Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1437/2024

ATAS/367/2025 du 20.05.2025 ( LAA ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1437/2024 ATAS/367/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 20 mai 2025

Chambre 15

 

En la cause

A______

représentée par Me Renato CAJAS, avocat

 

 

recourante

 

contre

VISANA ASSURANCES SA

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. B______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1945, travaillait en qualité d’enseignant et était assuré contre les accidents auprès de CMB Assurances, devenue VISANA Assurances SA (ci-après : l’assurance ou l’intimée) après sa fusion en 1996 avec deux autres sociétés d’assurance.

b. L’assuré s’est marié, le ______ 1970, à A______ (ci-après : l’intéressée ou la recourante), née le 22 février 1938 et mère de ses deux enfants respectivement nés en 1970 et 1972.

c. L’assuré est décédé dans un accident de voiture, le 21 juillet 1993.

d. À la suite du décès de son époux, l’intéressée a mandaté un avocat pour faire valoir ses droits auprès de l’assurance-accidents de son défunt époux ainsi qu’une société fiduciaire pour gérer sa situation fiscale et successorale.

e. Par décision du 21 avril 1995, l’assurance a fixé le montant de la rente de veuve et des rentes d’orphelin dues à l’intéressée et aux deux enfants du défunt. Ce document précisait que le droit à la rente de veuve s’éteignait notamment par le remariage et mentionnait l’obligation de signaler à l’assurance toute circonstance susceptible d’entraîner une adaptation des rentes.

f. À la suite de l’opposition de l’intéressée à cette décision, l’assurance a rendu une nouvelle décision, le 24 août 1995, par laquelle elle a admis un des trois griefs élevés. Cette décision n’a pas été contestée plus avant. Les rentes ont été versées à l’intéressée et à ses enfants.

g. L’un des enfants majeurs de l’intéressée ayant cessé ses études et perdu son droit à sa rente AVS dès le 1er juillet 1995, le mandataire de l’intéressée en a informé l’assurance, le 22 février 1996. L’assurance a dès lors constaté que cet enfant n’était plus en droit de percevoir de rente d’orphelin au-delà du mois de juin 1995.

h. Le 23 mai 2009, l’intéressée s’est remariée avec C______. Ce mariage n’est pas inscrit à l’office cantonal de la population du canton de Genève (ci-après : OCPM). L’intéressée y apparaît aujourd’hui encore comme étant veuve.

B. a. L’assurance a régulièrement adressé des courriers à l’intéressée, à son domicile au Grand-Lancy, pour l’informer du montant de l’allocation de renchérissement sur ses rentes, et l’a invitée, notamment par pli du 2 décembre 2008, à annoncer tout motif de révision des rentes.

b. Le 16 mai 2011, l’assurance a requis de la commune de Lancy de remplir et lui renvoyer une attestation de vie concernant l’intéressée. Ladite attestation comprenait une rubrique sur l’état civil.

c. Cette attestation a été retournée à l’assurance. L’adresse de l’intéressée y était indiquée à la main et les cases « en vie » et « veuve » avaient été cochées. Ce document comportait le timbre de la Police municipale du Grand-Lancy, une signature sur ledit timbre et la date du 24 mai 2011.

d. Le 27 juillet 2011, l’intéressée a communiqué par courriel à l’assurance sa nouvelle adresse à la rue D______ à Genève.

e. En octobre 2013, l’assurance a sollicité de la ville de Genève qu’elle lui retourne un formulaire d’attestation de vie rempli. Par courrier du 10 décembre 2013, elle a invité l’intéressée à se présenter munie d’une pièce d’identité au service d’état civil de la ville de Genève. Celle-ci lui a ensuite adressé un « certificat de vie », document officiel établi par ce service le 13 janvier 2014, attestant qu’elle s’était présentée à cette date dans ses locaux.

f. Le 27 avril 2015, l’intéressée a communiqué par courriel à l’assurance sa nouvelle adresse à la rue E______ à Genève.

g. Le 10 mai 2017, l’assurance a invité l’intéressée à se présenter au service de l’état civil de la ville de Genève afin d’y faire compléter le formulaire « Attestation de vie ».

h. En septembre 2017, l’assurance a reçu l’attestation de vie requise et remplie, mais non signée, sur laquelle l’adresse et la date de naissance de l’intéressée étaient corrigées à la main et la case « Veuve » cochée. Était joint un certificat de vie établi par le service de l’état civil de la ville de Genève le 6 septembre 2017 et contresigné par l’intéressée.

i. Le 10 octobre 2019, l’assurance a requis une nouvelle attestation de vie et d’état civil de l’intéressée. Cette dernière lui a retourné un certificat de vie établi par la Ville, le 26 février 2020, mais pas l’attestation de vie requise.

j. L’assurance ayant requis de l’intéressée une nouvelle attestation de vie, celle-ci lui a retourné le formulaire idoine en mai 2022, dans lequel elle a coché la case « mariée », ainsi qu’un certificat de vie établi par le service de l’état civil de la ville de Genève, le 2 mai 2022.

k. Le 16 mai 2022, l’assurance a invité l’assurée à lui faire savoir si l’indication « mariée » dans l’attestation résultait d’une erreur, rappelant que le droit à la rente de veuve s’éteignait à la date du remariage. Elle a requis une copie du livret de famille. À défaut, le droit à la rente serait suspendu. Cette demande a fait l’objet d’un rappel de l’assurance le 7 septembre 2022, qui a précisé que le droit à la rente serait suspendu au 31 octobre 2022 si ces documents ne lui étaient pas remis dans ce délai.

l. L’intéressée n’ayant pas donné suite à ces demandes, l’assurance s’est adressée au service de l’état civil de la ville de Genève le 7 décembre 2022 pour obtenir des clarifications sur l’état civil de l’intéressée, puis en date du 5 janvier 2023 à la commune d’origine de cette dernière, sise dans le canton du Jura. L’office d’état civil de Delémont a rempli l’attestation le 6 janvier 2023, en indiquant que l’intéressée était remariée depuis le 23 mai 2009.

m. Par décision du 22 septembre 2023, l’assurance a requis de l’intéressée la restitution des prestations indûment versées. En n’annonçant pas son remariage, celle-ci avait commis un acte punissable, de sorte que le délai de prescription pour demander la restitution des prestations indûment touchées était de sept ans. L’intéressée avait indûment perçu des rentes de veuve à hauteur de CHF 431'866.05 depuis son remariage. Seules les rentes versées à partir du 1er octobre 2016, soit un montant de CHF 194'331.60, devaient être remboursées à l’assurance. Une éventuelle opposition n’aurait pas d’effet suspensif.

n. L’intéressée s’est opposée à cette décision, le 19 octobre 2023.

Elle a soutenu qu’on ne pouvait pas lui reprocher de ne pas se souvenir des détails de la décision lui allouant une rente de veuve lors de son remariage survenu quatorze ans plus tard, et elle ignorait les règles légales en matière de droit à la rente. Elle n'avait aucun motif de se douter qu'elle continuait à percevoir une rente de veuve en raison du caractère erroné ou incomplet des attestations délivrées par les autorités compétentes en 2016. C’était d’ailleurs elle qui avait attiré l'attention de l’assurance sur son remariage. Elle ne l’avait ainsi pas volontairement passé sous silence, de sorte que l’infraction pénale retenue par l’assurance n’était pas réalisée. Le droit de demander la restitution des prestations versées jusqu'au 31 août 2018 était prescrit, et elle ne devait restituer que les rentes de veuve à haute de CHF 134'952.50. Au sujet de l’attestation adressée le 24 mai 2011 à l’assurance, elle a soutenu qu’il n’existait aucune preuve que la police municipale de Lancy l’ait contactée, et une erreur de cette autorité ne pouvait être exclue. Les attestations suivantes avaient été remplacées par des certificats de vie selon le propre modèle de la ville de Genève. Elle n’avait pas donné suite à la demande du 16 mai 2022, car l’information qui figurait sur l’attestation transmise était exacte et elle pensait alors que la rente de veuve avait cessé de lui être versée. Elle a sollicité la restitution de l’effet suspensif, relevant que l’assurance avait mis un terme au paiement de la rente de veuve à fin octobre 2022, si bien que l’octroi de l’effet suspensif ne lui causait aucun dommage.

o. Par décision du 14 mars 2024, l’assurance a écarté l’opposition de l’intéressée. Elle a confirmé l’applicabilité du délai de prescription pénale en l’espèce et la restitution des prestations dès le 1er octobre 2016. L’intéressée savait qu’elle aurait dû annoncer son remariage en 2009, même sans demande expresse. Elle avait elle-même rempli l’attestation reçue par l’assurance le 11 septembre 2017 et y avait coché la case « Veuve », ce qui relevait d’une tromperie active, même si le simple fait de passer sous silence son nouvel état civil était déjà suffisant. Elle avait ainsi conforté l’assurance dans son erreur et obtenu à tort des rentes de veuve jusqu'au 31 octobre 2022, de manière intentionnelle. S’agissant de l’effet suspensif, l’intérêt de l’assurance au maintien de sa demande de remboursement l’emportait sur celui de l’intéressée à ne pas restituer les prestations indûment perçues.

C. a. Par écriture du 29 avril 2024, l’intéressée a interjeté recours contre cette décision devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans). Elle a conclu à ce qu’il soit constaté que le délai de prescription pénale n’était pas applicable, à ce qu’il soit constaté que l’intimée ne pouvait plus demander le remboursement des prestations perçues avant le 1er septembre 2018, à la réforme de la décision en ce sens que la recourante était tenue de restituer à l’intimée les prestations perçues indûment à concurrence de CHF 134'952.50, et à ce qu’il soit constaté que la recourante s’était entièrement acquittée de la somme de CHF 134'952.50 en remboursement des prestations perçues pour la période du 1er septembre 2018 au 31 octobre 2022. Elle a reconnu avoir indûment perçu des prestations, soutenant les avoir déjà remboursées à hauteur de CHF 134'952.50. Elle contestait uniquement le délai de prescription pénale appliqué. L'attestation du 6 septembre 2017 n’était ni datée, ni signée, et l’écriture ne semblait pas être celle de la recourante. Celle-ci a pour le surplus repris l’argumentation développée dans son opposition. L’intention délictuelle devait être examinée en date du 1er octobre 2016. À ce moment, la recourante n'avait aucun motif de se douter qu'elle continuait à percevoir une rente de veuve en raison du caractère erroné ou incomplet des attestations délivrées par les autorités compétentes. Avant le 16 mai 2022, son attention n’avait plus été attirée sur le fait que le droit au paiement de la rente de veuve prenait fin avec le remariage. Elle avait elle-même informé l’intimée de son remariage. Partant, on ne pouvait retenir qu’elle l’avait volontairement passé sous silence dans le but de continuer à percevoir une rente de veuve. Son ignorance, respectivement sa négligence, étaient à l’origine des prestations perçues indûment.

b. Dans sa réponse du 26 juin 2024, l’intimée a conclu au rejet du recours. Elle a soutenu que la recourante s’était rendue coupable de perception illicite de prestations d’assurance, à tout le moins par dol éventuel, en s’étant accommodée de cette éventualité. Elle ne soutenait pas ne pas avoir compris la portée de l’obligation d’annonce de son remariage, dont elle avait été informée. Les quatorze ans écoulés avant son remariage ne modifiaient pas ses obligations en la matière, et le fait qu’elle ait coché la case « mariée » dans le formulaire rempli en mai 2022 n’y changeait rien.

c. Dans sa réplique du 13 août 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions. Elle a soutenu ne pas avoir été « rompue » à la législation suisse lors de son veuvage en 1993, dès lors qu’elle ne vivait en Suisse que depuis 1978. Elle ne se serait pas remariée si son but avait été de percevoir une rente de veuve. Elle a soutenu que la lettre « r » dans la mention manuscrite de septembre 2017 différait de la calligraphie de ce caractère dans un autre document contenant une annotation manuscrite. Seule l’absence de volonté de percevoir des prestations indues expliquait l’annonce spontanée de son mariage. On ne pouvait retenir qu’elle avait adressé à l’intimée des renseignements erronés ou incomplets, de sorte qu’elle n’avait pas adopté un comportement actif, et l’infraction justifiant l’application du délai de prescription pénale n’était pas réalisée.

d. Dans sa duplique du 23 octobre 2024, l’intimée a persisté dans ses conclusions. Elle a soutenu que l’écriture figurant sur l’attestation de septembre 2017 était bien celle de la recourante.

e. La chambre de céans a transmis copie de cette écriture à la recourante le 31 octobre 2024.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

On précisera que les conclusions constatatoires de la recourante, en principe irrecevables en raison de leur caractère subsidiaire par rapport à une action formatrice (ATF 129 V 289 consid. 2.1, arrêt du Tribunal fédéral B 149/06 du 11 juin 2007 consid. 5.2), n’ont dans le cas d’espèce pas de portée propre mais sont les prémisses juridiques des conclusions formatrices du recours, qui sont, elles, recevables.

2.             Le litige porte sur le point de savoir si c’est à bon droit que l’intimée a exigé la restitution des rentes de veuve dès le 1er octobre 2016, en d’autres termes sur le bien-fondé de l’application du délai de prescription pénale en cas d’obtention illicite de prestations indues d’une assurance sociale.

La restitution d’une partie de ce montant, soit CHF 134'952.50, n’est toutefois pas contestée par la recourante. À ce sujet, on soulignera au vu des conclusions en réforme du recours que si celle-ci a bien sollicité un bulletin de versement pour s’acquitter de cette somme, il n’est nullement établi qu’elle l’ait versée, de sorte que la chambre de céans ne saurait en toute hypothèse réformer la décision de l’intimée pour retrancher ce montant des prestations à restituer.

3.              

3.1 Aux termes de l’art. 29 LAA, le conjoint survivant a droit à une rente ou à une indemnité en capital (al. 1). Le droit à la rente prend naissance le mois qui suit le décès de l’assuré ou lorsque le conjoint survivant devient invalide aux deux tiers au moins. Il s’éteint par le remariage ou le décès de l’ayant droit ou par le rachat de la rente (al. 6).

Selon l’art. 17 al. 2 LPGA, toute prestation durable accordée en vertu d’une décision entrée en force est, d’office ou sur demande, augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée si les circonstances dont dépendait son octroi changent notablement.

3.2 L’art. 31 LPGA prévoit que l’ayant droit, ses proches ou les tiers auxquels une prestation est versée sont tenus de communiquer à l’assureur ou, selon le cas, à l’organe compétent toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation (al. 1). Toute personne ou institution participant à la mise en œuvre des assurances sociales a l’obligation d’informer l’assureur si elle apprend que les circonstances déterminantes pour l’octroi de prestations se sont modifiées (al. 2).

3.3 L’art. 25 LPGA dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2021 dispose que les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile (al. 1). Le droit de demander la restitution s’éteint trois ans après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d’un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant (al. 2).

Les délais prévus à l'art. 25 al. 2 LPGA sont des délais de péremption (arrêt du Tribunal fédéral 9C_383/2008 du 20 mars 2009 consid. 5).

La notion de prestations indûment touchées se rapporte à des prestations qui ont déjà été fournies, mais qui ne sont pas ou plus dues pour différents motifs : la révision ou la reconsidération de la décision d’octroi des prestations au sens de l’art. 53 LPGA, ou le non-respect de l’obligation d’annoncer au sens de l’art. 31 LPGA, cause de révision des prestations selon l’art. 17 LPGA (Sylvie PETREMAND in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 23 ad art. 25 LPGA).

Selon la jurisprudence, le délai de péremption relatif de trois ans commence à courir dès le moment où l'administration aurait dû connaître les faits fondant l'obligation de restituer, en faisant preuve de l'attention que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elle (ATF 122 V 270 consid. 5a). L'administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde - quant à son principe et à son étendue - la créance en restitution à l'encontre de la personne tenue à restitution. Si l'administration dispose d'indices laissant supposer l'existence d'une créance en restitution, mais que les éléments disponibles ne suffisent pas encore à en établir le bien-fondé, elle doit procéder, dans un délai raisonnable, aux investigations nécessaires. À défaut, le début du délai de péremption doit être fixé au moment où elle aurait été en mesure de rendre une décision de restitution si elle avait fait preuve de l'attention que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elle (arrêt du Tribunal fédéral 8C_405/2020 du 3 février 2021 consid. 3.2.1).

3.4 Lorsqu'il statue sur la créance de l'institution d'assurance en restitution de prestations indûment versées, le juge doit examiner, à titre préjudiciel, si les circonstances correspondant à une infraction pénale sont réunies et, partant, si un délai de péremption plus long que les délais relatifs et absolus prévus par l'art. 25 al. 2 LPGA est applicable dans le cas particulier. Pour que le délai de péremption plus long prévu par le droit pénal s'applique, il n'est pas nécessaire que l'auteur de l'infraction ait été condamné (arrêt du Tribunal fédéral 8C_592/2007 du 20 août 2008 consid. 5.3 et les références). Les exigences constitutionnelles en matière d'appréciation des preuves en procédure pénale, notamment le principe in dubio pro reo, s'appliquent également dans le cadre d'une procédure en restitution de prestations d'assurances sociales, lorsqu'il convient d'examiner à titre préjudiciel si la créance en restitution naît d'un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long que ceux prévus à l'art. 25 al. 2 LPGA (ATF 138 V 74 consid. 7). La présomption d'innocence, garantie en procédure pénale par l’art. 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), l’art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et l’art. 10 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), ainsi que son corollaire le principe in dubio pro reo concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 9C_97/2020 du 10 juin 2020 consid. 5).

3.5  

3.5.1 Selon l’art. 148a du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), quiconque, par des déclarations fausses ou incomplètes, en passant des faits sous silence ou de toute autre façon, induit une personne en erreur ou la conforte dans son erreur, et obtient de la sorte pour lui-même ou pour un tiers des prestations indues d’une assurance sociale ou de l’aide sociale, est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire (al. 1). Dans les cas de peu de gravité, la peine est l’amende (al. 2).

Cette disposition est entrée en vigueur le 1er octobre 2016.

Selon le Message du Conseil fédéral concernant une modification du code pénal et du code pénal militaire du 26 juin 2013, l'art. 148a CP constitue une clause générale de l’escroquerie au sens de l'art. 146 CP, qui peut aussi punir l'obtention illicite de prestations sociales. L’art. 146 CP suppose que l’auteur ait induit astucieusement en erreur une personne ou qu’il la conforte astucieusement dans son erreur. Si l’énoncé de fait légal (plus grave) définissant l’escroquerie n’est pas réalisé, parce que l’astuce fait défaut, c’est la clause générale qui s’applique. Pour que la nouvelle infraction soit réalisée, il n’est pas nécessaire que l’auteur agisse astucieusement lorsqu’il induit une personne en erreur ou qu’il la conforte dans son erreur (FF 2013 5431). L’art. 148a CP englobe toute tromperie. Elle peut être commise par le biais de déclarations fausses ou incomplètes ou en passant sous silence certains faits (arrêt du Tribunal fédéral 6B_104/2022 du 8 février 2023 consid. 2.1.2). La variante consistant à passer des faits sous silence englobe également le comportement passif consistant à omettre d'annoncer un changement ou une amélioration de sa situation. L'art. 148a CP vise par conséquent aussi bien un comportement actif (faire des déclarations fausses ou incomplètes) qu'un comportement passif (passer des faits sous silence). À la différence de ce qui prévaut pour l'escroquerie, le comportement passif en question est incriminé indépendamment d'une position de garant, telle qu'elle est requise dans le cadre des infractions de commission par omission. Dès lors que la loi prévoit que tous les faits ayant une incidence sur les prestations doivent être déclarés, le simple fait de ne pas communiquer des changements de situation suffit à réaliser l'infraction. Cette variante consistant à passer des faits sous silence ne vise donc pas uniquement le fait de s'abstenir de répondre aux questions du prestataire (arrêts du Tribunal fédéral 6B_886/2022 du 29 mars 2023 consid. 2.1.2 et 6B_797/2021 du 20 juillet 2022 consid. 2.1.1).

L’infraction visée à l’art. 148a al. 1 CP se prescrit par sept ans, conformément à l’art. 97 CP.

3.5.2 La loi ne définit pas le cas de peu de gravité au sens de l’art. 148a al. 2 CP.

Le Tribunal fédéral a considéré qu’outre le montant des prestations sociales obtenues de façon illicite, soit l'ampleur du résultat de l'infraction, il y avait lieu de tenir compte d'autres éléments susceptibles de réduire la culpabilité de l'auteur, tels que par exemple une (courte) période de perception illicite de la prestation. Il a également été jugé qu'en dehors des cas où le montant perçu de façon illicite est faible, un cas de peu de gravité peut être admis lorsque le comportement de l'auteur ne révèle qu'une faible énergie criminelle ou qu'on peut comprendre ses motivations ou ses buts. La question de savoir si l'on se trouve ou non en présence d'un cas de peu de gravité au sens de l'art. 148a al. 2 CP doit ainsi s'apprécier au regard de la culpabilité de l'auteur et, par conséquent de l'ensemble des circonstances de l'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 6B_797/2021 du 20 juillet 2022 consid. 2.2). S’agissant du seuil de gravité du montant, notre Haute Cour a retenu qu’une somme de l’ordre de CHF 23'000.- excédait clairement un cas de peu de gravité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_773/2021 du 5 octobre 2022 consid. 2.3).

Les cas de peu de gravité visés à l’art. 148a al. 2 CP relèvent de contraventions au vu de la peine encourue, et se prescrivent par trois ans, conformément à l’art. 109 CP (ATF 142 IV 11 consid. 1.2.1).

3.5.3 Sur le plan subjectif, l'art. 148a CP décrit une infraction intentionnelle et suppose, s'agissant de la variante consistant à passer des faits sous silence, que l'auteur ait conscience de l'existence et de l'ampleur de son devoir d'annonce, ainsi que la volonté de tromper. Le dol éventuel suffit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_161/2022 du 15 février 2023 consid. 2.2). Selon l’art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L’auteur agit déjà intentionnellement lorsqu’il tient pour possible la réalisation de l’infraction et s’en accommode au cas où celle-ci se produirait. Dans un tel cas, on parle de dol éventuel, qui suppose que l'auteur, qui ne veut pas le résultat dommageable pour lui-même, envisage le résultat de son acte comme possible et l'accepte au cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3, arrêt du Tribunal fédéral 6B_38/2021 du 14 février 2022 consid. 3.3). Ce que l’auteur savait, voulait et ce dont il s’accommodait relève de faits internes (ATF 147 IV 439 consid. 7.3.1).

3.5.4 Le Tribunal fédéral a confirmé l’applicabilité de la prescription pénale de l’art. 148a CP dans le cas d’un assuré percevant des prestations complémentaires, et qui avait fourni des informations incomplètes à l’autorité et avait passé sous silence année après année les augmentations de la valeur de rachat de son assurance-vie, adoptant ainsi un comportement lui permettant d'obtenir des prestations indues. Cet assuré ne pouvait pas ignorer l'importance de la communication de toute information d'ordre économique le concernant, et était conscient de retenir des informations qu'il avait l'obligation de transmettre à l'intimé. Il avait donc agi au moins par dol éventuel (arrêt du Tribunal fédéral 8C_632/2024 du 31 mars 2025 consid. 5.1). L’infraction a également été considérée réalisée chez un bénéficiaire d’aide sociale qui avait rempli plusieurs demandes d’aide sans mentionner certaines sources de revenus (arrêt du Tribunal fédéral 6B_886/2024 du 3 février 2025 consid. 2.3), ou chez une personne soutenue par l’aide sociale n’ayant pas déclaré qu’elle avait mis à la disposition de tiers l’appartement financé par les services sociaux (arrêt du Tribunal fédéral 6B_886/2022 du 29 mars 2023 consid. 2.3). L’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale au sens de l’art. 148a CP a aussi été retenue dans le cas d’une bénéficiaire de l’assistance sociale qui n’avait pas annoncé la réception de montants sur ses comptes bancaires, alors qu’elle avait signé les documents lui rappelant ses obligations d’annonce en cas de changement dans sa situation financière. Elle ne pouvait ainsi prétendre qu’elle ignorait ou qu’elle ne pouvait pas savoir que son comportement était illicite (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1063/2020 du 22 décembre 2021 consid. 4.2).

4.             Il convient de déterminer si le comportement de la recourante tombe sous le coup de l’art. 148a CP, étant d’emblée précisé que dans l’affirmative, il ne s’agirait pas d’un cas de peu de gravité au vu de l’importance des montants en jeu et de la durée de la perception de prestations indues.

4.1 S’agissant du fait que la recourante n’a pas spontanément, ni sur demande de l’intimée lorsqu’il s’est agi de compléter les attestations de vie, entre 2009 et 2022 à tout le moins, communiqué son remariage à l’intimée, dont elle soutient ne pas avoir saisi la portée, on rappellera ce qui suit. D’une part, le fait qu’une rente de veuve s’éteint au remariage ne découle pas d’une disposition légale très spécialisée et inconnue du grand public, mais est au contraire notoire. Le Tribunal fédéral a en effet retenu qu’en cas de remariage, il est clair pour tout un chacun que le nouvel état civil remplace l'ancien auquel était liée, comme son nom l'indique, la perception de la rente de veuve ou de veuf (ATF 138 V 218 consid. 10). D’autre part, tant la décision de l’assurance-vieillesse et survivants lui octroyant une rente de veuve que la décision de l’intimée du 21 avril 1995 rappelaient l’obligation d’annoncer tout changement de l’état civil, la seconde mentionnant en outre expressis verbis que le remariage éteignait le droit à la rente. À l’époque de l’octroi de la rente de veuve et des rentes d’orphelins, la recourante était en outre assistée d’un avocat qui a agi pour elle et ses fils durant plusieurs années (cf. A.d, A.f et A.g ci-dessus), de sorte que les conditions légales applicables aux rentes de survivants ne pouvaient lui être inconnues. Enfin, au vu du fait que le formulaire « Attestation de vie » exigeait des renseignements sur son état civil – quand bien même l’intimée n’a pas relancé la recourante lorsque ces informations n’ont pas été fournies à l’appui des certificats de vie –, la recourante ne pouvait ignorer qu’il s’agissait là d’un élément pertinent pour déterminer son droit à la rente de veuve. Celle-ci a du reste exposé dans son opposition du 19 octobre 2023 que si elle n’avait pas déféré à la demande de renseignement de l’intimée du 16 mai 2022, c’était car elle pensait que la rente avait cessé de lui être versé en raison de l’état civil qu’elle avait nouvellement indiqué, ce qui démontre bien qu’elle était consciente que son remariage entraînait l’extinction du droit à la rente et, partant, qu’elle était tenue de l’annoncer.

4.2 Par ailleurs, dans l’attestation établie en 2011, la case « veuve » était cochée. La recourante soutient que cette attestation aurait été remplie et signée par la police municipale, sans qu’elle n’ait été contactée. De telles explications ne convainquent pas. D’une part, l’établissement d’un tel titre exige que la personne concernée se présente munie d’une pièce d’identité dans les locaux de la police municipale (cf. sur ce point les informations figurant sur le site officiel Certificat de vie | Ville de Lancy), et on ne voit pas pour quels motifs cette autorité n’aurait pas suivi cette procédure. Il semble en tout état peu vraisemblable que la police municipale ait rempli cette attestation de son propre chef, sans le concours de la recourante et hors sa présence, compte tenu des sanctions pénales encourues en cas d’inexactitude des données communiquées (cf. art. 317 CP). On peut donc raisonnablement retenir que la mention de l’état civil erronée résulte des indications fournies par la recourante à la police en 2011.

En ce qui concerne l’attestation adressée à l’intimée en 2017, dans laquelle était également cochée la case « veuve », il ne fait pas de doute pour la chambre de céans, après comparaison des annotations manuscrites apportées sur cette attestation avec les échantillons d’écritures de la recourante figurant au dossier de l’intimée (pages 6, 14, 18, 74, 245, 251), que celle-ci en est l’auteure, et par conséquent que cette attestation a été remplie par ses soins. On ne voit d’ailleurs pas pour quels motifs l’autorité, qui s’est contentée de délivrer un certificat de vie, lequel certificat ne contient pas de précision quant à l’état civil, aurait rempli ce formulaire à la place de la recourante, et ne l’aurait pas signé.

4.3 À la lumière de ces éléments et au vu de la jurisprudence citée, force est de retenir que la recourante a volontairement passé sous silence le fait qu’elle s’était remariée, et qu’elle a de surcroît donné des informations erronées à l’intimée sur son état civil en remplissant mensongèrement le formulaire en septembre 2017.

Ainsi, les conditions subjectives et objectives de l’art. 148a CP étaient réalisées dès le 1er octobre 2016, puisque la recourante a continué à garder le silence sur son état civil après cette date. De plus, le comportement actif consistant à remplir une attestation non conforme à la vérité en septembre 2017 est à nouveau un élément constitutif de l’infraction.

L’annonce par la recourante de son mariage en 2022 ne suffit pas à procéder à une appréciation différente du comportement adopté auparavant.

4.4 En ce qui concerne la portée temporelle de l’application du délai de prescription pénale de l’art. 148a CP, on notera encore qu’avant l’entrée en vigueur de l’art. 148a CP au 1er octobre 2016, le fait de taire des informations afin d’obtenir des prestations d’assurance ne relevait pas nécessairement d’agissements pénaux, en l’absence d’astuce.

Conformément au principe de non rétroactivité de la loi pénale consacré à l’art. 2 al. 1 CP, la loi pénale n’a pas pour vocation d’appréhender des faits survenus avant son entrée en vigueur (Nathalie DONGOIS / Kastriot LUBISHTANI in Commentaire romand CP-I, 2 ème éd. 2021, n. 2 ad art. 2 CP). Toutefois, l’acte doit être jugé selon le droit en vigueur au moment de sa commission, même s’il ne tombe que partiellement sous le coup du nouveau droit, par exemple en cas d’infraction par omission, comme en l’espèce (Peter POPP / Anne BERKEMEIER in Basler Kommentar, 4ème éd. 2019, n. 11 ad art. 2 StGB).

En l’espèce, la variante passive du comportement réprimé à l’art. 148a CP était toutefois réalisée dès le 1er octobre 2016, soit lors de l’entrée en vigueur de cette disposition, et la variante active depuis l’envoi de l’attestation contenant de fausses informations en septembre 2017.

C’est ainsi à juste titre que l’intimée a appliqué le délai de prescription pénale de sept ans et a exigé la restitution des rentes versées dès le 1er octobre 2016, soit durant les sept années précédant sa décision sur ce point. Bien que ce point ne soit pas contesté, on soulignera en outre que l’intimée a agi durant le délai de trois ans prévu à l’art. 25 LPGA après lequel elle a pris connaissance du fait fondant la révision du droit à la rente de veuve. L’étendue de la restitution décidée, soit CHF 194'331.60, est en outre favorable à la recourante, puisque les rentes versées depuis octobre 2016, correspondant à des mensualités de CHF 2'699.05, s’élèvent en réalité au total à CHF 197'030.65.

Compte tenu de ce qui précède, la décision de l’intimée est confirmée.

5.             Le recours est rejeté.

La recourante, qui succombe, n’a pas droit à des dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

*****

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie KOMAISKI

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le