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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1108/2024

ATAS/834/2024 du 22.10.2024 ( AI ) , REJETE

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1108/2024 ATAS/834/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 octobre 2024

Chambre 10

 

En la cause

A______
représenté par INCLUSION HANDICAP, mandataire

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’intéressé), né le ______ 2001, de nationalité afghane, atteint de surdité profonde bilatérale avec quelques restes auditifs sur les basses fréquences depuis sa naissance, est arrivé en Suisse le 13 septembre 2017 en qualité de requérant d’asile mineur non accompagné. Il a obtenu un livret N pour requérant d’asile en mars 2018, un livret F pour étranger admis provisoirement en octobre 2022 et est désormais titulaire d’un livret B, depuis le mois de janvier 2024.

b. Par ordonnance du 18 octobre 2017, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) a nommé un curateur principal et une curatrice suppléante du mineur aux fins de représenter ses parents absents, d’organiser sa prise en charge et son hébergement au Centre B______, ou dans tout autre lieu d’accueil spécialisé, ainsi que sa formation scolaire et professionnelle, et de financer son placement.

c. Le 24 novembre 2017, l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI) a enregistré deux demandes de prestations en faveur du mineur, la première visant l’octroi d’une contribution d’assistance dans le cadre de son intégration à la Maison des sourds en novembre 2017 et la seconde tendant à des mesures pour une réadaptation professionnelle.

d. Par décision du 26 janvier 2018, l’OAI a rejeté lesdites demandes, considérant que les conditions d’assurance n’étaient pas réalisées.

e. Le 23 février 2018, l’hospice général a sollicité l’annulation des demandes de prestations qu’il avait déposées pour l’intéressé, qui auraient dû être adressées par le représentant légal, et partant de la décision rendue par l’OAI.

f. Durant l’année scolaire 2018-2019, l’intéressé a été inscrit au Centre pour enfants sourds, dans la filière enseignement spécialisé.

g. Le 20 février 2019, le curateur du mineur a déposé une demande pour mineur et sollicité des moyens auxiliaires, soit des appareils acoustiques.

h. Par décision du 8 avril 2019, l’OAI a rejeté cette demande, au motif que les conditions d’assurance n’étaient pas remplies. En effet, la date de la survenance de l’invalidité était antérieure à l’arrivée en Suisse de l’intéressé et ses parents ne comptaient pas dix ans de résidence en Suisse avant ladite survenance et ne possédaient pas les cotisations nécessaires.

i. Dans une ordonnance du 14 novembre 2019, le TPAE a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de l’intéressé.

j. Par certificat du 20 mars 2020, la docteure C______, médecin adjointe responsable d’unité au service d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale du département des neurosciences cliniques des Hôpitaux universitaires de Genève, a indiqué que l’assuré communiquait uniquement par la langue des signes et nécessitait un traducteur pour tout échange.

k. Dans une demande enregistrée le 24 juin 2020, le service de protection de l'adulte a sollicité des moyens auxiliaires en faveur de l’intéressé sous la forme d’une prise en charge des frais d’interprétariat en langue des signes dans le cadre d’une formation de deux ans en boulangerie-pâtisserie à l’Organisation romande pour l'intégration et la formation professionnelle (ci-après : ORIF) de Vernier. Il était précisé que l’intéressé possédait un moyen auxiliaire, soit une prothèse auditive depuis le 8 avril 2019.

l. Par décision du 11 septembre 2020, l’OAI a refusé la demande de moyens auxiliaires de l’intéressé, dès lors que la date de la survenance de l’invalidité était antérieure à son arrivée en Suisse.

m. Par ordonnance du 5 octobre 2020, le TPAE a prononcé la mainlevée de la curatelle instituée le 14 novembre 2019 en faveur de l’intéressé.

n. Le 13 juillet 2021, l’OAI a reçu une nouvelle demande de prestations tendant à la prise en charge d’un interprète en langue des signes pour la deuxième année de formation à l’ORIF en tant que boulanger-pâtissier. L’intéressé avait débuté le
12 août 2020 une formation de deux ans payée par l’hospice général et était sur le point de terminer sa première année, au cours de laquelle l’interprétariat avait été financé par l’office médico-pédagogique (ci-après : OMP). Il n’y avait pour le moment pas de soutien pour les frais d’interprétariat pour cette deuxième et dernière année qui devrait débuter en août 2021. L’intéressé, ponctuel et investi, était reconnu dans son travail par ses formateurs, avait eu un très bon bilan intermédiaire et faisait preuve de compétences. Tout était très bien organisé avec le fournisseur chargé de l’interprétariat, et il ne manquait donc que les moyens financiers. L’intéressé serait ensuite certifié et pourrait se projeter dans un emploi.

o. Par décision du 26 octobre 2021, l’OAI a rejeté cette demande, expliquant qu’une demande de formation professionnelle initiale requérait que les conditions d’assurance soient réunies. Or, il ressortait du dossier qu’au moment de la survenance du besoin des frais d’interprète, soit à la rentrée 2021, l’intéressé ne remplissait pas ces conditions.

p. Dans une nouvelle demande enregistrée le 3 août 2023, l’intéressé a sollicité des moyens auxiliaires sous la forme d’une signalisation lumineuse.

q. Par décision du 27 septembre 2023, l’OAI a refusé cette prise en charge, les conditions d’assurance n’étant pas réalisées.

B. a. Par courrier du 18 décembre 2023, l’assistante sociale de l’intéressé auprès de l’association genevoise des malentendants a sollicité de l’OAI l’octroi d’une prise en charge des frais d’interprète en langue des signes sur le lieu de travail, l’intéressé en ayant besoin pour son activité professionnelle. Elle a annexé le formulaire de demande de prestations tendant à l’octroi de moyens auxiliaires, mentionnant que l’intéressé travaillait en qualité d’aide de laboratoire en boulangerie à 100% depuis le 2 août 2020 et percevait un revenu mensuel brut de
CHF 4'369.20.

b. Le 22 décembre 2023, l’OAI a informé l’intéressé qu’il n’entrerait pas en matière sur sa demande de prestations, dès lors que cette dernière avait été rejetée le 11 septembre 2020, les conditions d’assurance n’étant pas remplies.

c. Le 17 janvier 2024, l’assuré a contesté cette détermination, relevant que même s’il était sourd de naissance, les frais d’interprète étaient objectivement donnés lorsqu’il se trouvait en Suisse.

d. Par courrier du 24 janvier 2024, l’assuré, représenté par Inclusion Handicap, a fait valoir que la demande à l’origine du projet de décision contesté concernait un moyen auxiliaire, et plus précisément un service d’interprète. S’agissant d’un moyen auxiliaire, la survenance de l’invalidité correspondait à la date où ledit moyen était objectivement indiqué pour la première fois. Il n’était donc pas déterminant qu’il soit sourd de naissance, puisque la première fois où un service d’interprète avait été objectivement nécessaire ne pouvait que naître à une date où il travaillait ou se formait. Il avait débuté sa formation le 12 août 2020 à l’ORIF et le service d’un tiers sous la forme d’un interprète n’était avant cette date pas objectivement nécessaire. Or, le 12 août 2020, il pouvait compter sur une année de cotisations, puisqu’il était possible de combler les lacunes de cotisations de manière rétroactive pour une période de cinq ans. Il pouvait ainsi compter des cotisations depuis le 1er janvier 2019 et remplissait la condition d’une année de cotisations au 12 août 2020. Par ailleurs, il travaillait en tant qu’aide de laboratoire depuis le mois d’août 2022 auprès de la boulangerie D______. Sa situation professionnelle s’était donc modifiée depuis la décision du 11 septembre 2020, lorsqu’il n’était qu’en formation auprès de l’ORIF. À ce moment-là, aucune lacune de cotisation n’avait été comblée et aucune proposition en ce sens n’avait été formulée. Par surabondance, et quand bien même la décision du
11 septembre 2020 était erronée puisqu’elle se fondait sur la survenance de l’invalidité antérieure à l’entrée en Suisse, le refus quant à la prise en charge des frais d’interprète aurait éventuellement pu se justifier en raison du fait qu’aucune exigence de rendement n’était attendue en ce sens qu’il s’agissait d’une formation dans le cadre de l’ORIF, soit en environnement protégé ou du moins bienveillant, et la formation comprenait un volet théorique sous forme de cours où il aurait pu avoir accès à des documents, de sorte que l’intervention d’un interprète n’aurait pas été nécessairement justifiée. Tel n’était plus le cas depuis le début de l’activité professionnelle où un rendement était attendu et où il n’existait plus de volet théorique/estudiantin. Par conséquent, la date du 1er août 2022 pouvait être retenue quant à la date de la survenance de l’invalidité, puisqu’elle correspondait au début d’activité auprès de l’employeur actuel.

e. Par décision du 7 mars 2024, l’OAI a refusé d’entrer en matière sur la nouvelle demande du 20 décembre 2023, portant sur la prise en charge de prestations de tiers sous l’angle des moyens auxiliaires. Le 11 septembre 2020, la demande de prestations avait été rejetée au motif que les conditions d’assurance n’étaient pas remplies et une nouvelle demande avait été déposée le 20 décembre 2023 pour le même objet. L’examen du dossier n’avait toutefois montré aucun changement, de sorte qu’il ne pouvait pas entrer en matière sur la nouvelle demande. S’agissant de la prestation en cause, il était possible, en lieu et place d’un moyen auxiliaire, de rembourser à une personne assurée une prestation de service particulière fournie par des tiers, à condition qu’il existe un droit au moyen auxiliaire qui serait remplacé par ladite prestation de service. En l’occurrence, l’intéressé n’avait pas droit au moyen auxiliaire qui entrait en ligne de compte, à savoir l’appareil auditif, puisque ce dernier avait déjà fait l’objet d’un refus le 8 avril 2019 pour défaut de conditions d’assurance au moment de la survenance d’invalidité. Dès lors, le moment de la survenance du service de tiers demandé importait peu, les conditions de ladite prestation n’étant pas remplies.

C. a. Par acte du 3 avril 2024, l’intéressé, représenté par Inclusion Handicap, a interjeté recours auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre la décision précitée, concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à la prise en charge des frais consécutifs aux services fournis par des tiers, et plus particulièrement du service d’interprète. En substance, le recourant a repris l’argumentation développée dans son courrier du 24 janvier 2024 et maintenu que la première fois où un service d’interprète ou un moyen auxiliaire sous forme d’appareil acoustique, était objectivement nécessaire ne pouvait que naître à une date où il travaillait, ou se formait. Or, lorsqu’il avait débuté sa formation le 12 août 2020, il pouvait compter sur une année de cotisation compte tenu de la possibilité de combler les lacunes depuis le 1er janvier 2019. L’existence de la décision du 8 avril 2019 refusant déjà le moyen auxiliaire d’appareil acoustique n’était pas déterminante, puisqu’il était avéré qu’à cette date, il ne pouvait pas connaître une année de cotisation et que par conséquent, le refus d’alors était justifié. Toutefois, la situation s’était depuis lors notablement modifiée, comme cela ressortait du dossier et de ses explications.

b. Dans sa réponse du 30 avril 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours. Il a rappelé qu’il avait refusé la demande d’octroi d’appareil acoustique le 8 avril 2019 en raison de défaut de conditions d’assurance, et que cette décision était entrée en force. Les contributions versées pour les services de tiers ne représentaient qu’une prestation qui remplaçait un moyen auxiliaire déterminé, à la remise duquel l’assuré pouvait en principe prétendre, mais qu’il n’était pas en mesure d’utiliser lui-même pour des motifs qui tenaient à sa personne. Lesdits services de tiers ne sauraient avoir, eux aussi, qu’un caractère auxiliaire. Ils étaient donc destinés uniquement à suppléer, en lieu et place d’un moyen auxiliaire considéré, aux « défaillances de certaines parties du corps humain ou de leurs fonctions », et ne devaient pas viser, de par leur nature, des buts qui excédaient ceux du moyen auxiliaire auxquels ils se substituaient. En l’occurrence, le service de tiers avait pour objet de suppléer un appareil acoustique, seul moyen auxiliaire pouvant entrer en ligne de compte. Dans la mesure où les conditions d’assurance n’étaient pas remplies lors de la survenance de l’invalidité, les mesures ultérieures du même genre n’étaient pas à la charge de l’assurance-invalidité.

c. Par écritures des 3 et 18 juillet 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions et indiqué que la procédure de paiement des lacunes de cotisations était en cours.

d. Copie de cette écriture a été transmise à l’intimé le 31 juillet 2024

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du
6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur
l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA ; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

2.              

2.1 À teneur de l’art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-invalidité, à moins que la loi n’y déroge expressément.

2.2 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du
19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est, en principe, celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

Dans la mesure où la modification déterminante de l’état de fait invoquée par le recourant s’est produite après le 31 décembre 2021, ce sont les dispositions de la LAI et celles du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961
(RAI – RS 831.201) dans leur version en vigueur depuis le 1er janvier 2022 qui s’appliquent.

3.              

3.1 L'objet du litige dans la procédure de recours est le rapport juridique réglé dans la décision attaquée, dans la mesure où, d'après les conclusions du recours, il est remis en question par la partie recourante (arrêt du Tribunal fédéral 8C_619/2019 du 3 juillet 2020 consid. 4.2.1). Lorsqu’une décision consiste en un refus d'entrer en matière sur la nouvelle demande de l'assuré, ce refus constitue l’objet du litige (arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2019 du 22 avril 2020
consid. 4.4.2).

3.2 En l’espèce, la décision litigieuse, qualifiée de décision de refus d’entrer en matière, retient que le recourant n’a pas rendu plausible que sa situation s’était notablement modifiée et que l’examen du dossier n’avait montré aucun changement depuis le rejet de sa demande, par décision du 11 septembre 2020.

Ce faisant, l’intimé s’est prévalu, implicitement, du principe de l’autorité de chose décidée pour justifier un refus d’entrer en matière. Toutefois, la décision du
11 septembre 2020, tout comme celle du 13 juillet 2021 d’ailleurs, faisait suite à une demande de prise en charge des frais d’interprétariat durant la formation à l’ORIF. Désormais, le recourant sollicite une telle prestation, mais sur son lieu de travail. Il fait donc valoir une modification des circonstances de fait depuis les décisions précitées de l’intimé, soit l’exercice d’une activité professionnelle depuis le mois d’août 2022. Il n’y a donc pas identité de l'objet du litige.

La décision querellée doit être considérée comme une décision rejetant la demande du 18 décembre 2023, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par l’intimé, qui s’est déterminé sur le fond du litige dans sa réponse du 30 avril 2024.

Le litige porte ainsi sur le point de savoir si l'intimé était fondé à nier le droit du recourant à la prise en charge des frais occasionnés par les services d'un interprète de langue des signes dans le cadre de son activité professionnelle, au motif que les conditions d’assurance n’étaient pas réalisées.

4.             L’art. 8 LAI dispose que les assurés invalides ou menacés d’une invalidité ont droit à des mesures de réadaptation, lesquelles comprennent notamment l’octroi de moyens auxiliaires (al. 3 let. d), pour autant que ces mesures soient nécessaires et de nature à rétablir, maintenir ou améliorer leur capacité de gain ou leur capacité d’accomplir leurs travaux habituels (al. 1 let. a) et que les conditions d’octroi des différentes mesures soient remplies (al. 1 let. b). 

En vertu de l'art. 21 LAI, l'assuré a droit, d'après une liste que dressera le Conseil fédéral, aux moyens auxiliaires dont il a besoin pour exercer une activité lucrative ou accomplir ses travaux habituels, pour étudier ou apprendre un métier ou à des fins d'accoutumance fonctionnelle (al. 1, 1ère phrase). L'assuré qui, par suite de son invalidité, a besoin d'appareils coûteux pour se déplacer, établir des contacts avec son entourage ou développer son autonomie personnelle, a droit, sans égard à sa capacité de gain, à de tels moyens auxiliaires conformément à une liste qu'établira le Conseil fédéral (al. 2). L’assurance prend à sa charge les moyens auxiliaires d’un modèle simple et adéquat et les remet en propriété ou en prêt. L’assuré auquel un moyen auxiliaire a été alloué en remplacement d’objets qu’il aurait dû acquérir même s’il n’était pas invalide est tenu de participer aux frais (al. 3).

Conformément à l’art. 21ter al. 2 LAI, l’assurance peut allouer des contributions à l’assuré qui a recours, en lieu et place d’un moyen auxiliaire, aux services de tiers.

À l'art. 14 RAI, le Conseil fédéral a délégué au Département fédéral de l'intérieur la compétence de dresser la liste des moyens auxiliaires et de prévoir des prescriptions complémentaires au sens de l'art. 21 LAI.

L'art. 9 al. 1 de l’ordonnance concernant la remise de moyens auxiliaires par l’assurance-invalidité du 29 novembre 1976 (OMAI - RS 831.232.51) prévoit que l'assuré a droit au remboursement des frais liés à l'invalidité, qui sont dûment établis et causés par les services spéciaux de tiers dont il a besoin, en lieu et place d'un moyen auxiliaire, pour : aller à son travail (let. a), exercer une activité lucrative (let. b), ou acquérir des aptitudes particulières qui permettent de maintenir des contacts avec l’entourage (let. c).

4.1 La condition de l'invalidité exprimée par l'art. 8 al. 1 LAI doit être interprétée au regard des art. 8 LPGA et 4 LAI et définie, compte tenu du contexte de réadaptation, en fonction de la mesure requise (arrêt du Tribunal fédéral 9C_786/2007 du 22 juillet 2008 consid. 5.2.2 et la référence).

4.2 Selon la jurisprudence constante, il faut entendre par moyen auxiliaire de l'assurance-invalidité un objet permettant de suppléer aux défaillances de certaines parties du corps humain ou de leurs fonctions (ATF 115 V 194 consid. 2c ;
112 V 15 consid. 1b).

Par ailleurs, étant donné que les contributions versées pour les services de tiers au sens de l'art. 21ter al. 2 LAI ne représente qu'une prestation qui remplace un moyen auxiliaire déterminé - à la remise duquel l'assuré peut en principe prétendre, mais qu'il n'est pas en mesure d'utiliser lui-même pour des motifs qui tiennent à sa personne - lesdits services de tiers ne sauraient avoir, eux aussi, qu'un caractère auxiliaire. Ces services sont donc destinés uniquement à suppléer, en lieu et place du moyen auxiliaire considéré, aux « défaillances de certaines parties du corps humain ou de leurs fonctions » ; ils ne doivent pas viser, de par leur nature, des buts qui excèdent ceux du moyen auxiliaire auxquels ils se substituent
(ATF 112 V 15 consid. 1b ; arrêts du Tribunal fédéral I 504/03 du
6 novembre 2003 consid. 4.1 ; I 418/01 du 29 octobre 2001 consid. 3a).

Constituent notamment des services spéciaux de tiers nécessaires à l'exercice d'une activité lucrative au sens de l'art. 9 al. 1 let. b OMAI, les services d'un interprète en langue des signes (arrêts du Tribunal fédéral 9C_786/2007 du
22 juillet 2008 ; 9C_759/2007 du 22 juillet 2008).

5.             Conformément à l’art. 4 al. 2 LAI, l’invalidité est réputée survenue dès qu’elle est, par sa nature et sa gravité, propre à ouvrir droit aux prestations entrant en considération.

Selon l’art. 6 LAI, les ressortissants suisses et étrangers ainsi que les apatrides ont droit aux prestations conformément aux dispositions ci-après. L’art. 39 est réservé (al. 1). Les étrangers ont droit aux prestations de l’assurance-invalidité, sous réserve de l’art. 9 al. 3, aussi longtemps qu’ils conservent leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse, mais seulement s’ils comptent, lors de la survenance de l’invalidité, au moins une année entière de cotisations ou dix ans de résidence ininterrompue en Suisse (al. 2).

L’art. 9 al. 3 LAI dispose que les ressortissants étrangers âgés de moins de 20 ans révolus et qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit aux mesures de réadaptation s’ils remplissent eux‑mêmes les conditions prévues à l’art. 6 al. 2 LAI, ou si lors de la survenance de l’invalidité, leur père ou mère compte, s’il s’agit d’une personne étrangère, au moins une année entière de cotisations ou dix ans de résidence ininterrompue en Suisse, et si (let. a)
eux-mêmes sont nés invalides en Suisse ou, lors de la survenance de l’invalidité, résidaient en Suisse sans interruption depuis une année au moins ou depuis leur naissance. Sont assimilés aux enfants nés invalides en Suisse les enfants qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse, mais qui sont nés invalides à l’étranger, si leur mère a résidé à l’étranger deux mois au plus immédiatement avant leur naissance. Le Conseil fédéral décide dans quelle mesure l’AI prend en charge les dépenses occasionnées à l’étranger par l’invalidité (let. b).

Conformément à l’art. 10 LAI, le droit aux mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle et aux mesures d’ordre professionnel prend naissance au plus tôt au moment où l’assuré fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA (al. 1). Le droit aux autres mesures de réadaptation et aux mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a prend naissance dès qu’elles sont indiquées en raison de l’âge et de l’état de santé de l’assuré (al. 2).

5.1 L’art. 6 al. 2 LAI constitue une règle de droit interne qui s’applique sous réserve des dispositions de l’accord sur la libre circulation des personnes (accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes - ALCP - RS 0.142.112.681) avec l’UE, de la Convention AELE et des autres conventions internationales de sécurité sociale conclues par la Suisse. Demeure également réservé l’arrêté fédéral concernant le statut des réfugiés et des apatrides dans l’assurance-vieillesse et survivants et dans l’assurance-invalidité du 4 octobre 1962 (RS 831.131.11). L’art. 6 al. 2 LAI vise donc les assurés qui ne tombent pas sous le coup de ces réglementations (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité, 2018, n. 5 ad art. 6).

5.2 La date de survenance de l’invalidité est déterminante pour fixer la naissance du droit aux prestations et pour juger, notamment, si les conditions de la durée minimale de cotisation ouvrant droit à la rente sont réalisées. Les conditions d’assurance doivent être remplies au moment de la survenance de l’invalidité (ATF 126 V 5 consid. 2c ; 114 V 13 consid. 2b ; 111 V 110 consid. 3d).

Le moment de la survenance de l’invalidité ne dépend ni de la date à laquelle la demande est présentée, ni de celle à partir de laquelle une prestation est requise ; il ne coïncide pas nécessairement avec le moment où l’assuré apprend pour la première fois que son atteinte à la santé peut lui ouvrir droit à des prestations. Il n’est pas forcément le même pour chaque catégorie de prestations (ATF 118 V 82 consid. 3a ; SVR 1998 IV n°9 consid. 2a/aa ; arrêt du Tribunal fédéral I 418/01 précité consid. 4b).

Lorsque des moyens auxiliaires doivent être remis, l'invalidité est réputée survenue au moment où l'atteinte à la santé rend objectivement nécessaire, pour la première fois, de tels appareils ; ce moment ne doit pas forcément coïncider avec celui où le besoin d'un traitement est apparu pour la première fois (ATF 108 V 63 consid. 2b ; 105 V 60 consid. 2a ; SVR 1998 IV n°9 consid. 2a/aa ; RCC 1992
p. 384 consid. 2). Si les conditions d'assurance ne sont pas remplies lors de la survenance de l'invalidité, les mesures ultérieures du même genre, visant le même cas, ne sont pas à la charge de l'assurance-invalidité (ATF 108 V 63 consid. 2b). Il y a lieu d'appliquer cette jurisprudence non seulement lorsqu'il s'agit du droit à des moyens auxiliaires, mais également dans le cas où sont en cause des prestations qui les remplacent (arrêt du Tribunal fédéral I 418/01 précité consid. 4b).

5.3 Dans un arrêt du 29 octobre 2001 (I 418/01), le Tribunal fédéral a examiné le cas d’une assurée présentant une surdité bilatérale suite à une anoxie néonatale, arrivée en Suisse en 1987, et au bénéfice d’une rente extraordinaire de
l'assurance-invalidité depuis le 1er août 1992. La demande de l’intéressée visant à la prise en charge de cours individuels de lecture labiale « pour entretenir des contacts avec son entourage ainsi que pour son activité occupationnelle » avait été rejetée aux motifs qu’elle aurait dû suivre ces cours à l'époque de l'atteinte à la santé, survenue avant l'entrée en Suisse, et que les conditions d'assurance n'étaient pas remplies à ce moment. Le Tribunal fédéral a relevé que les cours de lecture labiale avaient pour but de faciliter les possibilités de communication de la recourante avec son entourage et permettaient de remplacer, dans une certaine mesure, les appareils acoustiques mentionnés en tant que moyen auxiliaire. La recourante faisait valoir qu'elle utilisait la langue portugaise pour lire sur les lèvres dans son pays d'origine et que l'entraînement de lecture labiale étant spécifique pour chaque langue, elle ne nécessitait un tel cours pour l'apprentissage du français qu'à partir du moment où elle était arrivée en Suisse. L'intimé soutenait que l'atteinte à la santé rendant nécessaire les cours de lecture labiale était survenue avant l'entrée en Suisse de la recourante et qu'elle aurait donc dû les suivre à cette époque. Notre Haute cour a constaté que la recourante avait fréquenté une école spécialisée pour sourd-muet dans son pays d'origine, qu’elle savait lire sur les lèvres lorsqu'il s'agissait de comprendre la langue portugaise, de sorte que c’était au cours de son séjour dans son pays d'origine qu'un entraînement de lecture labiale s'était avéré nécessaire pour la première fois. Il n'était pas déterminant à cet égard qu'elle ait eu besoin d'un nouveau cours de ce genre pour apprendre une nouvelle langue lorsqu'elle était arrivée en Suisse. En effet, la question de la survenance de l'invalidité devait être tranchée par rapport à la prestation entrant en considération, soit le cours de lecture labiale. Son invalidité était donc survenue au Portugal où, pour la première fois, elle avait eu besoin de l'entraînement de lecture labiale. Or, à cette époque, la recourante n'était ni assurée en Suisse, ni n'avait, immédiatement avant la survenance de l'invalidité, résidé en Suisse de manière ininterrompue pendant une année au moins. Elle ne pouvait donc pas prétendre à la prise en charge des coûts des cours de lecture labiale à titre de frais occasionnés par les services de tiers au sens de
l'art. 9 OMAI.

6.             En l'espèce, les frais d’interprétariat en langue des signes relèvent des frais occasionnés par les services d'un tiers au sens de l'art. 9 OMAI. 

6.1 Il convient donc d’examiner si, au moment de la survenance de l'invalidité, le recourant était assuré à l'assurance-invalidité suisse.

Il n’existe pas de convention bilatérale de sécurité sociale entre la Suisse et l’Afghanistan et le recourant, détenteur d’un permis B, ne revêt plus le statut de réfugié. Il n’existe donc pas, en l’espèce, de règles spéciales qui seraient applicables en lieu et place de l’art. 6 al. 2 LAI.

Comme précédemment relevé, lorsque des moyens auxiliaires doivent être remis, ou dans le cas où sont en cause des prestations qui les remplacent, l'invalidité est réputée survenue au moment où l'atteinte à la santé rend objectivement nécessaire, pour la première fois, de tels appareils.

L’interprétariat tend à remplacer, dans une certaine mesure, les appareils acoustiques, lesquels sont nécessaires dès qu’une déficience auditive est reconnue. Le recourant étant atteint de surdité profonde bilatérale depuis sa naissance, il peut être retenu qu’il aurait eu besoin de tels moyens auxiliaires dès son plus jeune âge.

Cela étant, il est rappelé que la question de la survenance de l'invalidité doit être tranchée par rapport à la prestation entrant en considération, soit en l’occurrence l’intervention d’un interprète en langue des signes. L’invalidité du recourant est donc survenue, pour la première fois, lorsqu’il a eu besoin d’un tel service. À cet égard, il est rappelé que la Dre C______ a indiqué, dans son certificat du
20 mars 2020, que l’intéressé communiquait uniquement par la langue des signes, ce qui requérait un traducteur pour tout échange. L’OMP a d’ailleurs pris en charge, dès le 12 août 2020, les frais d’interprétariat dont avait besoin le recourant pour suivre sa formation. Que celui-ci exerce désormais une activité professionnelle n’est pas déterminant, dès lors que la nécessité de faire appel à un interprète en langue des signes existait déjà auparavant. Ainsi, les arguments du recourant quant au cadre bienveillant de sa formation à l’ORIF, à l’absence d’exigence de rendement à cette époque ou encore à l’existence d’un volet théorique qui permettait de se passer d’un interprète, est sans influence. La mesure litigieuse, dont le recourant a bénéficié dès le mois d’août 2020, était objectivement nécessaire avant même qu’il débute une activité lucrative.

Il n’est pas contesté que le recourant ne comptait pas, au 12 août 2020, au moins une année entière de cotisations ou dix ans de résidence ininterrompue en Suisse. L’intimé était donc fondé à conclure que les conditions d’assurance n’étaient pas réalisées et que l’intéressé ne pouvait pas prétendre à la prise en charge de la prestation litigieuse à titre de frais occasionnés par les services de tiers au sens de l'art. 9 OMAI.

6.2 Le recourant fait valoir qu’il est possible de combler les lacunes de cotisations de manière rétroactive, pour une période de 5 ans. Il a précisé à la chambre de céans, dans son écriture du 18 juin 2024, que la procédure de paiement de ces lacunes était actuellement en cours. Il soutient ainsi qu’il remplit la condition d’une année de cotisation au 12 août 2020.

Il sied toutefois de rappeler que selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions attaquées, en règle générale, d’après l’état de fait existant au moment où la décision litigieuse a été rendue. Les faits survenus postérieurement, et qui ont modifié cette situation, doivent normalement faire l’objet d’une nouvelle décision administrative (ATF 121 V 366 consid. 1b et les références). Les faits survenus postérieurement doivent cependant être pris en considération dans la mesure où ils sont étroitement liés à l’objet du litige et de nature à influencer l’appréciation au moment où la décision attaquée a été rendue (ATF 99 V 102 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral
I 321/04 du 18 juillet 2005 consid. 5).

Les démarches alléguées par le recourant sont postérieures au prononcé de la décision entreprise et ne permettent donc pas de remettre en cause son bien-fondé. De surcroît, elles ne sont étayées par aucun document.

7.             Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et le recourant condamné au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge du recourant.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Joanna JODRY

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le