dans l'allégué doit désigner spécifiquement la pièce qui est visée et permettre de comprendre clairement quelle partie de celle-ci est considérée comme alléguée. L'accès aisé n'est assuré que lorsque la pièce en question est explicite et qu'elle contient les informations nécessaires (ATF 144 III 519 consid. 5.2.1.2).

Si une partie ne respecte pas le fardeau de l'allégation (soit elle n'allègue pas un fait ou pas de façon suffisamment précise), ce fait n'est pas pris en compte. S'il s'agit d'un fait constituant le fondement de sa prétention, sa demande sera rejetée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_437/2017 et 4A_439/2017 précités consid. 4.6; 5A_213/2017 du 11 décembre 2017 consid. 5).

2.2 En l'espèce, les intimés ont introduit leur demande par courrier du 20 mars 2023, renvoyant à leur requête en conciliation du 22 novembre 2022. Contrairement à ce que semble soutenir l'appelant, la recevabilité de cette demande doit être admise sauf à faire preuve de formalisme excessif. Elle respecte en effet les prescriptions de forme de l'art. 221 al. 1 CPC, puisqu'elle contient la désignation des parties, les conclusions, dont on déduit aisément la valeur litigieuse, les allégations de fait, bien que sommaires, l'indication des moyens de preuves proposés, au nombre de deux, ainsi que la date et la signature. Autre est la question de savoir si les intimés, qui supportent le fardeau de la preuve (art. 8 CC), ont allégué (avec la motivation suffisante) les éléments de faits susceptibles d'établir leurs prétentions, et s'ils sont parvenus à en apporter la preuve, et dès lors si, sur la base de ces faits, l'action est matériellement fondée.

Dans leur demande, les intimés se sont contentés, en substance, d'alléguer que les parties étaient liées par des contrats de bail portant sur des locaux commerciaux sis rue 1______ no. ______ à F______, qu'un accord relatif à un litige entre les parties avait été homologué par le Tribunal le 15 décembre 2021, qu'en dépit de cet accord, qui prévoyait notamment la gratuité du loyer net à partir du 1er septembre 2019, plusieurs paiements avaient été effectués en mains de la régie (sans préciser l'identité des personnes ayant procédé à ces paiements) et, enfin, qu'ils contestaient les décomptes de frais accessoires des années 2017 à 2021. A l'appui de cet exposé des faits, seules deux pièces étaient mentionnées dans la demande, à savoir la transaction du 15 décembre 2021 (« pièce 1 ») et un courrier daté du 24 mai 2022 censé étayer les contestations des intimés quant aux frais accessoires (« pièce 2 »).

En annexe à la demande, les intimés ont produit - en vrac - une liasse non assemblée de documents, sans bordereau, ni numérotation, ni ordre (chrono-)logique, dans laquelle la Cour est parvenue à identifier : un courrier non signé daté du 30 octobre 2022; le contrat de bail du 11 novembre 2019; une autorisation de procéder délivrée le 7 novembre 2018 dans une autre procédure; un procès-verbal d'audience du
15 décembre 2021 (selon toute vraisemblance la « pièce 1 », en dépit de sa position aléatoire dans la liasse de documents); une quittance de dépôt postal, un courrier inintelligible du 24 mai 2022 (selon tout vraisemblablement la « pièce 2 » en dépit de sa position aléatoire dans la liasse de documents); divers tableaux, probablement établis par les intimés eux-mêmes et dont la Cour de céans peine à comprendre le sens, la présentation (couleurs utilisées, etc.) et les sources; des décomptes de paiements allant du 1er janvier 2016 au 1er mai 2021, ainsi que de nombreuses factures et décomptes finaux et intermédiaires de frais accessoires.

Dans leurs déterminations spontanées du 10 octobre 2023, les intimés ont amplifié leurs conclusions, sans parvenir toutefois à étayer leur demande en paiement. Ces écritures contiennent en effet des développements décousus et embrouillés, dont on peine à saisir le sens. Les pièces déposées à l'appui de celles-ci ne sont accompagnées d'aucun bordereau et ne sont rattachées à aucun allégué de fait précis, ceux-ci ayant été formulés en des termes très généraux. Dans l'ensemble, ces déterminations n'apportent aucune clarté au dossier, sortent du cadre des allégués qu'elles sont censées commenter et ajoutent de la confusion à des faits pourtant admis par l'appelant.

En définitive, si l'on peut déduire de leurs écritures et des liasses de pièces fournies que les intimés réclament le remboursement de loyers payés en trop et contestent des frais accessoires supposément inexacts - sans pour autant conclure à leur remboursement -, l'on ne comprend pas de quels loyers il s'agit précisément; on ne comprend pas davantage quand ces paiements indus sont censés avoir été effectués, ni à quel titre et par qui (apparemment, plusieurs paiements auraient été effectués par H______ SARL, soit une société qui n'est pas partie à la procédure); enfin, l'on ne discerne pas quel est le fondement de ces prétentions en remboursement. En ce qui concerne plus particulièrement le courrier du 30 octobre 2022, censé expliquer la documentation fournie, celui-ci se borne à présenter les mêmes généralités que la demande, sans développer les points précités. Quant au courrier du 24 mai 2022, censé développer la question des frais accessoires, son contenu, bien que présenté de façon différentiée selon les années concernées, est tout aussi abscons : les phrases sont inintelligibles, les calculs embrouillés et les sources invérifiables en raison de la désorganisation des pièces et de la confusion régnant dans les explications fournies. Enfin, en ce qui concerne la question des décomptes de frais accessoires, la Cour relève que, bien que les intimés aient allégué contester les décomptes des années 2017 à 2021, ils n'ont pris aucune conclusion en paiement à cet égard. Eu égard à la maxime de disposition (art. 58 al. 1 CPC), il ne sera pas entré en matière sur ce point. Dans l'ensemble, les carences affectant les écritures des intimés ne permettent pas à la Cour d'examiner de manière satisfaisante leurs prétentions, ni, pour certaines, leur simple existence, sauf à fournir un travail disproportionné en se substituant aux intimés, ce qui n'est pas son rôle, ni d'ailleurs celui du Tribunal. Même en faisant preuve d'indulgence à l'égard de parties non assistées d'un avocat, il appert que les fardeaux de l'allégation et de l'administration des preuves n'ont pas été respectés à satisfaction de droit par les intimés.

Il suit de là que le grief de l'appelant - qui reproche au Tribunal de s'être indûment substitué aux intimés et d'avoir remédié d'office à leurs carences procédurales, en violation de la maxime des débats, - est fondé. A la lumière des allégués et des moyens de preuves régulièrement offerts par les parties, le Tribunal ne pouvait pas, comme il l'a fait, admettre que les intimés B______ et C______ étaient fondés à réclamer le remboursement des différents paiements listés dans l'état de fait du jugement attaqué. Les intimés ayant échoué à alléguer, respectivement à prouver les faits propres à établir leurs prétentions, le Tribunal aurait dû, au contraire, rejeter leur demande en paiement.

Ce motif suffit à entraîner l'admission de l'appel, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'examiner plus avant les autres moyens soulevés par l'appelant.

Le jugement attaqué sera par conséquent annulé et il sera statué à nouveau, en ce sens que les intimés seront déboutés des fins de leur demande en paiement.

3.             Conformément à l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais judiciaires ni alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers.

 

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 5 juillet 2024 par A______ contre le jugement JTBL/596/2024 rendu le 4 juin 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/25783/2022.

Au fond :

Annule ce jugement et, statuant à nouveau :

Déboute B______, C______ et D______ SA des fins de leur demande en paiement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juge, Monsieur Serge FASEL, juge suppléant; Madame Sibel UZUN et Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.