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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/17150/2023

ACJC/1113/2024 du 16.09.2024 sur JTBL/349/2024 ( SBL ) , RENVOYE

Normes : CPC.60
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17150/2023 ACJC/1113/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 16 SEPTEMBRE 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 21 mars 2024, représentée par Me Jean-François MARTI, avocat, quai Gustave-Ador 26, case postale 6253, 1211 Genève 6,

et

REPUBLIQUE DE B______, sise p.a. Mission permanente de la République de B______, ______, intimée.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/349/2024 du 21 mars 2024, le Tribunal des baux et loyers a donné acte à la MISSION PERMANENTE DE B______ de ce qu'elle ne s'opposait pas à la libération de la garantie bancaire constituée auprès de la banque C______ sous le numéro de compte 1______ en faveur de A______ SA (ch. 1 du dispositif), déclaré pour le surplus irrecevable la requête du 2 août 2023 de A______ SA à l'encontre de la MISSION PERMANENTE DE B______ (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte expédié le 12 avril 2024 à la Cour de justice, A______ SA a formé appel contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation des chiffres 2, 3 et 4 de son dispositif et à la condamnation de la REPUBLIQUE DE B______ à lui payer un montant de 25'113 fr. 02 avec intérêts à 5% l'an dès le 1er novembre 2022 à titre d'indemnités pour occupation illicite de l'appartement de 5 pièces situé au 3ème étage de l'immeuble sis no. ______, rue 2______, [code postal] Genève, du 1er août 2022 au 31 janvier 2023 ainsi que de diverses sommes réclamées pour un total de 4'062 fr. 80 à titre de frais de remise en état de l'appartement précité. Elle a conclu, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal.

b. La REPUBLIQUE DE B______ n'a pas déposé de réponse à l'appel dans le délai qui lui a été imparti.

c. Les parties ont été avisées le 3 mai 2024 par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 11 octobre 2018, D______ et E______, bailleurs, et la REPUBLIQUE DE B______, locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement n° 3______ de 5 pièces situé au 3ème étage de l'immeuble sis rue 2______ no. ______, à Genève, et de la cave n° 4______ qui en dépend.

Les locaux étaient destinés à l'habitation exclusive de F______, Conseillère à la Mission permanente de la REPUBLIQUE DE B______ au bénéfice du statut diplomatique.

Le loyer a été fixé par le contrat à 4'100 fr. par mois, provisions pour charges en 170 fr. et frais de téléréseau en 30 fr. non compris.

Une garantie de loyer d'un montant de 12'300 fr. a été constituée auprès de C______ en date du 14 novembre 2018 sur le compte n° 1______.

b. Le 1er janvier 2019, l'immeuble est devenu propriété de A______ SA.

c. La bailleresse a, par avis officiel du 21 mars 2019, résilié le bail pour le 30 avril 2019 pour défaut de paiement du loyer, la locataire n'ayant pas versé les montants réclamés aux termes de l'avis comminatoire du 7 février 2019.

Le congé n'a pas été contesté.

d.a La bailleresse a agi en évacuation à l'encontre de la locataire, sollicitant en outre des mesures d'exécution directe et le paiement de 670 fr. 40 avec intérêt à 5 % dès le 27 février 2020 et de 21'500 fr. avec intérêt à 5 % dès le 15 août 2020.

d.b Par jugement JTBL/472/2021 rendu le 28 mai 2021, le Tribunal des baux et loyers a condamné la REPUBLIQUE DE B______ à évacuer immédiatement de sa personne, de tout tiers dont elle était responsable et de ses biens, des locaux litigieux (ch. 1 du dispositif), condamné la REPUBLIQUE DE B______ à payer à A______ SA la somme de 480 fr. 40, avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 1er avril 2020 (ch. 2), autorisé A______ SA à prélever cette somme sur la garantie de loyer constituée auprès de C______ en date du 14 novembre 2018 sur le compte n° 1______ (ch. 3) et transmis la cause, à l'expiration du délai d'appel contre la présente décision, à la 7ème chambre du Tribunal des baux et loyers, siégeant dans la composition prévue à l'article 30 LaCC, pour statuer sur les mesures d'exécution sollicitées (ch. 4).

d.c Par jugement JTBL/200/2022 du 17 mars 2022, le Tribunal a autorisé A______ SA à faire exécuter par la force publique le jugement d'évacuation JTBL/472/2021 rendu le 28 mai 2021, dès son entrée en force.

e. L'appartement a été restitué à la bailleresse le 3 février 2023

Selon l'état des lieux de sortie du même jour, les nettoyages de l'appartement étaient incomplets et plusieurs espaces ou éléments étaient endommagés.

f. Par requête formée le 2 août 2023 devant le Tribunal, selon la procédure de cas clair (art. 257 CPC), A______ SA a conclu à la condamnation de la REPUBLIQUE DE B______ au paiement de 25'113 fr. 02 au titre d'indemnité pour occupation illicite et de 4'062 fr. 80 au titre de frais de remise en état des locaux ainsi qu'à la libération de la garantie bancaire relative au contrat de bail conclu par les parties.

g. Le Tribunal a considéré qu'eu égard à la qualité de la partie citée, la requête et la citation à l'audience fixée au 21 mars 2024 devaient lui être notifiées selon les formes prévues dans la Convention européenne sur l’immunité des Etats conclue à Bâle le 16 mai 1972. Les actes de procédure ont par conséquent été notifiés par la voie diplomatique.

h. Le 9 janvier 2024, la Mission permanente de la République de B______ auprès de l'Office des Nations Unies à Genève et des autres Organisations internationales ayant leur siège en Suisse (ONU) a informé la Mission permanente de la Suisse auprès de l'ONU de ce qu'elle marquait son accord pour la libération de la garantie bancaire.

i. Lors de l'audience devant le Tribunal du 21 mars 2024, la REPUBLIQUE DE B______ n'était ni présente ni représentée.

j. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que sous réserve de l'accord à la libération de la garantie, la REPUBLIQUE DE B______ n'avait pas expressément renoncé à son immunité, de sorte que la requête devait pour le surplus être déclarée irrecevable en application de l'art. 60 CPC

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Au vu des montants réclamés, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 et 314 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. L'appelante se plaint d'une violation de l'art. 60 CPC, reprochant au Tribunal d'avoir retenu que l'intimée pouvait se prévaloir de l'immunité de juridiction.

2.1 L'ordre international repose sur le principe que tous les Etats sont souverains et juridiquement égaux. Il s'ensuit qu'en règle générale, aucun Etat ne peut être soumis à la juridiction des tribunaux d'un autre Etat, et que chaque Etat, s'il est néanmoins poursuivi devant les tribunaux d'un autre, peut invoquer l'immunité de juridiction.

Comme l'Etat étranger agit par l'intermédiaire de ses organes, qui ne possèdent pas eux-mêmes la personnalité juridique de droit international, le comportement de ces derniers est imputé à l'Etat lui-même, qu'il s'agisse d'un ministère, d'un département, d'un office, d'une représentation diplomatique ou encore d'autres entités dépendantes de l'Etat (ATF 130 III 136 consid. 2.1).

2.1.1 Selon les règles générales du droit international public telles que dégagées par la jurisprudence, l'immunité de juridiction d'un Etat étranger n'est reconnue qu'en rapport avec des actes de souveraineté, les actes accomplis jure imperii. En revanche, un Etat étranger ne peut pas se soustraire aux tribunaux du for pour ce qui concerne ses actes de gestion, accomplis jure gestionis. Les premiers s'inscrivent dans l'exercice de la puissance publique; les seconds s'inscrivent dans une activité économique privée et l'Etat étranger agit, par ses organes, au même titre qu'un particulier (ATF 130 III 136 consid. 2.1). Les uns se distinguent des autres non par leur but, parce qu'en dernière analyse, un intérêt étatique se trouve toujours en cause, mais par leur nature intrinsèque. Il importe ainsi de déterminer, en recourant si nécessaire à des critères extrinsèques, si l'acte à l'origine de la prétention élevée en justice relève de la puissance publique ou s'il a fait naître un rapport juridique qui pourrait, dans une forme identique ou similaire, exister aussi entre deux particuliers (ATF 124 III 382 consid. 4a; 134 III 570 consid. 2.2). Le juge doit aussi évaluer les intérêts en présence, c'est-à-dire celui de l'Etat étranger à bénéficier de l'immunité, celui de l'Etat du for à exercer sa souveraineté juridictionnelle et celui de la partie demanderesse à obtenir la protection judiciaire de ses droits (ATF 120 II 400 consid. 4a; 120 II 408 consid. 5a).

En d'autres termes, un État étranger peut se prévaloir de son immunité de juridiction lorsqu'il agit en vertu de sa souveraineté (jure imperii). En revanche, il peut être assigné devant les tribunaux suisses lorsqu'il agit comme titulaire d'un droit privé ou au même titre qu'un particulier (jure gestionis), à condition toutefois que le rapport de droit privé auquel il est partie soit rattaché de manière suffisante au territoire suisse (arrêt du Tribunal fédéral 4A_308/2022 du 20 septembre 2022 consid. 3.1.2).

2.1.2 Ces principes correspondent à ceux de la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (CNUIJE), signée par la Suisse le 19 septembre 2006 et ratifiée le 16 avril 2010. Bien que cette convention ne soit pas encore entrée en vigueur, faute de ratification par un nombre suffisant d'Etats, il convient néanmoins de s'en inspirer, en l'absence d'autre convention applicable, dès lors qu'elle codifie les principes généraux du droit international coutumier en matière d'immunité de juridiction, et constitue à ce titre une source de droit positif, y compris lorsque l'Etat d'envoi n'est pas signataire de la CNUIJE (arrêt du Tribunal fédéral 4A_331/2014 du 31 octobre 2014 consid. 3.2 et les références citées).

A teneur de l'art. 10 al. 1 CNUIJE relatif aux "transactions commerciales", si un État effectue, avec une personne physique ou morale étrangère, une transaction commerciale et si, en vertu des règles applicables de droit international privé, les contestations relatives à cette transaction commerciale relèvent de la juridiction d’un tribunal d’un autre État, l’État ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant ce tribunal dans une procédure découlant de ladite transaction.

2.2 En l'espèce, l'Etat intimé s'est engagé auprès d'une personne privée en signant un contrat de bail, en qualité de locataire, pour permettre à sa conseillère de disposer d'un logement à titre privé. Ce faisant, l'Etat intimé n'a exercé aucune tâche relevant de la puissance publique, mais a accompli un acte de gestion (jure gestionis) dans le cadre d'une opération typiquement contractuelle. Le contrat conclu, signé entre les parties sur un pied d'égalité, ne diffère en effet en rien de celui qu'aurait pu signer une personne privée. Cette relation contractuelle présente un lien suffisant avec la Suisse dès lors qu'elle a été conclue en Suisse et se rapporte à un bail d'un logement situé en Suisse. Elle crée, par ailleurs, un for international en Suisse, au lieu où la prestation caractéristique du contrat doit être exécutée (art. 113 LDIP), auquel l'Etat intimé ne peut se soustraire.

Il s'ensuit que l'Etat intimé ne peut se prévaloir de l'immunité de juridiction pour se soustraire aux tribunaux dans le cadre de la présente cause. Par conséquent, celui-ci n'avait pas à renoncer à son immunité, contrairement à ce qui a été retenu en première instance, pour que soit admise la compétence des tribunaux suisses.

La demande en paiement de l'appelante dirigée à l'encontre de l'Etat intimé s'avère dès lors recevable. Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.

3. Dans la mesure où le Tribunal ne s'est pas prononcé sur le fond de la demande, dont le bien-fondé des créances invoquées qui représente un élément essentiel de la demande, il se justifie de lui renvoyer la cause pour suite d'instruction si celui-ci l'estime opportun et nouvelle décision afin de garantir aux parties un double degré de juridiction (art. 318 al. 1 let. c ch. 2 CPC).

Le jugement attaqué sera dès lors annulé et la cause renvoyée au Tribunal pour suite d'instruction éventuelle et nouvelle décision.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 12 avril 2024 par A______ SA contre le jugement JTBL/349/2024 rendu le 21 mars 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/17150/2023.

Au fond :

Annule les chiffres 2 et 3 du dispositif de ce jugement.

Déclare la requête formée le 2 août 2023 par A______ SA contre la REPUBLIQUE DE B______ recevable.

Confirme le jugement entrepris pour le surplus.

Renvoie la cause au Tribunal pour suite d'instruction éventuelle et nouvelle décision.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions d'appel.

Siégeant :

Madame Sylvie DROIN, présidente; Madame Pauline ERARD, Monsieur
Laurent RIEBEN, juges; Madame Sibel UZUN, Monsieur Serge PATEK, juges assesseurs, Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile, aux conditions de l'art. 93 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.