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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4222/2023

ATAS/258/2025 du 15.04.2025 ( LCA )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4222/2023 ATAS/258/2025

 

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 15 avril 2025

Chambre 4

 

En la cause

 

A______

Représenté par Me Eric MAUGUE, avocat

 

recourant

contre

 

AXA ASSURANCES SA

Représentée par Me Michel BERGMANN, avocat

 

 

 

intimée

 

EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : l’assuré ou le demandeur) a été engagé par B______ (ci-après : l’employeuse) en qualité d’agent de sécurité à compter du 1er octobre 2022.

b. L’employeuse a souscrit une assurance collective de perte de gain en cas de maladie pour ses employés auprès d’AXA ASSURANCES SA (ci-après : AXA).

c. À compter du 2 août 2023, l’assuré s’est trouvé en incapacité de travail totale selon un certificat médical établi le même jour par le docteur C______, spécialiste FMH en médecine interne générale et en allergologie et immunologie clinique.

d. Le 22 août 2023, le Dr C______ a posé les diagnostics de dysthymie et burnout, pour lesquels il a souscrit à l’assuré un traitement de 4 mg/jour de Circadin. L’incapacité de travail (sic) de l’assuré était de 0%.

e. Le 24 octobre 2023, sur demande d’AXA, l’assuré a été examiné par la docteure D______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, pour évaluer sa capacité de travail.

f. Dans son rapport du 27 octobre 2023, la Dre D______ a posé les diagnostics de surmenage et a rejeté le diagnostic de dysthymie, au motif que l’humeur de l’assuré était neutre et que les plaintes subjectives de démotivation et de fatigue décrites par celui-ci ne correspondaient pas à ce diagnostic. Elle estimait que la capacité de travail de l’assuré était complète depuis le 24 octobre 2023, son évaluation ne permettant pas de retenir un trouble psycho-pathologique particulier.

g. Le 27 novembre 2023, la docteure E______, spécialiste FMH en psychiatrie en psychothérapie, a indiqué que l’état psychologique de l’assuré s’était dégradé de manière significative à partir des mois de juin et juillet 2023, en raison d’un effondrement dépressif de l’assuré qui avait été déclenché par un mobbing de son employeuse ainsi qu’un épuisement professionnel et qui avait culminé durant la période de canicule de l’été 2023, en raison de ses conditions de travail. Malgré la bonne volonté de l’assuré pour sortir de son état dépressif, il était paralysé par un état de fatigue, une asthénie et une incapacité de prendre des décisions et de faire des projets, symptômes qui s’inscrivaient dans le cadre de son état dépressif.

L’assuré souffrait d’un état anxiodépressif en lien avec une accumulation de facteurs de stress depuis trois à quatre ans, soit un licenciement abusif en raison de son âge, la chute brutale de ses revenus et de son statut social et le décès de son père deux ans auparavant d’un cancer foudroyant. Il souffrait d’un épisode dépressif sévère, sans symptômes psychotiques et était totalement incapable de travailler depuis le début du mois d’août 2023. La Dre E______ s’est étonnée de ce que la Dre D______, dans son rapport d’expertise du 27 octobre 2023, n’avait pas observé de symptômes dépressifs manifestés par l’assuré et qu’elle mettait en exergue notamment un manque de motivation de sa part, alors qu’il avait toujours été motivé à travailler. La Dre D______ avait omis de mentionner un contexte de crise qui se prolongeait depuis quatre à cinq ans. La description du tableau clinique de la Dre D______ était trop succincte et incomplète, puisqu’elle passait à côté des symptômes dépressifs, de la chronicité et de l’évolution des symptômes ainsi que des importants antécédents familiaux.

h. Le 1er novembre 2023, AXA a indiqué à l’assuré qu’au vu des conclusions de son médecin-conseil, elle le considérait apte à travailler à 100% dès le 2 août 2023 et refusait de prendre en charge son cas.

i. Le 7 novembre 2023, l’employeuse a mis un terme au contrat de travail de l’assuré pour le 31 janvier 2024.

j. Le 29 novembre 2023, l’assuré a contesté le contenu du rapport de la Dre D______ et transmis un rapport médical établi par la Dre E______ le 27 novembre 2023, qui attestait de sa pleine incapacité de travail depuis le 2 août 2023. Il a invité AXA à procéder sans tarder au versement des indemnités journalières.

k. Le 13 décembre 2023, AXA a indiqué à l’assuré avoir soumis le rapport de la Dre E______ à son experte, qui avait considéré que cette évaluation ne faisait apparaître aucun élément médical nouveau susceptible de remettre en cause ses conclusions. AXA maintenait en conséquence son refus de verser des prestations à l’assuré.

B. a. Le 19 décembre 2023, l’assuré a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice d’une demande en paiement dirigée contre AXA, concluant, préalablement, à son audition ainsi qu’à celle des Drs E______ et C______, et à ce qu’une expertise soit ordonnée. Principalement, il concluait au versement par la défenderesse de CHF 11'365.20, avec intérêt à 5% l’an dès le 14 octobre 2023 (date moyenne), ainsi qu’une indemnité à titre de dépens. Il alléguait avoir droit à cette somme à titre d’indemnités journalières en cas de maladie pour la période durant laquelle la défenderesse aurait dû prester, soit du 9 août au 19 décembre 2023, date de la demande (132 jours).

b. La défenderesse a conclu au rejet de la demande et à la condamnation du demandeur aux frais et dépens de la procédure.

c. Par réplique du 24 avril 2024, le demandeur a amplifié ses conclusions, car son incapacité de travail s’était prolongée jusqu’au 31 janvier 2024. La défenderesse devait en conséquence être condamnée à lui verser CHF 15'067.50 équivalant à 175 jours d’indemnités journalières, avec intérêt à 5% l’an dès le 4 novembre 2023.

d. Les parties ont été entendues par la chambre de céans le 15 janvier 2025.

e. Par ordonnance de preuve du 24 janvier 2025, la chambre de céans a dit qu’il ne serait pas procédé à l’audition des Drs C______ et E______, que la demande de production du dossier complet de la défenderesse était rejetée et qu’une expertise psychiatrique serait mise en œuvre.

f. La chambre de céans a informé les parties qu’elle entendait désigner le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, à cette fin et leur a imparti un délai pour faire valoir d’éventuels motifs de récusation à son endroit, et se déterminer sur les questions qu’elle entendait lui soumettre.

g. Les 25 mars et 7 avril 2025, les parties ont indiqué n’avoir pas de motifs de récusation et ont émis des observations et demande de questions complémentaires.

 

EN DROIT

 

1.             Aux termes de l’art. 183 al. 1 CPC, le tribunal peut, à la demande d’une partie ou d’office, demander une expertise à un ou plusieurs experts. Il entend préalablement les parties (al. 1).

L’art. 185 CPC prévoit que le tribunal instruit l’expert et lui soumet, par écrit ou de vive voix à l’audience, les questions soumises à expertise (al. 1). Il donne aux parties l’occasion de s’exprimer sur les questions soumises à expertise et de proposer qu’elles soient modifiées ou complétées (al. 2). Le tribunal tient à la disposition de l’expert les actes dont celui-ci a besoin et lui fixe un délai pour déposer son rapport (al. 3).

2.             En l’espèce, la chambre de céans a admis la nécessité d’une expertise pour déterminer la capacité de travail du demandeur dès le 2 août 2023 et les parties ont été entendues sur l’expert pressenti et les questions qui lui seraient posées.

Aucun motif de récusation n’ayant été soulevé à l’encontre du Dr F______, l’expertise lui sera confiée.

3.             La mission d’expertise sera modifiée dans le sens voulu par les parties. Elle sera également modifiée sous ch. 4.4. pour tenir compte de l’amplification des conclusions du recourant dans son écriture du 24 avril 2024.

4.             En vertu de l’art. 184 al. 1 CPC, l'expert est exhorté à répondre conformément à la vérité et doit déposer son rapport dans le délai prescrit.

Aux termes de l’art. 184 al. 2 CPC, le tribunal rend l’expert attentif aux conséquences pénales d’un faux rapport au sens de l’art. 307 CP et de la violation du secret de fonction au sens de l’art. 320 CP ainsi qu’aux conséquences d’un défaut ou d’une exécution lacunaire du mandat.

En application de cette disposition, il y a ainsi lieu de rappeler ce qui suit.

L’art. 307 CP prévoit que quiconque, étant témoin, expert, traducteur ou interprète en justice, fait une déposition fausse sur les faits de la cause, fournit un constat ou un rapport faux, ou fait une traduction fausse est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire (al. 1). L’auteur est puni d’une peine pécuniaire si la fausse déclaration a trait à des faits qui ne peuvent exercer aucune influence sur la décision du juge (al. 3).

Selon l’art. 320 CP, quiconque révèle un secret à lui confié en sa qualité de membre d’une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il a eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi ou en tant qu’auxiliaire d’une autorité ou d’un fonctionnaire, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. La révélation demeure punissable alors même que la charge ou l’emploi ou l’activité auxiliaire a pris fin (al. 1). La révélation n’est pas punissable si elle est faite avec le consentement écrit de l’autorité supérieure (al. 2).

Par ailleurs, l’art. 188 CPC prévoit que le tribunal peut révoquer l’expert et pourvoir à son remplacement lorsque celui-ci n’a pas déposé son rapport dans le délai prescrit (al. 1). Il peut, à la demande d’une partie ou d’office, faire compléter ou expliquer un rapport lacunaire, peu clair ou insuffisamment motivé, ou faire appel à un autre expert (al. 2).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Préparatoirement :

A. Ordonne une expertise psychiatrique d'A______ afin de déterminer sa capacité de travail durant la période du 2 août 2023 au 31 janvier 2024.

B. Commet à cette fin le docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

C. Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

1. Prendre connaissance du dossier de la cause ;

2. Si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité le demandeur et consulter le dossier médical du demandeur constitué par leurs soins ;

3. Examiner et entendre le demandeur, après s’être entouré de tous les éléments utiles.

D. Charge l’expert d’établir un rapport détaillé et de répondre aux questions suivantes :

1. Anamnèse détaillée.

2. Plaintes et données subjectives du demandeur.

3. Status clinique et constatations objectives.

4. Diagnostics selon la classification internationale.

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogenèse).

4.1 Avec répercussion établie de manière certaine sur la capacité de travail durant la période considérée ;

4.2 Sans répercussion sur la capacité de travail ;

4.3 Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

4.4 L'état de santé du demandeur s'est-il amélioré/détérioré entre août 2023 et fin janvier 2024 ?

5. Durant quelle période les différentes atteintes sont-elles ou ont-elles été présentes ?

6. Les plaintes sont-elles ou ont-elles été objectivées ?

7. Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées ont-elles limité les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par le demandeur).

8. a) Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

b) Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

9. a) Les troubles psychiques constatés ont-ils nécessité une prise en charge spécialisée ?

b) Quels ont été les traitements entrepris et avec quel succès (évolution et résultats des thérapies) ?

c) Pour le cas où il y aurait eu refus ou mauvaise acceptation d’une thérapie recommandée et accessible : cette attitude devait-elle être attribuée à une incapacité du demandeur à reconnaître sa maladie ?

d) Le demandeur a-t-il fait preuve de résistance à l’égard des traitements proposés ? La compliance est-elle bonne ?

e) Dans quelle mesure les traitements ont-ils été mis à profit ou négligés ?

10. Les limitations du niveau d’activité ont-elles été uniformes dans tous les domaines (professionnel mais aussi personnel) ? Quel a été le niveau d’activité sociale et comment a-t-il évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

11. a) Existe-t-il un trouble de la personnalité ou une altération des capacités inhérentes à la personnalité ?

Quelles sont ses répercussions fonctionnelles (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité, motivation, notamment) sur la capacité à gérer le quotidien, à travailler et/ou en termes d’adaptation ? Motivez votre position.

b) De quelles ressources mobilisables le demandeur disposait-t-il durant la période considérée?

c) Quel était le contexte social ? Le demandeur pouvait-il compter sur le soutien de ses proches durant la période considérée?

d) Dans l’ensemble, le comportement du demandeur vous semble-t-il cohérent ? Pourquoi ?

12. Mentionner, pour chaque diagnostic posé, les limitations fonctionnelles qu’il entraînait dans l’activité habituelle durant la période considérée.

13. Mentionner globalement les conséquences des divers diagnostics retenus sur la capacité de travail du demandeur, en pourcent, dans l’activité habituelle durant la période considérée.

14. Dater la survenance de l’incapacité de travail, le cas échéant, indiquer l'évolution de son taux et décrire son évolution durant la période considérée.

15. Évaluer l'exigibilité, en pourcent, d'une activité lucrative adaptée, indiquer depuis quand une telle activité est exigible et quel est le domaine d'activité adapté durant la période considérée.

16. Dire s'il y a une diminution de rendement et la chiffrer durant la période considérée.

17. Prière de commenter les rapports des Drs C______ (22 août 2023) et D______ (27 octobre 2023, 1er décembre 2023 et 23 mai 2024).

18. Faire toute remarque utile.

E. Invite l’expert à déposer dans les trois mois dès la réception de la mission d’expertise un rapport en trois exemplaires à la chambre de céans.

La greffière

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

 

Une copie conforme de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le