Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/39/2025 du 10.01.2025 ( SBL ) , IRRECEVABLE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/13903/2023 ACJC/39/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU VENDREDI 10 JANVIER 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______ [GE], recourante contre une ordonnance rendue par le Tribunal des baux et loyers le 14 octobre 2024, représentée par Me Samir DJAZIRI, avocat, rue Leschot 2, 1205 Genève,
et
CAISSE DE PENSION B______, sise ______ [BE], et FONDATION DE PLACEMENT C______, sise ______ [ZH], toutes deux intimées, représentées par Me Christian TAMISIER, avocat, rue Saint-Léger 8, 1205 Genève.
A. Par ordonnance de preuves du 14 octobre 2024, reçue par A______ SA le 16 octobre 2024, le Tribunal des baux et loyers a notamment déclaré irrecevable le bordereau de pièces complémentaires de A______ SA du 20 septembre 2024 (ch. 1 du dispositif) et constaté que les offres de preuves des parties tendant à l'audition de témoins étaient irrecevables (ch. 2).
B. a. Le 28 octobre 2024, A______ SA a formé recours contre les chiffres 1 et 2 du dispositif de l'ordonnance précitée, concluant à ce que la Cour de justice les annule, constate la recevabilité de son bordereau de pièces complémentaires du 20 septembre 2024 ainsi que celle de ses offres de preuves tendant à l'audition des témoins portés sur sa liste du 20 septembre 2024 et renvoie la cause au Tribunal, avec suite de frais et dépens.
b. Le 11 novembre 2024, la CAISSE DE PENSION B______ et la FONDATION DE PLACEMENT C______ ont conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
c. Les parties ont été informées le 6 décembre 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier.
a. Le 29 novembre 2023, A______ SA a formé à l'encontre de la CAISSE DE PENSION B______ et de la FONDATION DE PLACEMENT C______ une demande en réduction de loyer, en paiement et en remise en état de la chose louée.
Elle allègue avoir conclu en tant que locataire avec les précitées un contrat de bail portant sur un appartement de quatre pièces, occupé par un tiers, pour un loyer de 2'441 fr. par mois, hors charges. L'occupant avait subi des nuisances en raisons de travaux effectués dans l'immeuble jusqu'à fin décembre 2015. Après les travaux, les nuisances, sonores, avaient perduré en raison du fait que les locaux précédemment objet des travaux étaient occupés par un fitness et que l'immeuble était mal insonorisé.
Elle a conclu à l'octroi d'une réduction de loyer de 20% jusqu'à l'élimination des défauts et à la restitution du trop-perçu de loyer.
Outre les pièces produites, elle a mentionné à titre d'offre de preuves, "interrogatoire des parties" et "preuve par témoins" sans autre précision.
b. La CAISSE DE PENSION B______ et la FONDATION DE PLACEMENT C______ ont conclu au déboutement de leur partie adverse de toutes ses conclusions.
Elles ont notamment contesté les nuisances alléguées par celle-ci.
Outre les pièces produites, elles ont mentionné, à titre d'offre de preuves, "audition des parties" et "audition de témoins" sans autre précision.
c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.
d. Lors de l'audience du Tribunal du 20 septembre 2024, A______ SA a déposé un chargé de pièces complémentaires. Ses parties adverses se sont opposées à la production de ces pièces nouvelles.
A l'issue de l'audience du 20 septembre 2024, le Tribunal a réservé la suite de la procédure.
1. 1.1 Le recours est recevable contre les ordonnances d'instruction lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).
Le délai de recours est de dix jours (art. 321 al. 2 CPC).
La notion de préjudice difficilement réparable est plus large que celle de préjudice irréparable consacré par l'art. 93 al. 1 let. a LTF. Ainsi, elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure devra se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu. Il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (COLOMBINI, Code de procédure civile, condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise, 2018, n. 4.1.3 ad art. 319 CPC; BLICKENSTORFER, Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], 2011, n. 39 ad art. 319 CPC; JEANDIN, Commentaire romand CPC, 2019, n. 22 ad art. 319 CPC et références citées).
Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constitue ainsi pas un préjudice difficilement réparable (SPÜHLER, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2017, n. 7 ad art. 319 CPC; HOFFMANN-NOWOTNY, ZPO-Rechtsmittel, Berufung und Beschwerde, 2013, n. 25 ad art. 319 CPC).
Le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. Admettre le contraire reviendrait en effet à permettre au plaideur de contester immédiatement toute mesure d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a précisément voulu éviter. Ainsi, les ordonnances de preuves et les refus d'ordonner une preuve doivent en règle générale être contestés dans le cadre du recours ou de l'appel contre la décision finale (COLOMBINI, op. cit., n. 4.3.1 et 4.3.2 ad art. 319 CPC).
Le rejet d'une réquisition de preuves par le juge de première instance n'est dès lors en principe pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels, à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant, du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites ou lorsque la production de pièces a été ordonnée sous la menace des sanctions prévues par l'art. 292 CP (JEANDIN, op. cit., n. 22b ad art. 319 CPC; arrêts du Tribunal fédéral 4A_269/2011 du 10 novembre 2011 consid. 1.3; 4A_125/2020 du 10 décembre 2020 consid. 1.4 et 1.7.3, non publié aux ATF 147 III 139; 4A_366/2023 du 1 septembre 2023 consid. 2.3.3).
Lorsque la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, la décision incidente ne pourra être attaquée qu'avec le jugement rendu au fond (Message du Conseil fédéral relatif au CPC, FF 2006 6841, p. 6984; BRUNNER, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2018, n. 13 ad art. 319 ZPO; BLICKENSTORFER, op. cit., n. 40 ad art. 319 CPC).
Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1; HALDY, Commentaire romand, CPC, 2019, n. 9 ad art. 126 CPC).
1.2 Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal a notamment retenu que le bordereau de pièces déposé le 20 septembre 2024 par la recourante était tardif, et partant irrecevable, car il ne concernait pas des faits nouveaux au sens de l'art. 229 CPC. Les offres de preuves des parties en lien avec les témoins étaient également tardives, en ce sens que leurs noms, qualités et adresses auraient dû être communiqués plus tôt.
En lien avec la recevabilité de son recours, la recourante fait valoir que si elle devait attendre la décision finale pour contester l'ordonnance querellée, la procédure serait prolongée ce qui aurait une incidence sur sa situation puisqu'elle aurait à subir les nuisances alléguées pendant plus longtemps.
Cette argumentation n'emporte pas la conviction.
En effet, d'une manière générale, une prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constitue pas un préjudice difficilement réparable au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, et il n'y a pas lieu de déroger à cette règle in casu.
A cela s'ajoute que la recourante, qui n'occupe pas l'appartement litigieux, n'est pas elle-même concernée par les nuisances alléguées, dont l'existence est au demeurant contestée par les intimées.
Se fonder uniquement sur l'argument de la prolongation de la procédure pour admettre un préjudice irréparable permettant de contester immédiatement l'ordonnance de preuves litigieuse reviendrait à inverser la règle, d'application stricte, selon laquelle dans l'intérêt de l'économie de la procédure et de la bonne conduite du procès, les ordonnances de preuves ne peuvent être contestées qu'exceptionnellement sans attendre la décision finale.
A supposer que, à l'issue de la procédure devant le Tribunal, la recourante n'obtienne pas gain de cause, elle pourra le moment venu requérir, si elle s'y estime fondée, l'administration des preuves qu'elle requiert par la Cour ou le renvoi au Tribunal pour instruction complémentaire.
Le recours doit dès lors être déclaré irrecevable, puisque la recourante n'a pas établi que l'ordonnance querellée risquait de lui causer un préjudice difficilement réparable.
2. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).
* * * * *
La Chambre des baux et loyers :
Déclare irrecevable le recours formé le 28 octobre 2024 par A______ SA contre l'ordonnance de preuves rendue le 14 octobre 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/13903/2023.
Dit que la procédure est gratuite.
Siégeant :
Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD et Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laurence MIZRAHI et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.
Indication des voies de recours :
La présente décision, qui ne constitue pas une décision finale, peut être portée dans les 30 jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (art. 72 LTF) aux conditions de l'art. 93 LTF.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.