Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/716/2025 du 25.09.2025 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI
En droit
| rÉpublique et | canton de genÈve | |
| POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
| A/292/2025 ATAS/716/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
| Arrêt du 25 septembre 2025 Chambre 5 | ||
En la cause
| A______ représenté par Me Stéphane GRODECKI, avocat
| recourant |
contre
| SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS
| intimée |
A. a. En date du 12 octobre 2021, A______ (ci-après : l’assuré), né en ______ 1964, employé par la société B______ SA (ci-après : l’employeur) en qualité de maçon, a fait une chute d’une hauteur d’environ 6 m, alors qu’il travaillait sur un chantier, une planche d’échafaudage ayant cédé sous son poids.
b. Souffrant de plusieurs fractures et d’un traumatisme crânio-cérébral sévère, l’assuré a été pris en charge par le service des soins intensifs des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG).
c. Par déclaration de sinistre LAA, datée du 13 octobre 2021, l’employeur a annoncé l’événement à son assureur pour les accidents professionnels et non professionnels, soit la SUVA Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : SUVA).
d. Par courrier du 20 octobre 2021 adressé à l’employeur, la SUVA s’est engagée à prester, suite à l’événement du 12 octobre 2021.
e. Par rapport médical du 30 novembre 2021, adressé au médecin-conseil de la SUVA, la docteure C______, médecin-cheffe de clinique au département des neurosciences cliniques des HUG, a diagnostiqué un polytraumatisme sur hauteur, avec la description de plusieurs fractures et des observations sur un état confusionnel, des troubles de la déglutition et des troubles de la marche et de l’équilibre.
f. L’assuré a pu regagner son domicile en date du 19 janvier 2022, selon la lettre de sortie du service de neuro-rééducation des HUG datée du même jour.
g. Dans le courant des années 2022 et 2023, l’assuré s’est rendu à plusieurs consultations et a fait l’objet de plusieurs rapports médicaux, notamment en matière d’imagerie médicale.
h. Par appréciation médicale du 19 mars 2024, le médecin-conseil de la SUVA, le docteur D______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a estimé l’atteinte à l’intégrité de l’assuré à un taux de 5%, en se fondant sur la table VII des atteintes à l’intégrité, publiée par les médecins de la SUVA, concernant les affections de la colonne vertébrale, plus particulièrement les tables concernant les fractures lombaires avec spondylodèse. Dans son rapport, le médecin-conseil a signalé la présence de lésions dégénératives anciennes.
B. a. En se fondant sur l’appréciation médicale du Dr D______, la SUVA a, par décision du 22 avril 2024, fixé l’indemnité pour atteinte à l’intégrité de l’assuré (ci-après : IPAI) à CHF 7'410.-, soit 5% du gain annuel de l’assuré, arrêté à CHF 148'200.-.
b. Par courrier de son conseil, daté du 17 mai 2024, l’assuré s’est opposé à la décision du 22 avril 2024, contestant, notamment, le taux de 5% retenu pour l’IPAI au motif qu’il ressentait des douleurs minimes permanentes, même au repos, ainsi que des limitations fonctionnelles importantes et qu’il n’avait pas été tenu compte des autres séquelles de l’accident, soit des « limitations fonctionnelles au niveau des membres inférieurs et supérieurs, perte d’odorat etc. » ; dans ces conditions, le taux d’IPAI retenu était insuffisant. Une expertise était sollicitée, ainsi qu’une réévaluation de son cas, en tenant compte de toutes les séquelles de l’accident du 12 octobre 2021.
c. Par courrier du 2 septembre 2024, la SUVA a informé l’assuré qu’elle avait complété l’instruction, suite à la réception de l’opposition et communiqué les récentes pièces médicales reçues de l’assuré à son médecin-conseil. Ce dernier avait pris en compte l’anosmie et établi une nouvelle appréciation médicale du 30 août 2024, dans laquelle il estimait que l’IPAI devait être évaluée à 20%.
d. Par courrier de son conseil du 18 novembre 2024, l’assuré a contesté le taux de 20%, estimant qu’il était invalide à « 80% au moins par suite de l’accident » et faisant valoir qu’en raison des séquelles de son accident, il était désormais incapable de travailler, ajoutant que sa vie quotidienne était devenue très difficile et que l’accident lui avait également causé « d’importantes angoisses et autres séquelles psychologiques ». Il a souligné que l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci‑après : OAI) avait retenu un degré d’invalidité de 100%, par décision du 14 avril 2023, et que plusieurs rapports médicaux de ses médecins traitants, annexés au courrier, démontraient que le taux de l’IPAI retenu devait être beaucoup plus élevé. Selon l’assuré, cela démontrait une instruction lacunaire du dossier ; un taux d’invalidité de 80% devait être retenu et le taux de l’IPAI arrêté à 20% par la SUVA ne tenait pas compte de toutes les séquelles de l’accident et de l’invalidité. Enfin, l’assuré considérait qu’en cas de désaccord de la SUVA, cette dernière devait mettre en œuvre une expertise externe.
e. Dans le cadre de l’opposition, la SUVA a transmis les nouvelles pièces médicales produites par l’assuré à son médecin-conseil, qui s’est prononcé, par appréciation médicale du 9 décembre 2024. Le Dr D______ a estimé qu’après lecture des nouvelles pièces médicales, il fallait rappeler qu’à la suite d’un polytraumatisme, il y avait un déconditionnement global musculaire, lié à la diminution de l’activité, mais que ce dernier n’était pas durable ; après une période de réadaptation, de reconditionnement musculaire et en appliquant les traitements adaptés, les atteintes à l’intégrité perdaient leur caractère durable et non modifiable dans l’avenir, raison pour laquelle le médecin maintenait son évaluation du 30 août 2024 .
f. Par décision sur opposition du 11 décembre 2024, la SUVA a suivi le préavis de son médecin-conseil et a partiellement admis l’opposition de l’assuré, dans le sens où le droit à une IPAI de 20% était reconnu. Pour le surplus, l’opposition était rejetée et la SUVA retirait l’effet suspensif à un éventuel recours contre sa décision sur opposition.
C. a. Par acte de son conseil, posté le 27 janvier 2025, l’assuré a interjeté recours contre la décision sur opposition du 11 décembre 2024 auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), concluant, préalablement, à ce qu’une expertise judiciaire portant sur le taux de l’IPAI soit ordonnée et principalement à l’annulation de la décision querellée et à sa réforme, en ce sens que le taux de l’IPAI devait être fixé à 80%, sous suite de frais et dépens. Il était allégué que, suite à la décision sur opposition, l’assuré avait consulté le docteur E______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, afin que ce dernier rédige un « rapport d’expertise » qui n’était pas encore terminé et serait produit ultérieurement.
b. Par courrier du 13 février 2025, la SUVA a demandé à pouvoir surseoir à répondre jusqu’à ce qu’elle reçoive copie du « rapport d’expertise » du Dr E______.
c. Par courrier du 18 février 2025, la chambre de céans a enjoint au recourant de transmettre à la chambre de céans, dès réception, la copie du rapport établi par le Dr E______, afin qu’il soit communiqué à l’intimée et que cette dernière puisse répondre au recours.
d. Par courrier du 21 février 2025, le recourant a transmis à la chambre de céans le rapport du Dr E______ du 20 février 2025, accompagné de diverses pièces médicales, notamment une attestation du docteur F______, spécialiste en psychiatrie et pédopsychiatrie, datée du 18 février 2025. Le rapport du Dr E______ ainsi que les pièces médicales annexées ont été transmises à la SUVA pour réponse.
e. Par courrier du 17 mars 2025, l’intimée a informé la chambre de céans que son médecin-conseil souhaitait demander aux médecins radiologues des HUG de procéder à une nouvelle lecture radiologique concernant le dossier du recourant, raison pour laquelle, par souci d’économie de procédure, l’intimée demandait de pouvoir répondre une fois que cette instruction complémentaire serait terminée.
f. Par courrier du 20 mai 2025, la chambre de céans a relancé la SUVA en lui demandant dans quel délai elle serait en mesure d’obtenir les renseignements complémentaires idoines.
g. Par courrier du 22 mai 2025, la SUVA a prié la chambre de céans de bien vouloir l’excuser du retard dû à une lacune de transmission des nouvelles pièces médicales à son médecin-conseil ; une détermination pourrait être prochainement formulée. Dans l’intervalle, la SUVA relevait que la date de commencement du suivi psychiatrique ne ressortait pas du bref rapport médical du 18 février 2025 du Dr F______ et demandait que cette information lui soit transmise par le recourant, afin que l’intimée puisse se déterminer et répondre.
h. Sur interpellation de la chambre de céans, le recourant a transmis, en annexe à un courrier du 3 juin 2025, une attestation du Dr F______ du 28 mai 2025, tout en précisant que le suivi médical avait débuté le 6 septembre 2024.
i. Par réponse du 24 juin 2025, l’intimée s’est déterminée sur les troubles somatiques et s’est ralliée à l’avis de son médecin-conseil qui, après avoir pris connaissance du rapport médical du Dr E______, avait maintenu sa précédente estimation de l’IPAI à un taux de 20% au motif, notamment, qu’une partie des lésions observées par le médecin traitant était d’origine dégénérative et n’avait pas de lien de causalité avec l’accident.
j. En ce qui concernait les troubles psychiques, l’intimée s’est déclarée surprise que de tels troubles ne soient mentionnés qu’à ce stade de la procédure, alors même que le recourant était représenté par un conseil, depuis le 31 janvier 2023, raison pour laquelle l’intimée demandait qu’on lui impartît un nouveau délai pour se déterminer sur les troubles psychiques, une fois reçue une nouvelle attestation dactylographiée du Dr F______, afin que le mois de commencement du suivi psychiatrique soit précisé. L’intimée relevait que le chiffre du mois était illisible dans le certificat médical manuscrit du 28 mai 2025 ; par ailleurs, il était suggéré à la chambre de céans de verser à la présente procédure le dossier AI concernant l’assuré.
k. Par courrier du 27 juin 2025, la chambre de céans a demandé au recourant de verser à la procédure l’attestation du Dr F______ demandée par l’intimée.
l. Par courrier du 1er septembre 2025, l’intimée a complété sa détermination en relevant qu’il n’était pas, a priori, clairement exclu qu’il existât une causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques, raison pour laquelle ce volet devait faire l’objet d’une instruction complémentaire ; dans ces conditions, l’intimée concluait à l’admission partielle du recours et au renvoi de la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Pour le surplus, l’intimée s’étonnait que, lors de l’examen de l’assuré par le médecin-conseil D______, en date du 4 juin 2024, celui-là n’avait pas mentionné à celui-ci qu’il suivait un traitement psychiatrique. Cette omission s’était prolongée dans le cadre de la procédure d’opposition, alors même que l’assuré était assisté d’un conseil ; dès lors, l’intimée considérait que le recourant n’avait pas collaboré à l’établissement des faits et qu’il était équitable de ne pas lui allouer de dépens ou de lui allouer des dépens très réduits.
m. Par courrier de son conseil, daté du 3 septembre 2025, le recourant a pris acte de la position de l’intimée, indiquant qu’il ne s’opposait pas à l’annulation de la décision entreprise et au renvoi du dossier pour nouvelle instruction, ce qui revenait à une admission du recours et devait ainsi faire l’objet de dépens complets.
n. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
o. Les autres faits et documents seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « En droit » du présent arrêt.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).
Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais pendant la période du 18 décembre au 2 janvier inclusivement (art. 38 al. 4 let. c LPGA et art. 89C let. c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA- E 5 10]), le recours est recevable.
2. Le litige porte sur le bien-fondé des troubles de la santé, retenus par la SUVA et le montant des prestations financières fixé par cette dernière, suite à l’accident du 12 octobre 2021.
3. Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel et de maladie professionnelle.
3.1 La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les références ; 129 V 402 consid. 4.3.1 et les références) et adéquate avec l’événement assuré (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et la référence ; 129 V 402 consid. 2.2 et les références).
Une fois que le lien de causalité naturelle a été établi au degré de la vraisemblance prépondérante, l’obligation de prester de l’assureur cesse lorsque l'accident ne constitue pas (plus) la cause naturelle et adéquate du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l'accident. Tel est le cas lorsque l'état de santé de l'intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l'accident (statu quo ante) ou à celui qui serait survenu tôt ou tard même sans l'accident par suite d'un développement ordinaire (statu quo sine) (arrêt du Tribunal fédéral 8C_481/2019 du 7 mai 2020 consid. 3.1 et les références). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) selon le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les références), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (arrêt du Tribunal fédéral 8C_650/2019 du 7 septembre 2020 consid. 3 et les références). La simple possibilité que l'accident n'ait plus d'effet causal ne suffit pas (ATF 126 V 360 consid. 5b ;
125 V 195 consid. 2).
3.2 Si l'assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite d’un accident, il a droit à une rente d'invalidité, pour autant que l’accident soit survenu avant l’âge ordinaire de la retraite (art. 18 al. 1 LAA, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2016).
4.
4.1 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 132 V 93 consid. 4 et les références ; 125 V 256 consid. 4 et les références). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).
4.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2). L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).
4.3 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).
Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).
Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères : s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références ; 142 V 58 consid. 5.1 et les références ; 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).
4.4 Lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 137 V 210 consid. 1.3.4 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; 125 V 351 consid. 3b/bb).
Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).
4.5 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et les références ; 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52 ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).
5.
5.1 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références; cf. 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6. 1 et la référence).
5.2 Le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a ; RAMA 1985 p. 240 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l'administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4 ; SVR 2010 IV n. 49 p. 151 consid. 3.5 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).
6.
6.1 En l’espèce, le recourant reproche à l’intimée de ne pas reprendre le taux d’invalidité retenu par l’OAI qui, selon lui, a une valeur probante.
S’il est exact que l’OAI a reconnu une incapacité de travail complète à l’assuré, à l’échéance du délai d’attente, soit au mois d’octobre 2022, il n’en reste pas moins que l’assurance-invalidité se fonde sur l’état de santé général de l’assuré et prend en compte d’éventuelles lésions dégénératives préexistantes, alors que l’assurance-accidents ne doit tenir compte que des lésions qui sont en lien de causalité avec l’accident. Partant, les troubles de la santé retenus par l’OAI sont généralement plus étendus que ceux retenus par la SUVA, car cette dernière n’est tenue de prester qu’en ce qui concerne les lésions directement en lien de causalité avec un accident déterminé. On ne peut donc pas appliquer, sans discernement, le taux d’invalidité retenu par l’OAI dans le cadre d’une procédure devant la SUVA.
Ainsi, il est nécessaire d’examiner, avec rigueur, quels sont les troubles de la santé qui ont été retenus par l’OAI pour fonder sa décision, raison pour laquelle l’apport du dossier de l’OAI est nécessaire, si l’on veut établir une comparaison entre la nature des troubles de la santé, retenus par l’OAI et ceux directement liés à l’accident qui sont retenus par la SUVA.
Compte tenu de ce qui précède, il est recommandé à la SUVA de demander à l’OAI la communication de son dossier complet, dans le cadre de l’instruction complémentaire que l’intimée se propose de mener.
6.2 S’agissant des aspects somatiques, le recourant a demandé qu’une expertise soit ordonnée, dès lors qu’il ne partage pas l’appréciation du médecin-conseil de l’intimée sur le taux de l’IPAI.
Ce dernier a proposé un taux de 5% dans un premier temps, taux qui a été relevé à 20% après opposition de l’assuré, en tenant compte des problèmes olfactifs de ce dernier.
Le médecin-conseil de l’assuré, le Dr E______, qui a la même spécialité en chirurgie orthopédique et en traumatologie que le médecin-conseil de l’intimée, a considéré que, sur le plan purement orthopédique, il fallait tenir compte d’une atteinte à l’intégrité de 15% en raison des limitations de l’épaule droite dominante, à laquelle il fallait ajouter une atteinte à l’intégrité de 15%, en raison des difficultés à la marche et de la mobilité restreinte du rachis post-traumatique.
S’ajoute à cela la question posée dans le rapport de scanner des membres inférieurs du 20 janvier 2025, selon scanner du 17 janvier 2025 effectué par la docteure G______, spécialiste en radiologie, et qui pose la question de l’existence d’un éventuel syndrome douloureux régional complexe (ci-après : SDRC) de type I.
En sus de cette atteinte à l’intégrité de 30%, pour des raisons orthopédiques, le Dr E______ a repris l’évaluation du médecin-conseil pour l’anosmie, soit une atteinte à l’intégrité de 15%, ce qui totalise 45% d’atteinte à l’intégrité sur le plan somatique. Il a ajouté une atteinte à l’intégrité minimum de 20% en raison de l’atteinte psychiatrique post-traumatique.
Ce taux de 65% s’oppose au taux de 20% arrêté par le médecin-conseil de l’intimée, étant précisé que les deux médecins-conseils s’accordent sur le taux de 15% dû à l’anosmie et que l’intimée ne s’est pas encore prononcée sur l’atteinte à l’intégrité pour des raisons psychiques.
Pour expliquer la différence d’appréciation sur le plan orthopédique, le médecin-conseil de l’intimée expose, dans son appréciation médicale du 13 juin 2025 - qui contrairement à l’appellation que lui donnent les parties, n’a pas valeur d’expertise - qu’en ce qui concerne les atteintes à l’épaule droite, elles résultent d’un état antérieur pathologique, soit une omarthrose ; pour les membres inférieurs, l’inégalité de longueur des membres, documentée par l’imagerie médicale (plus de 10 mm), n’aurait qu’une influence clinique faible et serait insuffisante (moins de 25 mm) pour être éventuellement gênante pour l’équilibre corporel ; enfin, s’agissant de la colonne vertébrale, le médecin-conseil considère qu’il existait une colonne dégénérative préexistante, raison pour laquelle il maintient son appréciation précédente de 5% qui s’oppose à celle de 30% retenue par le médecin-traitant. Il ne se prononce pas sur l’hypothèse de l’existence d’un SDRC de type I mentionné par la Dre G______.
Les explications, peu développées, du médecin-conseil de l’intimée renvoient, en substance, à un état dégénératif préexistant, ce qui n’a rien d’étonnant si l’on considère l’âge (61 ans en mai 2025) et la profession, exigeante sur le plan physique, de l’assuré. Néanmoins, les raisons pour lesquelles le médecin-conseil de l’intimée limite à 5% les conséquences de la chute, sur l’atteinte à l’intégrité, sont insuffisamment motivées et peinent à convaincre la chambre de céans.
Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, pour que l'assuré ait une chance raisonnable de soumettre sa cause au juge, sans être clairement désavantagé par rapport à l'assureur (sur l'inégalité relativement importante entre les parties en faveur de l'assurance, cf. ATF 135 V 165 consid. 4.3.1 in fine), le tribunal ne peut pas, lorsqu'il existe des doutes quant à la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l'assurance, procéder à une appréciation des preuves définitives en se fondant d'une part sur les rapports produits par l'assuré et, d'autre part, sur ceux des médecins internes à l'assurance. Pour lever de tels doutes, il doit soit ordonner une expertise judiciaire, soit renvoyer la cause à l'organe de l'assurance pour qu'il mette en œuvre une expertise dans le cadre de la procédure prévue par l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6).
L’intimée s’est prononcée pour le renvoi de la cause pour instruction complémentaire sur le plan psychiatrique, ce à quoi le recourant a acquiescé.
Cependant, en raison des doutes qui subsistent quant à l’appréciation médicale sur le plan somatique, où la divergence entre les appréciations du médecin-conseil de l’intimée et celles du médecin traitant du recourant est importante, la chambre de céans considère qu’afin de lever tout doute sur la fiabilité et la pertinence de l’avis du médecin-conseil et dans un but d’économie de procédure, il convient de traiter à la fois les aspects somatiques – déjà instruits mais dont les résultats sont contestés – et psychiatriques - nouvellement soulevés par le recourant avec la production de l’attestation médicale du psychiatre F______ datée du 18 février 2025 - et de procéder à une expertise bi-disciplinaire, orthopédique et psychiatrique.
6.3 La cause sera ainsi renvoyée à l'intimée afin qu'elle mandate des experts, charge à ces derniers de se prononcer sur la question litigieuse de la causalité, au regard de l'ensemble des pièces et des appréciations médicales au dossier.
Suivant le résultat de l'expertise, l’intimée devra à nouveau se prononcer sur les prestations à allouer.
7.
7.1 En ce qui concerne les dépens, l’intimée demande qu’ils ne soient pas accordés au recourant ou qu’ils soient réduits, car elle fait grief à ce dernier de n’avoir pas collaboré à l’établissement des faits en transmettant, de manière tardive, les éléments concernant ses troubles psychiatriques, alors même qu’il suivait un traitement chez un psychiatre depuis le mois de janvier 2024.
De son côté, selon la lettre de son conseil datée du 3 septembre 2025, le recourant considère avoir droit à des « dépens complets ».
7.2 À teneur de l’attestation médicale du 16 juin 2025 du Dr F______, l’assuré s’est rendu à septante-cinq reprises à des consultations psychiatriques, entre le mois de janvier 2024 et le mois de juin 2025, à raison, en moyenne, d’une séance par semaine.
Ce nonobstant, l’assuré n’a jamais informé la SUVA du suivi psychiatrique, pourtant important, avant l’envoi de l’attestation du Dr F______, datée du 18 février 2025, jointe au chargé de pièces complémentaire du 21 février 2025.
Comme le relève à juste titre l’intimée, on pouvait attendre du recourant, dûment assisté d’un avocat, qu’il informât sans retard et spontanément la SUVA de ses troubles psychiatriques et du traitement qu’il suivait, et ceci dès le mois de janvier 2024. L’intimée souligne que si ces éléments de fait avaient été évoqués en procédure d’opposition, ils auraient pu faire l’objet d’une instruction plus approfondie.
La chambre de céans ne peut qu’acquiescer à ce raisonnement et s’interroger sur les raisons pour lesquelles les troubles psychiatriques et le traitement suivi auprès du Dr F______ n’ont pas été communiqués par le recourant à l’intimée, au stade de l’opposition intervenue en mai 2024, ce qui peut apparaître comme une rétention volontaire d’informations.
Cette question peut toutefois souffrir de n’être pas résolue dans la mesure où, de toute manière, en raison des doutes persistants sur le taux d’IPAI retenu sur le plan orthopédique, il se justifie de renvoyer la cause à l’intimée pour instruction complémentaire, portant aussi bien sur les causes somatiques que sur les causes psychiatriques, et nouvelle décision.
À l’aune de ce qui précède et compte tenu du fait que le recourant est assisté par un mandataire professionnellement qualifié et obtient partiellement gain de cause, il a ainsi droit à une indemnité partielle, à titre de participation à ses frais et dépens, que la chambre de céans fixera à CHF 1’500.- (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 LPA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).
7.3 Pour le surplus, en l’absence de loi spéciale prévoyant des frais judiciaires, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L'admet partiellement.
3. Annule la décision sur opposition du 11 décembre 2024.
4. Renvoie la cause à l’intimée, pour instruction complémentaire au sens des considérants, et nouvelle décision.
5. Condamne l’intimée à verser au recourant la somme de CHF 1’500.-, à titre de participation à ses frais et dépens.
6. Dit que la procédure est gratuite.
7. Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
| La greffière
Véronique SERAIN |
| Le président
Philippe KNUPFER |
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le