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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3217/2024

ATAS/881/2025 du 18.11.2025 ( AVS ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3217/2024 ATAS/881/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 18 novembre 2025

Chambre 10

 

En la cause

 

A______

recourant

 

contre

 

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. La société B______ Sàrl, sise au chemin C______, D______(ci-après : la société), inscrite au registre du commerce le 13 avril 2017, a pour but la participation à des entreprises industrielles, de services commerciales, immobilières et financières, en Suisse et à l'étranger, notamment dans les domaines de l'immobilier, du commerce, du négoce, de l'alimentation, de la nutrition, de la santé, du bien-être et des industries connexes. Son capital social est de CHF 20'000.-.

b. A______ (ci-après : l’intéressé), originaire du Cameroun, domicilié en France, détenteur de treize part de CHF 1'000.-, en est associé gérant président avec signature individuelle. E______ est associée gérante avec signature individuelle et F______ associé gérant avec signature collective à deux.

c. Par décision du 23 juin 2022, la Cour de justice civile a annulé le jugement déclaratif de faillite rendu le 13 juin 2022, de sorte que la dissolution de la société a été révoquée.

d. La société a été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du Tribunal de première instance du 30 mars 2023, avec effet à partir du jour-même. La procédure de faillite a été suspendue faute d'actifs par jugement du Tribunal de première instance du 9 novembre 2023.

B. a. Par décision du 18 juin 2024, la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse) a réclamé à l’intéressé le paiement de CHF 46'223.90 à titre de réparation de dommage.

Selon le décompte joint, le total réclamé correspondait aux cotisations
« AVS – AC – AF – Amat », encore dues pour les années 2020, 2021 et 2022, frais administratifs, de sommation, de poursuites et intérêts moratoires inclus.

b. En date du 8 juillet 2024, l’intéressé a formé opposition à l'encontre de cette décision, expliquant que la faillite avait été causée en raison de la situation Covid et non par un souci de gestion. Il y avait un défaut d’actifs, ce qui démontrait la précarité de la situation dans laquelle se trouvait la société, qui avait obtenu un accord avec le département compétent pour la réduction du temps de travail, accord qui n’avait cependant pas été respecté. 

c. Par décision sur opposition du 27 août 2024, la caisse a rejeté l'opposition de l’intéressé et maintenu sa décision du 18 juin 2024. Elle a retenu que la qualité de gérant revêtue par l’intéressé faisait incontestablement de lui un organe de la société, susceptible d'endosser la responsabilité du dommage encouru par elle. En sa qualité d'organe, il lui incombait, pendant la période durant laquelle il était gérant, dont les années 2020 à 2024, de veiller personnellement au paiement des cotisations et contributions paritaires courantes et arriérées, en mettant en œuvre toutes mesures ou vérifications utiles afin que la société soit à même de remplir ses obligations d'employeur. Or, l'opposant ne s'était pas acquitté des charges sociales et ne s'était pas non plus assuré que celles‑ci soient effectivement payées par les autres responsables de la société. Sa négligence devait être qualifiée de grave, dès lors qu'il était inscrit au registre du commerce en tant que gérant pendant la période déterminante. Son comportement relevait ainsi d'une violation des obligations de diligence et de surveillance imposées par le rôle de gérant. Par ailleurs, il n'y avait pas de motif objectif susceptible de justifier le défaut de paiement des cotisations, qui l'exonérait du règlement du dommage qu'elle avait subi. Il n'existait notamment pas de lien de connexité direct entre la situation Covid et le dommage causé, pouvant justifier une éventuelle exonération de l'obligation de réparer. La responsabilité de l'assuré était partant engagée, et cela pour la totalité du dommage réclamé par la décision du 18 juin 2024.

C. a. Par acte du 1er octobre 2024, l'assuré a interjeté recours contre la décision précitée par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice. Il a conclu à l'annulation de la décision litigieuse prise à l'encontre de la société et de ses dirigeants respectivement les 18 juin et 26 août 2024, et à ce qu'il soit dit qu'il n'y avait pas eu de négligence dans la gestion en raison du caractère imprévisible et des contraintes créées par la crise Covid. En substance, le recourant a relevé que le secteur de la restauration avait été fortement impacté par les mesures prises durant la pandémie, avec notamment la fermeture répétée des établissements, puis l'inflation qui frappait « toutes les bourses » et le télétravail qui avait « fait de gros dégâts » et interrogeait sur « la suite des services de midi ». La situation résultant du Covid dépassait même la notion de cas de force majeure et ne pouvait être prévue. Compte tenu des fermetures à répétition et des activités réduites, la société avait été contrainte de recourir au chômage partiel pour conserver les emplois, mais cette mesure lui avait été abusivement supprimée. Étant fermée, elle ne pouvait pas payer des cotisations. À peine son activité reprise, l'accompagnement de la réduction du temps de travail qui lui avait été accordé jusqu'au mois
d'août 2022 avait été abusivement suspendu au mois d'avril 2022, sans aucune forme de notification ou de décision. Cette situation l'avait laissée en responsabilité avec des salariés qu'elle était obligée de payer et avait entrainé sa faillite. Elle avait donc été empêchée de travailler, privée de son outil de production, puis contrainte à conserver l'emploi en recevant 80% de salaire qu'elle devait compléter sans paiement de charges. Elle avait été dans l'incapacité d'exercer son activité normalement à cause de la pandémie et ne pouvait raisonnablement pas, dans ces conditions, payer ses cotisations paritaires, puisqu'elle ne générait aucune activité. Elle a rappelé qu'elle avait des loyers et des charges à payer, des familles à nourrir. La décision litigieuse consistait en une troisième peine.

b. Dans sa réponse du 14 novembre 2024, l'intimée a relevé que le recourant n'avait fourni aucune pièce pouvant confirmer ses dires sur la situation financière réelle de la société pendant la durée de son mandat. Elle avait tenté de réunir des informations complémentaires relatives aux éventuelles indemnités en cas de réduction de l'horaire de travail (ci-après : RHT) reçues par la société pendant la période courant de mars 2020 à mars 2022. Elle n'avait toutefois pas encore obtenu lesdites informations et n'était donc pas en mesure de se déterminer définitivement sur l'éventuelle responsabilité du recourant. Pour ce faire, elle souhaitait connaître le montant global des indemnités RHT reçues par la société et comment ce montant avait été précisément utilisé. Elle a donc prié la chambre de céans de demander au recourant de produire l'ensemble des documents concernant les indemnités RHT reçues, à savoir les formulaires de demande, les réponses des caisses de chômage et les décomptes fixés, les livres comptables, ainsi que les extraits de comptes bancaires de la société relatifs aux mouvements bancaires concernant le paiement des montants des salaires durant la période de la réception des RHT.

c. Par courrier du 20 novembre 2024, la chambre de céans a communiqué au recourant, à l'adresse de domicile de la société, l'écriture de l'intimée du
14 novembre 2024 et lui a accordé un délai au 11 décembre 2024 pour transmettre l'ensemble des documents concernant les indemnités RHT reçues.

d. Le 8 janvier 2025, la chambre de céans a rappelé au recourant que sa lettre du 20 novembre 2024 était demeurée sans réponse de sa part et l'a prié d'y donner la suite qu'il convenait d'ici au 29 janvier 2025.

e. Le 27 janvier 2025, la chambre de céans a reçu un courrier non daté du recourant, indiquant qu'il n'avait jamais reçu la lettre du 20 novembre 2024.

f. Par pli du 29 janvier 2025, la chambre de céans lui a envoyé copies de l'écriture de l'intimée du 14 novembre 2024 et de son courrier du 20 novembre 2024, lui accordant un délai au 10 février 2025 pour transmettre les documents concernant les indemnités RHT reçues.

g. Dans un courrier du 29 janvier 2025, l’intimée a informé la chambre de céans que la décision litigieuse, adressée par pli recommandé, avait été retirée par le recourant le 3 septembre 2024.

h. Par courriers des 19 février et 3 mars 2025, la chambre de céans a adressé des rappels au recourant, l'invitant à produire les pièces requises d'ici au
28 février, respectivement 24 mars 2025.

i. Sans nouvelles du recourant, la chambre de céans a demandé à l’intimée de lui transmettre son dossier.

j. Par écriture du 30 juin 2025, l’intimée a conclu au rejet du recours. Elle a rappelé que le recourant ne s’était pas acquitté des charges sociales pendant la période durant laquelle il avait géré la société, ni ne s’était assuré que celles-ci soient effectivement payées. Le non-paiement des cotisations sociales correspondait à la période de gestion de la société par le recourant, lequel était indubitablement responsable du dommage causé. Aucun des facteurs d’exculpation, lesquels n’étaient au demeurant admis qu’à titre exceptionnel, n’était réalisé, puisque l’intéressé n’avait pas fait usage de ses droits de contrôle. Il n’avait apporté aucun élément concret pouvant attester des véritables impacts du Covid-19 sur l’activité déployée permettant de démonter une connexion caractérisée pouvant exclure la causalité adéquate qui fondait la responsabilité. Elle a notamment relevé que la société avait été affiliée auprès d’elle à partir du 1er janvier 2020 seulement et elle avait laissé d’importantes dettes de cotisations paritaires auprès de la précédente caisse professionnelle, ce qui démontrait que le recourant n’avait pas non plus veillé à ce que les cotisations soient intégralement versées en l’absence de toute crise ou empêchement majeur. Enfin, l’employeur avait fait des demandes d’APG-Covid et la société avait reçu des indemnités à ce titre, mais il semblait qu’aucune partie de ces montants n’avait été utilisée pour payer les cotisations paritaires usuelles. Partant, le dossier ne contenait aucun élément pouvant constituer un argument permettant l’exculpation du recourant, dont la responsabilité avait été engagée en tant que gérant.

Elle a produit son dossier, comportant notamment les déclarations des salaires pour les années 2020 à 2022, des factures de cotisations paritaires pour les années 2020 à 2022, ainsi que des actes de défaut de biens des 2 août 2021 et
17 juin 2024 suite aux poursuites intentées par l’intimée, et une décision sur opposition adressée à F______ le 22 août 2024, similaire à la décision litigieuse.

k. Copie de cette écriture a été transmise au recourant le 3 juillet 2025, avec un délai au 18 juillet 2025 pour faire part de ses observations et transmettre toutes les pièces déjà requises.

l. Par courrier du 10 septembre 2025, sur demande de la chambre de céans, l’intimée lui a précisé qu’elle avait également notifié à F______ et à E______, le 18 juin 2024, des décisions en réparation du dommage pour un montant de CHF 46'223.90, lesquelles avaient été confirmées sur opposition le 22, respectivement le 26 août 2024.

m. Le 15 septembre 2025, la chambre de céans a appelé en cause F______ et E______, lesquels ne se sont pas manifestés.

n. Par courrier du 9 octobre 2025, le recourant a demandé à la chambre de céans la « restitution de délai et opposition au jugement par défaut », relevant qu’il n’avait pas pu répondre à la correspondance du tribunal ni défendre ses intérêts dans la procédure car les notifications avaient été adressées à l’ancienne adresse du siège social de la société, dont le contrat de bail avait été résilié. Il a mentionné une première adresse aux États-Unis d’Amérique et une seconde « c/o » dans un restaurant sis à Genève (ci-après : le restaurant).

o. Le greffe de la chambre de céans a téléphoné au restaurant le 10 octobre 2025 et appris que l’établissement était fermé dans l’attente d’un changement de gérance, mais que la boîte aux lettres était active et relevée tous les jours.

p. Par pli recommandé du 17 octobre 2025, la chambre de céans a transmis au recourant les principales écritures qu’elle lui avait précédemment adressées et lui a accordé un délai au 31 octobre 2025 pour faire valoir des observations et consulter le dossier. Elle lui a rappelé que toute la correspondance avait été envoyée à l’adresse indiquée dans son acte de recours, la seule qui lui avait été indiquée jusqu’au 9 octobre 2025. Elle lui a précisé qu’elle n’avait pas encore statué sur son recours et que les appelés en cause ne s’étaient pas déterminés.

q. Cet envoi n’ayant pas été réclamé, la chambre de céans l’a posté une seconde fois par pli simple.

r. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à
l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur
l'assurance-vieillesse et survivants du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 31.10).

Sa compétence ratione materiae pour juger du cas d’espèce est ainsi établie

1.2 Selon l’art. 52 al. 5 LAVS, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié est compétent pour traiter le recours. Cette disposition est également applicable lorsque la caisse recherche un organe de l’employeur en réparation du dommage, et ce quel que soit le domicile dudit organe (arrêt du Tribunal fédéral H 184/06 du 25 avril 2007 consid. 2.3).

La société étant domiciliée dans le canton de Genève depuis le 13 avril 2017, la chambre de céans est également compétente ratione loci.

1.3 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s'appliquent aux art. 1 à 97 LAVS, à moins que la loi n'y déroge expressément.

1.4 Aux termes de l'art. 60 al. 1 LPGA, le recours doit être déposé dans les trente jours suivant la notification de la décision sujette à recours. Selon l'art. 38 LPGA, applicable par analogie en vertu de l'art. 60 al. 2 LPGA, si le délai, compté par jours ou par mois, doit être communiqué aux parties, il commence à courir dès le lendemain de la communication (al. 1). Une communication qui n’est remise que contre la signature du destinataire ou d’un tiers habilité est réputée reçue au plus tard sept jours après la première tentative infructueuse de distribution (al. 2bis).

Interjeté dans les formes et délai prévus par la loi, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur la responsabilité du recourant dans le préjudice causé à l’intimée, par le défaut de paiement des cotisations sociales (AVS-AI-APG et AC ainsi qu’AMat et AF) durant les années 2020, 2021 et 2022.

3.             Selon l’art. 71 LPA, l’autorité peut ordonner, d’office ou sur requête, l’appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d’être affectée par l’issue de la procédure ; la décision leur devient dans ce cas opposable (al. 1). L’appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties (al. 2).

3.1 L’appel en cause a pour but d’attirer un tiers dans une procédure afin d’éviter que ce tiers, qui aurait un rapport de droit avec une des parties à cette procédure, ne déclenche ou ne soit contraint de participer à une autre procédure sur les mêmes questions litigieuses. L’appel en cause permet ainsi notamment d’éviter des décisions ou des jugements contradictoires en imposant une procédure unique et en rendant le jugement prononcé à l’issue de celle-ci opposable au tiers appelé en cause (François BELLANGER, La qualité de partie à la procédure administrative in Les tiers dans la procédure administrative,
Thierry TANQUEREL / François BELLANGER, 2004, p. 50). L’appel en cause a en outre pour but de préserver les intérêts juridiques ou de fait de la personne qui pourrait être affectée par l’issue de la procédure. Dans cette mesure, il est un prolongement du droit d’être entendu. En revanche, lorsque l’appel en cause vise à opposer la force de chose jugée du jugement à l’appelé en cause, ses conditions sont plus restrictives et il est nécessaire que la décision ait une incidence sur la relation juridique entre la partie et la personne à appeler en cause (Alfred KÖLZ /
Isabelle HÄNER / Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes. 2013, p. 324 n. 929).

3.2 Les personnes tenues à la réparation d’un dommage selon l’art. 52 LAVS sont solidairement responsables. Il appartient à la caisse de compensation de décider si elle attaquera un employeur pour lui demander la réparation du dommage subi. S'il existe une pluralité de responsables, elle jouit d'un concours d'actions et le rapport interne entre les coresponsables ne la concerne pas ; si elle ne peut prétendre qu'une seule fois la réparation, chacun des débiteurs répond solidairement envers elle de l'intégralité du dommage et il lui est loisible de rechercher tous les débiteurs, quelques-uns ou un seul d'entre eux, à son choix (ATF 119 V 86 consid. 5a). Cependant, cette jurisprudence ne vise que les rapports juridiques qui existent entre la caisse de compensation et l'employeur : elle ne restreint en aucune manière le droit de ce dernier d'intenter, le cas échéant, une action récursoire contre un tiers qui n'a pas été mis en cause (ATF 112 V 261 consid. 2b). La situation juridique et de fait du responsable du dommage est affectée par le fait que ce dernier peut cas échéant se retourner contre d’autres coresponsables (sur les conditions de l’action récursoire, cf. ATF 132 III 523 consid. 4.2) et par la possibilité que la caisse de compensation fera d’abord valoir sa créance à l’encontre des autres responsables. Il a ainsi un intérêt juridique et de fait à ce que d’autres personnes soient reconnues responsables. Cet intérêt peut justifier sa participation à la procédure contre d’autres personnes qui pourraient répondre du dommage (ATF 134 V 306 consid. 3.1).

Les tribunaux cantonaux des assurances sociales doivent appeler en cause les autres débiteurs solidaires recherchés par la caisse de compensation, que la procédure les concernant soit pendante ou que leur responsabilité ait fait l’objet d’une décision déjà entrée en force (SVR 2007 AVS n. 2, consid. 2.2). L’intéressé qui fait l’objet de la décision de réparation ne peut toutefois pas appeler en cause tout tiers qui pourrait cas échéant être solidairement responsable lorsque ce dernier n’a pas été recherché par la caisse de compensation (ATF 112 V 261 consid. 2c). Il appartient ainsi au juge d’inviter à participer à la procédure, à titre de cointéressés, les personnes contre lesquelles la caisse a rendu une décision de réparation du dommage et contre lesquelles elle n'a pas renoncé à ouvrir action ensuite de leur opposition (ATF 134 V 306 consid. 3 et les références).

3.3 En l’espèce, l’intimée a également adressé des décisions sur opposition à l’encontre de F______ et d’E______, ce qui a justifié l’appel en cause de ces autres associés gérants, lesquels ne se sont pas manifestés.

4.             L'art. 14 al. 1 LAVS, en corrélation avec les art. 34 ss RAVS, prescrit l'obligation pour l'employeur de déduire sur chaque salaire la cotisation du salarié et de verser celle-ci à la caisse de compensation avec sa propre cotisation. Les employeurs doivent envoyer aux caisses, périodiquement, les pièces comptables concernant les salaires versés à leurs salariés, de manière à ce que les cotisations paritaires puissent être calculées et faire l'objet de décisions. L'obligation de payer les cotisations et de fournir les décomptes est, pour l'employeur, une tâche de droit public prescrite par la loi. À cet égard, le Tribunal fédéral a déclaré, à réitérées reprises, que la responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS est liée au statut de droit public. L'employeur qui ne s'acquitte pas de cette tâche commet une violation des prescriptions au sens de l'art. 52 LAVS, ce qui entraîne pour lui l'obligation de réparer entièrement le dommage ainsi occasionné (ATF 137 V 51 consid. 3.2 et les références).

Selon l’art. 52 LAVS, l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage à l’assurance, est tenu à réparation (al. 1). Si l’employeur est une personne morale, les membres de l’administration et toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à titre subsidiaire du dommage. Lorsque plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage, elles répondent solidairement de la totalité du dommage (al. 2). L’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du code des obligations sur les actes illicites
(al. 3).

4.1 S’agissant de la notion d’« employeur », la jurisprudence considère que, si l'employeur est une personne morale, la responsabilité peut s'étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom, notamment quand la personne morale n’existe plus au moment où la responsabilité est engagée (ATF 123 V 12 consid. 5b ; 122 V 65 consid. 4a). Le caractère subsidiaire de la responsabilité des organes d'une personne morale signifie que la caisse de compensation ne peut agir contre ces derniers que si le débiteur des cotisations (la personne morale) est devenu insolvable (ATF 123 V 12 consid. 5b).

L’art. 52 LAVS ne permet ainsi pas de déclarer l'organe d'une personne morale directement débiteur de cotisations d'assurances sociales. En revanche, il le rend responsable du dommage qu'il a causé aux différentes assurances sociales fédérales, intentionnellement ou par négligence grave, en ne veillant pas au paiement des cotisations sociales contrairement à ses obligations (arrêt du Tribunal fédéral H 96/05 du 5 décembre 2005 consid. 4.1).

La notion d'organe selon l'art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui se dégage de l'art. 754 al. 1 CO.

En matière de responsabilité des organes d'une société anonyme, l'art. 52 LAVS vise en première ligne les organes statutaires ou légaux de celle-ci, soit les administrateurs, l'organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29
consid. 3a ; Thomas NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d'un dommage selon l'art. 52 LAVS,
in RCC 1991 p. 403).

Le Tribunal fédéral a ainsi reconnu la responsabilité non seulement des membres du conseil d'administration, mais également celle de l'organe de révision d'une société anonyme, du directeur d'une SA disposant du droit de signature individuelle, du gérant d'une Sàrl ainsi que du président, du directeur financier ou du gérant d'une association sportive (arrêt du Tribunal fédéral H 34/04 du
15 septembre 2004 consid. 5.3.1 et les références, in SVR 2005 AHV n. 7 p. 23 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.1).

S’agissant plus particulièrement du cas d'une Sàrl, les gérants qui ont été formellement désignés en cette qualité, ainsi que les personnes qui exercent cette fonction en fait, sont soumis à des obligations de contrôle et de surveillance étendues, dont le non-respect peut engager leur responsabilité (art. 827 CO en corrélation avec l'art. 754 CO). Ils répondent selon les mêmes principes que les organes d'une société anonyme pour le dommage causé à une caisse de compensation ensuite du non-paiement de cotisations d'assurances sociales
(ATF 126 V 237 consid. 4 ; arrêts du Tribunal fédéral H 252/01 du 14 mai 2002 consid. 3b et d, in VSI 5/2002 p. 176 ; 9C_344/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2). Ils ont l'obligation de se faire renseigner périodiquement sur la marche des affaires, ce qui inclut notamment la surveillance du paiement des cotisations sociales paritaires ; ils sont tenus en corollaire de prendre les mesures appropriées lorsqu'ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance d'irrégularités commises dans la gestion de la société
(ATF 114 V 219 consid. 4a ; voir également arrêt du Tribunal fédéral 9C_152/2009 du 18 novembre 2009 consid. 6.1, in SVR 2010 AHV n. 4 p. 11).

Sont assimilées aux gérants les personnes qui assument de fait la fonction d'un gérant, soit en prenant des décisions réservées à un gérant, soit en assumant la direction effective de l'entreprise et en exerçant ainsi une influence déterminante sur la formation de la volonté de la société (organes matériels ou de fait ;
ATF 119 II 255 consid. 4 ; 117 II 570 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral
H 128/04 du 14 février 2006 consid. 3). En font typiquement partie les personnes qui, de par la force de leur position (associé majoritaire par exemple), donnent au gérant formel des instructions sur la conduite des affaires de la société
(VSI 2000/5 p. 226).

Les associés de la Sàrl exercent collectivement la gestion de la société. Les statuts peuvent régler la gestion de manière différente (art. 809 al. 1 CO). Les gérants sont compétents pour toutes les affaires qui ne sont pas attribuées à l’assemblée des associés par la loi ou les statuts (art. 810 al. 1 CO). L’assemblée des associés peut révoquer à tout moment un gérant qu’elle a nommé et chaque associé peut demander au tribunal de retirer ou de limiter les pouvoirs de gestion et de représentation d’un gérant pour de justes motifs, en particulier si le gérant a gravement manqué à ses devoirs ou s’il est devenu incapable de bien gérer la société (art. 815 al. 1 et 2 CO). En outre, l'associé dispose d'un droit aux renseignements sur toutes les affaires de la société (art. 802 al. 1 CO) et doit s'abstenir de tout ce qui porte préjudice aux intérêts de la société (art. 803
al. 1 CO).

4.2 L'obligation légale de réparer le dommage ne doit être reconnue que dans les cas où le dommage est dû à une violation intentionnelle ou par négligence grave, par l'employeur, des prescriptions régissant l'assurance-vieillesse et survivants (RCC 1978 p. 259 ; RCC 1972 p. 687). Il faut donc un manquement d'une certaine gravité. Pour savoir si tel est le cas, il convient de tenir compte de toutes les circonstances du cas concret (ATF 121 V 243 consid. 4b).

La caisse de compensation qui constate qu'elle a subi un dommage par suite de la non-observation de prescriptions peut admettre que l'employeur a violé celles-ci intentionnellement ou du moins par négligence grave, dans la mesure où il n'existe pas d'indice faisant croire à la légitimité de son comportement ou à l'absence d'une faute (RCC 1983 p. 101).

Selon la jurisprudence constante, se rend coupable d'une négligence grave l'employeur qui manque de l'attention qu'un homme raisonnable aurait observée dans la même situation et dans les mêmes circonstances. La mesure de la diligence requise s'apprécie d'après le devoir de diligence que l'on peut et doit en général attendre, en matière de gestion, d'un employeur de la même catégorie que celle de l'intéressé. En présence d'une société anonyme, il y a en principe lieu de poser des exigences sévères en ce qui concerne l'attention qu'elle doit accorder au respect des prescriptions. Une différenciation semblable s'impose également lorsqu'il s'agit d'apprécier la responsabilité subsidiaire des organes de l'employeur (ATF 108 V 189). Les faits reprochés à une entreprise ne sont pas nécessairement imputables à chacun des organes de celle-ci. Il convient bien plutôt d'examiner si et dans quelle mesure ces faits peuvent être attribués à un organe déterminé, compte tenu de la situation juridique et de fait de ce dernier au sein de l'entreprise. Savoir si un organe a commis une faute dépend des responsabilités et des compétences qui lui ont été confiées par l'entreprise (ATF 108 V 199 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.3.2). La négligence grave mentionnée à l'art. 52 LAVS est admise très largement par la jurisprudence (ATF 132 III 523 consid. 4.6).

Commet notamment une faute ou une négligence grave, l'organe qui verse des salaires pour lesquels les créances de cotisations qui en découlent de par la loi ne sont pas couvertes (arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2021 du 7 avril 2022
consid. 5.2 et les références). Commet également une faute grave celui qui ne démissionne pas de ses fonctions alors qu'il se trouvait, en raison de l'attitude du tiers, dans l'incapacité de prendre les mesures qui s'imposaient s'agissant du paiement des cotisations ou qui se trouvait dans l'incapacité d'exercer son devoir de surveillance (voir par ex. : arrêts du Tribunal fédéral 9C_344/2011 du
3 février 2012 consid. 4.3 ; 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2). Enfin, commet une faute au sens de l'art. 52 LAVS l'organe qui investit de manière répétée des fonds dans une entreprise sans faire en sorte qu'ils servent en priorité à payer les cotisations sociales en souffrance (arrêt du Tribunal fédéral H 305/00 du 6 septembre 2001 consid. 4b).

Celui qui appartient au conseil d'administration d'une société et qui ne veille pas au versement des cotisations courantes et à l'acquittement des cotisations arriérées est réputé manquer à ses devoirs (arrêt du Tribunal fédéral H 96/03 du
30 novembre 2004 consid. 7.3.1, in SJ 2005 I 272 consid. 7.3.1). Commettent ainsi une négligence grave au sens de l’art. 52 LAVS les administrateurs d'une société qui se trouve dans une situation financière désastreuse, qui parent au plus pressé, en réglant les dettes les plus urgentes à l'exception des dettes de cotisations sociales, dont l'existence et l'importance leur sont connues, sans qu'ils ne puissent guère espérer, au regard de la gravité de la situation, que la société puisse s'acquitter des cotisations en souffrance dans un délai raisonnable
(ATF 108 V 183 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_32/2024 du 5 mars 2024 consid. 4.4.3 et les références).

La négligence grave est également donnée lorsque l'administrateur n'assume pas son mandat dans les faits. Ce faisant, il n'exerce pas la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion, attribution incessible et inaliénable du conseil d'administration conformément à l'art. 716a CO. Une personne qui se déclare prête à assumer ou à conserver un mandat d'administrateur tout en sachant qu'elle ne pourra pas le remplir consciencieusement viole son obligation de diligence (ATF 122 III 195 consid. 3b). Sa négligence peut être qualifiée de grave sous l'angle de l'art. 52 LAVS (ATF 112 V 1 consid. 5b). Un administrateur, dont la situation est à cet égard proche de celle de l’homme de paille, ne peut s'exonérer de ses responsabilités légales en invoquant son rôle passif au sein de la société (arrêt du Tribunal fédéral 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2).

Dans certaines circonstances, un employeur peut causer intentionnellement un préjudice sans être dans l'obligation de le réparer, lorsqu'il retarde le paiement des cotisations pour maintenir son entreprise en vie, lors d'une passe de trésorerie difficile. Mais il faut alors, pour qu'un tel comportement ne tombe pas ultérieurement sous le coup de l'art. 52 LAVS, que l'on puisse admettre que l'employeur avait, au moment où il a pris sa décision, des raisons sérieuses et objectives de penser qu'il pourrait s'acquitter des cotisations dues dans un délai raisonnable (ATF 121 V 243 ; 108 V 183 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.3 et les références). À cet égard, la seule expectative que la société retrouve un équilibre financier ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.3.1 et les références). Il faut des éléments concrets et objectifs selon lesquels on peut admettre que la situation économique de la société se stabilisera dans un laps de temps déterminé et que celle-ci recouvrera sa capacité financière (arrêt du Tribunal fédéral
H 163/06 du 11 juin 2007 consid. 4.4). Le fait de s'être régulièrement acquitté pour le compte de la société d'une partie des cotisations dues et d'avoir fait un apport d'argent personnel dans la société ne constituent pas des motifs d'exculpation suffisants (arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.3.1 et la référence). Ce qui est déterminant, ce n'est pas de savoir si l'employeur croyait réellement que l'entreprise pouvait être sauvée et que les cotisations seraient payées dans un proche avenir, il s'agit bien plutôt d'examiner si une telle attitude était alors défendable, objectivement, aux yeux d'un tiers responsable (arrêt du Tribunal fédéral H 19/07 du 10 décembre 2007 consid. 4.1).

4.3 La responsabilité de l'employeur au sens de l'art. 52 LAVS suppose enfin un rapport de causalité naturelle et adéquate entre la violation intentionnelle ou par négligence grave des prescriptions et la survenance du dommage. La causalité est adéquate si, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2).

L'administrateur d'une société anonyme répond non seulement des cotisations d'assurances sociales courantes, mais également de la dette de cotisations échues avant son entrée dans le conseil d'administration. En effet, selon la jurisprudence, le nouvel administrateur a le devoir de veiller tant au versement des cotisations courantes qu'à l'acquittement des cotisations arriérées, qui sont dues pour la période où il ne faisait pas encore partie du conseil d'administration car il y a dans les deux cas un lien de cause à effet entre l'inaction de l'organe et le non-paiement des cotisations. Ce lien de cause à effet n'existe pas, toutefois, quand un dommage au sens de l'art. 52 LAVS préexiste, parce que la société était déjà insolvable avant l'entrée du nouveau membre au conseil d'administration (ATF 119 V 401 consid. 4 et les références ; arrêts du Tribunal fédéral H 71/05 du 10 août 2006 consid. 5.1 ; H 295/00 du 22 janvier 2001 consid. 6a).

Le lien de causalité adéquate entre le comportement fautif – soit la rétention des cotisations alors même que les salaires sont versés – et le dommage survenu ne peut pas être contesté avec succès lorsque les salaires versés sont tels que les créances de cotisations qui en découlent directement ex lege ne sont plus couvertes (SVR 1995 AHV n. 70 p. 214 consid. 5 ; arrêts du Tribunal fédéral
H 167/05 du 21 juin 2006 consid. 8 ; H 74/05 du 8 novembre 2005 consid. 4).

La causalité adéquate peut être exclue, c'est-à-dire interrompue, l'enchaînement des faits perdant alors sa portée juridique, lorsqu'une autre cause concomitante - la force majeure, la faute ou le fait d'un tiers, la faute ou le fait de la victime - constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. L'imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate ; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener, en particulier le comportement de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral H 95/05 du 10 janvier 2007 consid. 4).

Le comportement d'un organe responsable peut, le cas échéant, libérer son coresponsable solidaire s'il fait apparaître comme inadéquate la relation de causalité entre le comportement de ce dernier et le dommage. La jurisprudence se montre stricte à cet égard. Elle précise qu'une limitation (et, a fortiori, une libération) de la responsabilité fondée sur la faute concurrente d'un tiers ne doit être admise qu'avec la plus grande retenue si l'on veut éviter que la protection du lésé que vise, d'après sa nature, la responsabilité solidaire de plusieurs débiteurs, ne soit rendue en grande partie illusoire (arrêt du Tribunal fédéral 9C_779/2020 du 7 mai 2021 consid. 3.2 et les références).

5.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références ; 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

6.             Selon l’art. 28 LPGA, les assurés et les employeurs doivent collaborer gratuitement à l’exécution des différentes lois sur les assurances sociales (al. 1). Quiconque fait valoir son droit à des prestations doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir ce droit, fixer les prestations dues et faire valoir les prétentions récursoires (al. 2).

Conformément à l’art. 43 LPGA, l’assureur examine les demandes, prend d’office les mesures d’instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les renseignements donnés oralement doivent être consignés par écrit
(al. 1). Si l’assuré ou d’autres requérants refusent de manière inexcusable de se conformer à leur obligation de renseigner ou de collaborer à l’instruction, l’assureur peut se prononcer en l’état du dossier ou clore l’instruction et décider de ne pas entrer en matière. Il doit leur avoir adressé une mise en demeure écrite les avertissant des conséquences juridiques et leur impartissant un délai de réflexion convenable (al. 3).

Pour l’établissement des faits pertinents prévaut certes la maxime inquisitoire, voulant que l’assureur social – comme d’ailleurs le juge en cas de litige – établisse d’office les faits déterminants, avec la collaboration des parties, sans être lié par les faits allégués et les preuves offertes par les parties, en s’attachant à le faire de manière correcte, complète et objective afin de découvrir la réalité matérielle
(art. 43 LPGA ; art. 19ss, 22ss, 76 et 89A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10] ; Ueli KIESER, ATSG‑Kommentar, 2020, n. 13 ss ad art. 43 ; Jacques Olivier PIGUET, in Commentaire romand de la loi sur la partie générale des assurances sociales, éd. par Anne-Sylvie DUPONT / Margit MOSER-SZELESS, 2018, n. 9 ss ad art. 43). Les parties ont cependant l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués ; à défaut, elles s’exposent à devoir supporter les conséquences de l’absence de preuve (art. 28 LPGA ; ATF 125 V 193 consid. 2 ; 122 V 157 consid. 1a ;
117 V 261 consid. 3b et les références).

Selon une jurisprudence déjà bien établie, les communications des autorités sont soumises au principe de la réception. Il suffit qu'elles soient placées dans la sphère de puissance de leur destinataire et que celui-ci soit à même d'en prendre connaissance pour admettre qu'elles ont été valablement notifiées (ATF 144 IV 57 consid. 2.3.2).

7.             En l’espèce, il convient d’examiner si les conditions de la responsabilité de
l’art. 52 LAVS sont réalisées, à savoir si le recourant peut être considéré comme étant « l’employeur » tenu de verser les cotisations à l’intimée, s’il a commis une faute ou une négligence grave et enfin s’il existe un lien de causalité adéquate entre son comportement et le dommage causé à l’intimée.

7.1 La société est insolvable, puisque la procédure de faillite a été suspendue faute d’actifs le 9 novembre 2023.

En outre, le recourant était inscrit, durant toute la période litigieuse, en qualité d’associé gérant de la société avec signature individuelle, de sorte qu’il en était un organe formel.

Il répond donc à titre subsidiaire du dommage, ce qu’il ne conteste au demeurant pas.

7.2 En sa qualité d’associé-gérant, l’intéressé avait l’obligation de s’assurer du paiement des cotisations liées aux salaires versés.

Il a invoqué des problèmes financiers, relevant que le secteur de la restauration avait été fortement impacté par les mesures prises durant la pandémie, notamment par les fermetures à répétition des établissements et la réduction des activités. Il a allégué que la société avait été contrainte de recourir au chômage partiel pour conserver les emplois et que les indemnités pour RHT qui lui avaient été accordées jusqu'au mois d'août 2022 avaient été « abusivement » suspendues au mois d'avril 2022, sans aucune forme de notification, de sorte que l’entreprise n’avait plus été en mesure de payer les cotisations. Elle ne pouvait pas s’acquitter des cotisations paritaires, puisqu'elle ne générait aucune activité, mais avait payé les salaires, les loyers et les charges, ce qui avait entrainé sa faillite.

Invité à maintes reprises à fournir des documents à l’appui de ces allégations, le recourant ne s’est pas exécuté. À toutes fins utiles, il sera rappelé qu’il n’est pas domicilié à Genève et que toutes les correspondances de la chambre de céans ont été envoyées aux adresses qu’il lui a communiquées, soit celle de la société jusqu’au mois d’octobre 2025, puis celle du restaurant. L’intéressé, qui devait s’attendre à recevoir des courriers du tribunal, ne l’a pas informé de la résiliation du contrat de bail de la société. À la suite de son courrier du 9 octobre 2025, la chambre de céans lui a renvoyé par recommandé les principales écritures et lui a octroyé un nouveau délai pour se déterminer. L’avis pour retrait a été remis dans la boîte aux lettres du restaurant le 20 octobre 2025, mais ce pli n’a pas été réclamé au guichet postal.

En l’absence de toute pièce venant corroborer les dires de l’intéressé, l’existence de circonstances propres à constituer un motif d'exculpation suffisant ne saurait être retenue. Rien ne permet non plus d’admettre que le recourant disposait d’éléments concrets et objectifs lui permettant de penser que la situation économique de la société se stabiliserait dans un laps de temps déterminé, qu’elle recouvrerait sa capacité financière et qu’il était fondé à croire que les cotisations seraient payées dans un proche avenir. À cet égard, il sera encore relevé que les cotisations impayées portent sur trois années, jusqu’au 31 décembre 2022, alors que les dernières mesures nationales de lutte contre le coronavirus ont été levées le 16 février 2022. L’attitude du recourant, qui a continué à payer les salaires sans veiller au paiement des cotisations y afférentes, n’apparaît dès lors pas défendable, objectivement, aux yeux d'un tiers responsable. La condition de la faute qualifiée, à tout le moins de la négligence grave, est dès lors réalisée.

7.3 Enfin, si le recourant avait correctement exécuté son mandat et respecté les obligations liées à son mandat d’associé-gérant de la société, le préjudice de l’intimée ne serait pas survenu. La condition du lien de causalité est ainsi remplie et aucune autre cause concomitante ne permet en l’occurrence de l’exclure.

Au vu de ces éléments, la responsabilité du recourant au sens de l'art. 52 LAVS doit être confirmée.

8.             Il reste à examiner le montant du dommage subi par l'intimée.

8.1 Le montant du dommage correspond à celui pour lequel la caisse de compensation subit une perte. Appartiennent à ce montant les cotisations paritaires (cotisations patronales et d’employés ou ouvriers) dues par l’employeur, les contributions aux frais d’administration, les intérêts moratoires, les taxes de sommation et les frais de poursuite (Office fédéral des assurances sociales, Directives sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG, n. 8017). Les éventuelles amendes prononcées par la caisse de compensation ne font pas partie du dommage et doivent le cas échéant être déduites (arrêt du Tribunal fédéral
H 142/03 du 19 août 2003 consid. 5.5).

8.2 En l’occurrence, le recourant n’a fait valoir aucun argument à l’encontre du montant du dommage.

La chambre de céans se limitera dès lors à constater que le montant de
CHF 46'223.90 retenu dans la décision litigieuse correspond à celui mentionné dans le décompte de l’intimée, annexé à sa décision du 18 juin 2024, portant sur les cotisations de salaires impayées pour les années 2020, 2021 et 2022.

8.3 S'agissant des cotisations dues en vertu de la loi instituant une assurance en cas de maternité et d'adoption du 21 avril 2005 (LAMat - J 5 07), par arrêt du
30 janvier 2020, la chambre de céans a jugé qu’il n’existait pas de base légale suffisante pour rechercher les employeurs ou leurs organes pour le dommage résultant du défaut de paiement des cotisations précitées (ATAS/79/2020).

L’art. 11A LAMat, entré en vigueur le 1er février 2023, prévoit désormais que l’employeur qui, intentionnellement ou par négligence grave, n’observe pas des prescriptions et cause ainsi un dommage au fonds cantonal de compensation de l’assurance-maternité ou à la caisse de compensation AVS est tenu de le réparer. L’art. 52 LAVS s’applique par analogie.

D’après les principes généraux en matière de droit transitoire, on applique, en cas de changement de règles de droit et sauf réglementation transitoire contraire, les dispositions en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement et qui a des conséquences juridiques (ATF 149 II 320 consid. 3 et les références).

Selon la règle de base de droit intertemporel, une règle de droit ne produit un effet que sur les états de fait qui se sont déroulés durant sa période de validité. La règle de base de droit intertemporel permet de déterminer le champ d’application temporel d’une loi et d’attribuer un fait à une loi en fonction du moment de la survenance du fait en question. Ainsi, les faits survenus dès l’entrée en vigueur de la loi, soit durant la période de validité de cette dernière, doivent être saisis par la nouvelle loi, alors que les faits survenus avant ou après la période de validité d’une loi ne peuvent en principe pas être saisis par la loi en question (Milena PIREK, L'application du droit dans le temps et la non-rétroactivité, in Les grands principes du droit administratif, 2022, p. 137).

En l'occurrence, dans la mesure où la demande en réparation du dommage a été rendue par l'intimée le 18 juin 2024, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de l'art. 11A LAMat, se pose la question de l'application de cette disposition dans le cas d'espèce.

La demande en réparation du dommage susvisée avait pour objet le paiement des cotisations salariales impayées relatives aux années 2020, 2021 et 2022, y compris des montants relevant de la LAMat, de sorte que l'état de fait ayant fondé cette demande s'est réalisé avant l'entrée en vigueur de l'art. 11A LAMat.

Par conséquent, conformément à la jurisprudence fédérale et en l'absence de disposition particulière de droit transitoire, l'art. 11A LAMat ne s'applique pas dans le cas d'espèce (cf. ATAS/470/2024 du 19 juin 2024 consid. 6.3).

L'intimée n'était donc pas fondée à réclamer au recourant le montant correspondant aux cotisations dues en vertu de la LAMat.

9.             Eu égard à ce qui précède, le recours est très partiellement admis et la décision sur opposition querellée est annulée. La cause est renvoyée à l’intimée pour nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées découlant de la LAMat, les intérêts moratoires et frais administratifs afférents à ces montants, et nouvelle décision sur ce point.

Le recourant, bien qu’ayant obtenu très partiellement gain de cause, a agi en personne, de sorte qu’il ne se justifie pas de lui octroyer des dépens
(art. 61 let. g LPGA et art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario et
89H al. 1 LPA).

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.      L’admet très partiellement.

3.      Annule la décision sur opposition du 27 août 2024 en tant qu'elle inclut dans le dommage à réparer les cotisations impayées fondées sur la LAMat, les intérêts moratoires et les frais y relatifs.

4.      La confirme pour le surplus.

5.      Renvoie la cause à l'intimée pour nouveau calcul du dommage excluant les cotisations impayées fondées sur la LAMat, les intérêts moratoires et les frais y relatifs.

6.      Dit que la procédure est gratuite.

7.      Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Melina CHODYNIECKI

 

La présidente

 

 

 

 

Joanna JODRY

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le