Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public
ATAS/315/2025 du 02.05.2025 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI
En droit
rÉpublique et | canton de genÈve | |
POUVOIR JUDICIAIRE
| ||
A/2207/2024 ATAS/315/2025 COUR DE JUSTICE Chambre des assurances sociales | ||
Arrêt du 2 mai 2025 Chambre 3 |
En la cause
A______ représentée par Me Emilie CONTI MOREL, avocate
| recourante |
contre
GENERALI ASSURANCES SA
| intimée |
A. a. A______ (ci-après : l'assurée), née en 1965, était employée par le B______ en tant qu'auxiliaire de nettoyage et était à ce titre assurée pour les accidents professionnels et non professionnels par GENERALI ASSURANCES SA (ci-après : l'assurance).
b. Le 7 mars 2019, elle a été victime d'un accident au Kosovo : la voiture dans laquelle elle était passagère a été percutée par un camion et s'est encastrée dans un pylône.
c. L'assurée a souffert d’un traumatisme crânien avec plaie du cuir chevelu droit et de plusieurs contusions et hématomes, ainsi que d’une fracture non déplacée de la première phalange du cinquième rayon de la main droite. Sa mère a péri à l'hôpital des suites de l’accident.
B. a. L'assurance a versé ses prestations dès le 10 mars 2019.
b. À sa demande, une première expertise médicale pluridisciplinaire a été réalisée en juin 2021.
Dans leur rapport du 10 septembre 2021, les experts (docteurs C______, spécialiste en neurologie et D______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, ainsi que Monsieur E______, psychologue et psychothérapeute) ont conclu à l’absence d'incapacité de travail significative sur le plan neurologique des suites de l'accident. Sur le plan psychique, l’assurée souffrait d'un état de stress post-traumatique (F43.1) en lien de causalité certaine avec l'accident et d'un épisode dépressif d'intensité moyenne sans syndrome somatique (F32.10), en lien de causalité très vraisemblable avec l'accident. Il n'était pas possible de poser un diagnostic neuropsychologique fiable et de définir des limitations de la capacité de travail de ce point de vue-là, en raison d'une exagération des symptômes. Seule l'atteinte psychique causait une incapacité de travail, totale depuis début juillet 2020, date à laquelle les psychiatres traitants de l'assurée avaient délivré des certificats d'arrêts de travail. L'état de santé n'était pas stabilisé du point de vue psychique.
c. Le Dr D______ a rendu un nouveau rapport d'expertise le 22 septembre 2022, après avoir revu l'assurée. En plus d'un trouble de stress post-traumatique et d'un épisode dépressif unique modéré, sans symptômes psychotiques, il a aussi diagnostiqué un trouble panique. Les craintes ayant un autre thème que l'accident, cette atteinte n'était cependant pas en lien de causalité avec ce dernier. L'atteinte à la santé psychique restait stable et importante, l'assurée étant focalisée sur sa condition de malade et les conséquences de l'accident. Le cas n'était toujours pas stabilisé médicalement et l'incapacité de travail était totale dans toute activité.
d. Une troisième expertise a été rendue par le Dr D______ le 31 octobre 2023, lequel a conclu que le trouble de stress post-traumatique, seule atteinte en lien de causalité avec l'accident, n'était plus incapacitant. L’épisode dépressif l’était toujours totalement, mais n'était plus en lien de causalité vraisemblable avec l'évènement de 2019. L'assurée présentait aussi un possible trouble à symptomatologie somatique/syndrome de détresse léger depuis au moins février 2023, qui n'avait qu'un lien possible avec l'accident, qui n'était pas sévère et qui entraînait tout au plus une diminution de rendement de 10%. L'atteinte à la santé en raison du trouble de stress post-traumatique était légère et ne justifiait pas d'indemnisation pour atteinte à l'intégrité.
e. Cette expertise a été transmise à l'assurée par courrier du 22 décembre 2023, avec indication qu'elle pouvait formuler d'éventuelles questions complémentaires à l'expert ou émettre des remarques sur le contenu du rapport.
f. Par décision du 25 mars 2024, notifiée le 26 mars 2024, l'assurance a mis fin au versement des prestations avec effet au 31 mars 2024, au motif qu’au-delà de cette date, seul le trouble de stress post-traumatique avait un lien de causalité naturelle avec l'accident ; or, il n’était pas incapacitant et ne nécessitait plus de traitement médical.
g. Par courrier A+ du 2 mai 2024, distribué le lendemain matin et anticipé par courriel, l'assurée, sous la plume de son assurance de protection juridique, a déclaré s'opposer formellement à la décision précitée. Invoquant sa récente constitution, sa mandataire a sollicité une copie du dossier, afin de pouvoir motiver l'opposition. Une procuration datée du 1er mai 2024 était jointe au pli.
h. Par courriel du 13 mai 2024, l'assurance a sollicité des précisions quant à la date à laquelle l'assurée avait annoncé le sinistre à son assurance de protection juridique, afin de déterminer si les conditions de régularisation de l'opposition étaient remplies.
i. Le lendemain, la mandataire de l'assurée a répondu qu'elle avait été mandatée le 1er mai 2024. Les bureaux étant fermés ce jour-là, elle avait formé opposition le lendemain, afin de sauvegarder le délai échéant le 7 mai 2024. N’ayant en sa possession que la décision du 25 mars 2024, elle demeurait dans l'attente du dossier de l'assurée.
j. Par courriel du 15 mai 2024, l'assurance a considéré que le fait que la procuration porte la date du 1er mai 2024 ne suffisait pas à démontrer que le sinistre avait été annoncé à cette date-là. Selon elle, il paraissait peu vraisemblable que l'assurée, ayant reçu le 26 mars 2024 une décision annonçant la fin des prestations pour le 31 mars 2024, ait attendu le 1er mai 2024 pour demander l'intervention de sa protection juridique. Pour déterminer s'il se justifiait d'accorder à la mandataire un délai de régularisation, il fallait pouvoir établir à partir de quelle date on pouvait attendre d'elle qu'elle entreprenne les démarches nécessaires lui permettant de déposer une opposition recevable à la forme dans le délai légal non prolongeable. L’assurance réclamait en conséquence une copie de l'avis de sinistre dans un délai échéant le 22 mai 2024, annonçant qu’à défaut, elle rendrait une décision d'irrecevabilité.
k. Le 16 mai 2024, l'assurance de protection juridique a fait remarquer qu'il n'était pas invraisemblable qu'une personne mette quelques jours ou semaines avant d'annoncer un sinistre à son assurance de protection juridique, encore moins lorsque la décision avait été notifiée durant les féries de Pâques. Que l'assurée ait annoncé le sinistre immédiatement ou le dernier jour du délai ne devait quoi qu'il en soit pas avoir d'incidence, l'opposition ayant été formée dans le délai légal. Elle avait demandé à recevoir dans les meilleurs délais une copie du dossier complet de sa mandante afin de pouvoir compléter l'opposition, ce qui aurait pu être fait avant la fin du délai légal échéant le 7 mai 2024. Elle réitérait sa demande d'accès au dossier.
l. Par décision du 27 mai 2024, l'assurance a déclaré l'opposition irrecevable.
En substance, l’assurance a rappelé que lorsqu’un assuré était représenté, l'octroi d'un délai supplémentaire ne se justifiait que lorsque le mandataire professionnel ne disposait plus de suffisamment de temps à l'intérieur du délai légal non prolongeable pour motiver ou compléter la motivation insuffisante de l'écriture initiale.
En effet, conformément à la loi, une opposition doit être formulée dans les 30 jours suivants sa notification, doit contenir des conclusions et être motivée. L'octroi d'un délai supplémentaire pour régulariser un acte vicié vise avant tout à protéger l'assuré sans connaissances juridiques, dans l'ignorance des exigences formelles de recevabilité, sous réserve de situations relevant de l'abus de droit. L'existence d'un éventuel abus de droit s'examine en fonction des circonstances concrètes et peut être plus facilement admise lorsque l'assuré est représenté par un mandataire professionnel devant connaître les exigences formelles d'une opposition et le caractère non prolongeable du délai d'opposition.
m. Après plusieurs vaines tentatives d'envoi du dossier par courriel, via une plateforme sécurisée, il a finalement été adressé à l'assurance de protection juridique par courrier recommandé du 29 mai 2024.
C. a. Par acte du 27 juin 2024, l'assurée a interjeté recours contre la décision du 27 mai 2024 auprès de la Cour de céans en sollicitant, préalablement, la production de l’intégralité de son dossier, l’audition des parties et de son psychiatre traitant, ainsi que la mise sur pied d’une expertise psychiatrique. Sur le fond, elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision, à ce que l'intimée soit condamnée à lui verser une rente entière d'invalidité dès le 1er avril 2024, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l'intégrité (IPAI) dont le taux devra être défini par un expert.
La recourante souligne avoir formé opposition dans le délai légal, mais n’avoir pu motiver ladite opposition en raison du fait que son dossier n’a été transmis à son assurance de protection juridique qu’en date du 28 mai 2024 seulement, alors que, si l’intimée avait fait preuve de diligence, cela aurait pu être fait le 3 mai 2024 – lendemain de la réception du courriel du 2 mai 2024 – ; sa mandataire aurait ainsi pu en prendre connaissance le 6 mai 2024 et l'opposition être motivée dans le délai légal échéant le 7 mai 2024. Au lieu de quoi, l’intimée avait préféré se questionner sur la date à laquelle l’assurée avait saisi son assurance de protection juridique.
Cela étant, la recourante produit un échange de courriels avec sa protection juridique, duquel il ressort qu'un premier contact concernant le cas a eu lieu le 19 avril 2024 et que la mandataire a envoyé une procuration à la recourante, pour signature, en date du 30 avril 2024.
La recourante développe ensuite ses griefs au fond, en faisant valoir que la motivation de son recours se confond avec celle de l'opposition.
b. Invitée à se déterminer, l’intimée, dans sa réponse du 23 juillet 2024, a conclu au rejet du recours.
L’intimée fait remarquer que le litige se limite à la question de la recevabilité de l'opposition, le bien-fondé de la décision au fond ne devant être discuté qu'en cas d'admission du recours.
Selon l’intimée, la recourante n'a pas été empêchée de motiver son opposition du fait qu'elle n'a pas eu accès à son dossier immédiatement. En envoyant une opposition sans conclusions et non motivée le jeudi 2 mai 2024, alors que le délai de recours arrivait à échéance le mardi 7 mai 2024, la représentante de l'assurée avait pris le risque que sa demande de consultation du dossier ne puisse pas être honorée à temps. Vu le court délai à disposition, l'assurance de protection juridique spéculait en réalité sur le fait qu'elle obtiendrait un délai de régularisation en même temps qu'elle réceptionnerait le dossier. Or, elle ne pouvait ignorer que l'octroi d'un tel délai était soumis à des conditions strictes lorsque la personne assurée est représentée par un mandataire professionnel. Pour déterminer si ces conditions étaient réunies dans le cas d'espèce et vérifier l'absence d'un abus de droit, l’intimée se devait d’éclaircir la date à laquelle la recourante avait effectivement annoncé son sinistre à l'assurance de protection juridique, cette dernière devant, à partir de ce moment-là, agir avec la diligence requise pour être en mesure de formuler à temps une opposition satisfaisant aux conditions légales. La date d'établissement de la procuration n'était pas à elle seule suffisante, cette signature pouvant être retardée sans raison valable en vue de solliciter un délai de régularisation constitutif alors d’une prolongation indue du délai légal d'opposition.
Dans le cas d'espèce, les pièces produites par la recourante démontrent que l'assurance de protection juridique disposait du temps nécessaire à l'intérieur du délai légal d'opposition pour se constituer, obtenir une copie du dossier et déposer une opposition valable. Elle n'aurait pas dû attendre le 30 avril 2024 pour envoyer à la recourante une procuration l'autorisant à agir en son nom. Elle aurait par ailleurs pu formuler une opposition motivée en disposant uniquement de la décision attaquée et du rapport d'expertise du 31 octobre 2023, en possession de la recourante. Les conditions d'octroi d'un délai de régularisation n'étaient donc pas remplies, de sorte que l'opposition avait à juste titre été déclarée irrecevable.
c. Le 3 septembre 2024, la recourante a répliqué.
Elle soutient que l'intimée invoque à tort l'abus de droit, retenu de manière tout à fait exceptionnelle par la jurisprudence.
Si le représentant juridique ne peut consulter à temps le dossier, il n'est pas pertinent de savoir si l'acte d'opposition ou de recours est sommairement motivé ou pas du tout.
Elle souligne que, bien que sa mandataire ait sollicité le dossier en date du 2 mai 2024, celui-ci ne lui a été communiqué qu'avec la décision sur opposition. L’intimée a donc refusé durant plusieurs semaines de s’exécuter et de fournir les éléments qui auraient permis à l'assurance de protection juridique de motiver l’opposition. L'intimée a également violé son obligation d'octroyer un délai supplémentaire pour que l'opposition soit motivée, après transmission du dossier.
La recourante produit deux courriers électroniques adressés en dates des 18 et 19 avril 2024 à son assurance de protection juridique, le premier portant sur une problématique autre que celle afférente à l'assurance-accidents, le second lui demandant d'intervenir suite à l’arrêt du versement des prestations de l'intimée, alors qu'elle n'était pas en mesure de travailler et n'avait pas les moyens de subvenir à ses besoins.
d. Le 30 septembre 2024, l'intimée a persisté dans ses conclusions.
Elle argue que le fait, pour un mandataire professionnel, de se mettre volontairement en situation de ne pas être en mesure de consulter à temps le dossier lui permettant de disposer des éléments nécessaires pour formuler une opposition recevable est constitutif d'un abus de droit manifeste et ne mérite pas protection.
Elle reproche à l'assurance de protection juridique d’avoir en l’occurrence attendu sans motifs valables le 30 avril 2024 pour envoyer une procuration à la recourante, alors que celle-ci lui avait annoncé le cas le 18 ou le 19 avril 2024. Elle fait remarque que la demande de consultation du dossier ne lui a été adressée que trois jours ouvrables entiers avant la fin du délai d'opposition. Elle soutient que, vu la brièveté du délai à disposition et le volume du dossier, elle ne pouvait en envoyer une copie sans accorder simultanément un délai supplémentaire pour motiver l'opposition. Or, il aurait été contradictoire de sa part de donner la possibilité à la recourante de régulariser son opposition et d'en invoquer ultérieurement l'irrecevabilité au motif qu'un tel délai n'aurait pas dû être accordé.
e. Les autres faits seront repris – en tant que de besoin – dans la partie « en droit » du présent arrêt.
1.
1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).
Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.
1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).
2. Le litige porte sur la recevabilité de l'opposition formée par la recourante contre la décision du 25 mars 2024. À ce stade de la procédure, le bien-fondé de la décision par laquelle l'intimée a mis fin au versement de ses prestations d'assurance-accidents n'a pas à être examiné et il ne sera pas entré en matière sur ces aspects-là du recours.
3.
3.1 Aux termes de l'art. 52 al. 1 LPGA, les décisions peuvent être attaquées dans les 30 jours par voie d'opposition auprès de l'assureur qui les a rendues, à l'exception des décisions d'ordonnancement de la procédure.
Selon l'art. 10 al. 1 de l'ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11), l'opposition doit contenir des conclusions et être motivée. Si l'opposition ne satisfait pas aux exigences de l'al. 1 ou si elle n'est pas signée, l'assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l'avertissement qu'à défaut, l'opposition ne sera pas recevable (art. 10 al. 5 OPGA).
Conformément à l'art. 40 al. 1 LPGA, le délai légal ne peut pas être prolongé.
Lorsque les conditions de recevabilité ne sont pas remplies, la procédure d'opposition prend fin avec une décision d'irrecevabilité (ATF 142 V 152 consid. 2.2 et les références).
3.2 La procédure d'opposition est obligatoire et constitue une condition formelle de validité de la procédure de recours de droit administratif subséquente (ATF 130 V 388). L'opposition est un moyen de droit permettant au destinataire d'une décision d'en obtenir le réexamen par l'autorité administrative, avant qu'un juge ne soit éventuellement saisi (ATF 148 V 2 consid. 4.1; 125 V 118 consid. 2a et les références). Elle assure la participation de l'assuré au processus de décision et poursuit notamment un but d'économie de procédure et de décharge des tribunaux, dans les domaines du droit administratif où des décisions particulièrement nombreuses sont rendues. Dans ce cadre, la procédure d'opposition ne revêt de véritable intérêt que si l'opposant doit exposer les motifs de son désaccord avec la décision le concernant ; à défaut, on courrait le risque de faire de l'opposition une simple formalité avant le dépôt d'un recours en justice, sans qu'assuré et autorité aient véritablement examiné sur quoi portent leurs divergences. Les exigences formelles posées par l'art. 10 al. 1 OPGA concrétisent, par ailleurs, l'obligation de l'assuré de collaborer à l'exécution des différentes lois d'assurances sociales, et correspondent largement à celles posées par la jurisprudence antérieure à la LPGA pour la procédure d'opposition prévue dans certaines branches d'assurances sociales (arrêt du Tribunal fédéral I 158/05 du 2 juin 2006 consid. 2.2 et les références).
3.3 Aux termes de l'art. 61 let. b LPGA, l'acte de recours doit contenir un exposé succinct des faits et des motifs invoqués, ainsi que les conclusions ; si l'acte n'est pas conforme à ces règles, le tribunal impartit un délai convenable au recourant pour combler les lacunes, en l'avertissant qu'en cas d'inobservation le recours sera écarté. La règle de l'art. 61 let. b LPGA découle du principe de l'interdiction du formalisme excessif et constitue l'expression du principe de la simplicité de la procédure qui gouverne le droit des assurances sociales. C'est pourquoi le juge saisi d'un recours dans ce domaine ne doit pas se montrer trop strict lorsqu'il s'agit d'apprécier la forme et le contenu de l'acte de recours. Il s'agit là d'une prescription formelle, qui oblige le juge de première instance – excepté dans les cas d'abus de droit manifeste – à fixer un délai pour corriger les imperfections du mémoire de recours. En raison de l'identité grammaticale des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, les principes exposés ci-dessus valent aussi en procédure administrative, l'idée à la base de cette réflexion étant de ne pas prévoir des exigences plus sévères en procédure d'opposition que lors de la procédure de recours subséquente (arrêt du Tribunal fédéral 8C_245/2022 du 7 septembre 2022 consid. 3.2 et les références).
En vertu du principe général de l'interdiction du formalisme excessif, l'autorité judiciaire est tenue d'avertir le recourant d'une irrégularité affectant son recours et, à défaut de l'avoir fait avant l'échéance du délai de recours, doit tolérer que l'acte concerné soit régularisé éventuellement hors délai (arrêt du Tribunal fédéral 8C_828/2009 du 8 septembre 2010 consid. 6.2 et la référence).
3.4 Selon la jurisprudence, les art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, qui prévoient l'octroi d'un délai supplémentaire pour régulariser un acte de recours respectivement une opposition, visent avant tout à protéger l'assuré sans connaissances juridiques qui, dans l'ignorance des exigences formelles de recevabilité, dépose une écriture dont la motivation est inexistante ou insuffisante peu avant l'échéance du délai de recours ou de l'opposition, pour autant qu'il en ressorte clairement que son auteur entend obtenir la modification ou l'annulation d'une décision le concernant et sous réserve de situations relevant de l'abus de droit. L'existence d'un éventuel abus de droit peut être admise plus facilement lorsque l'assuré est représenté par un mandataire professionnel, dès lors que celui-ci est censé connaître les exigences formelles d'un acte de recours ou d'une opposition et qu'il lui est également connu qu'un délai légal n'est pas prolongeable. En cas de représentation, l'octroi d'un délai supplémentaire en application des dispositions précitées s'impose uniquement dans la situation où l'avocat ou le mandataire professionnellement qualifié ne dispose plus de suffisamment de temps à l'intérieur du délai légal non prolongeable du recours, respectivement de l'opposition, pour motiver ou compléter la motivation insuffisante de l'écriture initiale. Il s'agit typiquement de la situation dans laquelle un assuré, qui n'est pas en possession du dossier le concernant, mandate tardivement un avocat ou un autre mandataire professionnellement qualifié et qu'il n'est pas possible à ce dernier, en fonction de la nature de la cause, de prendre connaissance du dossier et de déposer un recours ou une opposition motivés à temps. Il n'y a alors pas de comportement abusif de la part du mandataire professionnel s'il requiert immédiatement la consultation du dossier et motive ultérieurement l'écriture initiale qu'il a déposée dans le délai légal pour sauvegarder les droits de son mandant. En dehors du cas de figure décrit, les conditions de l'octroi d'un délai supplémentaire en vertu des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA ne sont pas données et il n'y a pas lieu de protéger la confiance que le mandataire professionnel a placée dans le fait qu'un tel délai lui a – à tort – été accordé (arrêts du Tribunal fédéral 8C_245/2022 du 7 septembre 2022 consid. 3.3; 8C_660/2021 du 28 juin 2022 consid. 3.3 ; 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 4).
3.5 Il y a abus manifeste justifiant la renonciation à l'octroi d'un délai au sens de l'art. 10 al. 5 OPGA lorsqu'un avocat ou une personne disposant de connaissances juridiques interjette sciemment une écriture non conforme aux exigences formelles, afin de se voir impartir un délai complémentaire lui permettant de la motiver (ATF 134 V 162 consid. 4.1). À l'inverse, il n'y a pas d'abus de droit lorsqu'une opposition conforme aux exigences de l'art. 10 al. 5 OPGA n'est en pratique pas possible sans disposer du dossier. Dans de tels cas, il est suffisant que l'avocat ou le représentant requière immédiatement la consultation du dossier et complète ultérieurement la motivation de l'opposition qu'il a formulée dans le délai légal afin de sauvegarder les droits de son mandant (arrêt du Tribunal fédéral 9C_191/2016 du 18 mai 2016 consid. 4.1, 4.2.1 et 4.3 ; ATAS/7/2025 du 14 janvier 2025 consid. 3.3).
4.
4.1 En l'espèce, il n'est pas contesté que la recourante, par le biais de son assurance de protection juridique – mandataire professionnel – s'est opposée à la décision du 25 mars 2024 dans le délai légal de 30 jours, compte tenu des féries de Pâques (cf. art. 38 al. 4 let. a LPGA). La décision du 25 mars 2024 ayant été notifiée le lendemain, le délai d'opposition venait en effet à échéance le 7 mai 2024, de sorte que le courrier de contestation du 2 mai 2024 est intervenu à temps.
N'est pas non plus litigieux le fait que l'opposition du 2 mai 2024 ne respecte pas les conditions de forme de l'art. 10 al. 1 OPGA, dans la mesure où elle ne contient, à tout le moins, pas de motivation. La mandataire de la recourante en était consciente, raison pour laquelle elle avait réclamé que l'intimée lui communique le dossier dans les meilleurs délais, afin de pouvoir développer une motivation en toute connaissance de cause.
L'intimée n'a pas immédiatement donné suite à cette demande, mais a préféré solliciter, le 13 mai 2024, soit après l'échéance du délai légal d'opposition, des précisions quant à la date à laquelle le sinistre avait été annoncé. S'en sont suivis plusieurs échanges concernant cette question, à la suite de quoi, l'intimée a rendu une décision d'irrecevabilité, puis communiqué le dossier.
4.2 Les arguments que développe l'intimée pour justifier l'irrecevabilité de l'opposition du 2 mai 2024 ne convainquent pas.
Premièrement, dans le cas d'espèce, la question de savoir à quelle date la recourante a annoncé le sinistre à son assurance de protection juridique n'est pas déterminante et n'avait pas à être instruite par l'intimée avant l'échéance du délai légal d'opposition. En effet, la recourante a non seulement dûment manifesté son intention de s'opposer à la décision du 25 mars 2024 avant le 7 mai 2024, mais aussi requis, quelques jours avant cette date, de pouvoir consulter rapidement le dossier en vue de motiver l'opposition. Dès lors, l'intimée n'avait pas à s'interroger sur cet élément, mais devait donner suite dans les meilleurs délais à la demande de consultation.
L'opposition du 2 mai 2024 ayant été adressée par courrier postal reçu le lendemain matin par l'intimée et ayant même été anticipée par courriel, l’intimée disposait à tout le moins de deux ou trois jours entiers pour transmettre le dossier. Elle n'allègue pas qu'elle n'avait pas la possibilité matérielle de le faire dans les temps. Elle a d’ailleurs indiqué avoir pour pratique de transmettre les dossiers par la voie électronique, ce qui nécessite peu de temps et de moyens.
4.3 L’argument de l'intimée selon lequel elle n'aurait pu communiquer le dossier sans octroyer concomitamment un délai supplémentaire pour motiver l'opposition, vu la proximité de l'échéance du délai légal d'opposition, n'est pas fondé. Les exigences quant à la motivation sont en effet peu élevées (cf. ATF 123 V 128 consid. 3a ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_245/2022 du 7 septembre 2022 consid. 5.2 et 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 5), de sorte que l'assurance de protection juridique aurait eu les moyens de développer brièvement des arguments circonstanciés avant le 7 mai 2024, si le dossier lui avait été remis immédiatement. Surtout, il n'appartenait pas à l'intimée, à ce stade de la procédure, d'anticiper une éventuelle demande de prolongation de délai de la mandataire de la recourante. En agissant comme elle l’a fait, elle a rendu caduque la possibilité concrète, pour la recourante, de déposer une opposition dans les délais respectant les prescriptions de forme de l'art. 10 al. 1 OPGA.
Dans ces circonstances, on peut légitimement se demander si ce n’est pas plutôt à l’intimée que l’on pourrait imputer un éventuel abus de droit.
4.4 C'est par ailleurs de manière contradictoire que l'intimée défend, d'un côté, que la représentante de la recourante pouvait motiver l'opposition de manière suffisante en disposant uniquement de la décision querellée et du dernier rapport d'expertise et, de l'autre, qu'elle aurait été obligée de lui accorder un délai de régularisation en même temps qu'elle lui communiquait le dossier.
Au demeurant, outre qu'il n'est en l'occurrence pas démontré que l'assurance de protection juridique disposait de la dernière expertise, il n'appartient pas à l'autorité administrative de définir quels sont les éléments indispensables pour remettre en cause l'une de ses décisions, le respect du droit d'être entendu impliquant au contraire que l'assuré requérant l'accès à son dossier le reçoive dans son intégralité, en vue d'élever les griefs qu'il juge pertinents. Cela est d'autant plus nécessaire que l'opposition a précisément pour fonction de compenser les déficits du système de l'administration de masse et de « compléter » la décision, laquelle peut être rendue avant que l'assuré ne soit entendu (cf. art. 42 LPGA ; Valérie DÉFAGO GAUDIN, Commentaire romand de la LPGA, 2018, n. 4 ad art. 52 et la référence). Dans ce cadre, le respect du droit d'être entendue de la personne assurée revêt une portée essentielle et impose qu'elle puisse faire valoir son point de vue après avoir pris connaissance de tous les faits recueillis par l'assurance.
4.5 Enfin, au vu du fait que la demande de consultation du dossier est parvenue à l’intimée avant l'échéance du délai légal d'opposition et aurait pu être honorée à temps, il n'est pas non plus utile de se prononcer sur la question de savoir si la diligence que doit accorder le mandataire aux délais légaux débute avant même la formalisation du mandat et si, dans le cas concret, l'assurance de protection juridique a tardé à envoyer la procuration à la recourante, celle-là ayant été adressée le 30 avril 2024, alors que l'annonce de sinistre avait été faite le 19 avril 2024. La Cour de céans constate cependant qu'aucun élément concret ne laisse penser que la mandataire de la recourante aurait, ce faisant, volontairement créé de manière abusive les conditions pour bénéficier d'une prolongation indue de délai.
Il sied à cet égard de rappeler que la jurisprudence sanctionne les cas d'abus manifeste de droit, lorsqu'un représentant juridique interjette sciemment une écriture non conforme aux exigences formelles, afin de se voir impartir un délai complémentaire pour la motiver, lui permettant ainsi d'étendre le délai légal d'opposition (cf. consid. 3.4 et 3.5 supra). Les cas réprouvés par la jurisprudence sont typiquement ceux où le mandataire demande d'emblée une prolongation du délai (arrêt du Tribunal fédéral 9C_191/2016 du 18 mai 2016 consid. 4.2.2), ne réagit pas à la prolongation de délai accordée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_660/2021 du 28 juin 2022 consid. 4.1 et 4.3.2) ou ne précise pas ses griefs et conclusions dans le délai légal après avoir reçu le dossier (arrêts du Tribunal fédéral 8C_245/2022 du 7 septembre 2022 consid. 5.2 et 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 5).
L'on ne se trouve en l'espèce pas dans une situation similaire, la mandataire de la recourante n'ayant pas été en possession du dossier avant l'échéance du délai légal et n'ayant de ce fait pas pu développer ses griefs dans son acte du 2 mai 2024.
Dans la mesure où elle ne disposait pas des pièces, l'assurance de protection juridique n'aurait en outre retiré aucun avantage indu à se voir octroyer un délai de régularisation au sens de l'art. 10 al. 5 OPGA, car elle n'aurait pas bénéficié d'un délai plus long que nécessaire pour motiver l'opposition.
4.6 Compte tenu de ce qui précède, c’est à tort que l’intimée a déclaré l'opposition irrecevable.
5. Partant, le recours est partiellement admis, la décision du 27 juin 2024 annulée, et la cause renvoyée à l'intimée afin qu'elle entre en matière sur l'opposition et se prononce sur le fond.
La recourante obtenant partiellement gain de cause, une indemnité de CHF 2'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).
Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).
***
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :
Statuant
À la forme :
1. Déclare le recours recevable.
Au fond :
2. L'admet partiellement.
3. Annule la décision d'irrecevabilité du 27 juin 2024.
4. Renvoie la cause à l'intimée afin qu'elle rende une décision sur le fond.
5. Condamne l'intimée à verser à la recourante une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens.
6. Dit que la procédure est gratuite.
7. Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.
La greffière
Diana ZIERI |
| La présidente
Karine STECK
|
Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral de la santé publique par le greffe le