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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/179/2024

ATAS/862/2024 du 06.11.2024 ( LPP ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/179/2024 ATAS/862/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 6 novembre 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

 

 

demanderesse

 

contre

FONDATION DE PRÉVOYANCE DU GROUPE BNP PARIBAS EN SUISSE

représentée par Me Anne TROILLET, avocate

 

 

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l'assurée), née le ______ 1964, a travaillé au service de BNP PARIBAS (SUISSE) SA.

b. À ce titre, elle a été affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès de la FONDATION DE PRÉVOYANCE DU GROUPE BNP PARIBAS EN SUISSE (ci-après : la fondation) avec effet au 17 septembre 2007.

B. a. L'assurée a effectué plusieurs rachats dans sa caisse de pension, en dernier lieu en date du 22 décembre 2020 pour un montant de CHF 30'000.-.

b. À cet effet, l'assurée complétait un « formulaire de rachat ». Ceux (au dossier) qu'elle a signés les 18 décembre 2013, 22 décembre 2014, 16 décembre 2015, 27 décembre 2017, 21 décembre 2018, 27 décembre 2019 et 22 décembre 2020 comportaient en particulier les informations suivantes :

« Nous vous rappelons que les prestations résultant d'un rachat dans la prévoyance professionnelle ne peuvent être versées sous forme de capital avant l'échéance d'un délai de trois ans (…). Les administrations fiscales ayant adapté leurs pratiques, tout retrait, total ou partiel, sous forme de capital pendant cette période bloquée de trois ans après le rachat n'est plus possible sans conséquence fiscale. La prise de position préalable auprès de votre autorité fiscale repose entièrement sous votre responsabilité (…) ».

c. Dans un courriel du 1er décembre 2020 aux assurés, la fondation leur indiquait, au sujet du rachat de prestations, que le formulaire disponible sur MyRH devait être obligatoirement rempli, signé et retourné à l'équipe Fonds de pensions des Ressources Humaines.

Sous la notice « Important » figuraient les mentions suivantes :

« Nous vous rappelons que les prestations résultant d'un rachat dans la prévoyance professionnelle ne peuvent être versées sous forme de capital par les institutions de prévoyance avant l'échéance d'un délai de trois ans (…). Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, tout retrait en capital dans le délai de trois ans suivant un rachat est abusif et la déduction fiscale du montant racheté exclue. Le retrait fera l'objet d'une correction ultérieure de la taxation, d'autant plus que la pratique fiscale est dorénavant homogène.

Nous vous renvoyons par conséquent aux informations disponibles sur le site MyRH (Règles de rachat, Circulaire n°83 - Prévoyance et fiscalité - ASIP, Information n°3/2011 - Administration fiscale cantonale (AFC), Rachat et retrait en capital) et recommandons à celles et ceux qui auraient des doutes sur la déductibilité fiscale d'un rachat de prendre contact avec leur autorité fiscale ».

d. L'extrait du portail intranet « MyHR » au dossier contient notamment les informations suivantes :

« J'améliore mon 2e pilier

(…). Racheter des années de cotisation vous permet d'augmenter votre avoir de vieillesse et donc votre future rente de retraite en comblant des lacunes de prévoyance dues à des années de cotisations manquantes, à des augmentations de salaire ou à un divorce. De plus, le rachat est en principe déductible du revenu imposable. Le rachat est toutefois soumis à quelques conditions (aucun versement en espèces dans un délai de trois ans (…) ».

e. Le document « Règles de rachat » accessible via un onglet à droite du portail intranet « MyHR » comporte en particulier les informations suivantes :

« Délai de trois ans : la loi exclut de toucher sous forme de capital les rachats effectués avant l'échéance d'un délai de trois ans (…). Cette restriction s'applique aussi bien en cas de départ en retraite, de versement en espèces (départ à l'étranger ou établissement à son propre compte) ou de retrait dans le cadre de l'accession à la propriété du logement.

Qu'advient-il d'un éventuel rachat effectué durant les trois ans précédant l'échéance d'une prestation ?

Si l'échéance est une retraite, qu'elle soit ordinaire ou anticipée, alors la part de capital correspondant au total des rachats effectués durant les trois dernières années vous sera obligatoirement versée sous forme de rente (…).

Nota bene : l'administration fiscale du canton de Genève refuse systématiquement, depuis 2011, toute déduction de rachat en cas de versement de prestations en capital durant ce délai de trois ans (voir annexe sur intranet - Information n°3/2011 de l'AFC).

(…) ».

f. L'Information n°3/2011 de l'AFC, également accessible via un onglet à droite du portail intranet « MyHR », comprend notamment les informations suivantes :

« En principe, les rachats de prévoyance professionnelle sont déductibles du revenu (…). La déduction des rachats sera systématiquement refusée (…) lorsque des prestations en capital sont versées, pour quelque motif que ce soit (prestation de vieillesse, versement anticipé dans le cadre de l'encouragement à la propriété du logement, versement anticipé selon l'article 5 de la loi fédérale sur le libre passage), durant un délai de trois ans suivant le rachat (…). Lorsque la décision de taxation admettant la déduction du rachat est déjà entrée en force, l'administration procédera à une correction ultérieure de la taxation par le biais d'une procédure en rappel d'impôt (…) ».

g. La fondation a transmis à l'assurée ses fiches d'assurance au 17 septembre 2007, 1er janvier 2008, 1er janvier 2009, 28 mai 2009, 1er mars 2010, 23 décembre 2010, 1er mars 2011, 30 décembre 2011, 1er janvier 2012, 28 décembre 2012, 1er janvier 2013, 19 décembre 2013, 22 décembre 2014, 1er mars 2015, 16 décembre 2015, 1er janvier 2016, 1er janvier 2017, 21 décembre 2017, 1er janvier 2018, 20 décembre 2018, 27 décembre 2019, 1er janvier 2020, 22 décembre 2020, 1er mars 2021, 1er janvier 2022, et 1er janvier 2023.

Celles entre le 23 décembre 2010 et le 1er janvier 2023 contenaient, chacune, un poste « Total des rachats de moins de 3 ans (à partir du 01.01.2006) ».

h. Un document intitulé « Estimation des prestations de vieillesse » établi le 19 septembre 2022 mentionnait pour l'assurée, en vue d'un départ à la retraite le 1er janvier 2023, que les montants y figurant avaient été calculés à partir des données à disposition du gérant et des bases techniques en vigueur au moment des calculs. Le taux d'intérêt crédité (1%) était indicatif.

Ces montants étaient les suivants :

Solde du compte épargne au 1er janvier 2023 CHF 1'073'659.90

Taux de conversion 4.8508%

(…)

 

Prestations réglementaires

Rente viagère annuelle non réversible CHF 52'081.45

soit par mois CHF 4'340.12

 

Variante 50-50

Capital-retraite CHF 536'829.95

Rente viagère annuelle non réversible CHF 26'040.73

soit par mois CHF 2'170.06

Employeur

Pont AVS jusqu'à 63 ans par an CHF 19'128.-

soit par mois CHF 1'594.-

 

i. Par lettre du 27 octobre 2022 à son employeur, l'assurée a fait part de sa décision de prendre une pré-retraite à partir du 1er février 2023.

j. La fondation a adressé aux assurés un courriel le 30 novembre 2022, au même contenu que celui du 1er décembre 2020 (déjà cité).

k. Par courriel du 22 décembre 2022, la fondation a informé les assurés que le Conseil de fondation avait décidé, lors de sa séance du 16 décembre 2022, d'attribuer un intérêt supplémentaire (au taux d'intérêt de 1% pour l'année courante) sur les comptes d'épargne au 31 décembre 2022, portant ainsi la rémunération totale de l'exercice 2022 à 4%.

l. Par courrier du 11 janvier 2023 à la fondation, l'assurée a annoncé son souhait de bénéficier de ses prestations de vieillesse dès le 1er février 2023. Ces prestations devaient lui être versées sous la forme suivante :

-          « La totalité du Capital à verser sur le compte » (dont l'IBAN était précisé)

-          « Pont AVS soit par mois CHF 1'594.- (…) ».

m. La fiche d'assurance de l'assurée au 31 janvier 2023 faisait état d'un compte d'épargne de CHF 1'108'565.05. Le « Total des rachats de moins de 3 ans (à partir du 01.01.2006) » s'élevait à CHF 30'000.-.

n. Par pli du 10 février 2023, la fondation a fait savoir à l'assurée les modalités de son départ en retraite anticipée au 1er février 2023, fixées selon le règlement entré en vigueur au 1er janvier 2020 et ses avenants. Sur la base d'un compte d'épargne dont le solde atteignait CHF 1'108'565.05 au 31 janvier 2023, dont CHF 30'000.- de rachats effectués avant l'échéance d'un délai de trois ans qui ne pouvaient être versés sous forme de capital, ses prestations étaient les suivantes :

-          un versement unique en capital s'élevant à CHF 1'078'565.05, valeur au 13 février 2023 ;

-          une rente de retraite viagère non réversible s'élevant à CHF 1'464.- par année, soit CHF 122.- par mois, égale à la conversion de CHF 30'000.- au taux de 4.86% ;

-          une rente « Pont AVS » temporaire s'élevant à CHF 19'608.- par année, soit CHF 1'634.- par mois, qui débuterait le 1er février 2023 et s'éteindrait le 31 janvier 2027 lorsque l'assurée aurait atteint l'âge de 63 ans.

o. Par lettre du 15 février 2023, l'assurée a contesté le versement de son dernier rachat sous forme de rente, en soulignant avoir demandé lors des entretiens avec un collaborateur de la fondation le paiement total de ses avoirs de prévoyance sous forme de capital. Elle a sollicité le détail du calcul de son avoir de vieillesse et de sa rente « Pont AVS ».

p. Par courrier du 23 février 2023, la fondation a communiqué à l'assurée l'évolution de son compte d'épargne du 1er janvier au 31 décembre 2022 qui se présentait comme suit :

-          Solde initial CHF 1'024'374.50

-          Bonification de retraite (32% du salaire assuré de CHF 122'005.-) CHF 39'041.60

-          Intérêts (4%) CHF 40'975.10

-          Solde final CHF 1'104'391.20

L'évolution de son compte d'épargne du 1er janvier au 31 décembre 2023 se présentait comme suit :

-          Solde initial CHF 1'104'391.20

-          Bonification de retraite (39'041.60 / 12) CHF 3'253.50

-          Intérêts (1% / 12) CHF 920.35

-          Solde final CHF 1'108'565.05

L'exhaustivité des fiches d'assurance depuis son affiliation lui ayant déjà été remise, la fondation limitait ces calculs aux deux derniers exercices.

Le montant de la rente « Pont AVS » temporaire était fixé à bien plaire par l'employeur qui la finançait. Il représentait les deux tiers de la rente AVS simple maximale en vigueur au moment du départ (CHF 19'608.- par année). Ce montant ne variait plus par la suite.

q. D'autres échanges de correspondance se sont suivis entre les parties à propos du transfert de la totalité du compte d'épargne.

r. Par pli du 21 juin 2023, l'assurée, cette fois représentée par une avocate, a sollicité le paiement en capital de la somme de CHF 30'000.-, en faisant grief à la fondation d'avoir violé le principe de la bonne foi. Sur la base des informations qui lui avaient été fournies lors de ses entretiens avec un collaborateur de celle-ci, lequel lui avait assuré que la totalité de son avoir lui serait transférée, elle avait décidé de démissionner en octobre 2022, alors qu'elle aurait attendu quelques mois pour ce faire si elle avait été avisée que son dernier rachat ne pouvait pas encore être versé en capital.

s. Par courrier du 7 août 2023 à l'assurée, la fondation, sous la plume de son conseil, a relevé que lors de l'entretien avec le collaborateur en septembre 2022, elle avait été informée que son compte d'épargne montrerait un solde de CHF 1'073'659.90 au 1er janvier 2023. La bonification créditée mensuellement sur son compte d'épargne s'élevait à CHF 3'253.-. Son avoir devait ainsi se chiffrer à CHF 1'076'912.90 au 1er février 2023. C'était sur la base de ces informations qu'elle avait pris la décision de démissionner au mois d'octobre 2022. Aucune assurance ne lui avait été donnée à cette occasion selon laquelle elle pourrait percevoir l'intégralité de ses prestations de vieillesse sous forme de capital indépendamment des rachats effectués par le passé.

t. Par lettre du 26 septembre 2023, l'assurée a allégué que le collaborateur lui avait affirmé que son compte d'épargne s'élèverait à CHF 1'108'000.- environ au 1er janvier 2023. La fondation avait un devoir d'information s'agissant de l'impossibilité d'obtenir l'intégralité des prestations de vieillesse y compris les rachats. Elle avait été claire sur son intention de prendre l'intégralité de son capital. Si elle avait été dûment informée du blocage de son dernier rachat, elle aurait poursuivi son activité pendant quelques mois supplémentaires. Elle ne pouvait pas se rendre compte de la problématique du blocage du dernier rachat, dès lors que le collaborateur lui-même ne l'avait pas renseignée à ce sujet. Compte tenu du versement d'une rente mensuelle de CHF 122.- au lieu d'un capital de CHF 30'000.-, elle avait été empêchée de réaliser son projet d'investissement dans un bien immobilier qu'elle envisageait de mettre en location afin d'en tirer un revenu mensuel. Elle avait par ailleurs dû s'acquitter d'importants impôts sur le montant de CHF 30'000.- sans l'avoir touché. En cas de décès, elle ne toucherait pas cette somme, alors qu'il faudrait plus de 20 ans pour récupérer la totalité de ce montant qui aurait manifestement porté intérêts pendant cette période grâce à la réalisation de son projet immobilier.

u. Le 1er novembre 2023, la fondation a maintenu sa position.

C. a. Par acte du 15 janvier 2024, l'assurée, agissant en personne, a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice d'une demande en paiement à l'encontre de la fondation, en concluant au versement par cette dernière du montant de CHF 30'000.- en capital, sous déduction des rentes mensuelles déjà touchées.

La demanderesse a rappelé s'être entretenue avec un collaborateur de la défenderesse dans le but de discuter de la planification de sa retraite anticipée. Elle avait confirmé prendre la totalité de son avoir de prévoyance cumulé au 31 janvier 2023, en signant la lettre du 11 janvier 2023 préétablie par la défenderesse.

Le 31 janvier 2023, dernier jour de travail, hormis une copie de cette lettre, elle n'avait en sa possession aucun document de la part de la défenderesse relatif à son départ en pré-retraite. Elle l'avait alors appelée et le collaborateur (avec qui elle avait eu les divers entretiens) lui avait déclaré que dans le courant de la première quinzaine de février 2023, elle recevrait le paiement et les documents officiels. Or, la première semaine de février 2023, ce collaborateur l'avait contactée par téléphone pour lui annoncer que le dernier rachat de CHF 30'000.- ne pourrait pas être versé en capital et qu'elle toucherait en lieu et place une rente mensuelle. Elle avait manifesté son désaccord, car lors des entretiens, aucune explication ne lui avait été donnée à ce sujet et le projet écrit qu'on lui avait remis en septembre 2022 - i.e. le document intitulé « Estimation des prestations de vieillesse » - ne contenait aucune information à ce propos non plus. Le collaborateur lui avait répondu que « c'était la loi et qu'il ferait mieux la prochaine fois ».

La demanderesse a ajouté que sur le « formulaire de rachat » était mentionné le blocage de trois ans du rachat en lien avec la déduction fiscale. Toutefois, aucun renseignement n'y figurait en cas de retraite anticipée. Elle a reproché à la défenderesse d'avoir commis une faute professionnelle, au motif qu'elle ne lui avait pas fourni toutes les informations correctes et nécessaires au moment de la préparation de son départ en pré-retraite. Si elle avait été dûment informée, elle aurait continué son activité professionnelle jusqu'à la période à laquelle elle aurait pu toucher le montant de CHF 30'000.- en capital. Elle avait des projets qu'elle ne pourrait pas réaliser. Par ailleurs, non seulement elle avait dû payer une somme d'impôts supplémentaires de CHF 9'530.- compte tenu du montant du rachat qui avait été intégré dans ses revenus du fait du non-respect de la période de trois ans, mais elle devait également s'acquitter des impôts sur la rente mensuelle qu'elle percevait.

La demanderesse a produit en particulier un courrier de l'AFC du 25 mai 2023 relatif à la procédure en rappel d'impôt pour l'impôt fédéral direct et les impôts cantonaux et communaux 2020, l'informant que même si la prestation en capital d'un montant de CHF 1'078'565.05 perçue le 13 janvier 2023 ne comprenait pas le rachat de la prévoyance professionnelle effectué en 2020 pour un montant de CHF 30'000.-, ce dernier faisait partie de son avoir de prévoyance global et tout retrait dans un délai, jour pour jour, de trois ans à compter de la date du rachat impliquait la reprise de la déduction accordée. Elle était invitée à s'acquitter des suppléments d'impôts dans le délai de 30 jours dès la notification de la présente décision, en sus des éventuels impôts encore dus à ce jour.

b. Par réponse du 22 février 2024, la défenderesse, représentée par son conseil, a conclu au rejet de la demande, sous suite de frais et dépens.

La défenderesse a exposé que son règlement était sans équivoque sur le fait que les prestations résultant d'un rachat ne pouvaient pas être versées sous forme de capital avant l'échéance d'un délai de trois ans, y compris en cas de retraite anticipée.

La demanderesse, à l'instar de tous les assurés de la fondation, étaient informés annuellement des conditions relatives aux rachats. Celle-ci avait été avisée en 2020, avant de procéder au rachat de CHF 30'000.-, qu'aucun rachat ne pourrait faire l'objet d'un versement en capital avant l'échéance précitée. Les règles encadrant le blocage étaient également accessibles en tout temps par simple consultation du portail intranet MyHR de la fondation. Dans la FAQ disponible sur ce portail, le principe du blocage des rachats durant trois ans était rappelé aux assurés, tout comme le fait que la part de capital correspondant à des rachats effectués durant les trois dernières années ne pouvait être versée que sous forme de rente. L'attention de la demanderesse était une nouvelle fois attirée sur la période de blocage des trois ans lorsqu'elle remplissait les formulaires de rachat, y compris celui du 22 décembre 2020. Avant d'annoncer son choix pour le versement en capital de l'entier de son avoir de vieillesse, la demanderesse avait également reçu le courriel du 30 novembre 2022 lui signalant la période de blocage.

Celle-ci ne pouvait dès lors pas ignorer qu'en opérant un rachat dans la prévoyance professionnelle de CHF 30'000.- en décembre 2020, elle ne pourrait pas retirer ce montant en capital avant le mois de décembre 2023.

Par ailleurs, aucune assurance ne lui avait été donnée sur le montant de l'avoir de vieillesse qu'elle pourrait percevoir en capital lors de son départ anticipé à la retraite. La défenderesse n'avait pas pu chiffrer le montant de l'avoir de vieillesse au 1er janvier 2023 lors du rendez-vous en septembre 2022, faute de connaître le taux d'intérêt à créditer pour l'année en cours. Ce n'était que le 16 décembre 2022 que le Conseil de fondation avait arrêté ce taux.

De plus, la défenderesse n'avait pas pu s'engager à verser la part du compte d'épargne qui n'était pas éligible à un paiement en espèces.

La défenderesse en a tiré la conclusion qu'elle avait respecté son obligation d'information.

Subsidiairement, la défenderesse a fait valoir que la demanderesse n'était pas lésée. Celle-ci percevait une rente annuelle de CHF 1'464.- en lieu et place d'un montant en capital de CHF 30'000.-. Cela ne constituait pas encore un dommage. La demanderesse n'indiquait du reste pas qu'elle aurait pris des dispositions irréversibles ou sur lesquelles elle ne pouvait revenir sans subir de préjudice. Lors de l'entretien en septembre 2022, la demanderesse s'était vu remettre un document intitulé « Estimation des prestations de vieillesse » qui mentionnait que le solde du compte d'épargne était estimé à CHF 1'073'649.- au 1er janvier 2023. Ainsi, même dans l'hypothèse - contestée - où la défenderesse lui avait indiqué que l'intégralité de ce montant pouvait lui être versé en capital en cas de départ à la retraite anticipée, les hypothétiques dispositions prises par la demanderesse n'auraient pu se fonder que sur la foi qu'elle disposerait d'un montant de CHF 1'073'659.- en capital le 1er janvier 2023. Or, lors de son départ à la retraite le 31 janvier 2023, celle-ci avait finalement reçu un montant de CHF 1'078'565.05 en capital en sus d'une rente de retraite viagère non réversible de CHF 1'464.- par année. Au 31 janvier 2023, la demanderesse s'était ainsi trouvée dans une position plus favorable par rapport à celle qui l'aurait supposément décidée à prendre sa retraite anticipée en septembre 2022. Le grief tiré de la violation du principe de la bonne foi devait donc être écarté.

c. Par réplique du 26 avril 2024, la demanderesse a allégué que le collaborateur en charge de son dossier ne l'avait informée à aucun moment du blocage du rachat de CHF 30'000.- effectué en 2020 ni de la future rente viagère (montant, durée, motif). Ces informations ne figuraient pas sur le document « Estimation des prestations de vieillesse ». Ce collaborateur avait commis une faute professionnelle très grave. Il n'était pas au courant du fait que le montant de CHF 30'000.- correspondant au dernier rachat ne pouvait pas être pris en capital.

La demanderesse a estimé que le courriel adressé aux assurés chaque année concernant les rachats, de même que le « formulaire de rachat », étaient lacunaires, faute de mentionner la règle applicable en cas départ en pré-retraite ou retraite ordinaire. MyHR était un portail interne de l'employeur où les informations pouvaient ne pas être actualisées. Elle avait discuté avec la défenderesse pour obtenir toutes les informations nécessaires et importantes avant de prendre sa décision définitive pour sa retraite anticipée. Le collaborateur lui avait communiqué oralement que le total de son avoir de prévoyance serait de CHF 1'108'000.-, montant quasi identique à celui mentionné sur la fiche d'assurance au 31 janvier 2023. C'était la preuve qu'il ignorait que le montant de CHF 30'000.-ne pouvait pas être versé en capital. La demanderesse a ajouté que celui-ci savait déjà le taux minimal qui serait appliqué l'année suivante, cette information étant révélée en décembre de chaque année. Elle a reproché à la défenderesse de ne pas lui avoir envoyé un courriel d'informations à elle personnellement en lui expliquant toutes les particularités de son dossier. Le « formulaire de rachat » renseignait uniquement au sujet des déductions fiscales en cas de retrait en capital.

La demanderesse a fait valoir que le règlement stipulait bien que l'assuré supportait seul les conséquences fiscales découlant du versement des prestations sous forme de capital-retraite, mais ne disait rien quant au fait que le capital ne pouvait pas être retiré intégralement. Elle était consciente qu'en récupérant le montant du rachat en capital, il y aurait des conséquences fiscales (qu'elle avait assumées en payant CHF 10'035.20 d'impôts) mais elle ignorait totalement qu'elle ne pouvait pas retirer le montant du rachat en capital lors de son départ en retraite anticipée. Le « formulaire de rachat » ne le spécifiait pas.

La demanderesse s'interrogerait sur le motif pour lequel la lettre du 11 janvier 2023, préétablie par la défenderesse, ne mentionnait pas le blocage de CHF 30'000.-. À ses yeux, cette lettre était erronée.

Elle a ajouté qu'il faudrait plus de 20 ans pour qu'elle puisse obtenir la totalité du montant du rachat litigieux en rentes. Elle ne disposait plus du montant de CHF 30'000.- pour réaliser le projet qu'elle avait prévu. Si elle décédait entre-temps, elle perdrait le solde de ce montant que ses héritiers ne pourraient pas toucher.

Enfin, c'était normal que le montant de l'avoir de vieillesse était supérieur à celui estimé en septembre 2022, car depuis l'annonce de son départ à la retraite anticipée, elle avait travaillé trois mois de plus, les cotisations (part employeur et part employée) s'étaient ainsi ajoutées à son capital de prévoyance.

d. Par duplique du 23 mai 2024, la défenderesse a persisté dans ses conclusions.

Elle a argumenté que son règlement de prévoyance ne se limitait pas à rappeler les conséquences fiscales découlant du versement partiel ou total des prestations sous forme de capital-retraite. Le règlement prévoyait expressément que les prestations résultant d'un rachat ne pouvaient pas être versées sous forme de capital avant l'échéance d'un délai de trois ans et que, en cas de départ anticipé à la retraite, l'assuré pouvait prétendre au montant figurant sur son compte d'épargne, sous réserve des rachats effectués durant la période de blocage.

La défenderesse observait que la demanderesse ne contestait pas avoir reçu les courriels annuels rappelant les conditions et conséquences des rachats sur les prestations. Une information identique figurait sur « les formulaires de rachat ». Si la demanderesse évoquait un risque abstrait que les données publiées sur l'intranet ne soient pas d'actualité, elle ne prétendait pas que tel aurait été le cas en l'espèce. Les courriels annuellement envoyés aux assurés renvoyaient vers MyHR. Cette plateforme regroupait des informations importantes sur la période de blocage de trois ans consécutive à un rachat. La demanderesse ne devait pas perdre de vue que les informations relatives aux rachats ressortaient également du règlement, des communications annuelles aux assurés ou encore des « formulaires de rachat ». La défenderesse en a conclu que si l'information relative à la période de blocage de trois ans consécutive à des rachats avait échappé à la demanderesse en dépit des très nombreuses informations diffusées par la défenderesse, celle-ci ne pouvait pas en faire porter la responsabilité à son ancienne institution de prévoyance.

La défenderesse a rappelé qu'en septembre 2022, le taux d'intérêt crédité pour l'année en cours n'était pas encore connu. La demanderesse n'avait dès lors pu recevoir aucune assurance de la défenderesse sur le montant précis de son compte d'épargne lors de son départ à la retraite, initialement planifiée au 1er janvier 2023. Quand bien même la défenderesse aurait communiqué un montant précis à la demanderesse, cela n'aurait pas encore impliqué que cette dernière pouvait en réclamer le versement intégral en capital lors de son départ à la retraite, au mépris des règles encadrant les rachats. La demanderesse avait reçu un montant en capital de CHF 1'078'565.05 lors de son départ à la retraite (CHF 1'108'565.05 - CHF 30'000.-), soit une somme supérieure au solde du compte d'épargne projeté en septembre 2022 (CHF 1'073'659.90).

e. Copie de cette écriture a été transmise à la demanderesse pour information.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations relatives à la prévoyance professionnelle opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit, y compris en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, ainsi qu’aux prétentions en responsabilité (art. 331 à 331e du Code des obligations [CO - RS 220] ; art. 52, 56a al. 1, et art. 73 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 [LPP - RS 831.40] ; ancien art. 142 du Code civil [CC - RS 210]).

Selon l’art. 73 al. 3 LPP, le for est au siège ou domicile suisse du défendeur ou au lieu de l'exploitation dans laquelle l'assuré a été engagé.

En l'espèce, la demande en paiement du 15 janvier 2024 porte sur le versement d'une prestation en capital découlant de la prévoyance professionnelle. Par ailleurs, tant le siège de la défenderesse, constituée sous la forme d'une fondation, que le lieu de l’exploitation dans laquelle la demanderesse était engagée se situent dans le canton de Genève. Partant, la compétence de la chambre de céans à raison de la matière et du lieu est établie.

1.2 L’ouverture de l’action prévue à l’art. 73 al. 1 LPP n’est soumise, comme telle, à l’observation d’aucun délai (ATF 117 V 329 consid. 4).

La demande respecte en outre la forme prévue à l'art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Elle est en conséquence recevable.

2.             Le litige porte sur le point de savoir si la demanderesse peut prétendre au versement d'une prestation de vieillesse, résultant d'un rachat effectué le 22 décembre 2020, sous forme de capital en lieu et place d'une rente à compter du 1er février 2023, date de sa retraite anticipée. Il s'agit singulièrement de déterminer si la demanderesse peut fonder sa prétention sur la violation du principe constitutionnel de la protection de la bonne foi.

3.              

3.1 Selon l'art. 79b LPP, introduit par le ch. I de la LF du 3 octobre 2003 (1re révision LPP), en vigueur depuis le 1er janvier 2006 (RO 2004 1677 ; FF 2000 2495), l’institution de prévoyance ne peut permettre le rachat que jusqu’à hauteur des prestations réglementaires (al. 1).

3.1.1 Les prestations résultant d’un rachat ne peuvent être versées sous forme de capital par les institutions de prévoyance avant l’échéance d’un délai de trois ans (art. 79b al. 3 1re phrase LPP).

Le Bulletin de la prévoyance professionnelle (BPP) n° 88 du 28 novembre 2005, établi par l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS), rappelle au ch. 511 la teneur de l’art. 79b al. 3 1re phrase LPP précité, et relève que l’interdiction vaut pour toutes les formes de versement en capital : versement en espèces, versement anticipé pour le logement et prestations de retraite sous forme de capital en lieu et place d’une rente. En revanche, elle ne concerne que les prestations de vieillesse et non pas les versements en capital suite à la survenance d’un cas d’invalidité ou de décès. Seul le montant correspondant au rachat, y compris les intérêts, ne peut être retiré sous forme de capital dans les trois ans. Par conséquent, toute la prévoyance acquise avant le rachat n’est pas concernée par cette disposition.

À la question (2.) de savoir quels sont les effets de l’interdiction sur les prestations de vieillesse résultant du rachat, l'OFAS indique qu'il faut distinguer les deux situations suivantes :

a) Un assuré effectue un rachat plus de trois ans avant l’âge terme réglementaire, par exemple, à 60 ans, puis décide de partir à la retraite anticipée à 61 ans. L’âge terme réglementaire est à 65 ans et la retraite anticipée est possible dès 58 ans. Comme le montant correspondant aux prestations résultant du rachat ne peut être versé sous forme de capital avant l’échéance d’un délai de trois ans, l’assuré ne pourra toucher qu’une partie de ses prestations à 61 ans et devra attendre l’âge de 63 ans pour toucher le solde (c’est-à-dire, les prestations résultant du rachat) sous forme de capital. La caisse pourra verser la totalité des prestations à 61 ans uniquement si les prestations résultant du rachat sont perçues sous forme de rentes.

b) Un assuré effectue un rachat moins de trois ans avant l’âge terme réglementaire, par exemple, à 64 ans. L’âge terme réglementaire est à 65 ans et l’assuré part à la retraite à ce moment-là. Comme le montant correspondant aux prestations résultant du rachat ne peut être versé sous forme de capital avant l’échéance d’un délai de 3 ans, l’assuré ne pourra pas toucher les prestations résultant du rachat sous forme de capital au moment de son départ à la retraite à 65 ans. Étant donné que l’institution de prévoyance ne peut pas non plus conserver ledit montant au-delà de l’âge terme réglementaire, elle devra alors le verser sous forme de rente. Étant donné qu’il existe des caisses de pensions versant uniquement des prestations sous forme de capital, on peut alors se poser la question de l’admissibilité des rachats dans de tels plans lorsqu’ils sont effectués moins de trois ans avant l’âge terme. Pour ne pas désavantager ces plans par rapport aux autres, l’OFAS est d’avis que l’institution de prévoyance devra soit racheter une rente viagère auprès d’une compagnie d’assurances pour le montant correspondant aux prestations résultant du rachat si celles-ci sont dues durant cette période de trois ans, soit interdire les rachats moins de trois ans avant l’âge terme réglementaire.

Dans le Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 93 du 11 juillet 2006, l'OFAS précise au ch. 540 que la réponse donnée dans le cadre du point 511 du BPP n° 88 - question (2.) lettre a) précitées - est valable seulement s’il ne s’agit pas d’une retraite complète, car un report du versement en capital n’est pas possible après la survenance du cas de prévoyance. L’art. 79b al. 3 LPP ne règle pas l’exigibilité des prestations mais seulement la forme sous laquelle elles sont versées. En cas de retraite partielle, il serait envisageable que le règlement prévoie un versement partiel en capital qui ne pourra pas dépasser l’avoir de vieillesse acquis avant le rachat.

3.1.2 Les contributions de rachat prévues par la loi et le règlement de prévoyance et versées par l'assuré sont entièrement déductibles selon l'art. 33 al. 1 let. d de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11 ; Jacques-André SCHNEIDER / Nicolas MERLINO / Didier MANGE, Commentaire des assurances sociales suisses, LPP et LFLP, 2020, n. 16 ad art. 79b LPP).

La jurisprudence du Tribunal fédéral n'admet cependant pas la déduction de tels montants en présence d'une évasion fiscale. Tel est le cas lorsque des rachats sont effectués auprès d'institutions de prévoyance et que des versements sous forme de capital sont obtenus desdites institutions peu de temps après avec pour effet de diminuer la charge fiscale : ce sont ainsi des placements de fonds dans le 2e pilier purement transitoires et motivés pour des raisons fiscales, qui ne poursuivent pas l'objectif de combler des lacunes de cotisations, mais qui utilisent la caisse de pensions contrairement à son but comme un compte courant privilégié fiscalement. L'objectif d'un rachat d'années de cotisations vise la constitution et l'amélioration de la prévoyance professionnelle. Ce but n'est clairement pas atteint lorsque les mêmes fonds sont récupérés auprès de l'institution de prévoyance dans un laps de temps bref - sans que la couverture d'assurance en soit améliorée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_658/2009 du 12 mars 2010 traduit in RDAF 2011 II 44 ss consid. 2.1 et références citées ; arrêt de la Cour fiscale du Tribunal cantonal de l'État de fribourg 604 2015 33 du 22 septembre 2016 consid. 2b).

L'objectif de l’art. 79b al. 3 1re phrase LPP est d'éviter les abus sur le plan fiscal, liés au versement de contributions de rachat déductibles avec plein effet sur le taux suivi de l'obtention d'une prestation sous forme de capital imposable au taux privilégié de l'art. 38 LIFD, opération constituant une évasion fiscale lorsqu'elle ne tend pas à augmenter la couverture de prévoyance, mais à économiser des impôts. Cette disposition du droit de la prévoyance doit être appliquée par les institutions de prévoyance pour les rachats effectués dès l'entrée en vigueur de la disposition, le 1er janvier 2006, qu'il s'agisse de rachats obligatoires ou facultatifs d'années d'assurance, ou de rachats dans le but de compenser la réduction des prestations de vieillesse au sens de l'art. 1 al. 2 let. b de l'ordonnance du 18 avril 1984 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (OPP 2 -RS 831.441.1) financés aussi bien par l'assuré que par l'employeur. Avec cette réglementation, ce n'est, ainsi, pas le rachat qui est limité, mais la nature de la prestation échue selon le règlement de prévoyance, laquelle doit être versée sous forme de rente et assurer ainsi le risque de longue vie dans un but de prévoyance (arrêt de la Cour fiscale du Tribunal cantonal de l'État de fribourg 604 2015 33 précité consid. 3b).

Dans son arrêt de principe 2C_658/2009 précité, le Tribunal fédéral a retenu que l’art. 79b al. 3 phrase LPP est certes en premier lieu une norme relevant du droit de la prévoyance, mais qu'il se fonde clairement sur des raisons d’ordre fiscal. Selon une interprétation littérale, cette norme ne règle que le problème de l’admissibilité d'un retrait de capital dans un délai de trois ans à compter du rachat et elle ne répond apparemment pas directement à la question de savoir si ce rachat peut être déduit du revenu imposable. Les débats parlementaires démontrent toutefois clairement qu'avec le délai de blocage, il s'agit de combattre les mêmes abus d'économie d'impôt que ceux qui avaient mené le Tribunal fédéral à refuser la déduction des rachats en présence d’une évasion fiscale. Il découle de la genèse, teneur et systématique de l'art. 79b al. 3 LPP que cette disposition reprend et concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral sur le refus de la déduction en cas d'évasion fiscale dans le sens d'une réglementation légale uniforme et impérative. Si cette disposition soumet à un délai de blocage - interdisant le versement sous forme de capital - de trois ans les « prestations résultant d'un rachat », il ne faut pas la comprendre dans le sens qu'elle établit un lien direct entre le rachat et la prestation, comme le texte de cette disposition légale pourrait le laisser supposer. Il faut ainsi opposer à ce lien direct le fait que les rachats effectués auprès d'une institution de prévoyance ne sont pas distingués des autres avoirs et que les prestations d'une institution de prévoyance ne sont pas financées par certains fonds, mais par tout le capital de prévoyance à disposition de la personne assurée. La pratique des autorités fiscales qui estiment que toute prestation en capital versée dans le délai de trois ans est abusive et que tout rachat effectué dans ce délai ne doit pas être admis en déduction du revenu imposable est dès lors conforme à ces opinions. Cette assimilation conséquente - ne souffrant en principe aucune exception - des prestations en capital versées dans le délai de trois ans à une déduction fiscale abusive s'est révélée également être exacte dans le cas dont a eu à juger le Tribunal fédéral dans son arrêt 2C_658/2009 précité. Ce qui a été considéré comme essentiel c'est que dans le cas d'un rachat suivi peu de temps après d'un versement en capital des fonds du 2e pilier, le « va-et-vient » des fonds ne permet pas une amélioration appropriée de la couverture d'assurance, mais doit être considéré comme un placement purement transitoire motivé par des raisons fiscales. L'art. 79b al. 3 LPP permet de lutter contre de tels cas de figure, dès lors qu'il s'applique (dans le cadre du droit fiscal déterminant en l'espèce) de manière uniforme et obligatoire : cela implique que la déduction du rachat doit toujours être refusée, lorsqu'une prestation en capital est versée durant le délai de blocage (arrêt de la Cour fiscale du Tribunal cantonal de l'État de fribourg 604 2015 33 précité consid. 3c).

3.2  

3.2.1 Selon l'art. 86b LPP, introduit par le ch. I de la LF du 3 octobre 2003 (1re  révision LPP), en vigueur depuis le 1er janvier 2005 et depuis le 1er avril 2004 pour l’al. 2 (RO 2004 1677 ; FF 2000 2495), l’institution de prévoyance renseigne chaque année ses assurés de manière adéquate sur (al. 1) : leurs droits aux prestations, le salaire coordonné, le taux de cotisation et l’avoir de vieillesse (let. a).

Sont visées par cette disposition toutes les prestations légales et réglementaires entrant en considération en cas de sortie de l'institution ou de survenance d'un cas d'assurance (vieillesse, invalidité ou mort ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_159/2019 du 31 octobre 2019 consid. 6).

Les données concernant la situation de prévoyance individuelle doivent être contenues dans une certificat d'assurance individuel (Kurt PÄRLI, Commentaire des assurances sociales suisses, LPP et LFLP, 2020, n. 6 ad art. 86b LPP).

3.2.2 Le principe de la bonne foi, ancré à l'art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 [Cst. - RS 101]), protège le citoyen dans la confiance placée dans les assurances reçues des autorités (lorsqu'il règle sa conduite d'après les décisions, les déclarations ou le comportement de l'administration) ; un renseignement ou une décision erronés peuvent contraindre l'administration à consentir à l'administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur ; il faut alors que l'autorité soit intervenue dans une situation concrète envers une personne particulière (a), qu'elle ait agi, ou soit censée avoir agi, dans les limites de ses compétences (b), que l'administré n'ait pas pu immédiatement réaliser l'inexactitude de l'information obtenue (c), qu'il se soit fondé sur les assurances ou sur le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne peut renoncer sans subir de préjudice (d) et que la loi n'ait pas changé depuis le moment où l'assurance a été donnée (e) ; ces conditions doivent aussi être remplies lorsque l'administration omet de renseigner l'administré alors qu'elle était légalement tenue de le faire ; la condition (c) devant toutefois être formulée de la façon suivante : que l'administré n'ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu'il n'avait pas à s'attendre à une autre information. Ces conditions sont cumulatives (arrêts du Tribunal fédéral 9C_753/2016 du 3 avril 2017 consid. 6.1 ; 9C_568/2013 du 9 janvier 2014 consid. 4.2 et les références).

4.              

4.1  

4.1.1 Selon l'art. 18 al. 7 du règlement de prévoyance de la défenderesse dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2020, ici applicable, les prestations résultant d'un rachat ne peuvent être versée sous forme de capital avant l'échéance d'un délai de trois ans à compter de la date du rachat correspondant, les cas de rachat de prestations ensuite de divorce au sens de l'article 49 alinéa 7 demeurant réservés.

Selon l'art. 26 al. 2 du règlement de prévoyance, l'assuré actif dont les rapports de travail prennent fin entre le 58e anniversaire et le jour de la retraite ordinaire est mis au bénéfice d'une rente de vieillesse anticipée, à moins qu'il ne demande que sa prestation de libre passage soit transférée à l'institution de prévoyance d'un nouvel employeur ou à une institution de libre passage s'il annonce à l'assurance-chômage.

Selon l'art. 30 al. 1 du règlement de prévoyance, sous réserve de l'article 18 alinéa 7, l'assuré actif ou qui est au bénéficie d'une rente temporaire d'invalidité peut exiger le paiement en capital de tout ou partie de son compte épargne, à condition qu'il fasse connaître par écrit sa volonté trois mois à l'avance au moins. Le paiement en plusieurs tranches est exclu.

Selon l'art. 31 du règlement de prévoyance, si un assuré quitte le service de l'Employeur avant le jour de la retraite réglementaire, mais après le dernier jour du mois au cours duquel il atteint l'âge de 58 ans, il cesse de verser des cotisations et a droit à une rente de retraite anticipée selon l'art. 27 ou au montant du compte épargne constitué au jour de la retraite anticipée selon l'article 30.

4.1.2 La demanderesse, née en 1964, voulait bénéficier d'une mise à la retraite anticipée. Elle était âgée de 59 ans au moment où ont pris fin les rapports de travail (au 31 janvier 2023). Le cas de prévoyance « vieillesse » est survenu le 1er février 2023, ce qui n'est pas contesté. Dès cette date, la demanderesse a partant perdu sa qualité d'assurée de l'institution de prévoyance (cf. art. 10 al. 2 LPP).

Le rachat litigieux à hauteur de CHF 30'000.- que la demanderesse a effectué le 22 décembre 2020 était soumis au délai d’attente de trois ans conformément à l'art. 79b al. 3 1re phrase LPP, repris à l'art. 18 al. 7 1re phrase du règlement de prévoyance. Ce rachat ne pouvait donc pas faire l’objet d’un retrait en capital avant le 23 décembre 2023. C'est par conséquent à juste titre que la défenderesse a versé ce montant racheté sous forme de rente à la demanderesse à compter du 1er février 2023, étant souligné que celle-ci ne pouvait pas non plus toucher le solde des prestations résultant du rachat sous forme de capital en décembre 2023 car elle n'était pas au bénéfice d'une retraite partielle.

4.2 Même à admettre que lors de leurs entretiens en vue de la planification de la retraite anticipée, le collaborateur de la défenderesse aurait, soit communiqué à la demanderesse un renseignement erroné - i.e. le retrait intégral du capital de prévoyance y compris le montant du dernier rachat avant l'échéance du délai de trois ans -, soit omis de l'avertir de l'impossibilité de retirer le montant correspondant audit rachat sous forme de capital durant ce délai de blocage, il n'en demeure pas moins que la demanderesse ne peut pas, de bonne foi, prétendre qu'elle n'a pas pu, soit se rendre compte du caractère inexact de l'information obtenue, soit connaître le contenu de l'information omise. En effet, dans les deux cas, quoi qu'elle en dise, la demanderesse a, du moins, apposé sa signature sur de multiples « formulaires de rachat », y compris celui du 22 décembre 2020 relatif au rachat litigieux, qui rappelaient, s'agissant de ceux signés dès le 18 décembre 2013, tant l'impossibilité du retrait en capital du montant correspondant au rachat pendant le délai de trois ans suivant le rachat que les conséquences sous l'angle fiscal du retrait, même partiel, du capital de prévoyance durant la période bloquée. À cela s'ajoute que, après les réunions avec le collaborateur, mais avant la confirmation par la demanderesse le 11 janvier 2023 de sa volonté de prendre sous forme de capital intégral ses prestations de vieillesse, le courriel de la défenderesse du 30 novembre 2022 aux assurés (et donc à la demanderesse) rappelait encore l'impossibilité du retrait en capital du montant correspondant au rachat pendant le délai de trois ans. La fiche d'assurance au 1er janvier 2023 faisait également état du montant du rachat litigieux effectué moins de trois ans. Peu importe que ces documents ne traitaient pas spécifiquement de la retraite anticipée, puisqu'il ressort de la teneur même desdits « formulaires de rachat » et du courriel précités que seul le délai de blocage est pertinent pour déterminer la forme sous laquelle le montant racheté est versé. En d'autres termes, la demanderesse ne pouvait ignorer qu'elle ne pouvait pas obtenir avant décembre 2023 le montant du dernier rachat sous forme de capital. Cela suffit déjà pour conclure que la demanderesse ne peut pas se prévaloir avec succès de la violation du principe constitutionnel de la bonne foi.

Par surabondance, quand bien même la demanderesse a allégué avoir subi un dommage du fait qu'elle n'a pas pu investir le montant litigieux de CHF 30'000.- dans un bien immobilier, elle n'a produit aucun document sur les circonstances de l'acquisition dudit bien. Autrement dit, ses allégations ne suffisent pas pour établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que, sur la base des dires du collaborateur, elle aurait signé ne serait-ce qu'une promesse de vente qu'elle ne pourrait plus honorer. On ne saurait donc retenir que les déclarations du collaborateur l'auraient induite à un comportement préjudiciable à ses intérêts. Quant au fait qu'elle perdrait le solde des prestations résultant du rachat dans l'éventualité où elle décédait avant de pouvoir toucher dans un délai de 20 ans l'intégralité des rentes équivalant au montant du rachat, il ne peut être admis, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la demanderesse, qui n'a du reste pas versé au dossier de pièce médicale attestant une atteinte à la santé, décèdera avant l'âge de 79 ans. Au demeurant, dès lors qu’elle est au bénéfice d’une rente de retraite viagère de CHF 122.- par mois, il n’est pas exclu qu’elle récupère au final un montant supérieur à celui racheté à hauteur de CHF 30'000.-.

4.3 Enfin, la chambre de céans n'est pas compétente pour se prononcer sur les conséquences fiscales du retrait du capital de CHF 1'078'565.05 au début de l'année 2023, dans les trois ans suivant le rachat litigieux le 22 décembre 2020.

5.             Au vu de ce qui précède, la demande ne peut qu'être rejetée.

Les caisses de pension n’ont en principe pas droit à des dépens, sauf en cas de recours téméraire ou interjeté à la légère par l’assuré ; cela vaut également pour les actions en matière de prévoyance professionnelle (ATF 126 V 143 consid. 4). Ces exceptions n'étant pas réalisées en l'espèce, la défenderesse, qui obtient gain de cause, ne saurait se voir allouer, comme elle le sollicite, une indemnité à titre de dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 73 al. 2 LPP et art. 89H al. 1 LPA).

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande en paiement du 15 janvier 2024 recevable.

Au fond :

2.        La rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le