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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1955/2025

ATAS/841/2025 du 06.11.2025 ( LCA ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1955/2025 ATAS/841/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 6 novembre 2025

Chambre 5

En la cause

A______, enfant mineure, agissant par sa représentante légale B______

représentée par Me Marc MATHEY-DORET, avocat

 

 

demanderesse

 

contre

HELSANA ASSURANCES COMPLÉMENTAIRES SA

représentée par HELSANA ASSURANCES COMPLÉMENTAIRES SA - Legal

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. L’enfant mineure A______ (ci-après : l’assurée ou la demanderesse), est née en ______ 2015, au Portugal.

b. Par décision du 23 octobre 2017 du Tribunal judiciaire du district de C______ (ou D______), l’assurée a été placée auprès du couple marié constitué de B______ et de E______, domiciliés dans le canton de Genève. L’assurée réside en Suisse depuis le 28 octobre 2017.

B. a. Par mémoire du 23 juillet 2021, l’assurée, agissant par son représentant légal, a déposé une action en constatation de droit contre Helsana assurances complémentaires SA (ci-après : HELSANA ou la défenderesse) par-devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), en concluant à ce qu’il soit dit et constaté qu'HELSANA était liée à l’assurée par le contrat d’assurance complémentaire « COMPLETA » ainsi que par le contrat d’assurance complémentaire « HOSPITAL PLUS », tous deux conclus le 7 novembre 2017.

b. Par arrêt incident du 31 mars 2022 (ATAS/306/2022), la chambre de céans a constaté que la résiliation pour cause de réticence, signifiée à la demanderesse par HELSANA, en date du 6 août 2019, était nulle et a réservé la suite de la procédure, ainsi que le sort des frais.

c. Par courrier du 13 juin 2022 à la chambre de céans, HELSANA a demandé la suspension de la procédure, en attendant qu’un rapide accord puisse être trouvé entre les parties.

d. Par arrêt incident du 14 novembre 2022 (ATAS/985/2022), la chambre de céans a suspendu l’instance jusqu’à droit connu sur un éventuel accord mettant fin aux prétentions des parties ou jusqu’à ce que la partie la plus diligente demande la reprise de l’instance et a réservé la suite de la procédure ainsi que le sort des frais.

e. Par arrêt du 16 mars 2023 (ATAS/174/2023), la chambre de céans a repris l’instance suspendue par arrêt incident du 14 novembre 2022, constaté que les parties avaient transigé par « convention de résolution de litige » du 22 février 2023, les a condamnées, en tant que de besoin, à la bonne et fidèle exécution de leurs obligations réciproques telles que prévues par la convention susmentionnée, et a octroyé à l’assurée un montant de CHF 2'500.-, à titre de dépens, à la charge de HELSANA.

C. a. Par acte du 3 juin 2025, l’assurée, agissant par E______, et représentée par son avocat, a déposé une demande en paiement contre HELSANA par-devant la chambre de céans, en concluant, sous suite de dépens, à la condamnation de la défenderesse à lui payer la somme de CHF 12'000.-, à titre de frais d'avocat avant procès, assortie d’intérêts à 5% à compter du 24 juillet 2021.

La demanderesse a allégué que son conseil avait été saisi de son dossier en raison du fait que la défenderesse n’avait pas revu sa position, malgré l’intervention de ses représentaux légaux, au sujet de la résiliation des contrats d’assurances complémentaires à l’assurance-maladie obligatoire. Elle a produit à cet effet, en particulier :

-          un courrier de son conseil du 20 novembre 2019, par lequel ce dernier sollicitait de la défenderesse la transmission de l’ensemble des pièces du dossier ;

-          un courrier de son conseil du 26 novembre 2019, sollicitant de celle-ci l’envoi du dossier complet ;

-          un courrier de son conseil du 7 janvier 2020, invitant la défenderesse à réévaluer le dossier ;

-          un courrier de la défenderesse du 10 janvier 2020, maintenant la résiliation des assurances complémentaires ;

-          les courriers de son conseil des 22 janvier et 12 février 2020, invitant le pédiatre traitant à lui transmettre son dossier complet ;

-          un courrier de son conseil du 4 mars 2020, invitant la défenderesse à réévaluer le dossier, faute de réticence ;

-          les courriers de son conseil des 14 avril et 16 octobre 2020, relançant la défenderesse, faute de réponse de sa part.

La demanderesse a rappelé que la défenderesse avait résilié les contrats d’assurance conclus en sa faveur, en raison d’une prétendue réticence et que par arrêt incident du 31 mars 2022, la chambre de céans avait considéré que cette résiliation était intervenue à tort. Afin de limiter, autant que possible, les étapes procédurales, les parties avaient alors signé une convention réglant pratiquement tous les points litigieux.

La demanderesse a allégué que cette convention (dont elle a joint une copie) réservait expressément son dommage pré-judiciaire. Ce document stipulait que le « dommage pré-judiciaire allégué n’est pas couvert par la présente convention. En cas de condamnation de Helsana à prendre en charge ce dommage, le montant des primes non-versées sera déduit de la somme à payer par Helsana, à titre de compensation ». Selon la demanderesse, les parties avaient convenu de laisser ouvert ce poste du dommage et, cas échéant, de le traiter ultérieurement à la problématique principale alors soumise aux juges.

Cette convention avait été ratifiée par arrêt du 16 mars 2023. À cette occasion, la chambre de céans avait statué sur les dépens, par quoi il fallait entendre les frais de défense procéduraux. La convention prévoyait qu’il demeurait possible que la défenderesse soit condamnée, à l’avenir, à dédommager la demanderesse pour les frais de défense avant procès. En pareil cas, un mécanisme spécial s’appliquait, soit la compensation entre le dommage pré-judiciaire et les primes non-versées, mentionnées au chiffre 2 de la convention.

La demanderesse a allégué que les dépens fixés à l’époque par la chambre de céans lui avaient été intégralement versés, sans compensation avec les primes non-versées. Elle en a déduit que les dépens alloués dans la procédure antérieure ne comprenaient pas les frais de défense avant procès, réservés par les parties.

La demanderesse a produit un décompte, listant les prestations de conseil déployées en amont du dépôt de l’action en constatation de droit du 23 juillet 2021, en alléguant que l’activité nécessaire au traitement de son dossier jusqu’à cette date avait été de 26 heures et 40 minutes. Cette activité de spécialiste avait été générée par la résiliation, à tort, des contrats d’assurances complémentaires à l’assurance-maladie obligatoire. L’attention de la défenderesse avait été, d’entrée de jeu, attirée sur le fait que sa résiliation était illicite. Malgré cela, celle-ci avait persisté dans sa prise de position, engendrant des frais de défense supplémentaires ayant abouti à l’ouverture d’une procédure judiciaire à son encontre. Les démarches entreprises par son conseil n’avaient pas pu être évitées, compte tenu de l’obstination de la défenderesse. Elles s’étaient révélées utiles, dès lors qu’elle avait eu gain de cause. La demanderesse en a tiré la conclusion que l’activité de son conseil était justifiée et devait être indemnisée au tarif usuel pratiqué dans le canton de Genève, soit CHF 450.-. Il en résultait un dommage de CHF 12'000.-.

b. Par pli du 1er juillet 2025, l’avocat de la demanderesse a informé la chambre de céans que cette dernière serait dorénavant représentée par B______, en lieu et place de E______.

c. Par réponse du 30 juin 2025, la défenderesse a conclu, sous suite de frais et dépens, au rejet de la demande en paiement.

Elle a exposé que la demanderesse manquait de clarifier la base légale qui justifierait sa condamnation à la prise en charge d’un dommage découlant des frais de représentation avant procès. Dans la mesure où la demanderesse indiquait que la résiliation sur réticence était illicite, la défenderesse a estimé que celle-ci invoquait la responsabilité aquilienne, auquel cas le délai de prescription était de trois ans à compter du jour où la partie lésée avait eu connaissance du dommage ainsi que de la personne tenue à réparation. En l’occurrence, à partir de la date de la rédaction de l’action le 19 juillet 2021, le dommage allégué et la personne qui pourrait être tenue comme responsable étaient connus. Les prétentions de la demanderesse étaient donc prescrites le 19 juillet 2024.

Au demeurant, la demanderesse n’avait prouvé ni le comportement fautif, ni l’illicéité du comportement, alors que la charge de la preuve lui appartenait.

De toute manière, les dépens auxquels la défenderesse avait été condamnée par l’arrêt du 16 mars 2023 couvraient les opérations antérieures au procès lorsqu’elles étaient destinées à préparer celui-ci. Ainsi, l’étude des faits et du droit, de même que la rédaction des actes et la recherche d’un éventuel accord hors procès avaient déjà été indemnisés au moyen des dépens versés. Il ne subsistait donc aucun dommage qui n’aurait pas déjà été dédommagé.

Par ailleurs, la demanderesse manquait de fournir une description claire des activités déployées. Ainsi, la note d’honoraires comportait des courriers à CAFINCO qui pourrait être la Caisse d’allocations familiales de l’industrie et de la construction de la caisse de compensation du bâtiment à Genève. Or, ces courriers n’avaient aucun lien avec le litige contre la défenderesse. La lecture et la rédaction de courriers à et de la CAFINCO auraient nécessité une heure et vingt-cinq minutes (00 :10 le 12 mars 2020, 00 :10 le 31 mars 2020, 00 :10 le 11 mai 2020, 00 :15 le 16 octobre 2020, 00 :10 le 11 novembre 2020, 00 :15 le 31 mai 2021, 00 :15 le 9 juin 2021). Il n’avait pas été prouvé que les différents postes « étude et analyse du dossier » se rapportaient tous au litige contre la défenderesse, puisque la note d’honoraires mélangeait ce dossier avec des démarches auprès de la CAFINCO.

De plus, la note d’honoraires n’expliquait nullement quels actes avaient été effectués qui ne seraient pas en lien avec la procédure enclenchée le 23 juillet 2021. Si les postes du 6 janvier 2020 au 9 juin 2021 pouvaient éventuellement être considérés comme étant un dommage qui ne serait pas couvert par les dépens (ce que la défenderesse contestait et ce qui demeurait à prouver), il était manifeste que les honoraires du 16 juin 2021 au 19 juillet 2021 étaient contenus dans les dépens, soit 14 heures et 35 minutes (02 :30 le 16 juin 2021, 03 :00 le 29 juin 2021, 02 :00 le 29 juin 2021, 00 :40 le 1er juillet 2021, 00 :40 le 2 juillet 2021, 00 :25 le 5 juillet 2021, 00 :20 le 19 juillet 2021, 05 :00 le 19 juillet 2021).

La défenderesse en a conclu que les prétentions alléguées par la demanderesse couvraient déjà largement des activités qui avaient déjà été dédommagées par les dépens, même si selon la défenderesse, tous les postes de la note d’honoraires étaient en rapport avec l’activité déployée pour déposer l’action. Si la défenderesse devait être condamnée à prendre en charge tous les honoraires, la demanderesse serait au moins en partie doublement dédommagée.

Si la défenderesse devait être condamnée à prendre en charge un dommage qui dépasserait les dépens (ce que celle-ci contestait), il convenait de retrancher au moins 16 heures (14 :35 + 01 :25), soit un montant de CHF 7'200.- (16 × CHF 450.-), sous réserve qu’il soit prouvé que les postes du 6 janvier 2020 au 9 juin 2021 n’étaient pas en relation avec l’activité déployée pour l’action déposée le 23 juillet 2021, le tout sous déduction d’un montant de CHF 1'397.- correspondant aux primes non-versées selon la convention signée entre les parties.

Pour toutes ces raisons, il y avait lieu de rejeter la demande en paiement ou, cas échéant, de réduire fortement les honoraires réclamés à la part qui était prouvée comme n’étant pas en relation de causalité avec la préparation du (premier) procès, part que la demanderesse devait encore démontrer.

d. Par réplique du 27 août 2025, la demanderesse a modifié ses conclusions, en ce sens qu’elle sollicitait, sous suite de dépens, la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de CHF 9'965.30, à titre de frais d'avocat avant procès, avec intérêts à 5% à partir du 24 juillet 2021.

La demanderesse a relevé que la défenderesse admettait être débitrice, à tout le moins, des honoraires portant sur l’activité antérieure à la préparation du premier procès.

Elle a fait valoir que les frais de défense avant procès pouvaient avoir pour fondement la responsabilité aquilienne de la défenderesse ou la responsabilité contractuelle. La violation contractuelle causale du dommage et fautive de la défenderesse avait été constatée sans équivoque à l’occasion de l’arrêt incident du 31 mars 2022 qui traitait spécifiquement de la question. C’était précisément cette violation contractuelle, soit la résiliation pour réticence intervenue à tort, qui avait engendré les frais réclamés dans la présente procédure. L’acte illicite, respectivement la violation du contrat, la faute et le dommage sur son principe étaient donnés.

La prescription en lien avec la responsabilité aquilienne n’était quant à elle pas acquise. Au point 5 de la convention signée par les parties, la défenderesse reconnaissait qu’elle était susceptible d’être condamnée à prendre en charge le dommage pré-judiciaire. Compte tenu du contexte ayant précédé la signature de ladite convention, il y avait lieu de considérer qu’il s’agissait d’une reconnaissance de dette sur le principe du dommage, laquelle interrompait le délai de prescription.

Quoi qu’il en soit, la prescription n’était pas acquise au vu des délais applicables à la responsabilité contractuelle.

Seuls demeuraient litigieux les postes précis de l’activité du conseil à dédommager et la quotité du dommage. L’activité du conseil avait notamment consisté à reconstituer le dossier (démarche inutilement compliquée par la défenderesse), à l’analyser puis à présenter le résultat de son analyse à la défenderesse afin de tenter de la faire revenir sur sa position sans avoir à passer par une procédure judiciaire (ce que celle-ci avait toutefois, à tort, refusé de faire).

Ces démarches, déployées jusqu’au 9 juin 2021 sous réserve de quelques téléphones, ne visaient aucunement à la préparation du (premier) procès et n’avaient, de ce fait, pas été appréhendées par les dépens octroyés. Non seulement la demanderesse avait produit une note d’honoraires détaillée permettant d’emblée de comprendre et de mesurer quelle avait été l’activité exacte de son conseil durant la période considérée, mais elle avait également versé au dossier (et allégué) l’ensemble des courriers et échanges de son conseil avec les différents intervenants.

La demanderesse a reconnu que les démarches en lien avec une problématique d’allocations familiales dues par CAFINCO (d’1 heure et 25 minutes) n’étaient effectivement pas en lien avec le présent litige et devaient être retranchées. Le dommage s’élevait ainsi à CHF 11'362.50 (25h15 × CHF 450.-), dont il convenait de déduire encore un montant de CHF 1'397.- à titre de primes non-versées en compensation, portant le total final du dommage à CHF 9'965.30.

e. Par duplique du 1er octobre 2025, la défenderesse a maintenu ses conclusions.

Elle a contesté toute part de responsabilité. Les dépens octroyés comprenaient les frais d’avocats antérieurs au procès.

Elle a également contesté avoir reconnu la dette sur le principe. La convention mentionnait « un dommage pré-judiciaire allégué ». Il était donc manifeste que la défenderesse contestait le principe d’en être responsable et l’existence même du dommage. Du reste, le dommage résultant des frais d’avocats antérieurs au procès non-couverts par les dépens avait toujours été jugé sur la base de la responsabilité aquilienne, impliquant l’application des règles de la prescription spécifiques en la matière.

Concernant l’activité déployée, la demanderesse admettait avoir introduit des postes en relation avec les allocations familiales. Dans les différentes rubriques concernant les discussions avec les parents, les téléphones ou l’étude du dossier, la défenderesse se demandait comment départager le temps utilisé dans le litige contre elle de celui utilisé pour d’autres litiges. De plus, les honoraires réclamés à titre de dommage devaient être nécessaires et adéquats. Plus de 25 heures facturées pour ce litige ne semblaient pas être adéquates.

La défenderesse a souligné que les dépens fixés par la chambre de céans l’avaient été en application de la législation cantonale, laquelle indiquait qu’ils englobaient les honoraires liés à l’étude des faits et du droit, ainsi qu’à la rédaction des actes et à la recherche d’un éventuel accord hors-procès. Ainsi, la condamner reviendrait à dédommager la demanderesse une deuxième fois.

Pour le surplus, la défenderesse a renvoyé à son mémoire-réponse.

f. Copie de cette écriture a été transmise à la demanderesse pour information, sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties sont été informées.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 7 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) et à l'art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations relatives aux assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale prévue par la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10), relevant de la loi fédérale sur le contrat d'assurance, du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d’assurance, LCA - RS 221.229.1).

Sauf disposition contraire du CPC, pour les actions dirigées contre les personnes morales, le for est celui de leur siège (art. 10 al. 1 let. b CPC), étant précisé que l’art. 17 al. 1 CPC consacre la possibilité d’une élection de for écrite.

1.2 La compétence de la chambre de céans à raison de la matière et du lieu avait été examinée dans l’arrêt incident du 31 mars 2022 (ATAS/306/2022) ; il suffit d’y renvoyer, étant relevé que la chambre de céans a déjà eu l’occasion d’admettre sa compétence pour juger d’une demande en remboursement de frais d’avocat antérieurs à la litispendance, accessoire à la prétention fondée sur une assurance complémentaire (ATAS/129/2025 du 4 mars 2025 consid. 7.1 ; ATAS/570/2022 du 21 juin 2022 consid. 2 ; ATAS/1222/2021 du 29 novembre 2021 consid. 2).

1.3 Pour le reste, la demande respecte les conditions formelles prescrites par les art. 130 et 244 CPC, ainsi que les autres conditions de recevabilité prévues par l’art. 59 CPC, de sorte qu’elle est recevable.

1.4 Les parties peuvent renoncer, même tacitement, à la tenue d’une audience de débats principaux (art. 233 CPC applicable par renvoi de l’art. 219 CPC ; ATF 140 III 450). Une renonciation par actes concluants aux débats principaux doit être admise si les parties, représentées par des mandataires professionnels ou des collaborateurs de leur service juridique, ne requièrent pas expressément la tenue d’une audience de débats, après que la cour cantonale, dans le cadre de la procédure initiée par le dépôt de la demande, a recueilli les dernières observations des plaideurs (arrêts du Tribunal fédéral 4A_318/2016 du 3 août 2016 consid. 2.1 in fine ; 4A_627/2015 du 9 juin 2016 consid. 2.3). Tel est le cas en l’espèce.

2.             L’objet du litige porte sur le bien-fondé de la demande en paiement tendant au versement d’un montant de CHF 9'965.30 à titre de frais d’avocat antérieurs à la procédure ayant visé la constatation de la nullité de la résiliation pour cause de réticence des contrats d’assurances complémentaires à l’assurance-maladie obligatoire, avec intérêts à 5% dès le 24 juillet 2021.

3.              

3.1 Selon l’art. 95 al. 3 let. a et b CPC, les dépens comprennent notamment les débours nécessaires et le défraiement d’un représentant professionnel.

Les dépens couvrent même des opérations antérieures au procès dans la mesure où elles étaient destinées à le préparer. Dans ce cas, ils ne peuvent être réclamés que dans le cadre des frais de procédure, aux conditions résultant des art. 95ss CPC. Selon les circonstances, les autres frais juridiques antérieurs au procès peuvent constituer un élément du dommage à réparer selon le droit matériel, y compris des dépenses d’avocat liées par exemple à un désaccord sur un contrat ou aux démarches en vue de la réparation d’un préjudice. Dans ce cas, ils peuvent être invoqués comme une prétention en paiement à faire valoir au fond, dans le cadre notamment d’une action contractuelle ou délictuelle. Si des honoraires d’avocat ou d’autres frais juridiques peuvent ainsi être déduits en justice au même titre que d’autres éléments du dommage dont un plaideur demande la réparation, ils ne relèvent en réalité pas de la procédure, mais bien du droit matériel exclusivement. Toutefois, la limite à tracer entre frais juridiques comme élément du dommage et prestations couvertes par les dépens peut être délicate. Les honoraires liés à l’étude des faits et du droit ainsi qu’à la rédaction des actes et à la recherche d’un éventuel accord hors procès appartiennent à ces dernières (cf. Denis TAPPY, Commentaire romand Code de procédure civile, 2019, n. 37 à 38 ad art. 95 CPC).

Les frais d'avocat avant procès constituent un poste du dommage, au sens des art. 41 et 97 de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220 ; ATF 139 III 190 consid. 4.2 ; arrêt de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois PT19.000939-210295 594 du 20 décembre 2021 consid. 6.2.1).

Lorsqu’il existe un rapport d’obligations ou un contrat entre le responsable et la victime, on admet en principe que l’acte illicite entraîne aussi la responsabilité pour inexécution des obligations de l’auteur du préjudice. Dans ce cas, pour obtenir une indemnité, le lésé peut faire valoir les règles sur l’inexécution des obligations (CO 97 ss), en plus de celles sur la responsabilité délictuelle (CO 41 ss). La responsabilité pour acte illicite et la responsabilité pour inexécution d’une obligation coexistent, et la victime dispose d’un concours de responsabilités. La justification de ce concours repose en partie sur l’idée que le lésé doit pouvoir choisir le régime qui lui est le plus favorable dans le cas concret. Ce sera souvent le régime contractuel, surtout en raison du délai de prescription plus long de l'art. 127 CO (Franz WERRO / Vincent PERRITAZ, in Commentaire romand Code des obligations I, 2021, n. 2-3 ad art. 41 CO).

Selon la jurisprudence, les frais d'avocat engagés avant la demande en justice peuvent constituer une partie du dommage, pour autant qu'ils sont justifiés, nécessaires et adéquats, servent à faire valoir une prétention en dommages-intérêts et ne sont pas couverts par les dépens (ATF 139 III 190 consid. 4.2 ; 131 II 121).

Les frais d'avocat avant l'ouverture du procès et les circonstances justifiant leur indemnisation sont des faits qu'il incombe à la partie demanderesse d'alléguer de manière étayée, en la forme prescrite et en temps utile. Les activités effectuées par l'avocat doivent être décrites clairement ; une description claire des activités ne suffit toutefois pas, à elle seule, pour juger si les frais étaient nécessaires et adéquats. Le contexte dans lequel ces activités se sont déroulées est également important (arrêt du Tribunal fédéral 4A_346/2023 du 13 juin 2024 consid. 5.1.3).

3.2 En vertu de l'art. 8 du Code civil suisse, du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. En conséquence, la partie qui fait valoir un droit doit prouver les faits fondant ce dernier, tandis que le fardeau de la preuve relatif aux faits supprimant le droit, respectivement l’empêchant, incombe à la partie, qui affirme la perte du droit ou qui conteste son existence ou son étendue. Cette règle de base peut être remplacée par des dispositions légales de fardeau de la preuve divergentes et doit être concrétisée dans des cas particuliers (ATF 128 III 271 consid. 2a/aa avec références). Ces principes sont également applicables dans le domaine du contrat d'assurance (ATF 130 III 321 consid. 3.1).

En vertu de l'art. 8 CC, la partie qui n'a pas la charge de la preuve a le droit d'apporter une contre-preuve. Elle cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l'exactitude des allégations formant l'objet de la preuve principale. Pour que la contre-preuve aboutisse, il suffit que la preuve principale soit ébranlée, de sorte que les allégations principales n'apparaissent plus comme les plus vraisemblables (ATF 130 III 321 consid. 3.4). Le juge doit procéder à une appréciation d'ensemble des éléments qui lui sont apportés et dire s'il retient qu'une vraisemblance prépondérante a été établie (ATF 130 III 321 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_61/2011 du 26 avril 2011 consid. 2.1.1).

4.              

4.1 En l’espèce, par courrier du 6 août 2019, la défenderesse a résilié les assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale conclues en faveur de la demanderesse, au motif que ses représentants légaux n’avaient pas signalé sur la déclaration de santé qu’elle présentait un strabisme depuis tout bébé.

Par arrêt incident du 31 mars 2022 (ATAS/306/2022), la chambre de céans a constaté que la résiliation pour cause de réticence des assurances complémentaires concernées était nulle. Elle a en particulier relevé que le diagnostic de strabisme n’avait été posé par une médecin spécialiste que le 7 décembre 2017, postérieurement à la conclusion des contrats d’assurances en cause. De plus, la demanderesse - née au Portugal et placée par décision judiciaire auprès de ses gardiens en Suisse (qui n’étaient pas les parents génétiques) - n’était arrivée dans ce pays qu’à la fin du mois d’octobre 2017, et ceux-ci n’étaient pas en mesure de déterminer si elle souffrait d’un problème de vue depuis sa naissance, en l’absence de toute information en ce sens dans son carnet de santé (consid. 9.2.1).

Après quoi, les parties ont conclu une « convention de résolution de litige » signée en février 2023, réglant le sort des questions à régler, et demandant à la chambre de céans de fixer le montant des dépens dus à la demanderesse. Par arrêt du 16 mars 2023 (ATAS/174/2023), la chambre de céans a condamné les parties, en tant que de besoin, à la bonne et fidèle exécution de leurs obligations réciproques telles que prévues par cette convention, et a octroyé à la demanderesse un montant de CHF 2'500.- à titre de dépens, à la charge de la défenderesse.

Les frais d’avocat antérieurs au procès peuvent être invoqués, comme en l’occurrence, dans le cadre d’une action contractuelle sur la base de l’art. 97 CO. Comme relevé précédemment, c’est à tort, et donc en agissant de manière illicite, que la défenderesse avait résilié les contrats d’assurances complémentaires en cause. En dépit des courriers du conseil de la demanderesse, qui soulignait qu’au moment où le questionnaire de santé avait été complété, les seuls éléments médicaux à disposition des représentaux légaux étaient consignés dans le carnet de santé portugais, qui ne mentionnait aucun strabisme, la défenderesse n’est pas revenue sur sa position. L’intervention d’un mandataire qualifié était donc nécessaire et la demanderesse pouvait encore espérer que la défenderesse se rangerait à ses arguments, de sorte que le procès initié le 23 juillet 2021 aurait pu être évité.

À toutes fins utiles, l’art. 97 al. 1 CO stipule que lorsque le créancier ne peut obtenir l’exécution de l’obligation ou ne peut l’obtenir qu’imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu’il ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable. Ainsi, cette disposition renverse le fardeau de la preuve, en ce sens qu’il appartenait à la défenderesse d’établir qu’elle n’avait pas commis de faute.

Dans la mesure où selon l’art. 127 CO, les actions se prescrivent par dix ans, la prétention de la demanderesse au paiement des frais d’avocat antérieurs au procès pour la période du 6 janvier 2020 au 19 juillet 2021 n’est, à l’évidence, pas prescrite.

En tant que la demanderesse est débitrice du montant réclamé par son avocat, cette dette constitue un élément de son dommage.

Quant à l’étendue du dommage, la chambre de céans constate que les activités déployées les 6 janvier 2020, 14 avril et 15-16 octobre 2020, 10 mars 2021 pour l’étude et l’analyse du dossier, le 24 février 2020 pour la recherche documentaire et juridique, ainsi que l’étude des documents reçus et l’analyse du dossier, et les 31 mars 2020, 31 mai 2021, 7 et 9 juin 2021 pour la recherche documentaire et juridique, tel que cela ressort de la note d’honoraires au dossier, étaient également nécessaires pour la rédaction de l’action en constatation de droit du 23 juillet 2021, de sorte qu'il y a lieu de considérer qu'elles sont déjà comprises dans les dépens octroyés par arrêt incident du 16 mars 2023.

Comme le reconnaît la demanderesse, une partie des activités concerne le litige l’ayant opposée à la CAFINCO et ne relève donc pas de la présente cause. Il s’agit des activités déployées les 12 et 31 mars 2020, le 11 mai 2020, le 16 octobre 2020, le 11 novembre 2020, le 31 mai 2021 et le 9 juin 2021.

Les activités « rédaction d’une demande » le 16 juin 2021, « rédaction d’une action de constatation de droit » le 29 juin 2021, « étude et analyse du dossier (not. pièces et chronologie) » le 29 juin 2021, « relecture et modifications demande en paiement » le 1er juillet 2021, « relecture et modifications » le 2 juillet 2021, « téléphone à Helsana » le 5 juillet 2021 (pour la transmission de l’intégralité du dossier digital ; dossier demanderesse pièce 29), « téléphone à Helsana et à l’OCPM » le 19 juillet 2021 et « rédaction d’une action en constatation de droit » le 19 juillet 2021 sont des opérations qui étaient destinées à préparer, soit l’action en constatation de droit, soit une demande en paiement (qui ne relève pas de la présente cause). Par conséquent, les honoraires y relatifs ne pouvaient être réclamés que dans le cadre des frais de procédure, étant rappelé que, en ce qui concerne l’action en constatation de droit, la chambre de céans a déjà octroyé des dépens arrêtés à CHF 2'500.-.

Dans la mesure où la note d’honoraires comprend également des opérations en lien avec des procédures auprès de la CAFINCO et de l’OCPM, qui ne relèvent pas de la présente cause, les postes « tâche administrative » le 21 janvier 2020, « courriel à la cliente » le 31 mars 2020, « téléphone à la cliente » et « courriel à la PJ » le 15 octobre 2020, « conférence avec la cliente » le 26 octobre 2020, « note au dossier » le 31 mai 2021 et « courriel à la cliente » le 31 mai 2021 sont insuffisamment décrits et ne permettent donc pas d’établir en quoi ces interventions étaient nécessaires et à quelle procédure ils se rapportent.

Seuls les honoraires d’avocat pour les activités suivantes peuvent constituer un dommage à réparer : le courrier à la défenderesse le 7 janvier 2020 par lequel elle était invitée à réévaluer le dossier (20 minutes ; dossier demanderesse pièce 21), l’entretien téléphonique (10 minutes) ainsi que le courrier au pédiatre traitant le 21 janvier 2020 pour la transmission du dossier complet (30 minutes ; pièce 23), de même que le courrier au pédiatre traitant le 11 février 2020 (15 minutes, pièce 24), l’entretien téléphonique avec l’ophtalmologue traitant le 21 janvier 2020 (10 minutes), la rédaction du courrier motivé à la défenderesse le 24 février 2020 l’invitant à réévaluer le dossier (30 minutes ; cf. pièce 25), ainsi que les courriers de relance à la défenderesse les 14 avril et 16 octobre 2020 (respectivement 10 minutes et 15 minutes ; pièces 26 et 27), soit un total de 140 minutes.

Compte tenu du tarif horaire de CHF 450.-, non contesté par la défenderesse, le dommage de la demanderesse à réparer s’élève à CHF 1'050.- (140 × 450 / 60), dont il y a lieu de déduire le montant de CHF 1'397.- correspondant aux primes non-versées selon l’accord des parties.

4.2 À l’aune de ce qui précède, force est de conclure que la défenderesse ne doit à la demanderesse aucune somme à titre de frais d’avocat avant procès.

5.             La demande en paiement est dès lors rejetée.

Pour le surplus, il n'est pas alloué de dépens à la charge de la demanderesse (art. 22 al. 3 let. b de la loi d'application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 [LaCC - E 1 05]), ni perçu de frais judiciaires (art. 114 let. e CPC).


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande en paiement du 3 juin 2025 recevable.

Au fond :

2.        La rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (Tribunal fédéral suisse, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14), sans égard à sa valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoqués comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) par le greffe le