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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2545/2024

ATAS/81/2025 du 10.02.2025 ( AVS ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2545/2024 ATAS/81/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 10 février 2025

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

représentée par le service de protection de l’adulte, soit pour lui Monsieur F______, curateur

 

recourante

 

contre

 

GASTROSOCIAL CAISSE DE COMPENSATION

 

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née le ______ 1936, est domiciliée au sein de l’établissement médico-social B______ (ci-après : l’EMS), sis C______, Genève. Elle perçoit une rente AVS depuis le 1er août 1998 ainsi qu’une allocation pour impotent depuis le 1er mai 2022, ces deux prestations étant servies par GASTROSOCIAL CAISSE DE COMPENSATION (ci-après : la caisse).

b. Par ordonnance du 1er mars 2011 rendue par le tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE ; anciennement tribunal tutélaire), Madame D______, cheffe de section auprès du service des tutelles d’adultes, a été nommée curatrice de l’assurée.

c. À la demande du service de protection de l’adulte (ci-après : SPAd ; anciennement service des tutelles d’adultes), la caisse a versé à ce dernier, à compter du 1er juin 2011, les rentes de vieillesse de l’assurée.

d. Par ordonnance du 13 décembre 2013, le TPAE a transformé la mesure de l’ancien droit instaurée en faveur de l’assurée en une curatelle de représentation avec gestion et a désigné Monsieur D______ aux fonctions de
co-curateur de l’assurée. Cette mesure était justifiée par la nécessité, pour l’assurée, d’être aidée dans le cadre de l’administration de ses intérêts et de la gestion de son patrimoine, singulièrement s’agissant des aides financières nécessaires à assurer ses besoins ordinaires. Elle était également requise concernant les rapports juridiques de l’assurée avec les tiers, notamment les assurances sociales, diverses institutions et ses créanciers. Les co-curateurs étaient ainsi chargés de représenter l’assurée dans ses rapports avec les tiers, de veiller à la gestion de ses revenus et de sa fortune, d’administrer ses biens et d’accomplir tous les actes juridiques liés à cette gestion.

e. Après que plusieurs curateurs du SPAd se sont succédés dans le cadre de la gestion du dossier de l’assurée, Monsieur F______, intervenant en protection de l’adulte de ce service, a été nommé curateur de l’assurée par ordonnance du TPAE du 3 mars 2023.

B. a. Par plis des 11 juin et 2 septembre 2021, le SPAd a prié la caisse de verser la rente AVS de l’assurée sur le compte bancaire de l’EMS dans lequel elle résidait.

b. Dans sa correspondance du 22 septembre 2021, la caisse a refusé de donner une suite favorable à la requête du SPAd, en indiquant que les prestations en espèces de l’AVS étaient en principe versées à l’ayant droit uniquement et qu’elles ne pouvaient être ni cédées à un tiers ni mises en gage. Le versement de telles prestations à des tiers était réservé à des situations exceptionnelles et ne pouvait être effectué en faveur de l’EMS, de sorte que la rente AVS de l’assurée continuerait d’être versée sur le compte du SPAd.

c. Par courrier du 2 mai 2023, le SPAd a une nouvelle fois prié la caisse de procéder au versement de la rente sur le compte bancaire de l’EMS.

d. En date du 27 juillet 2023, la caisse a rejeté cette demande en invoquant les mêmes motifs que ceux qui figuraient dans sa correspondance du 22 septembre 2021.

e. Par courrier du 16 novembre 2023, le SPAd a requis du TPAE que ce dernier autorise la domiciliation des rentes de l’assurée sur le compte de l’EMS dans lequel elle résidait, ce que le TPAE a accepté par décision du 23 novembre 2023.

f. Le 8 décembre 2023, le TPAE a notifié à la caisse la décision précitée. La caisse n’a pas contesté cette décision.

g. Par courriel du 8 février 2024, le SPAd a soumis à la caisse le formulaire AVS intitulé « demande de versement de prestations AVS/AI/APG/PC/Ptra/AFam en mains de tiers », en sollicitant que la rente AVS et l’allocation pour impotent de l’assurée soient versées à l’EMS et en précisant que ces prestations visaient à assurer le financement de son besoin d’accompagnement.

h. Par décision du 21 février 2024, la caisse a refusé de verser directement les prestations d’assurance de l’assurée à l’EMS, en indiquant que le seul fait qu’une personne fût soutenue par un service social, respectivement qu’elle résidât dans une institution, ne justifiait pas le versement de ces prestations à ces tiers, selon les Directives concernant les rentes (DR) de l'assurance vieillesse, survivants et invalidité fédérale (ci-après : DR). D’après la caisse, les versements de prestations d’assurance en faveur des EMS n’étaient juridiquement pas contraignants et n’avaient pas d’effet libératoire.

i. Le 15 mars 2024, le SPAd a formé opposition à l’encontre de la décision précitée, en se référant au bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC n° 464 du 24 janvier 2023, lequel mentionnait que sur demande du curateur, les prestations de l’AVS/AI pouvaient être versées à un tiers. La demande du SPAd était motivée, car elle contribuait à garantir un usage des prestations d’assurances sociales conforme à leur but, en permettant le financement des prestations dont l’assurée avait besoin. À l’appui de son opposition, le SPAd a joint la nouvelle décision du TPAE du 7 mars 2024, par laquelle celui-ci autorisait, d’une part, la domiciliation des rentes à l’EMS et, d’autre part, les co-curateurs de l’assurée à entreprendre les démarches permettant de contester la décision du 21 février 2024.

j. Par courrier du 19 avril 2024, la caisse a requis du SPAd qu’il lui remette une copie de l’acte de nomination du curateur comportant la description de ses obligations et de ses tâches, la copie de l’ordonnance du TPAE du 13 décembre 2013 ainsi que les motifs pour lesquels les rentes de l’assurée devaient être versées à l’EMS.

k. Le 24 avril 2024, le SPAd a donné suite à la requête de la caisse, en rappelant notamment que sa demande était motivée par l’objectif de garantir un usage conforme des prestations d’assurance de l’assurée à leur but, en assurant le financement des prestations dont elle avait besoin.

l. Par courriel du 13 mai 2024, la caisse a interpellé l’Office fédéral des assurances sociales (ci-après : OFAS), en lui exposant le litige l’opposant à l’assurée. La caisse souhaitait en particulier savoir si la décision du TPAE la contraignait à verser les prestations d’assurance directement à l’EMS.

m. L’OFAS a répondu à la caisse qu’il préconisait une interprétation restrictive des possibilités de verser des prestations d’assurances sociales à des tiers. Selon lui, l’art. 1 al. 1 OPGA, relatif aux tiers auxquels les prestations pouvaient être versées, excluait les EMS dans la mesure où il se référait à la notion de « personne » ou d’ « autorité ». En outre, l’institution d’une curatelle ayant précisément pour but de gérer les affaires courantes, les revenus et la fortune de la personne concernée, il revenait au curateur de l’assurée de payer ses factures, dont celles de l’EMS, le cas échéant au moyen d’un ordre de paiement permanent. Dans le cas contraire, le principe d’incessibilité des rentes ne serait plus garanti.

n. Par décision sur opposition du 13 juin 2024, la caisse a rejeté l’opposition formée par le SPAd, en reprenant à son compte l’argument de l’OFAS selon lequel l’EMS ne faisait pas partie des tiers auxquels des prestations d’assurance pouvaient être versées. La caisse relevait également que l’entrée d’un assuré dans un EMS ne constituait pas un motif suffisant pour approuver le versement des prestations à celui-ci.

C. a. Par acte du 5 août 2024, le curateur de l’assurée a interjeté recours contre la décision sur opposition précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, en concluant à son annulation et à ce qu’il soit ordonné à l’intimée de verser les prestations en espèces de l’assurée à l’EMS. Dans la mesure où l’EMS assistait la recourante en permanence et que les curateurs de cette dernière vérifieraient le bon usage de ses rentes, il n’y avait pas de risque à autoriser le versement des prestations en espèces à l’EMS. L’utilisation de ces rentes serait conforme à leur but, à savoir couvrir une partie des frais de pension de la recourante. Compte tenu de la décision rendue par le TPAE en date du 23 novembre 2023, les rentes de la recourante pouvaient être versées à l’EMS.

b. Dans son mémoire de réponse du 30 août 2024, l’intimée a estimé que le TPAE n’était pas matériellement compétent pour autoriser la domiciliation des prestations d’assurance de la recourante au sein de son EMS, cette question relevant du droit des assurances sociales. Les dispositions légales relatives à la rente AVS et à l’allocation pour impotent de l’assurée ne prévoyaient pas de réserve en faveur de décisions civiles contraires, de sorte que la décision du TPAE devait être déclarée comme nulle. Se référant aux DR de l'assurance vieillesse, survivants et invalidité fédérale, la caisse a également indiqué que le paiement direct de la rente ou de l’allocation pour impotent en mains de l’EMS n’était pas autorisé. En outre, la recourante n’expliquait pas pour quelle raison l’utilisation de ses prestations AVS ne serait pas conforme à son but, dès lors qu’il était loisible à son curateur d’établir un ordre de paiement permanent en faveur de l’EMS. Dans son courriel du 18 juillet 2024, l’OFAS avait maintenu son appréciation de la situation, ce dans le contexte d’une procédure de recours pendante par-devant la chambre de surveillance de la cour de justice « pour le même litige ». Enfin, l’intimée sollicitait la participation de l’OFAS à la procédure compte tenu de la portée de cette dernière.

c. Par courrier du 25 septembre 2024, la recourante a renoncé à répliquer et a renvoyé aux explications contenues dans son mémoire de recours.

d. Déférant à une demande de la chambre de céans, l’intimée lui a, par courrier du
9 décembre 2024, communiqué copie de la décision du TPAE du 3 juillet 2024, à laquelle l’OFAS se référait dans son courriel du 18 juillet 2024. Celle-ci concernait une autre personne que la recourante mais avait trait à une situation similaire, dès lors que le TPAE avait ordonné à l’intimée de verser les prestations AVS de la personne concernée directement à l’EMS dans lequel elle résidait.

e. L’intimée a interjeté recours contre cette décision auprès de la chambre de surveillance de la Cour de justice, devant laquelle la procédure est toujours pendante (C/26473/2020).

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946 (LAVS - RS 831.10).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA).

2.              

2.1 Se pose préalablement la question de l’éventuel appel en cause de l’OFAS sollicité par l’intimée dans sa réponse du 30 août 2024, compte tenu de « la portée de la procédure en cours ».

2.2 Selon l’art. 71 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), l’autorité peut ordonner, d’office ou sur requête, l’appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d’être affectée par l’issue de la procédure ; la décision leur devient dans ce cas opposable (al. 1). L’appelé en cause peut exercer les droits qui sont conférés aux parties (al. 2). L’appel en cause a pour but d’attirer un tiers dans une procédure afin d’éviter que ce tiers, qui aurait un rapport de droit avec une des parties à cette procédure, ne déclenche ou ne soit contraint de participer à une autre procédure sur les mêmes questions litigieuses. L’appel en cause permet ainsi notamment d’éviter des décisions ou des jugements contradictoires en imposant une procédure unique et en rendant le jugement prononcé à l’issue de celle-ci opposable au tiers appelé en cause (François BELLANGER, La qualité de partie à la procédure administrative in Les tiers dans la procédure administrative, TANQUEREL / BELLANGER [éd.], 2004, p. 50). L’appel en cause a en outre pour but de préserver les intérêts juridiques ou de fait de la personne qui pourrait être affectée par l’issue de la procédure. Dans cette mesure, il est un prolongement du droit d’être entendu. En revanche, lorsque l’appel en cause vise à opposer la force de chose jugée du jugement à l’appelé en cause, ses conditions sont plus restrictives et il est nécessaire que la décision ait une incidence sur la relation juridique entre la partie et la personne à appeler en cause (Alfred KÖLZ / Isabelle HÄNER / Martin BERTSCHI, Verwaltungsverfahren und Verwaltungsrechtspflege des Bundes, 3e éd. 2013 p. 324 n° 929).

2.3 En l’espèce, l’on ne saurait considérer que l’OFAS serait un tiers lié par un rapport de droit avec l’une des parties à la procédure dont les intérêts juridiques ou de fait pourraient être affectés par l’issue de la procédure.

En qualité d’autorité de surveillance, l’OFAS a en outre la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral contre un prononcé d'une juridiction cantonale dans le domaine de l'assurance-vieillesse et survivants (art. 89 al. 2 let. a loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) cum art. 201 al. 1 RAVS).

Par conséquent, il n’y a pas lieu de procéder à l’appel en cause de l’OFAS, dès lors que la position exprimée par celui-ci figure déjà dans l’un des courriels produits par l’intimée et qu’il a la qualité pour exercer un recours contre le présent arrêt.

3.             Le litige porte sur l’admissibilité de la décision de l’intimée, par laquelle celle-ci a refusé de verser la rente AVS et l’allocation pour impotent de la recourante directement à l’EMS dans lequel elle réside.

4.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAVS, les dispositions de la LPGA s'appliquent aux
art. 1 à 97 LAVS, à moins que la loi n'y déroge expressément.

Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

 

 

5.              

5.1 Selon l'art. 19 LPGA, en règle générale, les prestations périodiques en espèces sont payées mensuellement (al. 1). Les indemnités journalières et les prestations analogues sont versées à l'employeur dans la mesure où il continue à verser un salaire à l'assuré malgré son droit à des indemnités journalières (al. 2). Les rentes et allocations pour impotents sont toujours payées d'avance pour le mois civil entier. Une prestation qui en remplace une autre est versée seulement pour le mois suivant (al. 3). Si le droit à des prestations semble avéré et que leur versement est retardé, des avances peuvent être versées (al. 4).

En vertu de l'art. 20 LPGA, intitulé « Garantie de l'utilisation conforme au but », l'assureur peut verser tout ou partie des prestations en espèces à un tiers qualifié ou à une autorité ayant une obligation légale ou morale d'entretien à l'égard du bénéficiaire, ou qui l'assiste en permanence lorsque le bénéficiaire n'utilise pas ces prestations pour son entretien ou celui des personnes dont il a la charge, ou s'il est établi qu'il n'est pas en mesure de les utiliser à cet effet (al. 1 let. a), et que lui‑même ou les personnes dont il a la charge dépendent de ce fait de l'assistance publique ou privée (al. 1 let. b). Les prestations versées à un tiers ou à une autorité ne peuvent pas être compensées par ce tiers ou cette autorité avec des créances contre l'ayant droit. Fait exception la compensation en cas de versement rétroactif de prestations au sens de l'art. 22 al. 2.

L'art. 22 LPGA, intitulé « Garantie des prestations », prévoit que le droit aux prestations est incessible ; il ne peut être donné en gage. Toute cession ou mise en gage est nulle (al. 1). Les prestations accordées rétroactivement par l'assureur social peuvent en revanche être cédées à l'employeur ou à une institution d'aide sociale publique ou privée dans la mesure où ceux-ci ont consenti des avances
(al. 2 let. a) ou à l'assureur qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (al. 2 let. b).

5.2 L’art. 1 al. 1 ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales du 11 septembre 2002 (OPGA - RS 830.11) dispose que lorsque, pour assurer une utilisation conforme à leur but, au sens de l’art. 20 LPGA ou des dispositions des lois spéciales, les prestations en espèces ne sont pas versées à l’ayant droit et que ce dernier est sous une curatelle de portée générale au sens de l’art. 398 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), les prestations en espèces sont versées au curateur ou à une personne ou une autorité désignée par celui-ci.

Lorsque l’ayant droit est sous curatelle au sens des art. 393 à 397 CC, les prestations en espèces ne peuvent être versées au curateur ou à une personne ou une autorité désignée par celui-ci que si le pouvoir de gestion de ces prestations par le curateur repose sur un titre juridique valable ou si le versement des prestations en ses mains est ordonné par l’autorité de protection de l’adulte compétente (art. 1 al. 1bis OPGA).

Selon l’art. 1 al. 2 OPGA, le tiers ou l’autorité qui assume une obligation d’entretien envers l’ayant droit ou qui l’assiste en permanence et à qui sont versées des prestations en espèces pour qu’elles soient utilisées conformément à leur but au sens de l’art. 20 LPGA ou des dispositions des lois spéciales, est tenu d’affecter ces prestations en espèces exclusivement à l’entretien de l’ayant droit ou des personnes à sa charge (let. a) et de faire rapport à l’assureur, à sa demande, sur l’emploi de ces prestations en espèces.

5.3 Alors que l'art. 19 LPGA traite de la manière dont le versement des prestations en espèces est effectué et du moment auquel il a lieu, de la possibilité de paiements à l'avance, ainsi que du versement en mains de l'employeur,
l'art. 20 LPGA a pour objet les conditions auxquelles le versement peut être effectué en mains de tiers (autres que l'employeur). Il prévoit également, dans la situation du versement en mains de tiers, l'interdiction de la compensation entre les prestations d'assurance sociale et les créances que les tiers ont à l'encontre de l'ayant droit des prestations, ainsi qu'une exception à ce principe, en cas de versement rétroactif de prestations (
ATAS/666/2020 consid. 8.a ; Margit MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 6 ad art. 20 LPGA).

Le fait que la loi règle de manière particulière la possibilité pour l'assureur social de verser à certaines conditions les prestations en mains de tiers, aux art. 19 al. 2 et 20 LPGA, met en évidence que le principe général, à ce point évident qu'il n'a pas été inscrit dans la loi, est celui du versement des prestations à l'ayant droit. En vertu de l'art. 20 LPGA, ce n'est que si le bénéficiaire des prestations d'assurance sociale ne les utilise pas conformément à leur but (à savoir lui permettre de pourvoir à son entretien et à celui des personnes dont il a la charge) que les versements peuvent être effectués en mains de tiers. La disposition a donc pour objectif de garantir que les prestations versées par les assurances sociales pour remplacer ou compléter le revenu de la personne assurée soient effectivement utilisées conformément au but qui leur est assigné. Il ne s'agit pas d'une garantie générale de l'utilisation des prestations d'assurance conforme au but, mais bien d'une garantie limitée aux prestations en espèces qui sont destinées à être utilisées pour l'entretien de l'ayant droit et des personnes à sa charge et sont en cours de versement (ATAS/666/2020 consid. 8.a ; MOSER-SZELESS, op. cit., n° 7 ad  art. 20 LPGA).

Les prestations dont l'utilisation conforme au but doit être garantie sont des prestations en cours, pour lesquelles le droit correspondant a été reconnu par l'assureur social au moyen d'une décision formelle ou informelle ; l'art. 20 LPGA ne s'applique pas à des prestations qui ont déjà été versées ou à celles accordées rétroactivement (et font l'objet de l'art. 22 al. 2 de la loi ; ATAS/666/2020
consid. 8.a ; MOSER-SZELESS, op. cit., n° 11 ad art. 20 LPGA).

5.4 En vertu de l'art. 20 al. 1 LPGA, seul un tiers ou une autorité qui a une obligation légale ou morale d'entretien à l'égard du bénéficiaire ou l'assiste en permanence peut être le destinataire des prestations des assurances sociales. Le tiers ne doit donc pas forcément assister l'ayant droit du point de vue financier, il suffit qu'il l'aide à gérer ses affaires en permanence. Il peut s'agir des membres de la famille, de proches, de l'autorité chargée de l'exécution de l'aide sociale, d'un établissement médico-social ou d'une communauté religieuse (ATAS/666/2020
consid. 8.b ; MOSER-SZELESS, op. cit., n° 19 ad art. 20 LPGA).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’art. 20 al. 1 LPGA doit être interprété de façon littérale, de sorte que le cercle des personnes habilitées à percevoir des prestations est limité par le texte de cette disposition. C'est pourquoi aucun versement à des tiers n'est possible pour des personnes qui ne sont pas tenues d'apporter leur soutien à l'ayant droit, mais qui ont le droit de le faire (ATF 146 V 265 consid. 3.1.2 ; 143 V 241 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 5P.474/2005 du 8 mars 2006 consid. 1 et 2.3 ; HÜRZELER / LISCHER, in Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n° 9 ad art. 20 LPGA).

6.              

6.1 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, lors de l’interprétation de normes du droit des assurances sociales liées à des faits relevant du droit de la famille (mariage, parenté, tutelle), il convient de partir du principe que le droit civil est un préalable au droit des assurances sociales et qu’il prime en principe sur ce dernier (ATF 146 V 265 consid. 3.2.3 ; 143 V 305 consid. 4.1 ; 140 I 77 consid. 5.1).

6.2 Le Tribunal fédéral a ainsi considéré qu’une épouse pouvait exiger le versement en sa faveur de la rente d'invalidité de son époux en se fondant sur un avis aux débiteurs ordonné par le juge civil dans le cadre de la procédure de divorce, l’art. 20 al. 1 LPGA n’étant pas déterminant dans cette configuration (ATF 146 V 265 consid. 3.2.3 et 3.3).

7.              

7.1 Les DR, dans leur état au 1er janvier 2024, contiennent des règles relatives au versement de la rente AVS et de l’allocation pour impotent en mains de tiers.

7.1.1 Dans l’hypothèse où la demande de versement en mains de tiers émane de l’ayant droit, les rentes et allocations pour impotents peuvent être versées à un tiers désigné par le titulaire de la rente si des circonstances particulières le justifient, dans la mesure où le versement sur un compte de chèques postaux ou un compte en banque personnel n’est pas indiqué, les conditions d’un versement en mains de tiers ne sont pas déjà réalisées, en ce sens que l’ayant droit est sous curatelle ou qu’il ne fait pas un usage de la rente conforme à son but et que tout danger visant à contourner le principe de l’incessibilité du droit aux rentes est écarté (art. 22 LPGA ; DR n° 10021 – 10024).

7.1.2 Lorsqu’un tiers est à l’origine de cette demande, les prestations en espèces (rentes et allocations pour impotent) peuvent être versées à un tiers ou à une autorité ayant une obligation légale ou morale d’entretien à l’égard du bénéficiaire, ou qui l’assiste en permanence, si leur versement sur un compte postal ou bancaire de l’ayant droit n’est pas indiqué (art. 20 LPGA et
art. 1 OPGA) et :

-          lorsque l’ayant droit n’utilise pas ces prestations pour son entretien ou celui des personnes dont il a la charge, ou qu’il est établi qu’il n’est pas en mesure de les utiliser à cet effet ;

-          que, de ce fait, l’ayant droit ou la personne dont il a la charge se retrouve totalement ou partiellement à la charge de l’assistance publique ou privée, et

-          que tout danger visant à contourner le principe de l’incessibilité du droit aux rentes est écarté (art. 22 LPGA ; DR n° 10028).

L’entrée dans un établissement médico-social ou la simplification de la gestion et de l’administration ne constituent pas un motif suffisant pour approuver le versement des prestations à un tiers. Le paiement direct de la rente ou de l’allocation pour impotent en mains de l’établissement médico-social où séjourne l’ayant droit n’est pas autorisé (DR n° 10030).

De même, le paiement direct de l’allocation pour impotent revenant à un ayant droit hospitalisé en mains de l’hôpital est généralement inadmissible
(DR n° 10030).

En principe, le versement de la rente ou de l’allocation pour impotent en mains de tiers, qui tend à garantir un emploi de ces prestations conforme à leur but, ne saurait être exigé et ordonné que pour les rentes et allocations non encore payées (RCC 1978, p. 567). Lorsque la caisse de compensation en a déjà effectué le versement à l’ayant droit, les tiers ou les autorités ne sont plus fondés à en revendiquer le paiement (DR n. 10032).

Le versement de la rente ou de l’allocation pour impotent en mains de tiers, conformément à l’art. 20 LPGA, ne peut être ordonné que dans des cas exceptionnels et que si les conditions prévues à cet effet sont manifestement remplies. Toute demande des parents de l’ayant droit ou des autorités, qui tend à un tel versement, sera dûment motivée. Il incombe à la caisse de compensation de vérifier rigoureusement les faits invoqués en l’occurrence. Le genre et les résultats de cette vérification doivent être consignés au dossier (DR n° 10033).

7.1.3 À teneur des Directives, avant l’institution d’une curatelle, dans le cadre de mesures provisionnelles, l’autorité de protection de l’adulte a la faculté d’ordonner des mesures particulières en matière de versement des prestations. Ces mesures lient les caisses de compensation (DR n° 10036).

7.1.4 Enfin, les prestations en espèces ne peuvent être versées à un curateur au sens des art. 393 à 397 CC que s’il est habilité à gérer le revenu et la fortune de l’ayant droit, c’est-à-dire si son pouvoir de disposer des prestations en espèces repose sur un titre juridique valable, ou si le versement en ses mains des prestations en espèces est requis par l’autorité de protection de l’adulte compétente (DR n° 10038).

Si la décision de curatelle au sens des art. 393 à 397 CC prononcée par l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte ne précise pas de manière explicite que les prestations en espèces sont à verser au curateur, le versement des prestations en espèces au curateur n’est pas permis (DR n° 10039).

7.2 Dans le bulletin à l'intention des caisses de compensation AVS et des organes d'exécution des prestations complémentaires n° 464 du 24 janvier 2023, l’OFAS a indiqué que le versement des rentes AVS directement à des établissements médico-sociaux constitue une pratique contraire aux prescriptions légales et doit cesser. Selon l’OFAS, les prestations de l’AVS et de l’AI ne peuvent être versées à un tiers que dans des cas exceptionnels (par exemple sur ordre de l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte ou sur demande du curateur). Pour qu’une déclaration de cession soit valable, l’autorité ou le tiers concerné doit « avoir une obligation légale ou morale d’entretien à l’égard du bénéficiaire ou l’assister en permanence », conformément à l’art. 20 al. 1 LPGA. Les EMS ne remplissent pas les conditions de cette disposition, raison pour laquelle les versements en leur faveur ne sont pas juridiquement contraignants et n’ont pas d’effet libératoire.

7.3 C’est le lieu de rappeler que les directives de l’administration – ou ordonnances administratives – s’adressent aux autorités d’exécution et ne lient pas le juge des assurances sociales (ATF 133 V 587 consid. 6.1). Elles ne créent pas de nouvelle règle de droit et donnent le point de vue de l'administration sur l'application d'une disposition, et non pas une interprétation contraignante de celle-ci. Si le juge n’est pas lié par ces directives, il doit en tenir compte dans la mesure où elles permettent une application correcte des dispositions légales dans un cas d'espèce. Il doit en revanche s'en écarter lorsqu'elles établissent des normes qui ne sont pas conformes aux règles légales applicables (ATF 129 V 200
consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral I 174/03 du 28 décembre 2004 consid. 4.4, cf. également arrêt du Tribunal fédéral 9C_460/2018 du 21 janvier 2020
consid. 6.1).

8.              

8.1 En l’espèce, la décision entreprise confirme celle du 21 février 2024, par laquelle l’intimée a refusé de verser la rente AVS et l’allocation pour impotent de la recourante à l’EMS dans lequel elle réside.

Selon l’intimée, la fonction de curateur de représentation avec pouvoir de gestion permet uniquement de désigner une personne ou une autorité comme destinataire des prestataires en espèces. Se référant à l’avis de l’OFAS, l’intimée considère
qu’un EMS n’est ni un tiers ni une personne, de sorte qu’un versement direct des prestations à une telle institution n’est pas permis.

En outre, le simple fait d’entrer dans un EMS, respectivement la simplification de la gestion et de l’administration des revenus de la recourante ne constituent pas des motifs suffisants pour approuver le versement de la rente AVS et de l’allocation pour impotent à un tiers, ce même si la recourante a accepté, en signant le contrat d’accueil la liant à l’EMS, que la rente soit versée directement à celui-ci. L’intimée considère également que la recourante n’explique pas pour quelle raison l’utilisation de la rente conformément à son but ne serait pas garantie compte tenu de l’institution d’une curatelle de représentation et gestion en sa faveur, en soulignant qu’il est loisible à son curateur d’établir un ordre de paiement permanent en faveur de l’EMS pour lui verser les prestations d’assurance.

Enfin, l’intimée est d’avis que le TPAE n’était pas matériellement compétent pour autoriser le versement de la rente AVS et de l’allocation pour impotent à l’EMS, cette problématique relevant du droit des assurances sociales, singulièrement de l’art. 20 LPGA. La LPGA et la LAVS ne contenant pas de dispositions réservant des décisions contraires du juge civil s’agissant de la rente de vieillesse et de l’allocation pour impotent, contrairement aux art. 22bis et 22ter LAVS, relatifs aux rentes complémentaire et pour enfant, la décision du TPAE était nulle et non avenue pour cause d’incompétence.

La recourante estime quant à elle que le TPAE ayant autorisé le versement de sa rente AVS et de son allocation pour impotent à l’EMS, l’intimée est tenue, en application des directives établies par l’OFAS, de verser les prestations d’assurance à celui-ci. En outre, l’EMS dans lequel réside la recourante assiste cette dernière en permanence et emploiera la rente AVS et l’allocation pour impotent de la recourante pour financer les frais de l’EMS, de sorte que cette utilisation sera conforme au but poursuivi par ces prestations. Cette utilisation sera vérifiée par les curateurs de la recourante, les EMS faisant en outre l’objet de contrôles réguliers par les services étatiques.

Il convient ainsi de déterminer si l’intimée était fondée à refuser de verser la rente AVS et l’allocation pour impotent de la recourante directement à l’EMS dans lequel celle-ci réside.

8.2 L’intimée estime que le fait pour la recourante de séjourner dans un EMS ne constitue pas, en soi, un motif suffisant permettant le versement direct de la rente AVS et de l’allocation pour impotent en faveur de celui-ci.

La chambre de céans a eu à connaître de cette problématique s’agissant du versement des prestations complémentaires en mains d’un EMS.

Depuis l’entrée en vigueur, en date du 1er janvier 2021, de l’art. 21c de l’ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI - RS 831.301), les assurés peuvent faire verser un certain montant de leurs prestations complémentaires directement à l’EMS dans lequel ils séjournent (bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC n° 464 du 24 janvier 2023).

Cependant, avant l’entrée en vigueur de cette disposition, la chambre de céans a considéré que le versement des prestations complémentaires aux EMS dans lesquels les bénéficiaires résidaient ne pouvait pas être prévu de façon automatique. Le fait que les contrats d'hébergement conclus entre les EMS et les bénéficiaires prévoyaient le versement de ces prestations directement en mains de l'établissement n'y changeait rien. En effet, le droit cantonal visait indistinctement tous les bénéficiaires séjournant en EMS en prévoyant que leurs prestations pouvaient être directement versées à ces institutions, alors que l'art. 20 al. 1 LPGA soumettait le versement de prestations d’assurances sociales à un tiers à des conditions précises (ATAS/970/2014 consid. 12 ; ATAS/270/2011 du 17 mars 2011 consid. 10c).

Le même raisonnement est transposable à la rente de vieillesse et à l’allocation pour impotent que perçoit la recourante, dans la mesure où la LAVS ne contient pas de réglementation spécifique, s’agissant de ces deux prestations, quant à leur versement à des tiers.

Il sied ainsi d’examiner si les conditions de l’art. 20 al. 1 LPGA sont remplies, afin de déterminer si les prestations précitées peuvent être versées directement à l’EMS.

8.3 Comme exposé précédemment, l’art. 20 al. 1 LPGA soumet notamment le versement des prestations d’assurance sociale à un tiers à la condition que le bénéficiaire ne les utilise pas conformément à leur but ou qu’il ne soit pas en mesure de les utiliser à cet effet et qu’il dépende, de ce fait, de l’assistance publique ou privée. La disposition a donc pour objectif de garantir que les prestations versées par les assurances sociales pour remplacer ou compléter le revenu de la personne assurée soient effectivement utilisées conformément au but qui leur est assigné (ATAS/666/2020 consid. 8.a ; MOSER-SZELESS, op. cit.,
n° 7 ad art. 20 LPGA).

In casu, comme l’a relevé l’intimée, la recourante n’allègue pas, sous la plume de son curateur, que sa rente AVS et son allocation pour impotent seraient employées à une autre fin que celle de son entretien, ni qu’elle dépend de l’assistance sociale pour cette raison.

À cet égard, il convient de rappeler que par ordonnance du TPAE du 13 décembre 2013, une curatelle de représentation avec gestion a été instituée en faveur de la recourante afin de la représenter dans ses rapports avec les tiers, de veiller à la gestion de ses revenus et de sa fortune, d’administrer ses biens et d’accomplir tous les actes juridiques.

Partant, l’utilisation conforme de ses prestations d’assurance sociale est assurée et vérifiée par le SPAd.

Compte tenu de ce qui précède, le versement de la rente AVS et de l’allocation pour impotent de la recourante à l’EMS dans lequel elle réside ne saurait être ordonné en application de l’art. 20 al. 1 LPGA.

8.4 Il convient toutefois d’examiner si le versement de la rente AVS et de l’allocation pour impotent de la recourante à l’EMS peut reposer sur la décision du TPAE.

L’intimée est d’avis que la décision du TPAE du 23 novembre 2023, laquelle autorise la domiciliation des prestations d’assurance de la recourante au sein de son EMS, est nulle en raison de l’incompétence matérielle de la juridiction précitée.

Selon l’intimée, la LPGA et la LAVS ne contenant pas de dispositions réservant des décisions contraires du juge civil s’agissant de la rente de vieillesse et de l’allocation pour impotent, contrairement aux art. 22bis et 22ter LAVS, relatifs aux rentes complémentaire et pour enfant, la décision du TPAE était nulle et non avenue pour cause d’incompétence.

Cet argument n’emporte pas la conviction de la chambre de céans.

En effet, les décisions prises par l’autorité de protection de l’adulte quant à la destination des revenus de la personne assurée (dont les prestations de l’assurance sociale), qui peuvent être rendues déjà dans le cadre de mesures provisionnelles, antérieurement à une éventuelle mise sous curatelle, et sans égard aux conditions du versement en mains de tiers prévues par l’art. 20, lient les organes des assurances sociales (arrêt du Tribunal fédéral 9C_499/2008 du 6 mai 2009
consid. 3.3 ; MOSER-SZELESS, op. cit., n° 23 ad art. 20 LPGA et les références citées).

Par ailleurs, dans l’ATF 146 V 265, le Tribunal fédéral a admis que l’épouse d’un assuré pouvait exiger le versement, en sa faveur, de la rente d’invalidité de son époux, en se fondant sur un avis aux débiteurs ordonné par le juge civil dans le cadre de la procédure de divorce (art. 291 CC cum art. 177 CC ; ATF 146 V 265 consid. 3.2.3 et 3.3).

Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle notamment que lors de l’interprétation de dispositions du droit des assurances sociales liées à des faits relevant du droit de la famille (mariage, parenté, tutelle), le droit de la famille constitue un préalable au droit des assurances sociales et prime en principe sur ce dernier
(ATF 146 V 265 V consid. 3.2.3 ; 143 V 305 consid. 4.1).

L’arrêt précité admet ainsi le versement d’une rente d’invalidité à un tiers sur la base d’une décision rendue par un juge civil, étant précisé que, s’agissant du versement d’une rente d’invalidité à un tiers, le droit des assurances sociales ne contient pas d’autres règles que l’art. 20 al. 1 LPGA, ni de dispositions réservant des décisions contraires du juge civil.

Par conséquent, contrairement à ce que soutient l’intimée, une décision du juge civil peut être contraignante pour le juge des assurances sociales, alors même qu’aucune disposition du droit des assurances sociales ne prévoit cette dérogation.

Il s’agit ainsi de déterminer si le juge civil, en l’occurrence le TPAE, est fondé à rendre une décision ordonnant le versement de la prestation d’assurance sociale à un tiers compte tenu des dispositions du CC, ou si sa décision est entachée d’un vice grave, auquel cas l’autorité, respectivement le juge des assurances sociales, ne sont pas liés par cette décision (ATF 146 V 265 consid. 3.3).

In casu, il convient tout d’abord de souligner que la décision rendue par le TPAE en date du 23 novembre 2023, par laquelle il autorise le versement des rentes à l’EMS dans lequel réside la recourante, a été notifiée à l’intimée, qui ne l’a pas contestée par-devant la chambre de surveillance de la Cour de justice.

Par ailleurs, le TPAE a fondé sa décision sur l’art. 392 ch. 2 CC, qui lui permet de donner mandat à un tiers d’accomplir des tâches particulières lorsque l’institution d’une curatelle lui paraît manifestement disproportionnée.

La doctrine est d’avis que cette disposition permet non seulement à l’autorité de protection de l’adulte et de l’enfant de faire l’économie d’une curatelle, mais également de compléter une mesure de curatelle existante dans l’intérêt de la personne concernée (CR - CC I, Audrey LEUBA, n° 3 ad art. 392 CC et la référence citée). Elle précise également que le mandat confié peut consister en la gestion de la rente AVS et des prestations complémentaires que la personne perçoit lorsqu’un encadrement supplémentaire ne s’impose pas (en cas de séjour en EMS, notamment ; CR - CC I, op.cit., n° 20 ad art. 392 CC et les références citées).

Compte tenu de ce qui précède, le TPAE paraît compétent pour autoriser le versement de la rente AVS et de l’allocation pour impotent de la recourante à l’EMS. Pour le surplus, l’intimée ne fait pas valoir d’autres griefs à l’encontre de cette décision qui laisseraient penser qu’elle serait gravement viciée (cf. ATF 146 V 265 consid. 3.3).

Pour cette raison déjà, il y a lieu d’admettre le recours.

8.5 Au surplus, dans la mesure où la recourante est sous curatelle de représentation avec pouvoir de gestion (art. 394 et 395 CC), l’art. 1 al. 1bis OPGA est applicable.

À teneur de cette disposition, les prestations en espèces ne peuvent être versées au curateur ou à une personne ou une autorité désignée par celui-ci que si le pouvoir de gestion de ces prestations par le curateur repose sur un titre juridique valable ou si le versement des prestations en ses mains est ordonné par l’autorité de protection de l’adulte compétente.

À teneur du rapport explicatif après la procédure de consultation concernant la révision de l’OPGA du Conseil fédéral du 18 novembre 2020, le versement ne peut être effectué au curateur (ou à une personne ou une autorité désignée par celui-ci) que si une décision de l’autorité de protection de l’adulte ou du tribunal le prévoit expressément (rapport explicatif, op. cit., pp. 6 et 7).

Ces conditions ont été reprises par l’OFAS dans ses directives (DR n° 10038 et 10039).

Le curateur chargé de la gestion du patrimoine administre les biens de la personne concernée avec diligence et effectue les actes juridiques liés à la gestion (art. 408 al. 1 CC). Dans la sauvegarde des intérêts financiers quotidiens de la personne concernée, le curateur assure notamment la réception avec effet libératoire de prestations dues par des tiers (revenus provenant des biens sous gestion, contributions d’entretien, remboursement de créances, prestations d’assurances sociales, etc. ; art. 408 al. 2 ch. 1 CC ; CR-CC I, Audrey LEUBA, n° 18 ad art. 395 CC).

En l’espèce, il ressort des pièces produites par les parties qu’une mesure de protection, à savoir une curatelle volontaire, a été instituée en faveur de la recourante par ordonnance du TPAE du 11 mars 2011. Cette mesure de l’ancien droit de la protection de l’adulte a été transformée en une curatelle de représentation avec gestion par ordonnance du TPAE du 13 décembre 2013, dès lors que la recourante avait besoin d’aide dans l’administration de ses intérêts, dans la gestion de son patrimoine et dans ses rapports juridiques avec les tiers, notamment avec les assurances sociales, diverses institutions et des créanciers. Le SPAd a ainsi été chargé de représenter la recourante dans ses rapports avec les tiers, de veiller à la gestion de ses revenus et de sa fortune, d’administrer ses biens et d’accomplir tous les actes juridiques. Les pouvoirs du curateur s’étendent ainsi à l’ensemble du patrimoine de la recourante (CR-CC I, op.cit., n° 5 ad art. 395 CC et la référence citée).

Par conséquent, il appert que le pouvoir de gestion du curateur du SPAd s’étend à ces prestations, conformément à l’ordonnance du TPAE du 13 décembre 2013, ce qui inclut, ex lege, la possibilité de recevoir avec effet libératoire les prestations dues par des tiers (art. 408 al. 2 ch. 1 CC). Le pouvoir de gestion du curateur du SPAd repose donc sur un titre valable, conformément à l’art. 1 al. 1bis OPGA.

8.6 En application de cette même disposition, le curateur est légitimé à désigner une personne ou une autorité à laquelle la caisse doit verser les prestations d’assurance.

À cet égard, l’intimée, reprenant l’opinion exprimée par l’OFAS dans son courriel du 21 mai 2024, estime qu’un EMS n’est pas une « personne » (physique), ni une « autorité » au sens de l’art. 1 al. 1bis OPGA, de sorte que le curateur n’est pas fondé à le désigner en vue du versement des prestations d’assurance de la recourante.

Contrairement à ce que soutient l’autorité intimée, on ne saurait inférer du terme « personne » que seules les personnes physiques, en sus des autorités, seraient visées par cette disposition.

La doctrine admet d’ailleurs que les EMS peuvent être considérés comme des tiers susceptibles, au sens de l’art. 20 al. 1 LPGA, de recevoir des prestations d’assurance sociale (MOSER-SZELESS, op. cit., ad art. 20 n° 19 ; BSK-ATSG, Marc HÜRZELER / Barbara LISCHER ad art. 20 n° 10 ; KIESER, ATSG,
art. 20 n° 23).

Par ailleurs, le Tribunal fédéral a eu à connaître d’un recours de plusieurs EMS contre l’Arrêté du 17 février 1999 du Conseil d’Etat du canton de Vaud fixant pour 1999 les tarifs des prestations socio-hôtelières fournies par les établissements médico-sociaux et les divisions pour malades chroniques des hôpitaux et des centres de traitement et de réadaptation. Dans ce cadre, les recourants remettaient notamment en cause une disposition des directives annexées à l’arrêté, laquelle interdisait aux EMS de percevoir un dépôt de leurs résidents, à l’exception des prestations supplémentaires à choix. Selon les recourants, la possibilité de percevoir un tel dépôt couvrant l'ensemble des prestations leur permettait de se prémunir contre l'insolvabilité des résidents aidés financièrement par l'État qui n'utiliseraient pas les aides reçues pour payer leur hébergement médico-social. Cette interdiction, dépourvue de base légale et disproportionnée, violait selon eux leur liberté économique (arrêt du Tribunal fédéral 2P.99/1999 du 19 décembre 2002 consid. 9.1).

Le Tribunal fédéral a rejeté ce grief, en rappelant notamment que les législations fédérale et cantonale prévoyaient que si les rentes ou les prestations complémentaires n’étaient pas utilisées conformément à leur but, un versement en mains de tiers était possible, notamment sous l’angle de l’ancien art. 76 RAVS, abrogé au moment de l’entrée en vigueur de l’art. 20 al. 1 LPGA, auquel il correspond (ATF 134 V 15 consid. 2.3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.99/1999 du 19 décembre 2002 consid. 9.2 ; RO 2002 3710 ; FF 1999 IV 4168, 4208).

Le Tribunal fédéral admet donc que les prestations d’assurances sociales peuvent être versées directement aux EMS.

À cet égard, il est malaisé de distinguer pour quelle raison la notion de tiers susceptibles d’être désignés par le curateur en tant que destinataire de prestations d’assurance sociale au sens de l’art. 1 al. 1bis OPGA serait plus restreinte que celle figurant à l’art. 20 al. 1 LPGA.

Il convient encore de souligner que dans son bulletin n° 383 du 10 octobre 2016, l’OFAS évoque lui-même l’hypothèse dans laquelle un versement en mains d’un EMS peut être effectué lorsqu’il est demandé par un curateur (p.3).

Par conséquent, il y a lieu d’admettre que le curateur puisse désigner l’EMS de la recourante pour le versement des prestations AVS de cette dernière.

9.             Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d’admettre le recours et d’annuler la décision querellée.

Dans la mesure où l’art. 20 al. 1 LPGA vise à garantir l’utilisation conforme au but des prestations en cours, à l’exclusion des prestations qui ont déjà été versées ou à celles qui sont accordées rétroactivement (ATF 103 V 131 consid. 5 ; CR‑ LPGA, op.cit., ad art. 20 n° 11), il sera ordonné à l’intimée de verser les rentes AVS et les allocations pour impotent futures de la recourante à l’EMS dans lequel elle réside.

La recourante, représentée par son curateur, collaborateur d'un service de l'État, ne peut prétendre à l'allocation de dépens devant l'autorité judiciaire cantonale, faute de justification économique (ATF 126 V 11 consid. 2 et 5).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1. Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.      L’admet.

3.      Annule la décision sur opposition du 13 juin 2024.

4.      Ordonne à l’intimée de verser les futures prestations en espèces de la recourante, à
savoir sa rente AVS et son allocation pour impotent, à l’EMS dans lequel elle réside.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le