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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/17695/2016

ACJC/966/2019 du 01.07.2019 sur JTBL/439/2018 ( OBL ) , CONFIRME

Descripteurs : BAIL À LOYER ; TRANSFERT DE BAIL ; AUGMENTATION(EN GÉNÉRAL) ; COMPENSATION DU RENCHÉRISSEMENT ; RÉNOVATION D'IMMEUBLE ; PLUS-VALUE ; HYPOTHÈQUE; TAUX D'INTÉRÊT
Normes : CPC.243.al2.letc; OBLF.19.al1.leta.ch4; OBLF.13.al4; OBLF.14.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17695/2016 ACJC/966/2019

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 1ER JUILLET 2019

 

Entre

A______ SA, sise ______, Genève, appelante et intimée sur appel joint d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 22 mai 2018, comparant par Me Daniel KINZER, avocat, rue Bovy-Lysberg 2, case postale 5824, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______ et Madame C______, domiciliés ______, ______ (GE), intimés et appelants sur appel joint, représentés par l'ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en le bureaux de laquelle ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/439/2018 du 22 mai 2018 expédié pour notification aux parties le 30 mai 2018, le Tribunal des baux et loyers a notamment fixé à 27'180 fr., charges non comprises, dès le 1er septembre 2017, le loyer annuel de l'appartement de 7,5 pièces situés au 1er étage de l'immeuble ______ à ______ (GE) (ch. 1 du dispositif).

B. a. Par acte expédié le 2 juillet 2018 au greffe de la Cour, A______ SA (ci-après : la bailleresse) forme appel de ce jugement, concluant à son annulation et à la validation de la majoration de loyer du 10 juin 2016, fixant celui-ci à 39'156 fr. par an dès le 1er septembre 2017.

L'acte d'appel a été communiqué à B______ et C______ par pli du 18 juillet 2018.

b. Le 14 septembre 2018, B______ et C______
(ci-après : les locataires) ont déposé une réponse et un appel joint, concluant principalement à ce que le loyer soit fixé à 23'023 fr. par année, charges non comprises, dès le 1er septembre 2017 et, subsidiairement, à la confirmation du jugement querellé.

c. Le 22 octobre 2018, la A______ SA a déposé une réponse à l'appel joint, concluant à son irrecevabilité, subsidiairement à son rejet.

d. Les parties ont été avisées le 30 novembre 2018 de ce que la cause était gardée à juger, les intimés n'ayant pas fait usage de leur droit de réplique.

C. Les éléments pertinents suivants résultent de la procédure :

a. En date du 18 mai 1992, la A______ SA, en tant que bailleresse, et D______, en tant que locataire, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur des locaux de 7,5 pièces situés au 1er étage de l'immeuble ______ à ______ (GE), à destination d'un cabinet médical.

Conclu pour une durée initiale de 10 ans et 15 jours, du 15 août 1992 au 31 août 2002, renouvelable ensuite tacitement de 5 ans en 5 ans, le bail prévoyait un loyer annuel de 30'000 fr., réputé adapté à l'indice suisse des prix à la consommation (ci-après : ISPC) constaté au 31 août 1994 (décembre 1982 = 100). L'acompte pour chauffage, eau chaude et climatisation s'élevait à 2'640 fr. par an.

b. Par avenant daté du 1er février 2001, il a été convenu que le bail était transféré à D______ et B______, en tant que locataires, à compter du 1er février 2001, les autres clauses et conditions du contrat du 18 mai 1992 restant inchangées.

c. Dès le 1er juillet 2003, le loyer est passé à 32'448 fr. par an, charges non comprises.

d. Par avis de majoration daté du 30 octobre 2007, le loyer a été fixé à 33'516 fr. par an, charges non comprises, à partir du 1er janvier 2008, le motif invoqué étant l'adaptation du loyer au 100% de la variation de l'ISPC entre avril 2003 (103 points) et septembre 2007 (106.4 points).

e. D______ ayant cessé son activité, le bail a été transféré au nom de C______ et B______ par avenant du 17 juin 2013, étant précisé que le transfert prenait effet rétroactivement au 1er septembre 2012 et que toutes les autres clauses et conditions inhérentes au bail demeuraient inchangées.

f. Par avis de majoration de loyer du 10 août 2016, la bailleresse a déclaré porter le loyer annuel à 39'156 fr., charges non comprises dès le 1er septembre 2017. L'avis officiel était motivé comme suit : "compensation renchérissement de
106.4 pt au 30.09.2007 à 107.0 pt au 31.07.2016. Adaptation du loyer à la variation de l'ISPC (art. 269b CO). Hausse due aux travaux à plus-value faits dans l'immeuble (cf. lettre ci-jointe)"
.

g. Le courrier du 10 août 2016 de la bailleresse accompagnant l'avis de majoration de loyer a notamment le contenu suivant :

"Compte tenu des travaux de rénovation intervenus dans l'immeuble, qui apportent une plus-value à votre bien, et de la hausse de l'indice suisse des prix à la consommation, la bailleresse augmente le loyer net avec effet à la prochaine échéance, soit le 1er octobre 2016, à CHF 39'156 par an (CHF 3'263 par mois) au lieu de CHF 33'516 par an (CHF 2'793.- par mois).

Façades

Remplacement des fenêtres, isolation des caissons de stores

Remplacement des parapets préfabriqués des balcons

Traitement de la carbonatation

Rénovation dans l'immeuble

Isolation et remplacement des tuyauteries dans les gaines techniques

Mise en place d'un système de récupération de chaleur de l'air vicié

Portes palières

Remplacement des portes palières avec la nouvelle fermeture de sécurité à
3-points.

Vous trouverez, ci-joint, l'avis de majoration sur la formule officielle.

 

Dans le détail, la hausse se justifie comme suit :

Depuis le 30 septembre 2007, date de la dernière fixation du loyer, l'ISPC est passé de 106,4 à 107,0, ce qui représente une augmentation de 0,56%. Aux termes de l'OBLF, le 40% de cette hausse (soit 0,225%) peut être répercuté sur le loyer. Il en résulte une hausse de CHF 192 par an (CHF 16 par mois).

Par ailleurs, la répartition des coûts totaux de rénovation des appartements existants donne un coût de CHF 182'759 attribuable aux locaux que vous occupez.

Le 50% de cette somme représente la plus-value apportée, qui est donc de CHF 91'380.

Ces travaux s'amortissent sur 30 ans. Il en résulte que le 3.333% de la plus-value peut être répercutée sur les loyers.

Le bailleur a également le droit de renter son investissement à 0,5% au-dessus du taux de référence, qui est de 1,75%. Le taux de 2.25% qui en résulte doit toutefois être divisé par deux, pour tenir compte de l'amortissement linéaire évoqué au paragraphe précédent, qui a pour effet de réduire continûment le capital qui est renté. Ainsi, un montant supplémentaire de 1,125% peut être répercuté sur les loyers.

Enfin, la plus-value apportée doit être entretenue, et la pratique retient un taux de 1,5% à cet égard.

En tout, la rénovation justifie ainsi une augmentation des loyers annuels à raison de CHF 91'380 x (3,333% + 1,125% + 1,5%) = CHF 5'448 par année, soit de CHF 454 par mois.

La hausse totale est de CHF 192 + CHF 5446 = CHF 5'638 par an, arrondi à CHF 5'640 par an, le multiple de 12 le plus proche (CHF 16 + CHF 454 = CHF 470 par mois)".

h. L'avis de majoration de loyer du 10 août 2016 a été contesté en temps utile devant la juridiction des baux et loyers.

i. Faute de conciliation, la bailleresse a saisi le Tribunal d'une demande du 1er février 2017, concluant à la validation de la hausse. Elle a produit un tableau intitulé "TGR_Rénovation de la façade de l'immeuble à ______, ______ (GE)", daté du 19 août 2016.

 

 

Ce tableau inclut notamment les postes suivants :

"Pos. Coûts Travaux CHF

(...)

- 221.1 Fenêtres en bois-métal 2'467'676.55

- 224 Isolation du vide-d'air entre murs

extérieurs existants 114'064.30

- 224.1 Isolation toiture et faux-plafond

du rez-de-chaussée 88'118.80

(...)

- 230 Installations électriques 114'049.35

- 242.1 Récupération chaleur sur air

évacué (PAC) 183'013.60

(...)

- 250 Installations sanitaires 893'617.45

- 255 Isolation des installations sanitaires 71'436.33

(...)

- 273 Serrurerie, menuiseries intérieures 134'483.10

(...)

- 285 Peintures 273'567.06

(...)

Total 7'832'663.84

Total coûts pris en compte

pour le calcul des hausses : CHF 7'597'578.00".

A partir de ce dernier montant (7'597'578 fr.), la bailleresse a indiqué tenir compte d'une part à plus-value de 50%, soit 3'798'789 fr., d'une durée moyenne d'amortissement de 30 ans, et d'un taux hypothécaire à prendre en considération pour la rémunération du capital investi de 1,75%.

Sur cette base, la hausse théorique engendrée par les travaux de rénovation se montait, selon la bailleresse, à 778 fr. la pièce par an, soit 17,41% du loyer convenu à partir du 1er janvier 2008. Considérant que la dernière fixation du loyer remontait à huit ans, la propriétaire y ajoutait une hausse de 0,5% par an due à l'augmentation des coûts d'entretien, le tout étant partiellement compensé par la baisse du taux d'intérêt hypothécaire.

j. Dans leur réponse et demande reconventionnelle en baisse de loyer du 24 mai 2017, les locataires ont conclu au rejet de la demande en validation de hausse de loyer et à la fixation du loyer à 1'201 fr. par mois, charges non comprises, à partir du 1er septembre 2017.

S'agissant des conséquences sur le loyer de l'évolution du taux d'intérêt hypothécaire, ils ont soutenu que la date de référence à prendre en considération devait être le début du bail conclu initialement avec D______, soit en août 1992.

k. Par mémoire du 21 août 2017, la bailleresse a conclu au rejet de la demande reconventionnelle.

l. A l'audience du 29 septembre 2017 du Tribunal, les locataires ont soutenu que le calcul de la plus-value devait se faire, selon eux, uniquement sur trois postes du tableau du 19 août 2016 susmentionné (à savoir les postes 221.1, 224 et 224.1), tous les autres postes relevant de l'entretien de l'immeuble.

Les parties se sont accordées sur le fait que, pour ces trois postes, la durée d'amortissement était de 30 ans.

Le Tribunal a fixé à la bailleresse un délai au 10 novembre 2017 pour produire des pièces récapitulatives des travaux réalisés, munies de la signature de l'architecte ou de sa fiduciaire.

m. Par courrier du 10 novembre 2017, la bailleresse a produit un tableau financier signé par l'architecte chargé des travaux présentant le détail des coûts effectifs.

n. A son audience du 19 janvier 2018, le Tribunal a entendu E______, architecte qui avait été chargé de superviser les travaux de rénovation de l'immeuble. Ce témoin a notamment déclaré que l'immeuble avait été construit sauf erreur en 1967. Concernant le poste n° 221.1, consacré aux fenêtres, il a précisé que, sur l'ensemble du bâtiment, une dizaine de fenêtres avaient déjà été modernisées, avant le chantier de rénovation entrepris en 2016. Les autres fenêtres étaient d'origine et avaient été remplacées.

En relation avec le poste n° 250 (installations sanitaires), le témoin a déclaré que toutes les colonnes de chute avaient été changées, et que tous les sanitaires de l'immeuble avaient fait l'objet d'interventions, sans que celles-ci soient forcément les mêmes dans chaque appartement ou local commercial.

Dans tous les appartements, les WC visiteurs avaient été équipés d'eau chaude, et un certain nombre de salles de bains avaient été refaites.

Au sujet du poste n° 230 (installations électriques), le témoin a exposé avoir procédé principalement à la mise en conformité de l'éclairage de l'immeuble, notamment dans les cages d'escaliers, ainsi qu'à la pose de miroirs et de luminaires dans les WC visiteurs. Toutes les installations électriques existantes avaient été modernisées.

Des travaux avaient également été effectués dans le parking souterrain qui connaissait de gros problèmes d'infiltrations.

Le coût final réel des travaux s'était élevé à 9'710'081 fr., selon le témoin.

Ce témoin a également fourni des informations par courrier du 5 mars 2018, sur questions écrites transmises par les locataires. A cette occasion, il a précisé que sur 291 fenêtres au total dans l'immeuble, 10 avaient été changées auparavant.

o. Dans son jugement du 22 mai 2018, le Tribunal a retenu qu'une partie des travaux entrepris par la bailleresse constituait des travaux à plus-value, incluant notamment la modernisation des installations électriques, la pose de miroirs et de luminaires, la mise en place d'un système de récupération de la chaleur, l'ajout de l'eau chaude dans les WC visiteurs et le remplacement des portes palières avec une nouvelle fermeture de sécurité à 3-points. Appliquant la présomption de l'art. 14 al. 1 in fine OBLF, les juges ont admis que 50% du montant total des travaux pris en compte par la bailleresse dans son calcul des hausses, soit 7'597'578 fr., constituait la part de travaux à plus-value. Compte tenu d'une durée d'amortissement moyenne fixée à 30 ans, et d'un taux de rendement de 2,25%, les travaux réalisés permettaient une hausse de 17,40%, soit 778 fr. par an et par pièce. Les juges n'ont accordé aucune majoration en lien avec l'évolution de l'indice des prix, ni avec une éventuelle augmentation des coûts d'entretien de l'immeuble.

Concernant la demande reconventionnelle de baisse de loyer, le Tribunal a considéré que la dernière fixation du loyer déterminante correspondait au début du bail, en 1992. Au vu de la baisse du taux d'intérêt hypothécaire de référence intervenue jusqu'en mai 2017, une baisse de 36,31% devait être accordée au locataire de ce chef. En compensant les facteurs de hausse et de baisse, le loyer litigieux était fixé à 27'180 fr. par année, en montant arrondi, correspondant à une diminution de 18,91%.

 

 

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance, lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

Lorsque le litige porte sur le montant du loyer, la valeur litigieuse est égale au loyer annuel qui reste contesté, multiplié par vingt si le bail est à durée indéterminée (art. 92 al. 2 CPC).

En l'espèce, dans leurs dernières conclusions de première instance, l'appelante a conclu à un loyer majoré à 39'156 fr. par an, et les intimés à une réduction de celui-ci à 14'412 fr. (1'201 fr. x 12). La différence, soit 24'744 fr. par an, dépasse la limite de l'art. 308 al. 2 CPC. La voie de l'appel est ainsi ouverte.

Remis à un office de la poste le lundi 2 juillet 2018, soit le premier jour ouvrable suivant l'échéance du délai légal, l'appel a été déposé en temps utile (art. 142 et 311 al. 1 CPC). Il est également recevable pour respecter la forme prescrite par la loi (art. 130 et 131 CPC).

1.2 L'appel joint, formé suivant la forme prescrite par la loi dans la réponse, est également recevable, compte tenu de la suspension des délais pendant les féries d'été, soit du 15 juillet au 15 août (art. 145 al. 1 let. b, 311 al. 1 et 313 al. 1 CPC).

Dans ses écritures de réponse à l'appel joint, l'appelante soutient que ledit appel joint serait irrecevable faute d'une motivation suffisamment précise. Selon elle, les intimés se seraient contentés de faire un "copié-collé" d'une partie de leurs écritures finales de première instance.

Que la cause soit soumise à la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC) ou, comme en matière de litiges portant sur des baux à loyer, à la procédure simplifiée (art. 243 al. 2 let. c CPC), il incombe au recourant de motiver son appel (art. 311 al. 1 CPC), c'est-à-dire de démontrer le caractère erroné de la motivation attaquée. Pour satisfaire à cette exigence, il ne lui suffit cependant pas de renvoyer aux moyens soulevés en première instance, ni de se livrer à des critiques toutes générales de la décision attaquée. Sa motivation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre aisément, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision que le recourant attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

En l'occurrence, même si les intimés reprennent partiellement certains passages de leurs écritures de première instance, il est aisément compréhensible qu'ils critiquent l'application de l'art. 14 OBLF faite par le Tribunal, en relevant notamment que, selon eux, certains postes des travaux auraient dû être isolés pour ne retenir que ceux-là comme travaux à plus-value. En toutes hypothèses, la motivation est suffisante au regard des exigences découlant de l'art. 311 al. 1 CPC, de sorte que l'appel joint est recevable également sous cet angle.

1.3 S'agissant d'une procédure relative à la protection contre les loyers abusifs (art. 269, 269a et 270 CO), la cause est soumise à la procédure simplifiée en vertu de l'art. 243 al. 2 let. c CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_1/2014 du 26 mars 2014 consid. 2.3) et la maxime inquisitoire sociale est applicable (art. 247 al. 2 let. a CPC).

Saisie d'un appel, la Cour de justice revoit la cause avec un pouvoir d'examen complet, c'est-à-dire tant en fait qu'en droit (art. 310 CPC).

1.4 Par souci de simplification et pour respecter le rôle initial des parties devant la Cour, dans le présent arrêt la bailleresse sera désignée comme l'appelante et les locataires comme les intimés.

2. L'appelante se plaint de ce que le Tribunal n'a pas tenu compte de l'augmentation des charges d'entretien depuis la dernière fixation du loyer. Elle soutient en bref que lesdits frais ont connu une augmentation en raison de la répartition de la part d'entretien sur les 30 ans que dure l'amortissement de la part à plus-value. Subsidiairement, une hausse de loyer se justifierait en raison d'une hausse forfaitaire des coûts d'entretien évaluée à 0,5% par année, ce qui lui donnerait droit à une majoration de 4% du loyer puisque la dernière fixation de celui-ci remonte à 8 ans.

2.1 L'avis de majoration de loyer doit contenir les motifs précis de la hausse (art. 19 al. 1 let.a ch. 4 OBLF). Les motifs doivent être donnés de manière claire et précise pour que le locataire puisse se faire une idée suffisante des prétentions du bailleur, afin de décider s'il entend ou non contester la hausse. Selon les circonstances, la seule référence aux articles de la loi ou l'utilisation d'une motivation "passe-partout" préimprimée peut être insuffisante. Lorsque la hausse de loyer repose sur plusieurs motifs, le bailleur doit indiquer les montants de la hausse correspondant à chacun d'eux (art. 19 al. 1 let. a ch. 4 in fine OBLF).

Les motifs mentionnés dans l'avis de majoration ou dans la lettre d'accompagnement constituent la manifestation de volonté du bailleur, telle qu'elle peut être comprise de bonne foi par le locataire. Il s'ensuit que le bailleur ne peut pas invoquer d'autres motifs de hausse lors de la procédure de contestation. Tout au plus peut-il corriger des erreurs factuelles de plume ou de calcul en demeurant dans le cadre de la motivation (LACHAT, Le bail à loyer, éd. 2019, pp. 505 et 506).

2.2 En l'espèce, l'avis de majoration contesté contient uniquement deux facteurs de hausse de loyer, à savoir d'une part la compensation du renchérissement et d'autre part les travaux à plus-value réalisés dans l'immeuble. La hausse des charges d'entretien, visée à l'art. 269a let. b CO, n'étant pas mentionnée dans l'avis officiel de majoration ni dans la lettre d'accompagnement, l'appelante ne saurait s'en prévaloir après coup, dans la procédure consécutive à la contestation du loyer.

C'est dès lors à juste titre que le Tribunal n'a pas tenu compte de ce critère de fixation du loyer.

3. L'appelante fait ensuite grief au Tribunal d'avoir tenu compte, comme critère de baisse du loyer, de la variation du taux d'intérêt hypothécaire, dans la mesure où les parties sont liées par un bail indexé. Selon elle, le taux d'intérêt hypothécaire ne devrait en aucun cas influer sur le loyer d'un bail indexé. Même dans l'hypothèse où l'évolution du taux hypothécaire pourrait influer sur la fixation du loyer, l'appelante soutient que la date de référence n'aurait pas dû être celle du début du bail, soit en 1992, mais celle de la prise d'effet du dernier transfert de bail, intervenue le 1er septembre 2012. Elle estime qu'à cette date, les parties ont arrêté d'un commun accord le loyer à 33'516 fr. par an, ce qui empêcherait de tenir compte d'un taux hypothécaire antérieur. D'une manière générale, les premiers juges ne pouvaient pas fixer le loyer à un montant inférieur à celui fixé par le bail initial conclu en mai 1992, puisque les locataires actuels n'étaient pas titulaires du bail à cette époque.

3.1 Dans un arrêt du 6 janvier 2011, rendu dans la cause 4A_489/2010, dont l'état de fait présente quelques similitudes avec la présente cause, et par ailleurs cité dans le jugement attaqué, le Tribunal fédéral a rappelé que, généralement, lorsqu'un bail à loyer indexé a été prolongé tacitement, la date de référence pour apprécier le bien-fondé d'une modification du loyer est en principe celle du dernier renouvellement du bail. En effet, à ce moment-là, les parties ont la possibilité de requérir une augmentation ou une diminution de loyer; si une telle faculté n'est pas exercée, chaque partie peut se prévaloir de l'inaction de l'autre (consid. 4.2).

Toutefois, l'art. 13 al. 4 OBLF prescrit au juge de voir si et dans quelle mesure les variations antérieures du taux hypothécaire ont entrainé une modification du loyer. S'agissant d'une brèche pratiquée dans la méthode relative, le juge ne s'arrête pas à la dernière modification du loyer consécutive à une variation du taux hypothécaire. Le Tribunal fédéral a considéré à cet égard que cette disposition spéciale, qui étend le champ d'application temporel de la méthode relative pour le seul facteur du taux hypothécaire (cf. ATF 119 II 32 consid. 3 c/bb p. 34), prime le principe énoncé à titre général par la jurisprudence consistant à se référer, pour le calcul du loyer fondé sur la méthode relative, à la date de la dernière reconduction du bail à loyer indexé. Dans le cas d'un bail à loyer indexé, dont le loyer initial n'a jamais été adapté à l'évolution du taux hypothécaire, les juges fédéraux ont retenu que la date de la dernière fixation de loyer déterminante devait être celle de la fixation du loyer initial et non celle d'un renouvellement subséquent du bail (arrêt précité 4A_489/2010 consid. 4.3).

Par ailleurs, le transfert du bail est un contrat tripartite par lequel un nouveau locataire acquiert les droits et obligations d'un locataire sortant, moyennant l'accord du bailleur. Si le bailleur donne son consentement, le tiers est subrogé au locataire (art. 263 al. 3 CO). Dès lors, le bénéficiaire du transfert prend la place du transférant dans le contrat, au jour où le bailleur donne son consentement. On assiste de la sorte à un changement de locataire, le bénéficiaire du transfert acquérant tous les droits et obligations du transférant, nés avant le transfert. Il n'y a ainsi pas conclusion d'un nouveau droit de bail entre le locataire reprenant et le bailleur, sauf accord contraire des parties (cf. notamment BOHNET/CARRON/MONTINI, Droit du bail à loyer et à ferme, 2017 n. 68 ad art. 263 CO).

3.2 Les premiers juges ont retenu à juste titre que les parties ont conclu le 17 juin 2013 un avenant relatif au transfert du bail, avec prise d'effet rétroactive au 1er septembre 2012. Dans la mesure où cet avenant précise que toutes les autres clauses et conditions du bail initial demeuraient inchangées, logiquement les parties à la présente procédure sont liées par le contrat de bail initial conclu le 18 mai 1992.

S'agissant de la répercussion du taux d'intérêt hypothécaire de référence, le loyer initial de 1992 n'a jamais été adapté à ce critère. L'appelante ne le conteste pas. Il en découle que, comme l'a retenu le Tribunal et conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, la date déterminante pour réaliser le calcul de la répercussion du taux hypothécaire est celle de la fixation du loyer initial en 1992.

Le taux hypothécaire se situant en 1992 à 7% et à 1,75% en mai 2017, une baisse de loyer de 36.31% est à retenir sur ce critère.

Le grief de l'appelante est dès lors mal fondé.

4. Avec leur appel joint, les intimés se plaignent d'une mauvaise application de l'art. 14 al. 1 OBLF. Ils soutiennent en bref que les premiers juges n'auraient pas dû faire application de la clause selon laquelle, en règle générale, les frais causés par d'importantes réparations sont considérés, à raison de 50% à 70%, comme des investissements créant des plus-values. D'après eux, en l'espèce il serait aisé de distinguer les travaux relevant de l'entretien de ceux apportant des plus-values, seuls ces derniers pouvant justifier une majoration de loyer. En particulier, le remplacement des fenêtres d'origine et la pose de fenêtres à double-vitrages seraient à qualifier de simples travaux d'entretien, au vu d'une directive administrative concernant l'art. 56A RCI. Ils présentent un calcul fondé sur un coût des travaux s'élevant à 2'669'859 fr. dont 50% pourraient être à plus-value. Il en découlerait une hausse possible de 5% compensée par une diminution de loyer de 36,31% justifiée par l'évolution du taux hypothécaire de référence depuis août 1992.

4.1 Il ressort du dossier de première instance que plusieurs postes non négligeables des travaux entrepris dans l'immeuble sont à qualifier de travaux à plus-value. Il en est notamment ainsi du remplacement des fenêtres (221.1), de l'isolation du vide-d'air entre murs extérieurs existants (224) et de l'isolation de la toiture et des faux-plafonds du rez-de-chaussée (224.1). Le Tribunal a également retenu que la modernisation des installations électriques, la pose de miroirs et de luminaires, la mise en place d'un système de récupération de la chaleur, l'ajout de l'eau chaude dans les WC visiteurs et le remplacement des portes palières par une installation pourvue d'une nouvelle fermeture de sécurité à trois points comportaient manifestement une part de plus-value, dans la mesure où presque tous les locaux et appartements de l'immeuble en avaient bénéficié. Dans leurs écritures d'appel, les intimés ne démontrent pas en quoi l'appréciation susmentionnée serait erronée. A l'examen de l'ensemble des postes de travaux réalisés, ceux mentionnés dans le jugement attaqué comme étant à plus-value n'apparaissent pas, dans leur globalité, comme des points secondaires ou de détail.

C'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont fait application de l'art. 14 al. 1 OBLF, compte tenu de la variété des travaux réalisés par l'appelante, pour retenir une part de plus-value estimée à 50%. Le calcul effectué dans le jugement attaqué n'est, pour le surplus, pas contesté par les intimés, de sorte que le loyer arrêté par le Tribunal sera confirmé sous cet angle également.

5. Le jugement entrepris sera partant intégralement confirmé.

6. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 2 juillet 2018 par A______ SA et l'appel joint interjeté le 14 septembre 2018 par B______ et C______ contre le jugement JTBL/439/2018 rendu le 22 mai 2018 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/17695/2016-2-OSL.

Au fond :

Confirme le jugement.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Alain MAUNOIR et Monsieur Grégoire CHAMBAZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.