Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des baux et loyers

1 resultats
C/10547/2024

ACJC/80/2025 du 21.01.2025 sur JTBL/495/2024 ( OBL ) , RENVOYE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/10547/2024 ACJC/80/2025

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 21 JANVIER 2025

 

Entre

A______ SÀRL, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 10 mai 2024, représentée par Me David PAPAUX, avocat, place de Longemalle 1, 1204 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Olivier FAIVRE, avocat, rue de la Rôtisserie 2, case postale 3809, 1211 Genève 3,

et

Monsieur C______, domicilié ______, autre intimé, représenté par Me Olivier FAIVRE, avocat, rue de la Rôtisserie 2, case postale 3809, 1211 Genève 3,

et

D______ SA, sise ______, autre intimée, représentée par Me Olivier FAIVRE, avocat, rue de la Rôtisserie 2, case postale 3809, 1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A. Par acte expédié le 7 mai 2024 à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers par courriel sécurisé, A______ SARL et E______ ont formé une demande en réintégrande, assortie de conclusions sur mesures provisionnelles.

Ils ont conclu, en substance, sur mesures provisionnelles et sur le fond, à ce qu'il soit interdit à B______, D______ SA et C______ de pénétrer dans le restaurant F______ sis no. ______ , rue 1______ à Genève et de troubler la possession de A______ SARL sur ledit restaurant et à ce qu'il soit ordonné aux précités de restituer immédiatement à celle-ci la possession des locaux, de quitter le restaurant F______ et de lui remettre les moyens d'accès à celui-ci.

La demande porte la mention, sur sa première page, du Tribunal des baux et loyers; les conclusions prises s'adressent audit Tribunal.

B. Par jugement JTBL/495/2024 du 10 mai 2024, le Tribunal des baux et loyers a déclaré irrecevable la demande de A______ SARL et E______ à l’encontre de B______, D______ SA et C______ (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

Il a considéré que le Code de procédure civile ne prévoyait pas de transmission d'office de la cause à l'instance compétente, que la requête avait été adressée au Tribunal des baux et loyers, mais expédiée à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, qu'elle n'était pas accompagnée d'une autorisation de procéder et qu'aucune des exceptions au principe de la conciliation obligatoire n'était réalisée. Par conséquent, la demande était déclarée irrecevable.

C. a. Par acte expédié le 10 juin 2024 à la Cour de justice, A______ SARL a formé appel contre ce jugement. Elle a conclu à son annulation et, cela fait, à ce qu'il soit ordonné au Tribunal des baux et loyers d'admettre la recevabilité de sa demande du 7 mai 2024, de se prononcer sur les mesures provisionnelles requises et le fond et de faire suivre son cours à la procédure, avec suite de frais judicaires et dépens.

b. Dans leur réponse du 12 juillet 2024, B______, D______ SA et C______ ont conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris, avec suite de frais.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

d. Les parties ont été avisées le 8 novembre 2024 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.


 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

En l'espèce, l'appelante indique que la valeur litigieuse est supérieure à 15'000 fr.

Il peut dès lors être admis, en l'absence d'éléments permettant de retenir le contraire, que la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L'appelante soutient que l'action qu'elle a déposée n'était pas soumise à la conciliation en application de l'art. 198 let. h CPC.

2.1
2.1.1 Selon l'art. 197 CPC, la procédure au fond est précédée d’une tentative de conciliation devant une autorité de conciliation. La procédure de conciliation n’a en revanche pas lieu dans la procédure sommaire (art. 198 let. a CPC), qui s'applique notamment aux mesures provisionnelles (art. 248 let. d CPC).

Les cas dans lesquels le législateur a renoncé à imposer la conciliation préalable obligatoire sont exhaustivement énumérés par les art. 198 et 199 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_176/2019 du 2 septembre 2019 consid. 4.3). Outre les affaires soumises à la procédure sommaire (art. 198 let. a CPC), telles les mesures provisionnelles (art. 248 let. d CPC), qui, par nature, doivent être traitées avec célérité, la conciliation n'a pas lieu lorsque, dans les actions précédées d'une requête de mesures provisionnelles, le Tribunal a fixé un délai pour le dépôt de la demande (art. 198 let. h CPC et art. 263 CPC). Dans ce dernier cas, l'exclusion de la tentative de conciliation préalable est justifiée non seulement par la rapidité avec laquelle l'affaire doit être traitée, mais aussi par l'inutilité d'une telle procédure lorsque les parties ont déjà été opposées, sans trouver un accord, dans une procédure indépendante portant sur le même complexe de faits dans le cadre de mesures provisionnelles (arrêt du Tribunal fédéral 4A_208/2019 du 30 janvier 2020, consid. 3.2).

2.1.2 Selon l'art. 1 let. b de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ; RS GE E 2 05), le Tribunal civil comprend le Tribunal de première instance, le Tribunal des baux et loyers et la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, qui composent chacun une section distincte du Tribunal civil (art. 83 ss LOJ; art. 15 du Règlement du Tribunal civil du 2 juin 2014 [RTC; RS GE E 2 05.41]).

2.2 En l'espèce, l'appelante a déposé une action au fond, assortie de mesures provisionnelles. Elle a adressé celle-ci par courriel sécurisé à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, mais son écriture porte la mention "Tribunal des baux et loyers".

Contrairement au Tribunal de première instance qui exerce notamment les compétences que le code de procédure civil attribue à l'autorité de conciliation (art. 86 al. 2 let. b LOJ) ou au Tribunal des prud'hommes qui comprend le degré de la conciliation et le Tribunal (art. 11 et 12 de la loi sur le Tribunal des prud’hommes du 11 février 2010 [LTPH; RS GE E 3 10]), la Commission de conciliation en matière de baux et loyers est une autorité distincte du Tribunal des baux et loyers, constituant une des sections du Tribunal civil et régie par des dispositions spécifiques de la loi organisant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers du 28 novembre 2010 (LCCBL, RS GE E 3 15). Ainsi, la mention "Tribunal de baux et loyers" figurant dans l'acte déposé était incorrecte en tant que cet acte était soumis à la conciliation et en adressant son acte à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, l'appelante ne l'adressait pas au Tribunal des baux et loyers et inversement.

L'appelante ne conteste pas que l'action qu'elle a déposée au fond était soumise à la conciliation, mais elle soutient que, comme elle était assortie d'une requête de mesures provisionnelles, l'exigence d'une conciliation était tombée. Cet argument ne convainc pas pour les raisons qui vont suivre. En outre, il est incohérent avec l'adressage effectué à l'autorité de conciliation. L'art. 198 let. h CPC qu'elle invoque à l'appui de son argumentation vise le cas, différent, où une action est précédée d'une requête de mesures provisionnelles et où le Tribunal fixe ainsi un délai en application de l'art. 263 CPC. Or, en l'espèce, cette disposition n'est pas applicable puisque l'appelante a déjà déposé son action au fond. Les parties n'ont par ailleurs pas déjà été précédemment opposées, sans trouver un accord, dans une procédure indépendante portant sur le même complexe de faits dans le cadre de mesures provisionnelles, de sorte que l'exclusion de la conciliation ne se justifie pas. Enfin, la fixation d'un délai par le Tribunal suppose que les mesures provisionnelles requises soient admises, alors qu'il doit être compris de l'acte déposé par l'appelante que celle-ci prend simultanément et concurremment des conclusions sur mesures provisionnelles et au fond, ces dernières étant indépendantes du succès des mesures provisionnelles requises.

Dès lors, il convient de retenir ce qui suit. Le Tribunal des baux et loyers, qui s'est saisi de l'acte déposé alors qu'il avait été expédié par courriel sécurisé à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, était compétent pour statuer sur les mesures provisionnelles qui étaient requises, non soumises à la procédure de conciliation. La cause lui sera dès lors renvoyée pour qu'il statue à cet égard.

Quant à l'action au fond, il ne peut être simplement affirmé qu'elle a été adressée au Tribunal des baux et loyers, comme le fait celui-ci, puisque, même si elle porte la mention "Tribunal des baux et loyers", il est constant qu'elle a été expédiée par courriel sécurisé à la Commission de conciliation en matière de baux et loyers. Le comportement de l'appelante était ainsi peu clair et contradictoire, de sorte que le Tribunal aurait dû, puisqu'il entendait se saisir de l'acte déposé par l'appelante, interpeller cette dernière pour connaître ses intentions. La cause doit donc être également retournée au Tribunal à cet égard; il lui reviendra d'interpeller l'appelante ou de transmettre la cause à la Commission de conciliation, à laquelle elle avait été initialement adressée, après avoir, le cas échéant, et si besoin, disjoint les conclusions de mesures provisionnelles et de fond.

Au vu de ce qui précède, l'appel est fondé, de sorte que le jugement attaqué sera annulé et la cause renvoyée au Tribunal.

3. À teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 10 juin 2024 par A______ SÀRL contre le jugement JTBL/495/2024 rendu le 10 mai 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/10547/2024.

Au fond :

Annule ce jugement et, cela fait:

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour qu'il procède conformément aux considérants du présent arrêt.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Nicolas DAUDIN, Madame Sibel UZUN, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF indéterminée.