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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2121/2025

ATAS/790/2025 du 17.10.2025 ( AVS ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2121/2025 ATAS/790/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 17 octobre 2025

Chambre 9

 

En la cause

A______

 

 

recourant

 

contre

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1964, a été affilié à la CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION (ci-après : la CCGC ou la caisse) depuis le 1er mars 2019, en tant que personne de condition indépendante.

b. Par courrier du 18 décembre 2024, la CCGC a informé l’assuré avoir constaté, sur la base des communications de l’Administration fédérale des contributions (ci-après : AFC) que ses activités déclarées avaient généré des pertes chaque année, comme suit :

-          2019, perte de CHF 4'141.- ; pas de capital investi ;

-          2020, perte de CHF 6'690.- ; pas de capital investi ;

-          2021, perte de CHF 6'765.- ; pas de capital investi ;

-          2022, perte de CHF 5'265.- ; pas de capital investi ;

-          2023, perte de CHF 734.- ; pas de capital investi.

Au vu de ces chiffres, la CCGC a demandé des explications à l’assuré, dont notamment les factures/contrats/mandats qu’il aurait décrochés en 2024, ainsi que les preuves d’encaissement des prestations fournies.

c. Par courrier du 20 décembre 2024, l’assuré a indiqué avoir cessé son activité de consultant web au 1er janvier 2024, tout en poursuivant son activité de massothérapeute.

d. Par courriel du 31 mars 2025, il a précisé qu’il continuait à exercer en tant que massothérapeute indépendant, mais que les circonstances économiques n’étaient pas bonnes à la suite de la crise sanitaire du Covid-19, l’augmentation de l’inflation, le coût de la vie et la baisse du pouvoir d’achat. Il remplissait les critères nécessaires pour être indépendant dès lors qu’il supportait un risque économique, n’était pas dans un rapport de subordination, avait plusieurs clients et facturait ses prestations.

Il a produit un état financier ainsi qu’un compte de résultat, relatifs à son activité.

e. Par courrier du 2 avril 2025, la CCGC a procédé à la clôture de son compte indépendant avec effet au 31 décembre 2024. L’assuré était invité à prendre contact avec le service des personnes sans activité lucrative afin que sa situation puisse être réévaluée à partir du 1er janvier 2025.

f. Le 16 avril 2025, l’assuré a formé opposition à cette décision de clôture de son compte indépendant, sollicitant la réouverture de son affiliation à titre d’indépendant. Il exerçait toujours une activité lucrative en tant que massothérapeute. Compte tenu de la nature de son activité, les prestations étaient généralement payées en espèces, ce qui expliquait pourquoi sa comptabilité était sommaire.

Il a notamment produit :

-          un document intitulé « contrat de collaboration au Centre B______», duquel il ressortait qu’il louait une salle de massage de 10 m2 au sein du Centre de Soins Thérapeutiques et de Formation « C______», dirigé par B______, sis rue D______, à Genève. Ce contrat prévoyait une utilisation ponctuelle du local, pour des séances de 1h30 maximum, au tarif de CHF 27.- de l’heure ;

-          trois quittances manuscrites relatives à des prestations de massage effectuées pour des clients privés, dans lesquelles il était mentionné que les paiements avaient été effectués en espèces ;

-          une quittance concernant une prestation réalisée pour la société « E______ Sàrl », d’un montant de CHF 50.- ;

-          quatre justificatifs de paiement TWINT adressés à « B______, INSTITUT » pour des montants de CHF 40.40 le 5 décembre 2023, CHF 54.- le 22 juillet 2024, CHF 27.- le 16 mai 2024 et CHF 40.50 le 5 mars 2024.

g. Par courrier du 29 avril 2025, la CCGC a requis des informations complémentaires quant à l’existence de son activité indépendante et la nature de celle-ci dès lors qu’il ressortait des pièces produites que son activité de massothérapeute semblait être exercée exclusivement au sein d’un seul cabinet. Elle lui a demandé s’il travaillait également auprès d’autres établissements et si un contrat formel avait été conclu avec B______ concernant une éventuelle collaboration avec cette dernière. Elle avait également constaté que l’assuré offrait des prestations de massage par le biais du site « www.F______.ch ». Elle a requis l’entier des factures clients dont il disposait depuis qu’il avait débuté son activité en 2019, l’entier des preuves d’encaissement y relatives ainsi que les justificatifs bancaires complets sur lesquels il était possible de déterminer de manière claire et complète les transactions effectuées pour ses prestations ainsi que l’identité du débiteur et du créancier.

h. Par courriel du même jour, l’assuré a indiqué que la CCGC n’avait pas procédé à une bonne interprétation de son dossier. Le centre auprès duquel il louait un local avait changé plusieurs fois de noms au fil du temps. Les chiffres concernant sa comptabilité et clientèle avaient été mal compris, voire ignorés.

i. Par courrier du 2 mai 2025, la CCGC a rappelé à l’assuré son obligation de collaborer envers l’administration et lui a imparti un dernier délai au 16 mai 2025 pour répondre de manière complète à chacune des questions figurant dans son courrier du 29 avril 2025. À défaut de réponse dans ce délai, il serait statué en l’état du dossier.

j. Par courriel du 15 mai 2025, l’assuré a indiqué qu’il avait fourni des renseignements suffisants pour confirmer qu’il était toujours indépendant. Il exerçait son activité par le biais du site web « F______ ». Il louait, sur demande, un local de massage à B______ et lui payait le loyer par TWINT. Il ne travaillait aucunement pour l’intéressée et ne recevait que de l’argent en espèces de la part de ses clients.

k. Par décision sur opposition du 19 mai 2025, la CCGC a maintenu sa position.

Le dossier présentait de nombreuses incohérences. Les données financières communiquées par l’assuré étaient en totale contradiction avec les chiffres transmis par l’AFC, laquelle avait annoncé des pertes continues depuis le début de l’année 2019. Malgré plusieurs sollicitations, il n’avait jamais fourni d’explication claire ni de pièces justificatives permettant de comprendre ou de justifier ces écarts. S’agissant des locaux professionnels, respectivement du cabinet loué auprès de B______, les pièces fournies, notamment les quittances et paiements TWINT, montraient qu’il aurait occupé le local environ quatre heures sur l’ensemble de l’année 2024. Un tel usage ne permettait manifestement pas de conclure à l’existence d’une activité indépendante stable et régulière. Par ailleurs, l’assuré avait indiqué offrir ses prestations via la plateforme en ligne « www.F______.ch ». Son nom n’apparaissait toutefois nulle part sur le site concerné. Aucun élément concret ne permettait de confirmer l’existence effective d’une activité professionnelle exercée par ce biais. Enfin, les documents produits à titre de comptabilité (tableaux Excel, états financiers) n’étaient pas structurés de manière compréhensible et ne permettaient pas d’établir un revenu déterminé. En outre, les incohérences constatées entre les documents remis et les déclarations fiscales n’avaient pas été levées. Le défaut de collaboration persistant de l’assuré, malgré les délais et les demandes répétées, empêchait toute vérification sérieuse de la poursuite et/ou de l’existence d’une activité indépendante, étant précisé que la charge de la preuve lui appartenait.

B. a. Par acte du 17 juin 2025, l’assuré a recouru devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre cette décision. Il ne comprenait pas sur quelle base la caisse avait pu procéder à la clôture de son compte indépendant. Les informations demandées étaient excessives. Il avait fourni les preuves suffisantes de son activité de massothérapeute indépendant. Il avait pleinement collaboré et la charge de la preuve incombait à la caisse. Sa correspondance avec la caisse indiquait clairement que son statut d’indépendant avait été clôturé pour des « motifs flous et injustifiés ». Il sollicitait son audition pour éviter une nouvelle correspondance.

Il pouvait produire toutes les quittances de ces clients pour l’année 2024.

b. Le 14 juillet 2025, la caisse a conclu au rejet du recours. Elle avait instruit le dossier avec diligence, en sollicitant des preuves concrètes d’une activité lucrative effective. En réponse, l’assuré avait transmis un tableau mentionnant un revenu de CHF 5'382.- pour 2024, sans pièce justificative et en contradiction avec les chiffres communiqués par l’AFC. Les justificatifs de facturation relatifs à l’ensemble de son activité depuis 2019 n’avaient toujours pas été produits.

c. Le 20 août 2025, le recourant a répliqué, persistant dans son argumentation. Il a produit 32 quittances de massage pour la période du 5 janvier au 23 décembre 2024.

d. La chambre de céans a transmis cette écriture à l’intimée.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

2.             Dans sa décision sur opposition du 19 mai 2025, la caisse intimée s’est prononcée sur le statut d'assuré du recourant en considérant qu'il ne remplissait pas les conditions permettant d'être reconnu comme indépendant au sens de l'AVS. La décision doit ainsi être qualifiée de décision en constatation de droit au sens de l'art. 49 al. 2 LPGA.

3.              

3.1 En principe, l'objet d'une demande en justice ne peut porter que sur des questions juridiques actuelles dont les conséquences touchent concrètement le justiciable. Il est cependant admis qu'une autorité puisse rendre une décision en constatation si le requérant a un intérêt digne de protection à la constatation immédiate d'un rapport de droit litigieux (art. 49 al. 2 LPGA ; voir également l'art. 25 al. 2 PA en corrélation avec l'art. 5 al. 1 let. b PA). Selon la jurisprudence, un tel intérêt n'existe que lorsque le requérant a un intérêt actuel, de droit ou de fait, à la constatation immédiate d'un droit, sans que s'y opposent de notables intérêts publics ou privés, et à condition que cet intérêt digne de protection ne puisse pas être préservé au moyen d'une décision formatrice, c'est-à-dire constitutive de droits et d'obligations (ATF 142 V 2 consid. 1.1 ; 132 V 257 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_571/2015 du 8 avril 2016 consid. 2.1).

3.2 En ce qui concerne les décisions de constatation concernant le statut des assurés en matière de cotisations, la jurisprudence considère que ce statut peut, à lui seul, donner lieu à une décision attaquable lorsqu'un intérêt majeur exige l'examen préalable de cette question. Il en va ainsi dans certains cas complexes, dans lesquels l'on ne peut raisonnablement pas exiger que des décomptes de cotisations paritaires compliqués soient effectués avant que l'existence d'une activité lucrative dépendante et l'obligation de cotiser de l'employeur visé aient été établies. Une telle situation peut se présenter notamment lorsque de nombreux assurés sont touchés par la décision notifiée à leur employeur commun, relative à leur situation de personnes salariées, tout particulièrement si le nombre de ces assurés est si élevé que l'administration ou le juge est dispensé de les appeler à intervenir dans la procédure en qualité d'intéressés (ATF 129 V 289 consid. 2.2 ; 112 V 81 consid. 2a ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_571/2015 précité consid. 2.1 ; U 222/02 du 23 avril 2003 consid. 2.2 et les références). 

Si la juridiction de première instance, au terme de son examen, nie tout intérêt digne de protection à la constatation de la condition du cotisant, elle doit annuler la décision de constatation rendue à tort. L’obligation d'entrer en matière sur le recours existe même dans le cas où la nullité d'une décision de constatation est invoquée (ATF 129 V 289 consid. 3.3).

3.3 La chambre de céans a considéré qu’il n’y avait d’intérêt digne de protection à constater le statut de personne sans activité lucrative d’une assurée, qui se prévalait de sa qualité de massothérapeute indépendante. La caisse avait été en mesure de rendre une décision formatrice sur le montant des cotisations dues en cette qualité quelques jours plus tard. Le statut en fonction duquel les cotisations étaient calculées pouvait être contesté dans le cadre d’une opposition ou d’un recours contre une décision de cotisations (cf. par exemple arrêt du Tribunal fédéral 9C_272/2021 du 14 octobre 2021 ; ATAS/634/2024 du 20 août 2024 consid. 5.5).

3.4 En l’espèce, on ne voit pas quel intérêt majeur exigeait l'examen préalable de la question du statut de cotisant qui ne pouvait pas être préservé au moyen d'une décision formatrice sur les cotisations paritaires à verser par le recourant. Il n'apparaît pas que son cas soit complexe dès lors qu'il est le seul assuré concerné. Il s'agit en effet de déterminer si, de par son activité de massothérapeute, le recourant peut prétendre exercer durablement une activité lucrative à plein temps au sens de l’art. 28bis RAVS. Or, un tel examen ne semble pas poser de questions juridiques nouvelles ou particulièrement complexes.

Il convient donc de nier l’existence d’un intérêt digne de protection à la constatation immédiate du statut du recourant en matière d'AVS. Il appartiendra, le cas échéant, au recourant de contester les décomptes de cotisations établis par l’intimée pour l’année 2025. Conformément à la jurisprudence précitée, la chambre de céans entrera en matière sur le recours et annulera la décision sur opposition, rendue à tort (ATF 129 V 289), sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur le fond. Dans cette mesure, le recours doit être admis. 

4.             Le recourant, qui obtient gain de cause sans le concours d’un mandataire professionnel, n’a pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA).

La procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 19 mai 2025.

4.        Dit que la procédure est gratuite.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le