Décisions | Chambre des baux et loyers
ACJC/67/2025 du 17.01.2025 sur JTBL/452/2024 ( SBL ) , IRRECEVABLE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/2791/2024 ACJC/67/2025 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre des baux et loyers DU VENDREDI 17 JANVIER 2025 |
Entre
A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 25 avril 2024, représentée par Me Catarina MONTEIRO SANTOS, avocate, boulevard des Tranchées 4, 1205 Genève,
et
B______ SARL, sise ______, intimée, représentée par Me Rémy BUCHELER, avocat, route des Jeunes 9, 1227 Les Acacias.
EN FAIT
A. Par jugement JTBL/452/2024 du 25 avril 2024, reçu par les parties le 1er mai 2024, le Tribunal des baux et loyers a condamné A______ SA à évacuer immédiatement de sa personne et de ses biens, ainsi que de toute personne dont elle est responsable, les locaux sis au no. ______, rue 1______, à C______ [GE] (ch. 1 du dispositif), a autorisé B______ SARL à requérir l’évacuation par la force publique de la précitée, dès l’entrée en force du jugement (ch. 2), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4).
B. a. Par acte expédié le 13 mai 2024 à la Cour de justice, A______ SA forme un appel et un recours contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation. Elle conclut, cela fait, sur appel, à ce que la Cour déclare irrecevable la requête d’évacuation et constate la nullité du congé signifié le 27 septembre 2023; sur recours, à ce que l’effet suspensif soit préalablement octroyé, à l’annulation du chiffre 2 du dispositif du jugement et, subsidiairement, à l’octroi d’un délai de six ans « pour évacuer les locaux », le tout sous suite de frais et dépens. Elle produit des pièces nouvelles.
b. Dans sa réponse du 16 mai 2024, B______ SARL conclut à la forme à l’irrecevabilité des allégués et faits nouveaux, au fond à la confirmation du jugement entrepris, au rejet de la demande d’effet suspensif; elle réclame l’octroi de 1'687 fr 50 à titre de dépens.
c. Par arrêt de la Cour du 17 mai 2024, la requête d’effet suspensif a été déclarée sans objet, dans la mesure où l’appel suspendait les effets de la décision, y compris dans le cadre des mesures d’exécutions.
d. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.
e. Les parties ont été avisées le 14 juin 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
f. Le 28 novembre 2024, A______ SA a déposé spontanément une nouvelle écriture et de nouvelles pièces, soit un mémoire de recours contre un jugement de mainlevée du 22 octobre 2024, une action en libération de dette du 15 novembre 2024 et un décompte de gérances-achats du 26 novembre 2024.
g. Le 4 décembre 2024, B______ SARL a conclu à l’irrecevabilité de l’écriture et des pièces nouvelles précitées et a contesté les nouvelles allégations y figurant.
h. Les éléments précités ont été transmis à chacune des parties pour information.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :
a. Par contrat du 9 juin 2021, une location-gérance avec option d’achat a été conclue entre A______ SA, locataire, et B______ SARL, bailleresse, portant sur l’exploitation d’un café-restaurant au no. ______, rue 1______, à C______.
b. La redevance mensuelle de la gérance a été fixée à 4'000 fr. par mois, charges non comprises.
c. Le 6 septembre 2023, la bailleresse a mis en demeure la locataire de lui régler dans un délai de 30 jours la somme de 20'582 fr. 29 à titre d’arriéré de loyer et de charges, faute de quoi le bail serait résilié conformément à l’art. 257d CO.
d. Le 24 septembre 2024, la bailleresse a mis à nouveau en demeure la locataire de lui régler dans un délai 60 jours la somme de 16'582 fr. 29 à titre d’arriéré de loyer et de charges, faute de quoi le bail serait résilié conformément à l’art. 257d CO.
e. Le 27 septembre 2023 et en usant de la formule officielle, la bailleresse a résilié le bail de manière ordinaire pour le 31 mars 2024. Elle a motivé le congé pour le non-respect par la locataire de ses obligations contractuelles.
f. Par courrier du 3 octobre 2023, la locataire a informé la bailleresse qu'elle contestait les termes et montants figurant dans les mises en demeure, de même que la résiliation du bail du 27 septembre 2023.
Elle n’a pas contesté le congé auprès de l’autorité de conciliation.
g. Le 16 novembre 2023, la bailleresse a résilié le bail de manière anticipée pour justes motifs, pour le 31 décembre 2023.
h. Le 27 novembre 2023 et en usant de la formule officielle, la bailleresse a résilié le bail pour le non-paiement des montants précités, pour le 31 janvier 2024.
i. Le 28 décembre 2023, la locataire a contesté ce dernier congé devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers (C/2______/2023). La procédure est pendante.
j. Le 4 février 2024, la bailleresse a déposé une requête en évacuation par la procédure de protection de cas clair auprès du Tribunal, avec des mesures d’exécution directe.
k. Le 12 mars 2024, elle a informé le Tribunal que les décomptes des loyers adressés à la locataire lors des mises en demeure tenaient compte des loyers pour les mois de juillet et août 2021, alors que la convention de location-gérance ne prévoyait un paiement des redevances qu’à compter du 1er septembre 2021. Le montant dû rectifié à la date de la mise en demeure s’élevait ainsi à 10'034 fr. 44, soit l’équivalent de deux mois et demi de redevance.
La bailleresse a rappelé que la résiliation du 27 septembre 2023 pour le 31 mars 2024 n’avait pas été contestée et serait ainsi effective à la date de l’audience fixée par le Tribunal.
l. Lors de l’audience du Tribunal du 25 avril 2024, la bailleresse a déclaré que l’arriéré se montait à 10'034 fr. 44 et a justifié sa requête d’évacuation sur la base du congé du 27 septembre 2023, lequel n’avait pas été contesté par la locataire.
La locataire n’a pas formulé de conclusions expresses. Elle a contesté le montant de l’arriéré qui, selon elle, se chiffrait à 2'034 fr. 44 : elle a admis n’avoir payé en mars 2023 que 2'000 fr. sur les 4'000 fr. convenus, car elle avait sollicité un geste commercial de la bailleresse, en raison des nombreux travaux entrepris dans les locaux. Le solde de 34 fr. 44 restants s’expliquait par la différence du taux de change appliqué, le paiement ayant été effectué en euros. Elle a confirmé n’avoir pas contesté en justice le congé du 27 septembre 2023, ayant manifesté son opposition directement par écrit auprès de la bailleresse le 3 octobre 2023.
La cause a été gardée à juger par le Tribunal à l’issue de l’audience.
EN DROIT
1. La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), alors que la voie du recours est ouverte contre les décisions du tribunal de l'exécution (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).
Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche le congé est également contesté, il y a lieu de prendre en compte la durée prévisible pendant laquelle l'usage de l'objet se prolongerait si le congé était éventuellement invalidé, soit la période de protection de trois ans de l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3)
1.1 En l'espèce, aussi bien la question de l’expulsion que celle de la validité du congé sont litigieuses, de sorte qu’il convient de prendre en compte la valeur du loyer sur une période de trois ans.
La valeur litigieuse est ainsi supérieure à 10'000 fr. (4'000 fr. × 12 × 3 ans = 144'000 fr.), de sorte que la voie de l’appel est ouverte.
1.2 Le délai d'appel est de 10 jours si la décision a été rendue en procédure sommaire (art. 314 CPC) applicable notamment aux cas clairs (art. 248 let. b CPC).
Interjeté dans le délai précité, l’appel a été déposé en temps utile.
1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).
1.4 La voie du recours est ouverte contre la décision du Tribunal relative à l'exécution de l'évacuation. Dans le cadre d'un recours, la cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).
Le recours a été interjeté dans le délai utile de 10 jours (art. 321 al. 2 CPC).
1.5 L'appel et le recours, formés contre la même décision, seront traités ensemble dans le présent arrêt (art. 125 CPC).
2. La motivation de l'appel constitue une condition de recevabilité, qui doit être examinée d'office (art. 311 al. 1 CPC) : il doit ressortir de l’écriture que l’appelant conteste la décision et pourquoi, ainsi que dans quelle mesure la décision litigieuse doit être modifiée ou annulée (ATF 134 II 244 consid. 2.4.2).
Le devoir de motivation implique également celui de formuler des conclusions, lesquelles doivent indiquer sur quels points la partie appelante demande la modification ou l'annulation de la décision attaquée (ATF 137 III 617 consid. 4.2.2). Ces conclusions doivent en principe être libellées de telle manière que l'autorité d'appel puisse, s'il y a lieu, les incorporer sans modification au dispositif de sa propre décision (arrêt du Tribunal fédéral 4A_274/2020 consid. 4; Bulletti,
PC-CPC, n. 3 ad art. 311 CPC). Cette exigence découle du principe de disposition (arrêt du Tribunal fédéral 4A_686/2014 du 3 juin 2015 consid. 4.3.1).
2.1 Au regard de la maxime des débats applicables à la procédure sommaire pour cas clairs, il appartient aux parties d’alléguer l’ensemble des faits pertinents à la résolution du cas, en première instance déjà (ATF 144 III 462 consid. 3.3.2).
2.1.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile, 2e éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).
2.1.2 L'art. 317 al. 2 CPC autorise une modification des conclusions en appel à la double condition que les conclusions modifiées soient en lien de connexité avec la prétention initiale ou que la partie adverse ait consenti à la modification, d'une part (art. 317 al. 2 let. a et 227 al. 1 CPC), et qu'elles reposent sur des faits ou moyens de preuve nouveaux, d'autre part (art. 317 al. 2 let. b CPC).
2.1.3 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'un recours (art. 326 CPC).
2.1.4 Lorsque la cause est gardée à juger en appel, les parties ne peuvent plus invoquer des faits ou moyens de preuve nouveaux, même si les conditions de l’art. 317 al. 1 CPC sont remplies (ATF 142 III 413 consid. 2.2.6).
2.2 En l’espèce, les allégations de fait formulées par l’appelante dans son écriture n’ont pas été mentionnées devant la juridiction précédente. Les pièces produites en appel sont nouvelles.
Partant, celles-ci sont irrecevables.
2.3 Il en est de même des nouvelles pièces et allégations formulées le 28 novembre 2024, après que la présente cause a été gardée à juger, qui sont d’emblée irrecevables conformément à la jurisprudence susmentionnée.
2.4 Il ne ressort pas du procès-verbal de l’audience du Tribunal du 25 avril 2024 que l'appelante aurait formulé des conclusions expresses.
En tout état, aucun élément ne permet de comprendre que l'appelante aurait formulé des conclusions en nullité du congé, ou tendant à l’octroi d’un délai pour procéder à l’évacuation des locaux, et d’une indemnité équitable. Rien n'indique que les conditions de l’art. 317 al. 2 CPC seraient réunies pour admettre leur recevabilité en appel.
Les conclusions formulées par l’appelante ne sont donc pas recevables.
2.5 Même en admettant que la conclusion relative à l’irrecevabilité de la requête d'évacuation de l'intimée puisse être déduite implicitement de la procédure menée devant l’instance précédente, la motivation de l’appel ne serait pas davantage recevable puisqu'elle repose uniquement sur des éléments de faits nouveaux et des pièces nouvellement produites en appel, qui sont irrecevables comme retenu ci-dessus.
2.6 En définitive, faute de conclusions recevables et d’une motivation suffisante, l’appel et le recours seront déclarés irrecevables.
3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :
Déclare irrecevable l'appel et le recours interjetés le 13 mai 2024 par A______ SA contre le jugement rendu le 25 avril 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/2791/2024.
Dit que la procédure est gratuite.
Siégeant :
Madame Nathalie LANDRY‐BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Damien TOURNAIRE et Monsieur Jean‑Philippe ANTHONIOZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.