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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/23163/2023

ACJC/777/2024 du 17.06.2024 sur JTBL/263/2024 ( SBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/23163/2023 ACJC/777/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 17 JUIN 2024

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______ [GE], appelant et recourant contre un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 26 février 2024, représenté par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6,

et

B______ AG, sise ______ [ZG], intimée, représentée par Me Emmanuelle GUIGUET-BERTHOUZOZ, avocate, rue du Général-Dufour 11, 1204 Genève.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/263/2024 du 26 février 2024, le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal), statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ et C______ à évacuer immédiatement de leur personne et de leurs biens, ainsi que de toute autre personne faisant ménage commun avec eux, l'appartement de 4 pièces situé au 3ème étage de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______ à Genève (ch. 1 du dispositif), autorisé B______ AG à requérir l'évacuation par la force publique des précités dès le 30ème jour suivant l'entrée en force du jugement (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

B. a. Par acte déposé le 25 mars 2024 à la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice (ci-après : la Cour), A______ (ci-après : le locataire) a formé appel, respectivement recours contre ce jugement, concluant principalement à son annulation et, cela fait, à l'irrecevabilité de la requête en évacuation du 7 novembre 2023. Subsidiairement, il a conclu à l'annulation du chiffre 2 du dispositif de ce jugement et, cela fait, à l'octroi d'un sursis humanitaire jusqu'au 31 juillet 2024.

b. Par arrêt du 3 avril 2024, la Cour a constaté que la requête du locataire tendant à suspendre le caractère exécutoire du jugement attaqué était dépourvue d'objet, l'appel ayant un effet suspensif automatique de par la loi.

c. Dans sa réponse du 4 avril 2024, B______ AG (ci-après : la bailleresse) a conclu au rejet de l'appel, respectivement du recours, et à la confirmation du jugement attaqué.

d. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives.

e. La cause a été gardée à juger le 17 mai 2024, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 27 août 2020, B______ AG, en tant que bailleresse, et A______ et C______, en tant que locataires, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 4 pièces situé au 3ème étage de l'immeuble sis chemin 1______ no. ______ à Genève.

Le loyer mensuel a été fixé en dernier lieu à 1'968 fr., charges comprises.

b. Par avis comminatoires du 8 mai 2023, la bailleresse a sommé les locataires de lui régler dans les 30 jours la somme de 1'850 fr., à titre d'arriéré de loyer pour le mois de mai 2023, et les a informés de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

c. Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été réglée dans le délai imparti, la bailleresse, par avis de résiliation du 6 juillet 2023, a résilié le bail pour le 31 août 2023 sur la base de l'art. 257d al. 2 CO.

d. Par requête formée devant le Tribunal le 7 novembre 2023, la bailleresse a requis l'évacuation des locataires, par la voie de la procédure en protection des cas clairs, ainsi que l'exécution immédiate du jugement d'évacuation.

e. Lors de l'audience du Tribunal du 26 février 2024, la bailleresse a persisté dans ses conclusions, exposant que le dernier versement effectué par les locataires l'avait été le 25 avril 2023 et que l'arriéré de loyer s'élevait désormais à 23'318 fr.

A______ a déclaré vivre séparé de son épouse, C______, qui n'occupait plus l'appartement loué. Une procédure de divorce était en cours. Il était le père d'une fille âgée de 12 ans qui vivait chez sa mère et sur laquelle il exerçait une garde partagée. Il avait connu des difficultés financières après avoir débuté une nouvelle activité dans le domaine de la restauration. Il avait été licencié pendant son temps d'essai et n'avait retrouvé du travail qu'à temps partiel. Il recherchait activement un emploi à 100% et avait entrepris les démarches utiles pour bénéficier des prestations de l'aide sociale. Il s'est opposé au prononcé de l'évacuation, invoquant le droit au logement garanti par l'art. 38 de la Constitution genevoise (Cst-GE), et a sollicité l'octroi d'un sursis humanitaire de cinq mois.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

f. Dans le jugement attaqué, le Tribunal a retenu que les conditions d'une résiliation du bail selon l'art. 257d al. 1 CO étaient manifestement réunies et que les locataires n'avaient pas rendu vraisemblable que l'une ou l'autre d'entre elles ferait défaut. La bailleresse était ainsi fondée à donner le congé, ce qu'elle avait fait en respectant les conditions de l'art. 257d al. 2 CO. En continuant d'occuper l'appartement, les locataires violaient leur obligation de restituer la chose louée (art. 267 al. 1 CO), de sorte que leur évacuation devait être prononcée. L'octroi d'un sursis humanitaire de cinq mois, tel que requis par A______, ne se justifiait pas, étant relevé que C______ avait déjà libéré l'appartement.

Au surplus, le locataire n'avait pas explicité en quoi le droit au logement garanti par l'art. 38 Cst-GE serait susceptible de faire obstacle à son expulsion. A cet égard, le Tribunal a rappelé, références jurisprudentielles à l'appui, que les rapports entre particuliers relevaient directement des seules lois civiles et pénales et que c'était donc par celles-ci que l'individu était protégé contre les atteintes que d'autres sujets de droit privé pourraient porter à ses droits constitutionnels. En conséquence, la norme constitutionnelle invoquée par le locataire ne permettait nullement de surseoir à son évacuation, le bail ayant pris fin conformément à l'art. 257d CO.


 

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Pour calculer la valeur litigieuse dans les actions en expulsion initiées selon la procédure de l'art. 257 CPC, il faut distinguer les cas où seule est litigieuse l'expulsion en tant que telle, de ceux où la résiliation l'est également à titre de question préjudicielle. S'il ne s'agit que de la question de l'expulsion, l'intérêt économique des parties réside dans la valeur que représente l'usage des locaux pendant la période de prolongation résultant de la procédure sommaire elle-même, laquelle est estimée à six mois. Si en revanche la résiliation des rapports de bail est également contestée, la valeur litigieuse est égale au loyer pour la période minimale pendant laquelle le contrat subsiste si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle une nouvelle résiliation peut être signifiée; comme il faut prendre en considération la période de protection de trois ans prévue à l'art. 271a al. 1 let. e CO, la valeur litigieuse correspondra en principe au montant du loyer brut (charges et frais accessoires compris) pendant trois ans (ATF
144 III 346 consid. 1.2.1 et 1.2.2.3 - JdT 2019 II 235 pp. 236 et 239; arrêt du Tribunal fédéral 4A_376/2021 du 7 janvier 2022 consid.1).

En l'espèce, le loyer mensuel de l'appartement étant de 1'968 fr., la valeur litigieuse de 10'000 fr. est atteinte en toute hypothèse. La voie de l'appel est donc ouverte contre le prononcé de l'évacuation.

1.2 Seule la voie du recours est ouverte contre la décision du Tribunal relative à l'exécution de l'évacuation (art. 309 let. a et 319 let. a CPC).

1.3 Lorsque la décision de première instance a été rendue en procédure sommaire (art. 314 CPC), applicable aux cas clairs (art. 248 let. b CPC), le délai pour faire appel ou recours est de dix jours (art. 311 al. 2 et 321 al. 2 CPC).

En l'espèce, l'appel a été interjeté en temps utile. La question de sa recevabilité se pose en revanche eu égard à sa motivation (cf. infra consid. 1.4).

Interjeté dans le délai prescrit et selon la forme requise par la loi, le recours est recevable (cf. infra consid. 2).

1.4
1.4.1
Selon l'art. 311 al. 1 CPC, il incombe à l'appelant de motiver son appel. Selon la jurisprudence, il doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

Même si l'instance d'appel applique le droit d'office (art. 57 CPC), le procès se présente différemment en seconde instance, vu la décision déjà rendue. L'appelant doit donc tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner à simplement reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement. Si la motivation de l'appel est identique aux moyens qui avaient déjà été présentés en première instance, avant la reddition de la décision attaquée, ou si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (ATF 147 III 176 consid. 4.2.1; parmi plusieurs : arrêt du Tribunal fédéral 4A_462/2022 du 6 mars 2023 consid. 5.1.1, publié in RSPC 2023 p. 268).

1.4.2 En l'espèce, l'appelant ne conteste pas le jugement attaqué en tant que celui-ci a retenu que la bailleresse avait résilié le contrat de bail en se conformant aux exigences posées par les art. 257d al. 1 et 2 CO. En particulier, il ne conteste pas qu'il était en retard dans le paiement du loyer lorsque l'avis comminatoire du 8 mai 2023 lui a été adressé, d'une part, et qu'il ne s'est pas acquitté de l'arriéré dans le délai fixé, d'autre part. Il ne prétend pas non plus qu'il disposerait encore d'un titre juridique l'autorisant à demeurer dans l'appartement loué.

Son unique grief consiste à reprocher au Tribunal d'avoir violé son droit au logement, tel que garanti par l'art. 38 Cst-GE, alors qu'il n'aurait "nulle part où aller" et que sa situation financière serait "toujours catastrophique". Ce faisant, l'appelant se borne à réitérer ses allégués de fait et son argumentation juridique de première instance, sans même tenter de démontrer en quoi la motivation des premiers juges serait erronée sur ce point. Une telle façon de procéder ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC.

En l'absence de toute critique des motifs fondant le prononcé de l'évacuation du locataire, l'appel est irrecevable.

2. Le recourant sollicite l'octroi d'un sursis humanitaire jusqu'au 31 juillet 2024.

2.1 L'exécution forcée d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire est réglée par le droit fédéral (cf. art. 335 et ss CPC).

En procédant à l'exécution forcée d'une décision judiciaire, l'autorité doit tenir compte du principe de la proportionnalité. Lorsque l'évacuation d'une habitation est en jeu, il s'agit d'éviter que des personnes concernées ne soient soudainement privées de tout abri. L'expulsion ne saurait être conduite sans ménagement, notamment si des motifs humanitaires exigent un sursis (ATF 117 Ia 336 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7).

L'art. 30 al. 4 LaCC concrétise le principe de la proportionnalité en prévoyant que le Tribunal peut, pour des motifs humanitaires, surseoir à l'exécution du jugement d'évacuation dans la mesure nécessaire pour permettre le relogement du locataire lorsqu'il est appelé à statuer sur l'exécution d'un jugement d'évacuation d'un logement, après audition des représentants du département chargé du logement et des représentants des services sociaux ainsi que des parties.

S'agissant des motifs de sursis, différents de cas en cas, ils doivent être dictés par des "raisons élémentaires d'humanité". Sont notamment des motifs de ce genre la maladie grave ou le décès de l'expulsé ou d'un membre de sa famille, le grand âge ou la situation modeste de l'expulsé. En revanche, la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis (parmi plusieurs : ACJC/269/2019 du 25 février 2019 consid. 3.1; ACJC/247/2017 du 6 mars 2017 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral du 20 septembre 1990, in Droit du bail 3/1991 p. 30 et les références citées).

Le juge ne peut pas différer longuement l'exécution forcée et, ainsi, au détriment de la partie obtenant gain de cause, éluder le droit qui a déterminé l'issue du procès. Le délai d'exécution ne doit notamment pas remplacer la prolongation d'un contrat de bail à loyer lorsque cette prolongation ne peut pas être légalement accordée à la partie condamnée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_232/2018 du 23 mai 2018 consid. 7; 4A_389/2017 du 26 septembre 2017 consid. 8).

2.2 En l'espèce, le Tribunal a fait une juste application des principes rappelés ci-avant en autorisant l'exécution de l'évacuation dans les 30 jours suivant l'entrée en force du jugement.

Outre le fait que le loyer n'a plus été payé régulièrement depuis le 25 avril 2023, soit depuis plus d'une année, il n'est pas contesté que le bail a été valablement résilié avec effet au 31 août 2023, soit il y a près de dix mois. Le locataire a donc déjà bénéficié, dans les faits, d'un sursis d'une durée qui s'apparente à une prolongation de bail à laquelle il ne pouvait pas prétendre légalement (cf. art. 272a al. 1 let. a CO). Par ailleurs, s'il évoque des difficultés à trouver un nouveau logement au vu de sa situation financière précaire, le recourant n'a pas allégué - ni a fortiori démontré - avoir entrepris des démarches concrètes et sérieuses en vue de se reloger. A cela s'ajoute que la pénurie de logements n'est pas un motif d'octroi d'un sursis.

Le recours, infondé, sera rejeté.

3. Il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens, s'agissant d'une cause soumise à la juridiction des baux et loyers (art. 22 al. 1 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :


A la forme :

Déclare irrecevable l'appel interjeté le 25 mars 2024 par A______ contre le jugement JTBL/263/2024 rendu le 26 février 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/23163/2023.

Déclare recevable le recours formé le 25 mars 2024 par A______ contre ce jugement.

Au fond :

Rejette le recours.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.