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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1528/2024

ATAS/805/2024 du 17.10.2024 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1528/2024 ATAS/805/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 17 octobre 2024

Chambre 5

 

En la cause

A______

représenté par Me Émilie CONTI MOREL, avocate

 

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né en ______ 1994, a été engagé par le B______ (ci-après : B______) pour un stage au sein de C______ au D______, du 1er décembre 2019 au 30 novembre 2020.

b. À ce titre, il était assuré contre le risque d'accident, professionnel ou non, auprès de la SUVA Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci‑après : la SUVA).

B. a. Dans une déclaration de sinistre du 13 août 2020, il était mentionné que l'assuré - alors en congé -, en plongeant dans le lac Léman depuis un ponton le 7 août 2020, a touché le sol / une roche. Sous la rubrique « profession exercée », il était indiqué « Hochschulpraktikant ».

b. L'assuré souffre depuis lors d'une tétraplégie sub-C4 ASIA A.

c. La SUVA a pris en charge le cas.

d. Lors d'un entretien le 18 novembre 2020 avec un collaborateur de la SUVA, l'assuré a déclaré qu'il voulait faire une carrière diplomatique.

e. Par décision du 18 novembre 2021, l'assuré a été mis au bénéfice d'une rente entière de l'assurance-invalidité (ci-après : AI) à partir du 1er août 2021.

f. La SUVA a versé à l'assuré des indemnités journalières jusqu'au 31 août 2023.

g. Par décision du 19 septembre 2023, la SUVA, après déduction du montant de la rente AI de CHF 1'225.-, a octroyé à l'assuré, dont l'incapacité de gain était de 100%, une rente complémentaire de l'assurance-accidents de CHF 693.20 par mois à compter du 1er septembre 2023, calculée sur la base d'un gain annuel assuré de CHF 25'576.-. Par ailleurs, elle lui a reconnu le droit à une indemnité pour atteinte à l'intégrité (IPAI) de 100% correspondant à un montant de CHF 148'200.-.

h. Par courrier du 23 octobre 2023, complété le 26 octobre suivant, l'assuré, par l'intermédiaire de son conseil, a formé opposition à cette décision, en concluant à ce que le gain annuel assuré déterminant pour le calcul de la rente d'invalidité complémentaire soit fixé à CHF 135'225.95.- au moins.

L'assuré a fait valoir que le salaire annuel retenu par la SUVA correspondait à celui d'un stagiaire, bien inférieur à celui qu'il aurait perçu s'il avait pu achever sa formation de collaborateur diplomatique. Au moment de son accident, il était engagé par le B______ en tant que stagiaire représentant la Suisse à l'Ambassade du D______. Il travaillait dans l'équipe diplomatique. Son travail principal consistait à soutenir les diplomates présents dans l'Ambassade dans la gestion de leurs divers dossiers. Ce stage constituait un prérequis pour être admis à la carrière « diplomatie ». Il remplissait du reste toutes les conditions d'admission à une telle carrière auprès du B______ compte tenu de ses diplômes et de sa bonne maîtrise de l'anglais. Il satisfaisait également aux compétences personnelles exigées par le B______. Un collaborateur diplomatique, engagé par le B______, l'avait soutenu et accompagné dans ses démarches préparatoires en vue de passer le concours diplomatique. Il existait, par ailleurs, un lien de causalité entre le fait d'avoir effectué cette formation professionnelle à C______ au D______ en tant que préalable pour accéder à la carrière de diplomate et le salaire inférieur qu'il touchait au moment de l'accident, qui était non conforme à la profession de collaborateur diplomatique qu'il aurait exercée à l'avenir sans la survenance de l'accident. Retenir le salaire qu'il percevait en tant que stagiaire revenait à lui allouer une rente viagère nettement inférieure à celle de ses collègues diplomates formés, situation qui était choquante. Il en a conclu que le gain assuré déterminant pour fixer la rente complémentaire devait être égal au montant du salaire qu'il aurait perçu en tant que collaborateur diplomatique fraîchement diplômé durant l'année précédant l'accident.

L'assuré a produit notamment :

-          un document qu'il a signé le 6 novembre 2019 intitulé « Stellenbeschreibung Hochschulpraktikum » ;

-          un certificat de travail du 19 octobre 2020 établi par C______ au D______ ;

-          un document intitulé « Carrière " Diplomatie " » de la direction des ressources du B______ ;

-          son diplôme « Bachelor of Arts in International Relations » délivré le 18 septembre 2017 par l'Université de Genève ;

-          un document intitulé « Confirmation of Enrolment and Student Status » établi le 13 août 2019 par la School of Oriental and African Studies (ci-après : SOAS) de l'Université de Londres, mentionnant que l'assuré était inscrit depuis le 24 septembre 2018 en tant qu'étudiant au programme MSc African Politics, que la date d'achèvement prévue était le 30 septembre 2019 et qu'il avait terminé les examens et devait encore soumettre sa thèse et un travail en suspens ( « (…) and now required to submit his dissertation and one outstanding assignment » ) ;

-          une attestation de « reconnaissance professionnelle » signée le 25 octobre 2021 par un collaborateur diplomatique affirmant que l'assuré avait toutes les connaissances et expériences nécessaires en vue du concours diplomatique.

i. Par décision du 28 mars 2024, la SUVA a rejeté l'opposition.

Elle a considéré que la situation de l'assuré n'était pas comparable à celle d'un jeune apprenti. Quand bien même l'assuré était, sans aucun doute, promis à une brillante carrière diplomatique, il avait néanmoins achevé son cursus de formation académique : en 2017, il avait obtenu un Bachelor en relations internationales à l'Université de Genève, et en 2019, un Master à la SOAS de l'Université de Londres. Dans ce cas de figure, conformément à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, elle n'était pas légitimée à s'écarter de la norme de base, si bien que le gain assuré devait être fixé en tenant compte du salaire effectivement perçu durant l'année qui avait précédé l'accident.

C. a. Par acte du 7 mai 2024, l'assuré, représenté par son avocate, a recouru contre la décision sur opposition précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans), en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation, à la condamnation de l'intimée à lui verser une rente d'invalidité complémentaire de 100% à compter du 1er septembre 2023 sur la base d'un gain annuel assuré d'un montant minimum de CHF 134'440.- avec intérêts à 5% l'an sur les arriérés de rente dès le 24e mois suivant l'exigibilité, et à la confirmation de la décision du 19 septembre 2023 en ce qui concernait l'octroi de l'IPAI à 100%.

Le recourant a considéré que l'intimée appliquait à tort l'ATF 148 V 84 dans lequel l'assuré concerné, qui avait terminé un apprentissage de charpentier, avait, au moment de son accident, recommencé des études d'ingénieur et travaillait en parallèle dans le cadre d'un contrat à durée déterminée. Cette situation était toutefois différente de la sienne pour deux raisons. D'une part, il n'avait pas terminé sa formation initiale, puisqu'il n'avait pas encore obtenu son Master au moment de l'accident. D'autre part, il effectuait un stage en lien direct avec sa formation.

Le recourant a allégué qu'il se destinait à une carrière diplomatique. Son stage académique auprès du B______, ouvert aux étudiants de Bachelor ou Master, devait être effectué au maximum dans l'année qui suivait l'obtention de son diplôme. Ce stage contribuait donc à la formation initiale des étudiants universitaires, et constituait un atout en vue du passage du concours diplomatique. Dans le cadre de son stage, il assistait les diplomates suisses en poste en E______, effectuait des tâches comparables à celles des autres membres de l'équipe et ses compétences en la matière avaient été louées à de nombreuses reprises par ses anciens supérieurs, qui affirmaient qu'il représentait le candidat idéal pour devenir diplomate, tant en raison de ses qualités humaines que de ses connaissances théoriques et de ses études extrêmement spécialisées. Un collaborateur lui avait même proposé de l'accompagner, à titre de mentor, dans le processus de recrutement du concours diplomatique. Il en a inféré qu'il suivait un cours de formation au moment de l'accident. Il réalisait un salaire inférieur au plein salaire de la même catégorie professionnelle et il existait une relation de causalité entre le fait de suivre des cours et le salaire inférieur. La Confédération, en offrant aux stagiaires un salaire inférieur à celui des autres personnes occupant des postes de même catégorie à l'administration fédérale, estimait que la formation des étudiants n'était pas terminée tant que ceux-ci n'étaient pas au bénéfice d'une première expérience professionnelle.

Il en a tiré la conclusion qu'il avait le statut de stagiaire et qu'à l'instar d'un apprenti, il y avait lieu de calculer le gain assuré déterminant sur la base du salaire auquel il aurait eu droit s'il avait achevé sa formation. Le salaire des candidats admis au service diplomatique correspondait à la classe 22 de l'échelle des salaires de la Confédération. Selon l'échelle applicable à la première partie du stage, dès le mois de juillet 2019, le salaire annuel en classe 22 s'élevait à CHF 134'440.-. Ainsi, durant l'année précédant son accident (du 7 août 2019 au 6 août 2020), s'il avait achevé sa formation, son salaire annuel aurait été d'au minimum CHF 134'440.- (douze mois × 11'203.50, treizième salaire inclus). Comme son gain assuré déterminant pour le calcul de sa rente d'invalidité se montait au minimum à ce dernier montant, il avait droit à une rente d'invalidité de CHF 8'962.66 par mois (CHF 134'440 / 12 × 80%). La rente complémentaire aurait donc dû être fixée à la somme de CHF 8'858.- compte tenu de la rente AI d'un montant de CHF 1'225.- par mois (CHF 134'440.- / 12 × 90% - CHF 1'225 = CHF 8'858).

Le recourant a joint en particulier :

-          une lettre de recommandation d'un professeur de l'Université de Genève du 3 janvier 2018 en vue de son admission à la SOAS de l'Université de Londres ;

-          un document du 4 janvier 2021 de la SOAS intitulé « Confirmation of completion of studies » indiquant qu'il avait obtenu son Master of Science (African Politics) le 31 décembre 2020 ;

-          son courrier de postulation du 10 octobre 2019 pour le stage auprès du B______.

b. Dans sa réponse du 4 juin 2024, l'intimée a conclu au rejet du recours.

Elle a exposé que si la SOAS de l'Université de Londres n'avait pas encore délivré le Master au recourant, il était néanmoins déjà titulaire d'un Bachelor en relations internationales (ci-après : BARI) obtenu en 2017 au terme d'un cursus de trois ans. La formation dispensée par le Global Studies Institute de l'Université de Genève permettait déjà aux titulaires du BARI de travailler, selon le document que l'intimée a produit, dans divers secteurs, en particulier les organisations internationales, les ONG, la diplomatie, les institutions financières (banques, assurances), le secteur privé, l'économie du numérique, les administrations publiques, les relations publiques, la communication et les médias, l'enseignement et la recherche. Elle en a conclu que le recourant avait achevé sa formation initiale au moment où il avait été accidenté. Les diverses tâches confiées au recourant lors de son stage au sein de C______ au D______ avaient essentiellement pour vocation de soutenir les agents diplomatiques dans leurs missions et ne pouvaient pas s'apparenter à des « cours de formation ».

c. Dans sa réplique du 28 juin 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Il a soutenu qu'une formation universitaire complète était constituée d'un Bachelor et d'un Master. Ces deux demi-cycles avaient remplacé l'ancien système de la licence au moment de l'entrée en vigueur des Accords de Bologne. Un Bachelor universitaire ne représentait en aucun cas la fin d'une formation de base, comme en témoignait l'extrait du site internet de l'Université de Genève concernant les débouchés académiques après l'obtention d'un BARI, selon lequel ce titre permettait l'accès au deuxième cursus de la formation de base, à savoir les études de Maîtrise universitaire consécutive, non-consécutive et spécialisée. Le BARI était une formation interdisciplinaire de 180 crédits ECTS. Il s'agissait du premier cursus d'études de la formation de base. En particulier, pour exercer la profession de diplomate à laquelle le recourant aspirait, il fallait être titulaire d'un Bachelor et d'un Master. Si, dans le cadre des hautes écoles spécialisées (ci-après : HES), un Bachelor pouvait effectivement constituer un titre suffisant permettant par exemple de pratiquer le métier de physiothérapeute ou d'infirmier, tel n'était pas le cas de la formation universitaire. L'équivalence entre un Bachelor délivré par une HES et un Master délivré par une université, et le fait que ces titres respectifs constituaient la fin de la formation de base, était par ailleurs reconnue par l'Office fédéral de la statistique (ci-après : OFS). Dans sa publication « De la haute école à la vie active – Résultats des enquêtes auprès des personnes diplômées des hautes écoles suisses en 2014 et en 2018 », que le recourant a produite, l'OFS comparait systématiquement les résultats applicables aux titulaires de ces deux types de diplôme. Dans l'introduction de ce rapport, il était notamment indiqué que le taux de chômage « des diplômés en 2018 s'élevait à 4% parmi les titulaires d'un Master d'une haute école universitaire et était de 3.6% parmi les titulaires d'un Bachelor d'une HES ». Le recourant en a inféré qu'en étant titulaire d'un Bachelor universitaire au moment de l'accident, il n'avait pas achevé sa formation de base, dès lors qu'il n'était pas encore titulaire d'un Master. Il suivait à ce moment-là une formation de base et était pleinement engagé dans son parcours éducatif.

Le recourant a ajouté que l'intimée ne pouvait pas être suivie lorsqu'elle indiquait que le stage à C______ au D______ à l'époque de l'accident ne s'apparentait pas à « des cours de formation ». Il s'agissait d'un stage académique, pratique, fortement recommandé pour se présenter au concours diplomatique, dont l'objectif était de se familiariser avec le métier de diplomate en immersion au sein d'une ambassade. Ce stage visait également à renforcer ses connaissances de la région « Afrique » en lien avec son Master à la SOAS. En avril 2020, en marge de son stage, il avait d'ailleurs rédigé un travail de recherche, qu'il a versé au dossier, dans le cadre du cours « Government and Politics of Africa » intitulé « To what extent should refugee populations be seen as assets rather than threats to their host countries? How Egypt weaponised refugees in its power game with the European Union? ». Selon son contrat de travail, sa fonction était « Hochschulpraktikant », soit en traduction libre « stagiaire académique ». De plus, selon le cahier des charges, son activité consistait principalement en de l'observation : « Aufgabenbereich und Ziele der Stelle – Einblick in die Tätigkeit einer Botschaft, Praktische Mitarbeit, Operationelle Aufgaben », soit en traduction libre : « Domaine d'activité et objectifs de la fonction – aperçu de l'activité d'une ambassade, travaux pratiques, tâches opérationnelles ». Il ne s'agissait donc pas du premier emploi d'une personne ayant achevé sa formation, mais d'une partie intégrante de sa formation. Pour cette raison, le salaire offert avait été inférieur à la classe 1 de l'échelle des salaires de la Confédération (CHF 62'609.- par an en 2019).

d. Dans sa duplique du 30 juillet 2024, l'intimée a maintenu ses conclusions, en l'absence d'élément nouveau permettant de se départir des principes clairs se dégageant de la jurisprudence fédérale en la matière.

e. Copie de cette écriture a été transmise au recourant pour information.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans la forme (art. 61 let. b LPGA) et le délai de 30 jours (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]) prévus par la loi, compte tenu de la suspension des délais du 7e jour avant Pâques au 7e jour après Pâques inclusivement (art. 38 al. 4 let. a LPGA et art. 89C let. a LPA), le recours est recevable.

2.              

2.1 À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

2.2 Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l'accident est survenu après cette date (le 7 août 2020), le droit du recourant aux prestations d'assurance est soumis au nouveau droit (cf. al. 1 des dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2017.

3.             Le litige porte exclusivement sur le montant à prendre en compte au titre du gain assuré pour fixer la rente complémentaire LAA du recourant.

4.              

4.1 Selon l'art. 15 al. 1 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré.

Est réputé gain assuré pour le calcul des indemnités journalières le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident ; est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2 LAA).

Le Conseil fédéral édicte des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux (art. 15 al. 3 3e phr. LAA), notamment : lorsque l’assuré ne gagne pas, ou pas encore, le salaire usuel dans sa profession (let. c).

La rente d’invalidité s’élève à 80% du gain assuré, en cas d’invalidité totale ; si l’invalidité n’est que partielle, la rente est diminuée en conséquence (art. 20 al. 1 LAA).

Si l’assuré a droit à une rente de l’assurance-invalidité ou à une rente de l’assurance-vieillesse et survivants, une rente complémentaire lui est allouée ; celle-ci correspond, en dérogation à l’art. 69 LPGA, à la différence entre 90% du gain assuré et la rente de l’assurance-invalidité ou de l’assurance-vieillesse et survivants, mais au plus au montant prévu pour l’invalidité totale ou partielle. La rente complémentaire est fixée lorsqu’elle est en concours pour la première fois avec une rente de l’assurance-invalidité ou de l’assurance-vieillesse et survivants (art. 20 al. 2 1e et 2e phr. LAA).

Selon l'art. 22 al. 4 de l'ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202), les rentes sont calculées sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou de plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, y compris les éléments de salaire non encore perçus et auxquels il a droit. Si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel. En cas d’activité prévue initialement pour une durée déterminée, la conversion se limite à la durée prévue, pour autant que le plan de carrière actuel ou prévu de l’assuré n’envisage pas pour la suite une autre durée normale de l’activité. La conversion est limitée à la durée autorisée selon le droit applicable aux étrangers.

4.2 Selon l'art. 24 al. 3 OLAA, en lien avec l'art. 15 al. 3 3e phr. LAA, si l’assuré suivait des cours de formation le jour de l’accident et touchait de ce fait un salaire inférieur au plein salaire de la même catégorie professionnelle, le gain assuré est déterminé, à partir du moment où il aurait terminé sa formation, d’après le plein salaire qu’il aurait reçu pendant l’année qui précède l’accident.

L'art. 24 OLAA, intitulé « Salaire déterminant pour les rentes dans les cas spéciaux », a pour but d'atténuer la rigueur de la règle du dernier salaire reçu avant l'accident, lorsque cette règle pourrait conduire à des résultats inéquitables ou insatisfaisants (Jean-Maurice FRÉSARD / Margit MOSER-SZELESS, L'assurance-accidents obligatoire [avec des aspects de l'assurance militaire] in SBVR Soziale Sicherheit, 2016, n. 183).

Ainsi, si l'assuré est en formation et touchait de ce fait un salaire inférieur au plein salaire de la même catégorie professionnelle, le gain assuré est déterminé – à partir du moment où l'intéressé aurait terminé sa formation – en tenant compte du plein salaire qu'il aurait reçu pendant l'année qui précède l'accident (art. 24 al. 3 OLAA). Cette règle est spécialement applicable aux apprentis, mais pas aux personnes accomplissant un stage d'orientation professionnelle (ATF 124 V 301). Elle suppose, d'une part, un lien de causalité entre la réduction de salaire et la formation ; d'autre part, l'activité exercée – et assurée – doit être en rapport avec la formation. Cette exigence fait défaut dans le cas d’un assuré au bénéfice d’une formation de biologiste, qui s’apprête à entrer dans l’enseignement secondaire et travaille temporairement comme ouvrier pendant une période de vacances (RAMA 1992 n. U 148 p. 117) ou d’un étudiant en droit employé à temps partiel dans la rédaction d’une télévision locale (arrêt du Tribunal fédéral U.30/01 du 24 janvier 2002) ; le gain assuré doit alors être calculé conformément à la règle générale de l’art. 15 al. 2 LAA en corrélation avec l’art. 22 al.4 OLAA. Il en va de même pour déterminer le gain assuré d’un assuré travaillant à 70% comme moniteur pour personnes handicapées afin de préparer ses examens de maturité à la maison (arrêt du Tribunal fédéral U.245/98 du 6 juillet 2000 consid. 2b ; FRÉSARD / MOSER-SZELESS, op cit., n. 187).

L'application de l'art 24 al. 3 OLAA suppose que trois conditions soient cumulativement remplies : l'assuré doit suivre des cours de formation ; il doit réaliser un salaire inférieur au plein salaire de la même catégorie professionnelle ; enfin, il doit exister une relation de causalité entre le fait de suivre des cours et le salaire inférieur (arrêt du Tribunal fédéral U.63/05 du 24 octobre 2005 consid. 5).

La notion de plein salaire de la même catégorie professionnelle doit s'apprécier en fonction des conditions de rémunération appliquées dans l'entreprise qui emploie l'assuré (ATF 108 V 268 consid. 2c). Cette jurisprudence a été rendue en application de l'art. 78 al. 4 de l’ancienne loi fédérale sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents (LAMA), dont la teneur est identique à l'actuel art. 24 al. 3 LAA, si bien qu'elle garde toute sa valeur en matière d'assurance-accidents (cf. RAMA 1992 n. U 148 p. 122 consid. 5). Pour déterminer le plein salaire, il y a lieu de se référer aux salaires obtenus par les collègues de travail de l'assuré, à condition que le mode de rémunération et le travail soient comparables (cf. RAMA 2005 n. U 540 p. 143 ; arrêt du Tribunal fédéral U.63/05 précité consid. 5.1). Ce « plein salaire » se détermine donc d’après les conditions salariales en vigueur, un an avant l’accident, dans l’entreprise pour laquelle l’apprenti travaille, indépendamment d’un éventuel changement d’emploi une fois l’apprentissage achevé (ATF 108 V 265 consid. 2c). La formation est réputée achevée lorsque l’objectif de formation professionnelle primaire est atteint et que le travailleur est en mesure d’exercer normalement sa profession (ATF 108 V 228 consid. 2a ; 106 V 288 consid. 2).

5.              

5.1 En l'espèce, le recourant, au bénéfice d'une rente d'invalidité de l'AI, fait valoir que le gain assuré devrait être déterminé selon l'art. 24 al. 3 OLAA, au motif qu'il était encore en formation au moment de son accident, et qu'en conséquence, sa rente complémentaire LAA devrait être calculée sur la base du plein salaire de la profession envisagée (diplomate) qu'il aurait vraisemblablement pu obtenir, en se plaçant un an avant la date de l'accident.

5.2 Lors de son accident le 7 août 2020, le recourant était titulaire d'un Bachelor of Arts (BA) en relations internationales (BARI) décerné par l'Université de Genève le 18 septembre 2017. Il s'agit d'un titre délivré dans le cadre du premier cycle d'études (art. 11 al. 1 let. a ch. 1 de l'Ordonnance du Conseil des hautes écoles sur la coordination de l’enseignement dans les hautes écoles suisses du 29 novembre 2019 [RS 414.205.1]). Le deuxième cycle d'études comprend notamment le Master of Science (MSc ; art. 11 al. 1 let. b ch. 2 de ladite ordonnance) et le troisième cycle d'études, entre autres, le titre de Docteur-e (Dr, PhD ; art. 11 al. 1 let. c ch. 1 de cette ordonnance).

Il est vrai, ainsi que cela ressort de la pièce produite par l'intimée le 4 juin 2024, que les étudiants titulaires du BARI peuvent travailler dans divers secteurs, dont notamment les institutions financières (banques, assurances) ou les administrations publiques.

Cela étant, les diplômés BARI sont nombreux à poursuivre leurs études universitaires (cf. le document de février 2017 intitulé « L'insertion professionnelle des diplômés du BARI de l'Université de Genève », disponible sur https://www.unige.ch/dife/files/2114/8942/2845/note_gsi_et_bari_pour_forum_uni_emploi.pdf. D’un point de vue formel et juridique, le bachelor d’une haute école universitaire (HEU) est un diplôme de hautes écoles reconnu, mais il n’est que rarement qualifiant au niveau professionnel. La plupart des titulaires d’un bachelor HEU entreprennent donc des études de master (cf. Après le bachelor - orientation.ch). En Suisse, peu d’étudiants quittent l’université pour le marché du travail après l’obtention de leur bachelor, et il existe une demande accrue du marché du travail pour les diplômes tertiaires, y compris les masters universitaires (Florence Mauli / Patrick Schnell, Le bachelor, un diplôme sous-estimé, Le processus de Bologne n'a pas tenu ses promesses sur le marché du travail, 15 février 2024, p. 4 et 7, disponible sur https://cdn.avenir-suisse.ch/production/uploads/2024/02/2024-02_analyse_bachelor-bologna_fr.pdf).

Au vu de ce qui précède, on ne saurait considérer que dans le marché du travail actuel, s'agissant des jeunes qui entament des études universitaires, l'objectif primaire de formation est atteint en obtenant un bachelor uniquement.

D'ailleurs, dans l'arrêt 8C_208/2021 du 22 novembre 2021, le Tribunal fédéral a jugé que l'art. 24 al. 3 OLAA ne s'appliquait pas dans le cas d'une assurée, titulaire d'un master (en biologie), qui avait ainsi terminé sa formation primaire au moment de l'accident (consid. 7.5). Or, le recourant n’a obtenu son MSc African Politics de la SOAS de l'Université de Londres le 31 décembre 2020, qu’après l'accident (cf. l'attestation de la SOAS du 4 janvier 2021 intitulée « Confirmation of completion of studies »).

Le recourant n'avait donc pas encore atteint l'objectif primaire de sa formation lors de l'accident survenu le 7 août 2020. La première condition de l'art. 24 al. 3 OLAA est ainsi remplie.

Ce master spécifique correspond à l'objectif professionnel du recourant qui souhaitait faire une carrière diplomatique, comme cela ressort de sa lettre de postulation au stage du B______ du 10 octobre 2019, étant relevé que l'obtention d'un bachelor et d'un master constitue une condition d'amission pour la carrière « Diplomatie » (cf. https://www.eda.admin.ch/eda/fr/B______/B______/travailler-B______/berufserfahrene/karriere-diplomatie/der-diplomatischeberuf.html).

En vue d'exercer la profession de diplomate, le recourant a effectué un stage académique auprès de C______ au D______ pour la période du 1er décembre 2019 au 30 novembre 2020. Ses tâches étaient : l'analyse des médias et contributions hebdomadaires sur des sujets politiques, assistance dans la mise en œuvre de la stratégie de communication et des médias sociaux, aide à l'organisation et à la préparation de la visite du Conseiller fédéral F______ en février 2020, appui à l'équipe de gestion de crise de l'Ambassade lors de la pandémie de Covid-19, contribution et organisation d'événements culturels avec le responsable des projets culturels, et soutien au Bureau international de coopération avec l'équipe du domaine migration et protection (cf. document « work certificate » établi par C______ au D______ le 19 octobre 2020).

Ce stage, qui constitue une expérience à l'étranger pour la carrière « Diplomatie » (cf. document intitulé « Carrière " Diplomatie " » de la Direction des ressources du B______ annexé à l'opposition), a donc un rapport direct avec l'activité lucrative du diplomate nouvellement formé, et à l'évidence, le recourant, en sa qualité de stagiaire, à l'instar d'un apprenti, ne percevait pas le salaire complet d'un diplomate nouvellement formé. Les deux autres conditions de l'art. 24 al. 3 OLAA sont également réalisées.

Par conséquent, c'est à tort que l'intimée a calculé le gain assuré sur la base du revenu effectivement réalisé par le recourant pendant la durée de son engagement à durée déterminée (art. 15 al. 2 LAA en relation avec l'art. 22 al. 4 OLAA). Au contraire, les trois conditions de l'art. 24 al. 3 OLAA étant remplies, l'intimée devait calculer le gain assuré sur la base du salaire annuel hypothétique que le recourant aurait pu toucher après la fin de sa formation de diplomate.

L'intimée ne s'étant pas prononcée sur le plein salaire au sens de l'art. 24 al. 3 OLAA in concreto, il y a lieu de lui renvoyer le dossier afin qu'elle en fixe le montant exact au regard des considérants énoncés supra.

6.              

6.1 Au vu de ce qui précède, le recours est partiellement admis, la décision litigieuse annulée, et la cause renvoyée à l'intimée afin qu'elle procède conformément aux considérants.

6.2 Le recourant, représenté par une avocate, obtenant partiellement gain de cause, une indemnité lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]), fixée en l'espèce à CHF 2'000.-.

6.3 Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision sur opposition du 28 mars 2024.

4.        Renvoie la cause à l'intimée pour nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Alloue au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à titre de dépens, à la charge de l'intimée.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le