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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2366/2024

ATAS/252/2025 du 14.04.2025 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2366/2024 ATAS/252/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 14 avril 2025

Chambre 4

 

En la cause

A______

représenté par ASSUAS Association suisse des assurés

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant) est né le ______ 1995, célibataire.

b. Il a demandé les prestations de l’assurance-invalidité en raison d’une incapacité de travail de 100% du 12 juillet au 12 août 2021 et du 13 août au 13 septembre 2021 et dès le 29 novembre 2021. Il souffrait d’hypersomnie. Il lui était impossible de prévoir ou d’influencer de manière sure l’heure de son réveil. La durée de son sommeil pouvait durer plus d’une trentaine d’heure. En éveil, l’état physique et cognitif pouvait être léthargique comme pleinement fonctionnelle et évoluer dans un sens comme dans l’autre. Généralement deux à trois heures s’écoulaient entre la prise de conscience d’être réveillé et la capacité de se lever. Il en résultait une incapacité à planifier quoi que ce soit tant sur le plan professionnel que personnel. Malgré près d’un an de recherche et d’accompagnement médical à ce sujet, la cause de ce dysfonctionnement restait inconnue. Un suivi médical pour dépression existait avant l’apparition des symptômes. Il souffrait également d’une dépression d’intensité variable et il n’était pas possible de déterminer si celle-ci avait un lien avec son trouble du sommeil.

c. Dans un rapport établi le 16 janvier 2023, le docteur B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a diagnostiqué chez l’assuré une perturbation de l’activité et de l’attention, un trouble envahissant du développement, sans précision, un épisode dépressif, sans précision et un haut potentiel. Sa capacité de travail était nulle depuis le mois de juillet 2021 en raison de l’hypersomnie. Elle était également nulle dans une activité adaptée.

d. Selon le rapport d’expertise établi le 21 février 2024, à la demande de l’OAI, par le professeur C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, ainsi que D______, psychologue, spécialiste en psychothérapie FSP, aucun diagnostic invalidant n’était retenu et la capacité de travail de l’assuré était demeurée intacte dans toute activité en milieu usuel depuis décembre 2021. Le tableau neuropsychologique était cohérent, sans aucun signe de majoration, mais aussi sans aucun élément pathologique. Les atteintes fonctionnelles étaient très limitées et, dans les faits, elle ne concernait que les périodes marquées par l’hypersomnie. L’analyse diagnostique était développée dans le chapitre de l’appréciation générale. Dans celle-ci, l’expert retenait que la dernière hypothèse de son ex-psychiatre-traitant était conforme à ses observations. La fragilité narcissique était patente chez un homme qui avait fonctionné en petit groupe et de manière indépendante, qui avait abandonné les études de Master malgré un niveau de compétence très élevé, ainsi que la lutte climatique et sa dernière affection professionnelle qui tentait de combiner informatique et environnement. Toutefois, cette vulnérabilité narcissique n’était pas suffisamment prononcée selon l’expert pour retenir un diagnostic de trouble de la personnalité invalidant. On ne retrouvait pas les ruptures houleuses par blessures narcissiques, les auto-accusations, le sentiment de trahison ou de mise à l’écart, la vulnérabilité affichée aux critiques. Il était possible que ces éléments soient masqués derrière les intellectualisations et les défenses de type faux-self qui caractérisaient son discours, en lien avec son HPI, lui donnant un aspect particulièrement inauthentique.

e. Par projet de décision du 14 mars 2024, la demande de prestations de l’assuré a été rejetée par l’OAI.

f. Le 29 avril 2024, l’assuré a formé opposition au projet de décision de l’intimé.

g. Le 10 juin 2024, le SMR a considéré que la pièce médicale versée au dossier n’apportait pas d’élément clinique objectif susceptible de modifier les conclusions du SMR du 13 mars 2024 qui restaient valides. Il s’agissait d’un rapport médical établi par le Dr B______.

h. Le 21 mai 2024, le Dr B______ a indiqué qu’il assurait le suivi de l’assuré depuis septembre 2020. Jusqu’au début de l’année 2022, il s’était agi d’un suivi classique dont la fréquence était d’une séance par semaine environ. Par la suite, ce suivi était devenu beaucoup plus compliqué à maintenir en raison des absences répétées de l’assuré. Il avait effectué quelques visites à domicile mais elles s’étaient avérées difficiles à poursuivre en raison de l’incapacité de l’assuré à être réveillé lors de ses passages. Concernant l’année 2023, son suivi avait principalement reposé sur les échanges qu’il pouvait avoir avec la mère de l’assuré.

Le suivi avait débuté à la demande de l’assuré, car son entourage se faisait beaucoup de soucis à son sujet du fait qu’il présentait des périodes de plus en plus longues durant lesquelles il s'isolait de manière importante, ne se nourrissait plus et présentait une désorganisation de son rythme nycthéméral. Ce tableau clinique évoquait une dépression sévère dont l'expression présentait - et présentait toujours - des aspects particuliers. D'autres pistes avaient été évoquées, telles qu’un TDAH, un TSA, ou un trouble spécifique du sommeil. Actuellement, les diagnostics retenus étaient : autres troubles spécifiques de la personnalité et épisode dépressif sévère, sans symptôme psychotique. L'évolution de l'état de santé de l'assuré était mauvaise malgré tout ce qui avait été entrepris.

La catégorie F60.8 (autres troubles spécifiques de la personnalité) était la seule que la CIM-10 proposait pour rendre compte du trouble de la personnalité narcissique.

L’assuré souffrait d’une variante du trouble narcissique, soit d’un narcissisme vulnérable. Les personnes au narcissisme vulnérable pouvaient faire montre d'un altruisme conséquent. Chez l’assuré, on retrouvait particulièrement ce trait au travers de toutes les activités qu'il avait développées dans diverses ONG et associations militantes. Cependant, même cette tendance avait ses limites et cela expliquait pourquoi il se retrouvait actuellement dans l'incapacité de poursuivre ses actions militantes. Lorsque la problématique narcissique était poussée à son paroxysme, les émotions négatives qui traversaient pourtant tout être humain devenaient problématiques, car elles étaient interprétées comme un signe de faiblesse. C'était pour cette raison que la dépression sévère de l’assuré présentait une forme particulière avec une expression somatique au premier plan qui comprenait : l'hypersomnie, l'anergie, la baisse de l'appétit, la perte de poids, etc. Le lien entre la problématique narcissique et la tendance aux manifestations psychosomatiques avait été théorisé depuis longtemps dans la littérature scientifique. L’assuré était dans une intellectualisation constante de ses émotions afin, dans le fond, de ne pas les ressentir puisque cela serait un affront.

De manière un peu simpliste on pourrait formuler les choses ainsi : l’assuré savait qu'il était triste mais il ne ressentait pas de tristesse. En revanche, son corps, par le truchement de ses symptômes dépressifs somatiques, exprimait cette tristesse.

Au début de son suivi, l’assuré présentait une symptomatologie dépressive sévère dont l'expression était atypique. Un traitement antidépresseur, dont la posologie avait été montée à son maximum, avait amené une amélioration clinique, qui n'avait duré que quelques semaines avant une nouvelle dégradation de la situation.

Ainsi, il y avait un lien de causalité entre son trouble de la personnalité, sa dépression et une incapacité totale de travail.

Il était important de faire la différence entre des traits de gravité qui seraient absents et ceux qui étaient présents, mais masqués et qui pouvaient alors, de manière insidieuse ou indirecte, influencer les comportements et décisions de l’assuré.

Les limitations fonctionnelles psychiatriques présentées par l’assuré résultaient de sa fragilité narcissique qui le poussait à se tenir en retrait de toute situation potentiellement confrontante ou blessante.

En raison de son hypersomnie, qui était l'expression la plus patente de sa dépression et de son trouble narcissique sous-jacent, la capacité de travail actuelle de l’assuré était nulle.

Ce n'était que suite à un travail psychothérapeutique prudent et au long cours que l'on pourrait le voir recouvrer sa capacité de travail. Actuellement, les conditions d’une telle psychothérapie n’étaient pas réunies.

i. Par décision du 11 juin 2024, l’OAI a rejeté la demande de prestations de l’assuré, considérant que les pièces médicales versées au dossier n’apportaient pas d’élément clinique objectif susceptible de modifier ses précédentes conclusions.

B. a. Le 11 juillet 2024, l’assuré a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) concluant à son annulation et à l’octroi d’une rente d’invalidité, avec suite de frais et dépens. Subsidiairement il demandait qu’une nouvelle expertise médicale psychiatrique soit ordonnée et l’audition du Dr B______.

Le recourant a fait valoir que le Prof. C______ et la psychologue D______ n’avaient pas rendus une expertise probante.

b. Par réponse du 8 août 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours.

c. Le 22 août 2024, le recourant a informé la chambre de céans qu’une curatelle de représentation et de gestion avait été demandée au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant. En effet, contrairement à ce que prétendait l’intimé, l’hypersomnie objectivée ne lui permettait plus de gérer ses affaires administratives ni même son quotidien.

d. Le 19 septembre 2024, l’intimé a que l'instauration d'une curatelle de représentation n'était pas de nature à démontrer que l'assuré présentait une atteinte invalidante au sens de l'assurance-invalidité. En outre, aucun élément médical objectif du dossier ne permettait de conclure que l'hypersomnie dont il se prévalait l'empêcherait de gérer ses affaires administratives.

e. Le recourant a été convoqué par la chambre de céans à une audience fixée le 5 février 2025, à laquelle il ne s’est pas présenté. Sa mère a déclaré qu’elle n’avait pas de nouvelle de lui depuis douze jours et qu’il ne lisait même pas ses messages. Cela l’inquiétait, mais arrivait régulièrement depuis plus de trois ans. Depuis mi-novembre 2024, une infirmière en santé mentale déléguée par le psychiatre allait voir son fils une fois par semaine, ce qui la rassurait. L’infirmière n’avait toutefois pas réussi à le voir la semaine précédente. Quand son fils n'ouvrait pas sa porte, c’était qu'il dormait ou n’était pas en état de se lever. Depuis trois ans, son fils était incapable de fonctionner, mais il était probable que le problème remonte à plus loin, car il avait déjà des problèmes dans l'enfance en lien avec un diagnostic de haut potentiel. Elle se souvenait qu’il avait des angoisses nocturnes très fortes.

Parfois, il dormait 48 heures d'affilée, ce qui avait un impact sur son alimentation, il pesait entre 55 et 60 kg pour 1m85. Parfois il était réveillé mais sans énergie et restait assis dans son lit. Elle le savait car il le lui racontait et elle l’avait également elle-même constaté. Elle était rentrée pour la dernière fois chez lui le 30 décembre dernier. Il avait répondu à son appel, c’était inattendu. Quand il dormait il n'était pas possible de le réveiller. Elle n’avait pas les clés de chez lui. En janvier 2023, il devait faire des séances trois fois par semaine de sismothérapie (électrochocs) à la Métairie et elle l'y emmenait, quand elle y arrivait, car parfois elle n'arrivait pas à le réveiller. À cette époque, elle pouvait entrer chez lui car elle avait ses clés. Il y avait des jours ou cela allait mieux, il pouvait se doucher, faire une lessive, aller à la pharmacie ou la coop et parfois elle arrivait même à le voir comme le 30 décembre, ce qui était exceptionnel. Quand il était suffisamment bien pour être vu, on ne pouvait pas imaginer qu'il passait ses journées à dormir, il était capable de parler et il le faisait très vite et dans tous les sens et il réfléchissait bien. Quelqu'un qui ne le connaissait pas pouvait penser qu'il allait très bien. Elle pensait que son fils préférait qu’elle n’ait pas ses clés, car il n’avait pas envie qu’elle le voie tel qu’il était. Il vivait mal le fait de ne pas être autonome et avait beaucoup de peine à accepter l’aide des autres. Avant, il était très populaire et avait beaucoup d'amis. Ces derniers continuaient à lui écrire malgré le fait qu'il ne réponde pas ou peu. Il faisait rarement encore des sorties avec ses amis, mais en général, il ne se rendait pas aux rendez-vous car il dormait. Elle était le seul contact de son fils avec l’extérieur et encore limité. Elle avait obtenu la curatelle de représentation et de gestion de son fils et s’occupait de ses affaires administratives. Avant d'être malade, il était très organisé, il s'occupait tout seul de son administratif. Depuis lors, soit il ne lisait pas ses messages, soit il avait de la peine à se mobiliser pour ouvrir son ordinateur et s'occuper de lui envoyer des documents pour qu’elle s'en occupe. Son fils n’était pas heureux de vivre. Ce n'était pas que l'hypersomnie qui lui posait problème, mais également son état dépressif. Il lui parlait souvent de « tirer la prise », et lui disait que ce monde n'était pas fait pour lui. Parfois, il était tellement mal qu'il ne ressentait plus rien.

Son fils adorerait être là, mais il n'y arrivait pas. Il avait pu se rendre à l'expertise, parce qu’elle l’avait aidé et cela avait pris six mois après sommation de l'OAI. Il avait été dévasté par la teneur de l'expertise et était préoccupé par la procédure mais il n’était pas investi et plutôt indifférent, en raison d'un manque d'énergie selon elle.

f. Par courrier du 24 mars 2025, la chambre de céans a informé les parties de son intention de mettre en œuvre une expertise psychiatrique et leur a communiqué le nom de l’experte pressentie, ainsi que les questions qu’elle avait l’intention de lui poser, en leur impartissant un délai pour faire valoir une éventuelle cause de récusation et se déterminer sur les questions posées.

g. Le recourant a indiqué qu’il n’avait pas de motif de récusation à faire valoir à l’encontre de l’experte désignée ni questions complémentaires et il a produit un rapport médical établi par le Dr B______ le 14 avril 2025.

h. L’intimé s’est opposé sur le principe à l’expertise ordonnée et subsidiairement a informé la chambre de céans ne pas avoir de motif de récusation et il a demandé à ce que des questions complémentaires soient posées à l’expert.

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

2.             Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705) ainsi que celles du 3 novembre 2021 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201 ; RO 2021 706) sont entrées en vigueur.

En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).

En l’occurrence, un éventuel droit à une rente d’invalidité naîtrait au plus tôt en juin 2023, soit six mois après le dépôt de la demande du 23 décembre 2022. (cf. art. 29 al. 1 LAI), de sorte que les dispositions légales applicables seront citées dans leur nouvelle teneur.

3.              

3.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

En 2017, le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques. En effet, celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. La question des effets fonctionnels d'un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d'une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu'il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation de la capacité de travail invalidante n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et 143 V 418 consid. 6 et 7).

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

Il convient dorénavant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d'autre part, les potentiels de compensation (ressources), à l’aide des indicateurs developpés par le Tribunal fédéral suivants :

Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés.

Il convient encore d'examiner le succès du traitement et de la réadaptation ou la résistance à ces derniers. Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L’échec définitif d’un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d’espèce, on ne peut rien en déduire s’agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d’une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation.

La comorbidité psychique ne doit être prise en considération qu’en fonction de son importance concrète dans le cas d’espèce, par exemple pour juger si elle prive l’assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble psychique avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel n’est pas une comorbidité, mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité.

Il convient ensuite d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l’assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d’autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées.

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles ne doivent pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie.

Il s’agit, encore, de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé.

Il faut examiner ensuite la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, pour évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons que l'atteinte à la santé assurée.

Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective.

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 et 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

Ce diagnostic doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Il suppose l’existence de limitations fonctionnelles dans tous les domaines de la vie (tant professionnelle que privée). Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. et 2.2). Ainsi, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les difficultés décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses difficultés dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (cf. ATF 131 V 49 consid. 1.2).

3.2 Lorsqu’au stade de la procédure administrative, une expertise confiée à un médecin indépendant est établie par un spécialiste reconnu, sur la base d'observations approfondies et d'investigations complètes, ainsi qu'en pleine connaissance du dossier, et que l'expert aboutit à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu'aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 125 V 351 consid. 3b/bb).

Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

4.             En l’espèce, la chambre de céans estime que le rapport médical détaillé du Dr B______ du 21 mai 2024 suffit à remettre en cause les conclusions de l’expert, car il en ressort que le trouble dont souffre le recourant est très particulier et d’intensité variable et qu’il est par sa nature même susceptible d’être masqué par le comportement du recourant qui est d’une grande intelligence. Il ressort en outre des déclarations convaincantes de la mère du recourant à la chambre de céans que celui-ci semble très impacté par les troubles dont il souffre.

Il se justifie en conséquence de faire procéder à une nouvelle expertise psychiatrique du recourant.

Il sera donné suite à la demande de questions complémentaires de l’intimé.


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

1.      Ordonne une expertise psychiatrique de A______.

2.      Commet à ces fins la Docteure E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, rue ______, 1206 Genève.

3.      Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A)      prendre connaissance du dossier de la cause ;

B)       si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité l’assuré ;

C)       examiner et entendre l’assuré, après s’être entouré de tous les éléments utiles, au besoin d’avis d’autres spécialistes ;

D)      si nécessaire, ordonner d’autres examens.

4.      Charge l’expert d’établir un rapport détaillé et de répondre aux questions suivantes :

1.         Quelle est l’anamnèse détaillée du cas ?

2.         Quelles sont les plaintes et données subjectives de l’assuré ?

3.         Quels sont le status clinique et les constatations objectives ?

4.         Quels sont les diagnostics selon la classification internationale ?

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogénèse) :

4.1         Avec répercussion sur la capacité de travail (en mentionnant les dates d'apparition)

4.2         Sans répercussion sur la capacité de travail (en mentionnant les dates d'apparition)

4.3         Depuis quand les différentes atteintes sont-elles présentes ?

4.4         Les plaintes sont-elles objectivées ?

4.5         Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par l’assuré).

4.6         Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

4.7         Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

5.         Quelles sont les limitations fonctionnelles ?

Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic (en mentionnant leur date d’apparition) :

5.1         Dans l’activité habituelle,

5.2         Dans une activité adaptée.

6.         Traitement

6.1 Quels ont été les traitements entrepris et avec quel succès (évolution et résultats des thérapies) ?

6.2 L’assuré a-t-il fait preuve de résistance à l’égard des traitements proposés ? La compliance est-elle bonne ?

6.3 Dans quelle mesure les traitements ont-ils été mis à profit ou négligés ?

7.         Capacité de travail

7.1         Mentionner globalement les conséquences des divers diagnostics retenus sur la capacité de travail de l’assuré, en pourcent :

a)             dans l’activité habituelle,

b)            dans une activité adaptée.

7.2         Dater la survenance de l’incapacité de travail durable, indiquer l'évolution de son taux et décrire son évolution.

7.3         Evaluer l’exigibilité, en pourcent, d’une activité lucrative adaptée, indiquer depuis quand une telle activité est exigible et quel est le domaine d’activité adapté.

7.4         Décrire les limitations fonctionnelles qui entrent en ligne de compte.

7.5         Dire s'il y a une diminution de rendement et la chiffrer.

7.6         Si une diminution de rendement est retenue, celle-ci est-elle déjà incluse dans une éventuelle réduction de la capacité de travail ou vient-elle en sus ?

7.7         Serait-il possible d’améliorer la capacité de travail par des mesures médicales ? Indiquer quelles seraient les propositions thérapeutiques et leur influence sur la capacité de travail.

7.8         Les limitations du niveau d’activité sont-elles uniformes dans tous les domaines (professionnel mais aussi personnel) ? Quel est le niveau d’activité sociale et comment a-t-il évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

7.9         Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

7.10     Les troubles psychiques constatés nécessitent-ils une prise en charge spécialisée ?

7.11     Est-ce que l’assuré présente un trouble de la personnalité selon les critères diagnostiques des ouvrages de référence ou une altération des capacités inhérentes à la personnalité ?

7.12     Si oui, quelles sont ses répercussions fonctionnelles (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité, motivation, notamment) sur la capacité à gérer le quotidien, à travailler et/ou en termes d’adaptation (motivez votre position) ?

7.13     De quelles ressources mobilisables l’assuré dispose-t-il ?

7.14     Quel est le contexte social ? L’assuré peut-elle compter sur le soutien de ses proches ?

7.15     Pour le cas où il y aurait refus ou mauvaise acceptation d’une thérapie recommandée et accessible : cette attitude doit-il être attribué à une incapacité de l’assuré à reconnaître sa maladie ?

7.16     Dans l’ensemble, le comportement de l’assuré vous semble-t-il cohérent ?

8.         Appréciation d’avis médicaux du dossier

8.1 Êtes-vous d'accord avec les diagnostics et la capacité de travail retenus par le Prof. C______ dans son rapport du 21 février 2024 ? pour quels motifs ?

Il est demandé à l’experte, si elle retient le diagnostic de trouble de la personnalité narcissique, qu’elle se prononce en particulier de manière détaillée sur les constatations du Dr C______, qui a indiqué dans ce contexte : « … cette vulnérabilité narcissique n’est pas suffisamment prononcée pour retenir un diagnostic de trouble de la personnalité invalidant. On ne retrouve pas les ruptures houleuses par blessure narcissique, les auto-accusations, le sentiment de trahison ou de mise à l’écart, la vulnérabilité affichée aux critiques ». Le SMR a précisé que le trouble de la personnalité narcissique n’est pas répertorié en tant que diagnostic à part entière dans la CIM-10, mais qu’il est classé seulement dans les « autres troubles spécifiques de la personnalité ».

8.2 Êtes-vous d'accord avec les diagnostics et la capacité de travail retenus par le Dr B______ dans son rapport du 21 mai 2024 ? pour quels motifs ?

 

9.         Formuler un pronostic global.

10.     Faire toute remarque utile et proposition utile.

5.      Invite l’expert à déposer, dans les trois mois dès réception de la présente ordonnance, un rapport en trois exemplaires à la chambre de céans.

6.      Réserve le sort des frais jusqu’à droit jugé au fond.

 

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le