Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/70/2025 du 16.01.2025 sur JTBL/1041/2024 ( SBL ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/25486/2021 ACJC/70/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU JEUDI 16 JANVIER 2025 |
Entre
Monsieur A______, domicilié ______, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 17 octobre 2024, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,
et
B______ SA, sise ______, intimée représentée par [l'agence immobilière] C______.
A. Par jugement JTBL/1041/2024 du 17 octobre 2024, reçu par A______ le 21 octobre 2024, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens ainsi que toute autre personne faisant ménage commun avec lui l'appartement de 2 pièces situé au rez-de-chaussée de l'immeuble sis rue 1______ no. ______, [code postal] D______ (ch. 1 du dispositif), autorisé B______ SA à requérir son évacuation par la force publique dès le 1er février 2025 (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).
B. a. Le 31 octobre 2024, A______ a formé recours contre le chiffre 2 du dispositif de ce jugement, concluant à ce que la Cour de justice l'annule et dise que sa partie adverse est autorisée à requérir son évacuation par la force publique dès le 1er juillet 2025.
b. B______ SA a conclu à la confirmation du jugement querellé.
c. Les parties ont été informées le 6 décembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.
a. B______ SA (ci-après également "la bailleresse") est propriétaire de l'immeuble sis no. ______, rue 1______ au D______ (Genève).
b. Par contrat du 25 mai 2005, A______ (ci-après également "le locataire") a pris à bail un appartement de deux pièces au rez-de-chaussée dudit immeuble, pour un loyer annuel, charges comprises, fixé en dernier lieu à 8'280 fr.
Le contrat a été conclu pour une durée d'un an, du 1er avril 2005 au 31 mars 2006, renouvelable ensuite tacitement d'année en année. Le préavis de résiliation était de trois mois.
c. Dès avril 2020, A______ a causé différents problèmes dans l'immeuble. Il a endommagé des interphones et une porte en avril 2020, puis dès 2021, agressé physiquement et verbalement, à réitérées reprises, le concierge et plusieurs de ses voisins. Il frappait en outre régulièrement contre les murs de manière très violente, ce qui dérangeait ses voisins.
d. Après plusieurs mises en demeures non suivies d'effet, la bailleresse a résilié le bail de A______ le 25 novembre 2021, pour justes motifs au sens de l'art. 257f al. 3 CO, avec effet au 31 janvier 2022.
e. Le 23 décembre 2021, A______ a déposé une requête en contestation de ce congé.
La bailleresse a conclu à ce que le Tribunal déboute le locataire de ses conclusions et, reconventionnellement, ordonne son évacuation, avec mesures d'exécution directe.
f. Par jugement du 30 novembre 2023, le Tribunal a déclaré le congé efficace, condamné A______ à évacuer immédiatement l'appartement litigieux et transmis la cause au Tribunal siégeant dans la composition prévue à l'art. 30 LaCC pour statuer sur les mesures d'exécution requises par la bailleresse.
Le Tribunal a notamment relevé que la résiliation du bail était justifiée par les graves manques d'égards répétés de A______ envers ses voisins et le concierge, lesquels rendaient manifestement la poursuite du bail insupportable.
g. Ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour ACJC/744/2024 du 11 juin 2024.
h. Lors de l'audience du Tribunal siégeant dans la composition prévue à l'art. 30 LaCC du 17 octobre 2024, A______ ne s'est pas présenté, alors même qu'il avait requis la présence d'un interprète pour l'audience.
Son avocat, qui le représentait, a refusé le délai de départ au 31 janvier 2025 proposé par la bailleresse au motif qu'il pourrait "obtenir plus de temps en continuant la procédure". Il a conclu à l'octroi d'un sursis humanitaire de 8 mois. Il a fait valoir que le locataire avait 70 ans, avait perdu son épouse et ses enfants dans des circonstances tragiques, était dans une détresse profonde, n'avait aucune famille et avait des difficultés à assurer son "suivi sur le plan administratif". Le bail était en vigueur depuis 20 ans et son comportement avait été irréprochable jusqu'en 2021. Son revenu était de 2'800 fr. par mois.
La bailleresse a persisté dans sa requête, relevant, pièces à l'appui, que la situation était intenable. Elle avait encore reçu des plaintes de locataires en octobre 2024.
Il ressort des deux courriels rédigés par des voisins du locataire et produits par la bailleresse lors de l'audience du Tribunal du 17 octobre 2024, que, le 12 octobre 2024, A______ avait attaqué une voisine, qui venait d'emménager, avec un couteau à viande muni d'une lame de 30 cm. La victime était tellement effrayée qu'elle n'osait plus retourner chez elle. Le 14 octobre 2024, il avait attaqué et poursuivi les enfants d'un autre voisin, tentant de frapper celui-ci et avait donné des coups violents sur la porte de ses victimes qui s'étaient enfermées chez elles. Les enfants en question étaient terrorisés et vivaient dans la crainte. La police était intervenue lors de ces deux incidents. Le voisin précité relevait de plus que le locataire continuait à faire un vacarme assourdissant en tapant contre les murs à toute heure du jour ou de la nuit.
L'avocat de A______ a relevé qu'il contestait ces plaintes, dont il n'avait pas eu connaissance.
Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.
1. Selon l'art. 309 let. a CPC, le recours est recevable contre les décisions du Tribunal de l'exécution.
En l'espèce, le recourant conteste les mesures d'exécution prises par le Tribunal et a interjeté le recours en temps utile et selon les formes légales, de sorte que celui-ci est recevable (art. 309 et art. 321 al. 2 CPC).
2. Le Tribunal a retenu que le recourant n’avait pas démontré avoir entrepris de recherches de logement et avait, en raison de la durée de la procédure judiciaire, bénéficié d’une prolongation de fait de deux ans et demi depuis la notification de la résiliation en novembre 2021. Compte tenu de sa situation personnelle, un délai au 31 janvier 2025 pour évacuer le logement litigieux était adéquat.
Le recourant fait valoir que sa situation personnelle, telle qu'exposée lors de l'audience du Tribunal, est particulièrement difficile et que les faits résultant des témoignages écrits produits par l'intimée concernant des événements récents doivent être écartés, comme non prouvés. L'intimée ne faisait état d'aucune urgence pour récupérer l'appartement.
2.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'exécution d'un locataire est régie par le droit fédéral (art. 355 ss CPC).
En autorisant l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Dans le cas de l'évacuation d'une habitation, il s'agit d'éviter que des personnes concernées soient ainsi privées de tout abri. De ce fait, l'expulsion ne saurait être exécutée sans un ménagement particulier, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis, ou lorsque des indices sérieux et concrets font prévoir que l'occupant se soumettra spontanément au jugement d'évacuation dans un délai raisonnable. Dans tous les cas, le sursis doit être relativement bref et ne doit pas équivaloir à une prolongation de bail (ATF 117 Ia 336 consid. 2b p. 339; arrêt du Tribunal fédéral 4A_207/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.1).
L'art. 30 al. 4 LaCC prévoit également que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire.
S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis (ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; ACJC/422/2014 du 7 avril 2014 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).
2.2 En l'espèce, il ressort du dossier que cela fait des années que le recourant menace, dérange et effraie ses voisins. Au vu des dernières attestations de voisins fournies, dont rien ne permet de douter de la crédibilité, la situation s'est encore aggravée ces derniers mois.
Dans ces conditions, le souci de préserver le bien être du recourant, qui se trouve certes dans une situation sociale précaire, ne saurait l'emporter sur la nécessité de protéger la sécurité et la tranquillité de ses voisins.
Il ne saurait dès lors être sursis à l'évacuation pour une durée plus longue que celle fixée par le Tribunal, qui a relevé à juste titre que le recourant n'avait effectué aucune recherche de logement depuis la résiliation de son bail il y a maintenant plus de trois ans.
Le jugement querellé sera par conséquent confirmé.
3. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).
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La Chambre des baux et loyers :
A la forme :
Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre le jugement rendu le 17 octobre 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/25486/2021.
Au fond :
Rejette ce recours.
Dit que la procédure est gratuite.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Siégeant :
Monsieur Ivo BUETTI, président; Madame Pauline ERARD et Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.
Indication des voies de recours :
Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF inférieure à 15'000 fr.