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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/870/2025

ATAS/722/2025 du 26.09.2025 ( LPP ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/870/2025 ATAS/722/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 24 septembre 2025

Chambre 4

 

En la cause

A______

Représentée par Maître Jean-Michel DUC

 

 

demanderesse

 

contre

CAISSE DE PENSION DE B______(SUISSE) SA

 

 

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. A______ (ci-après : l’assurée ou la demanderesse), née en 1973, a été employée par B______ Suisse (ci-après : l’employeur) du 1er août 2004 au 30 avril 2011 en tant que mandataire commerciale. À ce titre, elle était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de pension de B______ (ci-après : la caisse ou la défenderesse).

b. Selon l’attestation de sortie établie par la caisse, un montant de CHF 109'515.55 a été versé sur un compte de libre passage pour l’assurée le 22 septembre 2011.

c. En raison d’un état confusionnel, l’assurée a été admise au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) dans la nuit du 24 au 25 novembre 2018. Elle a ensuite séjourné dans le service de neurologie de cet hôpital jusqu’au 20 décembre 2018. Les médecins ont retenu le diagnostic principal d’encéphalopathie hypertensive chronique avec multiples accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques aigus dans le cadre d’un symptôme d’encéphalopathie postérieure réversible (PRES) le 25 novembre 2018. Les diagnostics secondaires étaient des facteurs de risques cérébro-vasculaires, un état confusionnel aigu et un trouble thymique de la lignée dépressive avec consommation chronique de cocaïne.

d. Dans un rapport établi le 22 février 2019, les médecins de l’institution de Lavigny, où l’assurée a séjourné du 20 décembre 2018 au 21 février 2019, ont noté que celle-ci aurait été licenciée il y avait plus de deux ans, et vivait avec son frère. Elle avait présenté pendant de nombreuses années un trouble du comportement alimentaire. Vers l’âge de 30 ans, elle disait être passée de l’anorexie à la toxicodépendance (cocaïne, narcotiques, alcool et tabac). Elle avait drastiquement diminué sa consommation de cocaïne depuis juin 2018 selon ses dires.

e. L’assurée, par sa curatrice, a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Vaud (ci-après l’OAI) le 13 février 2019, invoquant une incapacité de travail depuis le 25 novembre 2018 et une atteinte neurologique dans un contexte de toxicomanie et de troubles psychiques apparue à cette date.

f. Dans un rapport à l’OAI du 9 août 2019, le docteur C______, médecin traitant de l’assurée, a évoqué les diagnostics avec répercussions sur la capacité de travail de multiples AVC ischémiques aigus dans le cadre d’un syndrome d’encéphalopathie postérieure réversible le 25 novembre 2018, avec séquelles cognitives. Les symptômes cognitifs décrits à la sortie de l’institution de Lavigny persistaient malgré l’arrêt de la consommation de substances toxiques. La capacité de travail était nulle depuis « au moins » le 25 novembre 2018.

g. Dans un avis du 16 juillet 2020, le Service médical régional de l’assurance‑invalidité (SMR) a retenu une incapacité de travail depuis le 25 novembre 2018. Il a noté que l’assurée ne travaillait plus depuis 2011 en raison d'une polytoxicomanie (alcool, cocaïne, tabac) et vivait dans la rue. Il s’est référé à un rapport médical du centre psychiatrique des Toises du 25 juin 2020, lequel mentionnait une abstinence à toute substance. L’assurée disposait de bonnes compétences intellectuelles avec une formation supérieure, qui lui avaient permis de travailler dans le milieu bancaire jusqu'au moment de son « entrée dans la polytoxicomanie ». Elle était aujourd'hui abstinente à toute substance, et la réhabilitation lui avait permis de retrouver une capacité de travail dans une activité adaptée de 60% selon les médecins du centre psychiatrique des Toises. Le SMR a défini les limitations fonctionnelles suivantes : difficultés de mémoire, d'attention, diminution d'aptitude au calcul, et hypersensibilité à des situations de stress émotionnel. Au vu de ces limitations, l’activité de gestionnaire en milieu bancaire ne semblait plus du tout adaptée.

h. Dans un rapport du 15 janvier 2021, le SMR s’est prononcé sur l’incapacité de travail de l’assurée, notant que les médecins du CHUV, à l’instar du médecin traitant, fixaient sa survenance au 24 (recte : 25) novembre 2018 en raison de multiples AVC. Les psychiatres du centre psychiatrique des Toises mentionnaient quant à eux une incapacité de travail depuis 2010 en raison d’une consommation de cocaïne depuis l'âge de 30 ans, pouvant aller jusqu'à 2-3 grammes par jour, mélangés à une consommation excessive d'alcool. Au vu des rapports médicaux et de l’entretien Ressort, il était pour le SMR hautement vraisemblable que l’assurée avait été en incapacité de travail durable vers 2010, période pendant laquelle elle n’était plus en mesure d'assumer son emploi à responsabilité dans le milieu bancaire en raison d'une polytoxicomanie sévère associée à une dépression, entrainant une désinsertion sociale. L’assurée n'ayant pas eu de suivi à cette époque, il était difficile d’instruire le cas. Au vu des comptes individuels, on pouvait effectivement supposer que l’assurée n’avait pu être en emploi après 2010.

i. Par décision du 13 octobre 2023, l’OAI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité dès le 1er novembre 2023, en raison d’une incapacité de travail sans interruption notable dès le 15 (sic) novembre 2018, début du délai de carence d’une année. L’assurée avait bénéficié de mesures de réadaptation jusqu’au 1er juin 2023, date à laquelle elle présentait une capacité de travail résiduelle de 50% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. La perte de gain était de 81.11% par rapport au revenu sans invalidité.

B. a. Le 27 mars 2024, l’assurée, par sa curatrice, a invité l’employeur à lui indiquer si elle avait droit à une rente de la prévoyance professionnelle de sa caisse de pension, indiquant qu’elle avait cessé son activité à la suite d’une invalidité.

b. Par courrier du 1er mai 2024 à la curatrice de l’assurée, la caisse s’est référée à la décision de l’assurance-invalidité du 13 octobre 2023. L’assurée avait été affiliée auprès d’elle jusqu’au 30 avril 2011, et la couverture d’assurance avait pris fin le 31 mai 2011. L’incapacité de gain ayant débuté en novembre 2018, la demande de rente de la prévoyance professionnelle était rejetée.

c. Le 27 août 2024, la caisse, par son mandataire, a renoncé à se prévaloir de l’exception de prescription jusqu’au 31 décembre 2025 à l’encontre de l’assurée pour toute action en lien avec son incapacité de travail du 15 (recte : 25) novembre 2018, pour autant que la prescription ne fût pas déjà acquise.

C. a. Par demande du 13 mars 2025 déposée devant la chambre de céans, l’assurée a conclu, sous suite de dépens, à ce que la caisse soit condamnée à lui verser des prestations d'invalidité, notamment une rente réglementaire entière d'invalidité dès le 27 août 2019 avec intérêts moratoires de 5% l'an dès le dépôt de sa demande. Elle a requis l’apport du dossier de l’OAI, la production par la défenderesse de « son dossier complet », de ses statuts depuis 2011, de ses règlements et de leurs modifications depuis 2011, des comptes « technique et témoin », et la production par l’employeur du dossier de la demanderesse.

La demanderesse a allégué qu’elle s’était trouvée dans l'incapacité de travailler en raison d'une polytoxicomanie, et avait vécu sans domicile fixe pendant plusieurs années. Ses atteintes invalidantes trouvaient leur origine en 2010, comme le révélait l’instruction de l’OAI. Ainsi, au moment de l’incapacité de travail déterminante, elle était affiliée auprès de la défenderesse. Elle avait ainsi droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle, et à une rente entière d'invalidité dès le 27 août 2019, les prestations dues avant cette date étant prescrites.

b. Dans sa réponse du 14 mai 2025, la défenderesse a conclu au rejet de la demande. Elle a souligné que la chambre de céans devrait déterminer si la demande du 13 mars 2025 remplissait les exigences relatives à un tel acte, au vu du mémoire plutôt sommaire et des pièces dont la demanderesse avait requis la production, alors qu’elle était en mesure de les obtenir par elle-même – par exemple son dossier de l’OAI ou son dossier personnel auprès de l’employeur. La production des comptes technique et témoin paraissait en outre superflue. La défenderesse a précisé qu’elle produisait les documents qui lui avaient été fournis et invitait la chambre de céans à déterminer l'étendue des moyens de preuve requis. La demanderesse avait travaillé pour l’employeur d’août 2004 au 30 avril 2011. Lorsqu’elle avait quitté son poste, selon les documents en possession de la défenderesse, elle ne présentait aucune incapacité de travail et sa prestation de sortie avait été dûment transférée sur un compte de libre passage. L'OAI avait fixé le début de l’incapacité de travail au 15 (recte : 25) novembre 2018, ce que la demanderesse n’avait pas contesté. Celle-ci n’était pas assurée auprès de la défenderesse à cette date. Le règlement de la défenderesse valable au 1er janvier 2011 prévoyait le droit à une rente d’invalidité si l’assuré était reconnu invalide et était affilié auprès d’elle lorsqu’avait débuté l'incapacité de travail dont la cause était à l'origine de l'invalidité. La défenderesse a en substance nié l’existence d’un lien de connexité matérielle et temporelle entre l’invalidité de la demanderesse et une éventuelle incapacité de travail née durant les rapports d’assurance.

c. Dans sa réplique du 22 mai 2025, la demanderesse a persisté dans ses conclusions. S’agissant du début de l’incapacité de travail, elle s’est référée à l’avis du SMR du 15 janvier 2021, aux termes duquel il était hautement vraisemblable que l’incapacité de travail durable avait débuté vers 2010. C’était ainsi à cette date qu’avait débuté l’incapacité de travail déterminante. S’agissant du début de l’incapacité de travail fixé par l’OAI, elle a souligné qu’elle n’était pas assistée par un mandataire professionnel lorsque cet office avait statué et qu’elle n’avait du reste pas d’intérêt suffisant à contester sa décision, dès lors que le droit à la rente ne pouvait commencer avant le 1er août 2019 au vu de la date de dépôt de la demande. Le SMR avait conclu au vu de ses limitations fonctionnelles que l’activité habituelle n’était plus adaptée. La demanderesse s’est en outre référée à un rapport du centre psychiatrique des Toises, qui indiquerait que malgré sa motivation à se réinsérer, sa fragilité psychologique entraînerait un fort sentiment d'incertitude et de découragement, ce qui par la suite ferait augmenter sa consommation de cocaïne. Ce rapport retiendrait les diagnostics de trouble dépressif récurrent, troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation de cocaïne, autres maladies cérébro-vasculaires, et conclurait à une incapacité de travail de 50%. Partant, l’invalidité n’était pas uniquement en lien avec les atteintes survenues en 2018. Depuis la fin des rapports de travail le 30 avril 2011, la demanderesse n'avait pas été en mesure de reprendre une activité professionnelle de nature à interrompre la connexité temporelle.

d. La chambre de céans a transmis copie de cette écriture à la défenderesse le 26 mai 2025.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations [CO - RS 220] ; art. 52, 56a, al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 [LPP - RS 831.40] ; ancien art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

En matière de prévoyance professionnelle, le for de l'action est au siège ou au domicile suisse du défendeur (art. 73 al. 3 LPP), soit Genève en vertu de l’art. 1 du règlement principal de la défenderesse.

La compétence de la chambre de céans pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 L'ouverture de l'action prévue à l'art. 73 al. 1 LPP n'est soumise, comme telle, à l'observation d'aucun délai (Raymond SPIRA, Le contentieux des assurances sociales fédérales et la procédure cantonale, Recueil de jurisprudence neuchâteloise 1984, p. 19).

Respectant en outre la forme prévue à l'art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), la demande est recevable.

2.             Le litige porte sur le droit de la demanderesse à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle dès août 2019, conformément à ses conclusions.

3.             L’art. 10 LPP dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023 dispose que l’assurance obligatoire commence en même temps que les rapports de travail ; pour les bénéficiaires d'indemnités journalières de l'assurance-chômage, elle commence le jour où ils perçoivent pour la première fois une indemnité de chômage (al. 1). L'obligation d'être assuré cesse, sous réserve de l'art. 8 al. 3, à l'âge ordinaire de la retraite (art. 13) (let. a) ; en cas de dissolution des rapports de travail (let. b) ; lorsque le salaire minimum n'est plus atteint (let. c) ; lorsque le droit aux indemnités journalières de l'assurance-chômage s'éteint (let. d) (al. 2). Durant un mois après la fin des rapports avec l'institution de prévoyance, le salarié demeure assuré auprès de l'ancienne institution de prévoyance pour les risques de décès et d'invalidité (al. 3). Si un rapport de prévoyance existait auparavant, c'est la nouvelle institution de prévoyance qui est compétente (al. 4).

4.             Selon l’art. 23 let. a LPP, ont droit à des prestations d'invalidité les personnes qui sont invalides à raison de 40% au moins au sens de l'assurance-invalidité, et qui étaient assurées lorsqu'est survenue l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité. L’art. 24 al. 1 let. a LPP dispose que l’assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à raison de 70% au moins au sens de l'assurance‑invalidité.

4.1 Selon la jurisprudence, l'événement assuré au sens de l'art. 23 LPP est uniquement la survenance d'une incapacité de travail d'une certaine importance, indépendamment du point de savoir à partir de quel moment et dans quelle mesure un droit à une prestation d'invalidité est né. La qualité d'assuré doit exister au moment de la survenance de l'incapacité de travail, mais pas nécessairement lors de l'apparition ou de l'aggravation de l'invalidité. Lorsqu'il existe un droit à une prestation d'invalidité fondée sur une incapacité de travail survenue durant la période d'assurance, l'institution de prévoyance concernée est tenue de prendre en charge le cas, même si le degré d'invalidité se modifie après la fin des rapports de prévoyance. Dans ce sens, la perte de la qualité d'assuré ne constitue pas un motif d'extinction du droit aux prestations au sens de l'art. 26 al. 3 LPP (ATF 138 V 409 consid. 6.2 et 123 V 262 consid. 1a). L'état de fait dont découle le droit aux prestations de la prévoyance professionnelle n'est pas la survenance de l'incapacité de travail, événement déterminé dans le temps, mais l'incapacité de travail comme telle, qui est un état durable. La situation juridique qui donne lieu à une rente d'invalidité n'est donc pas ponctuelle, mais perdure jusqu'à la naissance du droit aux prestations de la prévoyance professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 9C_435/2021 du 7 septembre 2022 consid. 6.1).

4.2 Le moment de la survenance de l’incapacité de travail est d’une importance primordiale pour déterminer quelle institution de prévoyance est compétente. En prévoyance professionnelle, on ne peut renoncer à une preuve suffisamment claire en ce qui concerne sa survenance (Marc HÜRZELER in Commentaire LPP et LFLP, 2ème éd. 2020, n. 11 ad art. 23 LPP).

La preuve claire de la survenance de l’incapacité de travail doit être démontrée au degré de la vraisemblance prépondérante usuel en assurances sociales (arrêt du Tribunal fédéral 9C_52/2018 du 21 juin 2018 consid. 3.2). Pour qu’une diminution de la capacité de travail soit démontrée à satisfaction de droit, il n’est pas forcément nécessaire de disposer d’un certificat médical établi en temps réel. Des suppositions ou des réflexions spéculatives ultérieures, telles qu’une incapacité de travail attestée de manière rétroactive plusieurs années plus tard, ne suffisent toutefois pas. Pour qu’un certificat médical rétroactif attestant l’incapacité de travail soit suivi et qu’on renonce à un certificat médical établi en temps réel, les répercussions négatives de la maladie sur la capacité de travail doivent au contraire être documentées en temps réel (arrêts du Tribunal fédéral 9C_107/2024 du 24 juin 2025 consid. 2.2, 9C_154/2021 du 21 juin 2018 consid. 2.2 et 9C_517/2020 du 28 janvier 2021 consid. 3.2).

5.             Conformément à l'art. 26 al. 1 LPP, les dispositions de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI - RS 831.20) s'appliquent par analogie à la naissance du droit aux prestations d'invalidité. Si une institution de prévoyance reprend - explicitement ou par renvoi - la définition de l'invalidité dans l'assurance‑invalidité, elle est en principe liée, lors de la survenance du fait assuré, par l'estimation de l'invalidité par les organes de cette assurance, sauf si cette estimation apparaît d'emblée insoutenable (ATF 144 V 72 consid. 4.1). Cette force contraignante vaut aussi en ce qui concerne la naissance du droit à la rente et, par conséquent, également pour la détermination du moment à partir duquel la capacité de travail de l'assuré s'est détériorée d'une manière sensible dans la mesure où l’OAI a dûment notifié sa décision de rente aux institutions de prévoyance entrant en considération (ATF 123 V 269 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_651/2015 du 11 février 2016 consid. 4.1). Il convient de rappeler que lorsque la demande de prestations de l'assurance-invalidité a été déposée tardivement, il n'y a aucune raison, du point de vue de l'assurance‑invalidité, de fixer avec précision le début du délai d'attente et d'examiner l'évolution de la capacité de travail pour une période antérieure aux six mois précédant la demande. Ainsi, pour ce qui est de la période antérieure, les constatations et autres appréciations des organes de l'assurance-invalidité n'ont a priori aucune force contraignante pour les organes de la prévoyance professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 9C_383/2022 du 13 décembre 2022 consid. 5.1.2).

L’art. 25 al. 1 du règlement principal de la défenderesse dans sa version entrée en vigueur le 1er janvier 2011, prévoit qu’a droit à une rente d’invalidité l’assuré qui est reconnu invalide par l’assurance-invalidité, pour autant qu’il ait été affilié à la caisse lorsqu’a débuté l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité.

6.             Pour que l'institution de prévoyance reste tenue à prestations après la dissolution du rapport de prévoyance, il faut non seulement que l'incapacité de travail ait débuté à une époque où l'assuré lui était affilié, mais encore qu'il existe entre cette incapacité de travail et l'invalidité une relation d'étroite connexité. La connexité doit être à la fois temporelle et matérielle (ATF 130 V 270 consid. 4.1).

6.1 La connexité temporelle implique qu'il n’y ait pas eu de longue interruption de l'incapacité de travail. Ce lien est rompu si, pendant une certaine période qui peut varier en fonction des circonstances du cas, l'assuré est à nouveau apte à travailler. L'institution de prévoyance ne saurait, en effet, répondre de rechutes lointaines plusieurs années après que l'assuré a recouvré sa capacité de travail. Une brève période de rémission ne suffit pas pour interrompre le rapport de connexité temporelle (ATF 123 V 262 consid. 1c ; 120 V 112 consid. 2c/aa). En ce qui concerne la durée de la capacité de travail interrompant le rapport de connexité temporelle, on peut s'inspirer de la règle de l'art. 88a al. 1 du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI – RS 831.201) comme principe directeur (Richtschnur). Conformément à cette disposition, il y a lieu de prendre en compte une amélioration de la capacité de gain ayant une influence sur le droit des prestations lorsqu'elle a duré trois mois, sans interruption notable, et sans qu'une complication prochaine soit à craindre. Lorsque l'intéressé dispose à nouveau d'une pleine capacité de travail pendant au moins trois mois et qu'il apparaît ainsi probable que la capacité de gain s'est rétablie de manière durable, il existe un indice important en faveur de l'interruption du rapport de connexité temporelle. Il en va différemment lorsque l'activité en question, d'une durée éventuellement plus longue que trois mois, doit être considérée comme une tentative de réinsertion ou repose de manière déterminante sur des considérations sociales de l'employeur et qu'une réadaptation durable apparaissait peu probable (ATF 134 V 20 consid. 3.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_503/2013 du 25 février 2014 consid. 3.2). La relation de connexité temporelle suppose qu'après la survenance de l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité, la personne assurée n'ait pas à nouveau été capable de travailler pendant une longue période. L'existence d'un tel lien doit être examinée au regard de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, tels la nature de l'atteinte à la santé, le pronostic médical, ainsi que les motifs qui ont conduit la personne assurée à reprendre ou ne pas reprendre une activité lucrative. Il peut également être tenu compte du comportement de la personne assurée dans le monde du travail, tel que, par exemple, le fait qu'elle perçoive des indemnités journalières de l'assurance-chômage en qualité de demanderesse d'emploi pleinement apte au placement, étant précisé que les périodes de chômage indemnisé ne sauraient être pleinement assimilées à des périodes de travail effectif (arrêt du Tribunal fédéral 9C_76/2015 du 18 décembre 2015 consid. 3.2.1).

6.2 Il y a connexité matérielle si l'affection à l'origine de l'invalidité est la même que celle qui s'est déjà manifestée durant le rapport de prévoyance et qui a entraîné une incapacité de travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_646/2023 du 10 juin 2025 consid. 2.2). A titre d’exemples, la jurisprudence a retenu un tel lien de connexité entre un trouble dysthymique apparu pendant les rapports de travail et une invalidité liée notamment à un épisode dépressif sévère sans symptôme psychotique (arrêt du Tribunal fédéral 9C_930/2011 du 14 décembre 2012). Elle a également admis une connexité matérielle entre une invalidité et des symptômes dépressifs apparus pendant les rapports de travail, qui n’ont toutefois atteint un degré moyen qu’après la fin de ceux-ci (arrêt du Tribunal fédéral 9C_484/2012 du 26 mars 2013 consid. 4.1). Un lien de connexité matérielle a été nié entre un accident ayant entraîné une fracture du poignet en 2009 et des troubles lombaires survenus en 2014 (arrêt du Tribunal fédéral 9C_642/2019 du 16 décembre 2019 consid. 5.2.2), et entre des douleurs cervico-dorso-lombaires résultant d’un accident et des douleurs lombaires associées à une fibrose rétropéritonéale apparue par la suite (arrêt du Tribunal fédéral 9C_213/2020 du 1er mars 2021 consid. 5.2.2).

7.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2). Aussi n'existe‑t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré et le défaut de preuve va au détriment de la partie qui entendait tirer un droit du fait non prouvé (ATF 126 V 319 consid. 5a ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_175/2015 du 15 janvier 2016 consid. 3.2).

8.             Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse (Cst.- Rs 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle dont la jurisprudence a déduit en particulier le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision, celui d'avoir accès au dossier, d'en prendre connaissance et de se déterminer (ATF 142 II 218 consid. 2.3).

Le droit d'être entendu permet en outre à une partie d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (arrêt du Tribunal fédéral 7B_29/2023 du 10 juin 2024 consid. 4.2.1). Le droit de faire administrer des preuves suppose que le fait à prouver soit pertinent, que le moyen de preuve proposé soit nécessaire pour constater ce fait et que la demande soit présentée selon les formes et délais prescrits par le droit cantonal. Par ailleurs, cette garantie constitutionnelle n'empêche pas le juge de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (arrêt du Tribunal fédéral 2C_605/2018 du 24 octobre 2018 consid. 2.1).  

9.             L’action au sens de l’art. 73 LPP ne fait pas suite à une procédure administrative, de sorte qu’elle suppose une présentation de tous les faits juridiquement pertinents et des moyens de preuve fondant le droit aux prestations. Ainsi, si la maxime inquisitoire s’applique en matière de prévoyance professionnelle, elle est limitée par l'obligation de collaborer qui incombe aux parties (ATF 138 V 86 consid. 5.2.3). Ce devoir de coopérer implique dans le cadre d’une action fondée sur l’art. 73 LPP l’obligation d’alléguer les faits pertinents (arrêt du Tribunal fédéral 9C_48/2017 du 4 septembre 2017 consid. 2.2.2). On rappellera que dans le domaine des assurances sociales en général, la portée de la maxime inquisitoire n’est pas absolue, et qu’elle est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l'instruction de l'affaire. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2).

10.         En l’espèce, la demanderesse soutient que l’incapacité de travail qui a conduit à son invalidité est survenue pendant les rapports d’assurance auprès de la défenderesse, comme le révèlerait le dossier de l’OAI, dont elle a requis la production. S’agissant de cette mesure probatoire, la chambre de céans observe que la demanderesse a incontestablement eu accès au dossier de l’OAI, puisqu’elle en a produit plusieurs pièces pour étayer ses allégations, et qu’elle a cité dans sa dernière écriture un rapport qui aurait été établi par le centre psychiatrique des Toises. En vertu de son obligation de collaborer, concrétisée par les exigences rappelées par la jurisprudence citée lui imposant de produire les preuves raisonnablement exigibles, il est douteux qu’il appartienne à la chambre de céans de requérir la production de pièces dont la demanderesse dispose déjà, ou auxquelles elle a le droit d’accéder. Cette question peut toutefois rester ouverte dès lors que les pièces versées au dossier – dont les rapports du service de neurologie du CHUV et de l’institution de Lavigny que la défenderesse a produits – permettent de statuer sur le droit de la demanderesse à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle. De plus, celle-ci n’allègue pas de faits qui ne ressortent pas des documents figurant dans son bordereau de pièces ou dans celui produit par la défenderesse. Partant, la production de l’intégralité du dossier de l’OAI n’a pas à être ordonnée.

S’agissant de la production du dossier de la défenderesse, celle-ci l’a versé à l’appui de sa réponse. Quant au dossier de l’employeur concernant la demanderesse, on voit mal ce que celle-ci – qui aurait du reste été en mesure de le requérir elle-même – entend en tirer, dès lors qu’elle n’allègue aucun fait précis que l’apport de ce dossier permettrait de démontrer. Certes, ce dossier pourrait éventuellement révéler une baisse de rendement, voire une incapacité de travail précédant la résiliation des rapports de service en raison de la polytoxicomanie alléguée. Toutefois, comme on le verra ci-après, ce point n’est pas déterminant pour l’issue du litige, au vu de l’absence de connexité matérielle entre ce trouble et l’invalidité reconnue par l’OAI. Pour les mêmes motifs, il est inutile d’exiger les règlements de prévoyance postérieurs à la fin de la couverture de prévoyance. La défenderesse a en outre produit l’attestation de versement de la prestation de libre passage. Quant au compte témoin – soit le compte de vieillesse indiquant l’avoir de vieillesse que doit tenir une institution de prévoyance en vertu de l’art. 11 al. 1 de l’ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 18 avril 1984 (OPP 2 - RS 831.441.1) (ATF 136 V 313 consid. 4.4) – il n’est pas pertinent non plus, au vu de l’issue du litige.

Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de faire droit aux réquisitions de preuve de la demanderesse, par appréciation anticipée des preuves.

11.         La demanderesse s’appuie sur les avis de l’OAI pour fixer la date de survenance de l’incapacité de travail durant les rapports d’assurance avec la défenderesse. Force est toutefois de constater que les avis du SMR dont elle se prévaut ne sont pas suffisants à cet effet.

L’avis du SMR du 15 janvier 2021 retient comme « hautement vraisemblable » une incapacité de travail durable « vers 2010 », imputable à une polytoxicomanie associée à une dépression. On ne saurait se rallier à cette appréciation. Il faut noter en premier lieu que cette prétendue haute vraisemblance n’est étayée par aucun indice concret, et que les divers intervenants semblent avoir retenu cet élément anamnestique uniquement en fonction des déclarations de la demanderesse aux médecins du centre psychiatrique des Toises et lors de l’entretien Ressort, puisqu’aucun constat médical établi en temps réel ne paraît exister. Le SMR a du reste noté l’absence de suivi médical permettant d’asseoir cette hypothèse, qu’il qualifie lui-même de supposition. Or, une telle conjecture ne suffit précisément pas pour établir la survenance d’une incapacité de travail, conformément à la jurisprudence citée, en l’absence de tout autre élément probant. En particulier, l’absence de revenu enregistré dans les comptes individuels après 2010 ne permet pas de conclure à une incapacité de travail dès cette date.

Les avis du SMR sont de plus quelque peu contradictoires et flous quant au début de l’incapacité de travail, puisque ce service mentionne dans son avis de juillet 2020 que la demanderesse ne travaille plus non pas depuis 2010, mais depuis 2011. Quant aux médecins de l’institution de Lavigny, ils ont évoqué en 2019 un licenciement « plus de deux ans auparavant », ce qui semble suggérer soit une incapacité de travail plus tardive que 2010 ou 2011, soit que la demanderesse aurait repris une activité entre 2011 et 2017.

Enfin, même s’il fallait admettre qu’une incapacité de travail est survenue en 2010 en lien avec une toxicomanie, la demanderesse ne fait valoir aucun élément qui établirait que cette incapacité de travail aurait perduré sans interruption notable depuis.

Ces divergences révèlent les difficultés à dater la survenance de l’incapacité de travail avec une précision au degré de preuve suffisant, ce qui doit conduire à exclure un lien de connexité temporelle dans le présent cas.

En outre, même s’il fallait s’en tenir à la conclusion du SMR quant à la date de survenance de l’incapacité de travail, malgré l’absence de tout élément permettant de la corroborer, il conviendrait alors de relever que ladite incapacité était alors imputée à une polytoxicomanie et un trouble dépressif associé. Or, l’atteinte ayant justifié l’octroi d’une rente par l’OAI découle des AVC subis en novembre 2018, et en particulier des limitations fonctionnelles d’ordre cognitif qu’ils ont entraînés. On notera qu’il s’agit là du diagnostic principal évoqué tant par les médecins du CHUV que ceux de l’institution de Lavigny, et que le Dr C______ l’a également cité à titre d’atteinte ayant une répercussion sur la capacité de travail. Bien qu’on ne doive pas nécessairement accorder une importance déterminante aux indications figurant dans un formulaire de demande de l’assurance-invalidité, il faut néanmoins souligner que c’est également cette atteinte qui y a été invoquée pour faire valoir le droit aux prestations de la demanderesse. Or, il ressort sans équivoque du dossier que les AVC sont survenus en novembre 2018, date à laquelle la demanderesse n’était plus liée par les rapports d’assurance avec la défenderesse. Partant, l’atteinte invalidante ouvrant le droit aux prestations de l’assurance-invalidité n’est pas celle qui a causé l’incapacité de travail alléguée par la demanderesse dès 2010 ou 2011. Selon plusieurs éléments du dossier, la demanderesse a d’ailleurs mis un terme à sa consommation de substances toxiques en 2019 ou 2020, et ce n’est ainsi pas la toxicomanie qui a motivé l’octroi d’une rente. On ajoutera enfin de manière générale qu’une toxicomanie primaire n’était selon les critères jurisprudentiels applicables jusqu’en juillet 2019 pas nécessairement une atteinte invalidante (sur la question, cf. ATF 145 V 215 consid. 4.1).

Au vu de ces éléments, on ne peut pas non plus retenir de lien de connexité matérielle entre l’atteinte dont le caractère invalidant a été reconnu par l’OAI et l’incapacité de travail alléguée survenue en 2010. Partant, le droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle doit être nié.

12.         La demande est rejetée.

Les caisses de pension n’ont en principe pas droit à des dépens, sauf en cas de témérité ou de légèreté de la partie adverse (ATF 126 V 143 consid. 4), si bien qu’aucune indemnité ne sera allouée à la défenderesse.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP et art. 89H al. 1 LPA).

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande recevable.

Au fond :

2.        La rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Janeth WEPF

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le