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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1624/2022

ATAS/484/2024 du 21.06.2024 ( LAMAL ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1624/2022 ATAS/484/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 21 juin 2024

Chambre 9

 

En la cause

A______
représentée par GROUPE SANTÉ GENEVE

 

 

recourante

 

contre

MOOVE SYMPANY AG
représentée par Me Isabelle JAQUES

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Madame A______ (ci-après : l’assurée), née de sexe masculin le ______ 1999, présente une dysphorie de genre. Elle prend des hormones dans ce cadre.

b. Elle est affiliée auprès de MOOVE SYMPANY AG (ci-après : la caisse-maladie) pour l’assurance obligatoire des soins.

B. a. Le 21 septembre 2021, l’assurée a remis une facture du laboratoire B______ du 18 août 2021 pour la congélation de spermatozoïdes (CHF 150.-) et les frais de conservation d’une année (CHF 150.-).

b. Par décompte de prestations du 1er novembre 2021, la caisse-maladie a refusé de prendre en charge les coûts de congélation et de cryoconservation de spermatozoïdes au titre de l’assurance obligatoire des soins.

c. Le 30 novembre 2021, l’assurée a contesté cette décision, faisant valoir qu’en raison de la prise d’hormones, elle devenait « infertile de manière durable ». Afin de prévenir cet aspect indésirable, l’extraction et la conservation des spermatozoïdes étaient devenues nécessaires. L’opération d’extraction et la conservation étaient efficaces, car elles évitaient les effets indésirables de la stérilité, et appropriées, aucune autre mesure n’étant en mesure d’atteindre le même but. Les mesures étaient en outre économiques, vu leur coût « dérisoire » (CHF 300.- au total).

d. Par décision du 6 janvier 2022, la caisse-maladie a maintenu son refus. Conformément à l’annexe 1 de l’ordonnance du Département fédéral de l'intérieur (DFI) sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie du 29 septembre 1995 (ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins, OPAS - RS 832.112.31), la cryoconservation des spermatozoïdes n’était une prestation obligatoire de l’assurance de base que dans le cas d’une thérapie liée au cancer, d’une transplantation de cellules souches ou d’un traitement au cyclophosphamide.

e. Par opposition du 7 février 2022, l’assurée a rappelé qu’en raison de la prise d’hormones nécessaire en raison de la dysphorie de genre, elle deviendrait durablement stérile, ce qui rendait une cryoconservation nécessaire. Il existait donc un lien direct entre l’infertilité et la dysphorie de genre. S’agissant de l’OPAS, les prestations qui n’y figuraient pas, ou pas encore, étaient en principe prises en charge.

f. Par décision sur opposition du 30 mars 2022, la caisse-maladie a rejeté l’opposition formée par l’assurée.

L’annexe 1 de l’OPAS désignait les prestations qui avaient été examinées par la Commission fédérale des prestations générales et des principes (ci-après : CFPP) selon l’art. 33 let. a et c de l’ordonnance sur l'assurance-maladie du 27 juin 1995 (OAMal - RS 832.102) et dont les coûts n’étaient pris en charge par l’assurance obligatoire des soins que dans certaines conditions ou n’étaient pas pris en charge. Les prestations servant au maintien de la fertilité avaient également été examinées par la CFPP, qui était arrivée à la conclusion que les mesures visant à maintenir la fertilité des personnes suivant un traitement limitant la fertilité n’étaient prises en charge par l’assurance obligatoire des soins que dans certaines conditions. Or, le traitement limitant la fertilité pour cause de dysphorie de genre n’y figurait pas. Il ne s’agissait dès lors pas d’une prestation obligatoire selon la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10).

C. a. Par acte du 19 mai 2022, l’assurée a recouru devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que la caisse-maladie soit condamnée à prendre en charge la facture du 9 août 2021 relative à la cryoconservation de spermatozoïdes s’élevant à CHF 364.70.

Dès lors que le DFI et la CFPP n’avaient pas exclu de manière explicite la prise en charge du traitement litigieux, l’intimée devait passer par une évaluation du cas individuel par le médecin-conseil compétent. Afin de prévenir l’aspect indésirable de l’infertilité, l’extraction et la conservation des spermatozoïdes devenaient nécessaires. Les conditions de l’art. 32 al. 1 LAMal étaient clairement réalisées. La mesure était efficace, appropriée (aucune autre mesure ne saurait atteindre le même but) et économique (CHF 150.- par an).

b. Par réponse du 15 juillet 2022, la caisse-maladie a conclu au rejet du recours. L’annexe 1 de l’OPAS comportait des prestations dont la prise en charge était limitée, à certaines conditions seulement. Cette liste était exclusive et contraignante. La cryoconservation de spermatozoïdes n’était prise en charge obligatoirement qu’à certaines conditions et pour certaines maladies ou traitement limitativement listées et pour autant que ce risque d’infertilité dépassait les 20%. La dysphorie de genre n’apparaissait pas dans cette liste. Il en allait de même de tout traitement hormonal qui pourrait causer une infertilité et qui serait pris dans le traitement de toute autre affection ou maladie qui n’y étaient pas mentionnés. Aucune mention d’une évaluation en cours d’un traitement lié à la dysphorie de genre qui pourrait causer un risque d’infertilité n’y était indiquée, ni réservée.

c. Par réplique du 3 octobre 2022, l’assurée a persisté dans ses conclusions. La jurisprudence n’indiquait pas que la liste était complète et qu’aucune extension de la couverture ne pouvait être ordonnée par les tribunaux. La CFPP ne s’était pas prononcée explicitement contre la prise en charge de la cryoconservation de spermatozoïdes dans la mesure où elle ne l’avait pas incluse dans la liste de l’annexe 1 de l’OPAS avec l’indication « non » dans la seconde colonne du tableau. La chambre de céans pouvait dès lors revoir librement l’annexe 1 de l’OPAS. Or, le fait que la cryoconservation de spermatozoïdes n’était pas obligatoirement prise en charge par l’assurance-maladie en cas de prise de médicaments pour traiter la dysphorie de genre, alors qu’elle l’était en cas de traitement contre le cancer ou pour une transplantation de cellules souches, était contraire au principe de l’égalité de traitement. L’absence de prise en charge ciblait les personnes transgenres, de sorte qu’elle consacrait une discrimination en fonction du sexe, du mode de vie et de l’état de santé des personnes transgenres.

d. Le 10 octobre 2022, la caisse-maladie a persisté dans ses conclusions. Contrairement à ce que soutenait l’assurée, la cryoconservation de spermatozoïdes était traitée par l’annexe 1 de l’OPAS, mais était limitée à certains patients et à certaines situations. L’OPAS avait donc décidé de ne pas prendre en charge certaines situations. Il y avait donc un silence qualifié du DFI, respectivement de l’OPAS, que la chambre de céans n’était pas habilitée à combler. La situation de l’assurée n’était, au demeurant, pas comparable à celle d’une personne souffrant d’un cancer. L’assurée demandait en effet qu’une partie de ses organes génitaux masculins, qu’elle voulait pourtant abandonner par sa transition, soient conservés pour éventuellement avoir des enfants. Ainsi, sans s’identifier à ce sexe, l’assurée entendait aujourd’hui potentiellement avoir un enfant au moyen de ce sexe.

e. Le 8 mars 2023, répondant à une demande de la chambre de céans, l’Office fédéral de la santé publique (ci-après : OFSP) a relevé que les mesures visant à conserver la fertilité chez les personnes qui recevaient des traitements nuisant à la fertilité étaient édictées dans une liste positive exhaustive, ce qui excluait la prise en charge de ces mesures pour d’autres cas. L’OFSP ne pouvait toutefois pas remettre d’indications officielles relatives aux dossiers actuellement pendants ou en examen. Il a néanmoins relevé que si un examen avait été effectué par la CFPP, l’annexe 1 de l’OPAS mentionnerait en tous les cas la prestation, avec une indication de prise en charge positive, conditionnelle ou négative. Une fois un dossier traité par la CFPP et dès que la décision du DFI était rendue, la prestation était en effet inscrite dans l’annexe 1 de l’OPAS, y compris lorsqu’elle subissait un refus de prise en charge.

f. Par pli du 4 juillet 2023, la chambre de céans a invité les médecins traitants de l’assurée, dont le docteur C______, médecin chef de clinique au service de gynécologie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), à répondre à des questions complémentaires.

g. Le 7 juillet 2023, le Dr C______ a répondu qu’une préservation de la fertilité avait été réalisée dans son unité avant un traitement stérilisant par œstrogènes dans le contexte d’un diagnostic de dysphorie de genre et une transition vers le genre neutre. Bien qu’une éventuelle reprise de la spermatogénèse soit possible après arrêt des œstrogènes, il ne connaissait pas les résultats sur le long terme en termes de qualité du liquide séminal. Le traitement devrait être interrompu pendant une longue période, pouvant potentiellement aller au-delà de douze mois, avant d’avoir une récupération du potentiel reproductif de la patiente. L’arrêt des œstrogènes après son initiation était considéré comme compliqué et potentiellement responsable d’une recrudescence de la dysphorie de genre chez les femmes transgenres. Au contraire, la cryoconservation de sperme était une technique efficace pour obtenir des embryons et des grossesses par des procédures de procréation médicalement assistée connues depuis plusieurs années. Une cryoconservation de sperme avait été réalisée le 25 août 2021 avec 46 paillettes récupérées. Un traitement gonadotoxique (par exemple une chimiothérapie pour maladie oncologique) était associé à un risque d’aménorrhée ou azoospermie supérieur à 30%. Dans les cas des patientes transgenres traitées par œstrogènes, le taux d’azoospermie était de 100%.

h. Le 11 décembre 2023, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Le Dr C______ avait précisé qu’elle présentait une azoospermie de 100% alors que les patients ayant droit à une cryoconservation pour traitement gonadotoxique ne présentait qu’un risque d’azoospermie supérieur à 30%. Il avait également indiqué que la seule solution pour éviter cette azoospermie totale était d’arrêter le traitement hormonal pour sa dysphorie de genre, ce qui devait être fait au-delà de douze mois et ce sans pouvoir être sûr de la qualité du liquide séminal. La procédure de cryoconservation était donc la seule manière sûre, efficace, appropriée et économe de contrer les effets du traitement pour dysphorie de genre qu’elle suivait.

i. Le 12 mars 2024, l’intimée a renoncé à former des observations complémentaires.

j. Cette détermination a été transmise à la recourante.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la LAMal.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Interjeté dans les forme et délai prescrits par la loi, le recours est recevable (art. 60 al. 1 LPGA [applicable par le renvoi de l’art. 1 al. 1 LAMal] ; art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ [LPA - E 5 10]).

2.             Le litige porte sur la question de savoir si les frais médicaux relatifs à l’extraction et à la cryoconservation de spermatozoïdes sont à la charge de l’assurance‑maladie de base.

3.             L’assurance-maladie sociale alloue des prestations en cas de maladie (art. 1a al. 2 let. a LAMal).

3.1 Est réputée maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité de travail (art. 3 LPGA).

La notion de maladie suppose, d’une part, une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique dans le sens d’un état physique, psychique ou mental qui s’écarte de la norme et, d’autre part, la nécessité d’un examen ou d’un traitement médical. La notion de maladie est une notion juridique qui ne se recoupe pas nécessairement avec la définition médicale de la maladie (ATF 124 V 118 consid. 3b et les références). Pour qu’une altération de la santé ou un dysfonctionnement du corps humain soient considérés comme une maladie au sens juridique, il faut qu’ils aient valeur de maladie (« Krankheitswert ») ou, en d’autres termes, atteignent une certaine ampleur ou intensité et rendent nécessaires des soins médicaux ou provoquent une incapacité de travail (arrêt du Tribunal fédéral 9C_465/2010 du 6 décembre 2010 consid. 4.1).

Le transsexualisme est un phénomène pathologique ayant le caractère d’une maladie (ATF 114 V 154).

3.2 Conformément à l’art. 24 LAMal, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts des prestations définies aux art. 25 à 31 en tenant compte des conditions des art. 32 à 34 (al. 1). Les prestations prises en charge sont rattachées à la date ou à la période de traitement (al. 2).

Selon l’art. 25 LAMal, l’assurance obligatoire de soins prend en charge les coûts des prestations qui servent à diagnostiquer ou à traiter une maladie et ses séquelles (al. 1). Ces prestations comprennent notamment les examens et traitements dispensés sous forme ambulatoire, en milieu hospitalier ou dans un établissement médico-social ainsi que les soins dispensés dans un hôpital par des personnes fournissant des prestations sur prescription ou sur mandat d’un médecin ou d’un chiropraticien (al. 2 let. a ch. 3).

Aux termes de l’art. 32 al. 1 LAMal, les prestations mentionnées aux art. 25 à 31 doivent être efficaces, appropriées et économiques.

L’efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques, fondées sur la recherche et la pratique médicale et non sur le résultat obtenu dans un cas particulier (cf. ATF 142 V 249 consid. 4.1 ; ATF 133 V 115 consid. 3 et les références citées ; ATF 125 V 95 consid. 4a).  

L’adéquation d’une mesure s’examine sur la base de critères médicaux. L’examen consiste à évaluer, en se fondant sur une analyse prospective de la situation, la somme des effets positifs de la mesure envisagée et de la comparer avec les effets positifs de mesures alternatives ou par rapport à la solution consistant à renoncer à toute mesure ; est appropriée la mesure qui présente, compte tenu des risques existants, le meilleur bilan diagnostique ou thérapeutique. La réponse à cette question se confond normalement avec celle de l’indication médicale ; lorsque l’indication médicale est clairement établie, il convient d’admettre que l’exigence du caractère approprié de la mesure est réalisée (ATF 139 V 135 consid. 4.4.2 et les références).

Le critère de l’économicité intervient lorsqu’il existe dans le cas particulier plusieurs alternatives diagnostiques ou thérapeutiques appropriées. Il y a alors lieu de procéder à une balance entre coûts et bénéfices de chaque mesure. Si l’une d’entre elles permet d’arriver au but recherché en étant sensiblement meilleur marché que les autres, l’assuré n’a pas droit au remboursement des frais de la mesure la plus onéreuse (ATF 139 V 135 consid. 4.4.3).

3.3 Selon l'art. 33 al. 1 LAMal, le Conseil fédéral peut désigner les prestations fournies par un médecin ou un chiropraticien, dont les coûts ne sont pas pris en charge par l'assurance obligatoire des soins ou le sont à certaines conditions. Cette disposition se fonde sur la présomption que médecins et chiropraticiens appliquent des traitements et mesures qui répondent aux conditions posées par l'art. 32 al. 1 LAMal. D'après l'art. 33 al. 3 LAMal, le Conseil fédéral détermine également dans quelle mesure l'assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts d'une prestation nouvelle ou controversée, dont l'efficacité, l'adéquation ou le caractère économique sont en cours d'évaluation. Le DFI, auquel le Conseil fédéral a délégué à son tour les compétences susmentionnées (art. 33 al. 5 LAMal en relation avec l'art. 33 let. a et c OAMal), a promulgué l'ordonnance du 29 septembre 1995 sur les prestations dans l'assurance obligatoire des soins en cas de maladie (OPAS; RS 832.112.31).  

Conformément à l'art. 1 OPAS, l'annexe 1 de cette ordonnance énumère les prestations visées par l'art. 33 let. a et c OAMal - dispositions reprenant textuellement les règles posées aux al. 1 et 3 de l'art. 33 LAMal - dont l'efficacité, l'adéquation ou le caractère économique ont été examinés par la Commission fédérale des prestations générales et des principes de l'assurance-maladie (CFPP) et dont l'assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts, avec ou sans condition, ou ne les prend pas en charge. Cette annexe ne contient pas une énumération exhaustive des prestations (remarques préliminaires à l'annexe 1 de l'OPAS; ATF 142 V 249 consid. 4.2 p. 251). 

En présence de prestations fournies par un médecin (ou par un chiropraticien), qui n'ont pas été soumises à l'avis de la commission (art. 33 al. 3 LAMal et 33 let. c OAMal), il convient donc d'appliquer la présomption légale que le traitement répond aux exigences de la loi quant à son efficacité, son caractère approprié et économique. En effet, nombre de traitements remplissent ces conditions sans pour autant figurer dans l'annexe 1 de l'OPAS (arrêt K 9/05 du 12 mai 2005 consid. 4.1). 

3.4 Aux termes du chiffre 3 « Gynécologie et obstétrique, médecine de la procréation » de l'annexe 1 de l'OPAS, dans sa version en vigueur au moment de la survenance des faits juridiquement déterminants (ATF 136 I 121 consid. 4.1), sont obligatoirement prises en charge par l'assurance-maladie les « mesures visant à conserver la fertilité chez les personnes qui reçoivent des traitements qui nuisent à la fertilité », aux conditions suivantes : - pour les adolescents post-pubères et les adultes jusqu’à l’âge de 40 ans présentant, en raison d’un traitement contre le cancer, un risque moyen ou élevé (> 20%) d’aménorrhée permanente (femmes) ou d’azoospermie (hommes) par suite d’un traitement, ou recevant une transplantation de cellules souches en raison d’une maladie non-oncologique, ou traités par cyclophosphamide et présentant un risque moyen ou élevé (> 20%) d’aménorrhée permanente (femmes) ou d’azoospermie (hommes) par suite d’un traitement. Parmi les mesures chez les hommes, figure la cryoconservation de spermatozoïdes. La cryoconservation est de cinq ans au plus. Une prolongation de cinq ans supplémentaires est possible uniquement en cas d’azoospermie.

3.5 Selon la jurisprudence, il ne saurait être question d’intervenir en cas de silence qualifié du DFI, soit lorsqu’il apparaissait que celui-ci, avec l’aide de la CFPP, s’était penché sur une indication particulière qu’il avait implicitement exclue (arrêt du Tribunal fédéral 9C_739/2012 du 7 février 2023 consid. 4). Dans un arrêt 9C_328/2016, le Tribunal fédéral a retenu qu’on ne pouvait parler de silence qualifié en ce qui concernait l’indication du traitement de stimulation cérébrale profonde bilatérale à haute fréquence pour un syndrome de Gilles de Tourette. Aucune demande d’étendre les indications en vue d’une prise en charge obligatoire de l’électrostimulation des structures cérébrales profondes par implantation d’un système de neurostimulation n’avait été soumise pour avis à la CFPP pour ledit syndrome. La commission s’était exclusivement prononcée à la requête des fournisseurs de prestations sur un certain nombre d’autres indications médicales. La juridiction cantonale ne pouvait ainsi être suivie lorsqu’elle affirmait que l’énumération des conditions pour qu’une électrostimulation des structures cérébrales profondes soit prise en charge était exhaustive. En présence d’une prestation prescrite par un médecin pour une indication qui n’avait pas été soumise à l’avis de la commission ou qui n’avait pas été écartée implicitement par celle-ci, la présomption légale que le traitement répondait aux exigences de la loi quant à son efficacité, son caractère approprié et économique s’appliquait pleinement. D’innombrables prestations médicales ne figuraient pas dans l’annexe 1 OPAS parce que la CFPP ne les avait pas (ou pas encore) évaluées, faute de temps ou de moyens, respectivement de demande du fournisseur. Le Tribunal fédéral a ainsi renvoyé la cause à la juridiction cantonale afin qu’elle examine si la mesure en cause était couverte par la présomption légale posée par l’art. 32 al. 1 LAMal (arrêt du Tribunal fédéral 9C_328/2016 du 10 octobre 2016 consid. 6.1). Dans une affaire plus récente portant sur la prise en charge, par l’assurance-obligatoire, d’une mastectomie prophylactique bilatérale chez une assurée porteuse d’une mutation génétique PALB2, soit d’une mutation ne figurant pas dans la liste de l’art. 12b OPAS, le Tribunal fédéral a retenu que, compte tenu de la documentation médicale récente, son absence de cette disposition constituait un silence qualifié du législateur. Cela était du reste confirmé après la consultation d’un document intitulé « schéma de référence » mentionné à l’art. 12d al. 1 let. d OPAS, dans lequel les connaissances médicales les plus récentes avaient été intégrées. La non-inscription de cette mesure était conforme au système restrictif prévu par le législateur avec les listes positives (arrêt du Tribunal fédéral 9C_12/2022 du 26 octobre 2022).

3.6 Dans le cas particulier, il est constant que la mesure visant à conserver la fertilité chez les personnes recevant des traitements qui nuisent à la fertilité a été admise par le DFI pour certaines indications (traitement contre le cancer, transplantation de cellules souches, traitement par cyclophosphamide) n’incluant pas le traitement hormonal dans le cadre d’une dysphorie de genre.

La question se pose donc de savoir si c’est à tort qu’une telle indication n’a pas été intégrée dans l’annexe 1 de l’OPAS.

Interrogé sur ce point, l’OFSP a répondu que si la CFPP avait examiné la question de savoir s’il convenait d’étendre les indications en cas de traitement lié à la dysphorie de genre, l’annexe 1 de l’OPAS aurait mentionné cette prestation, avec une indication de prise en charge positive, conditionnelle ou négative. Il convient donc d’en conclure qu’en l’absence d’indication, la commission ne s’est pas prononcée sur ce point. Ainsi, en présence d’une prestation prescrite par un médecin pour une indication qui n’a pas été soumise à l’avis de la commission, la présomption légale que le traitement répond aux exigences de la loi quant à son efficacité, son caractère approprié et économique s’applique pleinement.

En l’occurrence, il n’est pas contesté que la recourante souffre d’une dysphorie de genre, qui a valeur de maladie. La question se pose donc de savoir si l’extraction et la cryoconservation de spermatozoïdes constituent des prestations servant à traiter une maladie et ses séquelles au sens de l’art. 25 al. 1 LAMal.

4.              

4.1 Comme indiqué supra, l’art. 25 al 1 LAMal prévoit que l’assurance obligatoire de soins prend en charge les coûts des prestations qui servent à diagnostiquer ou à traiter une maladie et ses séquelles.

4.2 Les mesures médicales visant à anticiper les éventuels effets secondaires indésirables d’une maladie et à remédier à ceux-ci, ne constituent pas des mesures diagnostiques ou thérapeutiques au sens de l’art. 25 LAMal ; il s’agit de mesures de prévention qu’il incombe à l’assurance-maladie obligatoire de prendre en charge, dans la mesure où celles-ci s’inscrivent dans la liste positive énoncée aux art. 12a-e OPAS.

L’extraction et la conservation des spermatozoïdes ne figurent pas dans cette liste.

4.3 Selon l’art. 26 LAMal, l’assurance obligatoire des soins prend en charge les coûts de certains examens destinés à détecter à temps les maladies ainsi que des mesures préventives en faveur d’assurés particulièrement menacés. Ces examens ou mesures préventives sont effectués ou prescrits par un médecin. Selon l'art. 33 al. 2 LAMal, il appartient au Conseil fédéral de désigner en détail, notamment, les prestations prévues à l'art. 26 LAMal. À l'art. 33 let. d OAMal, le Conseil fédéral, comme le permet l'art. 33 al. 5 LAMal, a délégué à son tour cette compétence au DFI. Faisant usage de cette sous-délégation, le DFI a édicté l'OPAS. L'art. 12 de cette ordonnance (dans sa version déterminante en l'espèce [cf. ATF 129 V 4 consid. 1.2, 127 V 467 consid. 1], en vigueur jusqu'au 31 décembre 2003) renferme une liste positive des mesures médicales de prévention prises en charge par l'assurance obligatoire des soins. La cryoconservation des spermatozoïdes n'y figure pas.

Les mesures de prévention (art. 26 LAMal) ne doivent pas être confondues avec les mesures diagnostiques et thérapeutiques qui sont des prestations générales en cas de maladie (art. 25 al. 1 LAMal) : alors que pour être prises en charge les premières doivent être prescrites ou effectuées en l’absence de tout symptôme concret de maladie, de tout indice ou suspicion de maladie ou de menace fondée d’atteinte à la santé, afin de détecter à temps ou d’éviter une maladie dont la survenance apparaît comme une simple possibilité théorique, comme une possibilité lointaine, les secondes sont dispensées dans le cadre de l’examen ou du traitement d’une atteinte manifeste à la santé (le risque assuré, c’est-à-dire l’atteinte à la santé, s’est réalisé), en cas de suspicion concrète d’une maladie (la menace d’une atteinte à la santé est établie avec un degré de vraisemblance prépondérante) ou encore à un stade précoce du processus pathologique (« Krankheitsbehandlung im Frühstadium »). Le degré de vraisemblance de survenance de l’atteinte à la santé constitue le critère pour déterminer s’il s’agit d’une mesure de prophylaxie (art. 26 LAMal) ou d’une mesure diagnostique ou thérapeutique (art. 25 LAMal ; Stéphanie PERRENOUD, L’assurance-maladie, in Ghislaine FRÉSARD-FELLAY/Bettina KAHIL-WOLFF/Stéphanie PERRENOUD, Droit suisse de la sécurité sociale, vol. II, 2015, n. 160).

4.4  

4.4.1 Dans un arrêt du 17 février 2005, le Tribunal fédéral des assurances a examiné la question du remboursement, par l’assurance-maladie obligatoire, des frais liés à la cryoconservation du sperme dans le cas d’une personne atteinte de la maladie de Hodgkin. Il a retenu que la cryoconservation des spermatozoïdes ne pouvait pas être qualifiée de mesure destinée à traiter une conséquence secondaire de la maladie. S’il était certes vrai que l'élimination d'atteintes secondaires dues à la maladie avait un caractère thérapeutique et constituait en principe également un traitement de la maladie au sens de l'art. 25 al. 1 LAMal, une prise en charge à ce titre présupposait toutefois que la stérilité était déjà présente, ce qui n'était pas encore le cas chez le recourant. La conservation du sperme avait en effet été réalisée avant la chimiothérapie, dont la mesure visait à atténuer les effets défavorables sur la fertilité. Elle anticipait ainsi l’atténuation d’une éventuelle conséquence future (secondaire) de la maladie, de sorte qu’elle devait être qualifiée de mesure de prévention médicale au sens de l’art. 26 LAMal. Or, dans la mesure où la cryoconservation des spermatozoïdes ne figurait pas dans la liste de l’art. 12 OPAS, l’assurance n’avait pas l’obligation de prendre en charge les frais liés à cette mesure. Le fait que cette disposition ne contenait qu'un catalogue restreint de telles mesures était inhérent au système prévu par le législateur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances K23/04 du 17 février 2005).

L’absence de prise en charge, par l’assurance-maladie obligatoire, des mesures de conservation de la fertilité en cas de risque de devenir infertile en raison d’un traitement hormonal a été critiqué en doctrine. Perrenoud était notamment d’avis que ce type de mesures devait être introduit au sein des prestations générales en cas de maladie remboursées (art. 25 al. 2 let. a LAMal), au même titre que la reconstruction mammaire, qui était prise en charge lorsqu’elle servait au rétablissement de l’intégrité physique et psychique de la patiente après une amputation médicalement indiquée (Stéphanie PERRENOUD, La stérilité est-elle une maladie ? Quelques considérations à la lumière de l’ATF 142 V 249, in RSAS 2017 p. 97, p. 109).

À noter que, comme indiqué supra (consid. 3.4), depuis 2019, les mesures destinées à préserver la fertilité chez les personnes atteintes d’un cancer, ayant fait l’objet d’une transplantation de cellules souches ou d’un traitement au cyclophosphamide ont été intégrées à l’annexe 1 de l’OPAS. La question demeure toutefois entière s’agissant de la préservation de la fertilité pour les personnes souffrant de dysphorie de genre. Dans ce cas, le remboursement par l’assurance-maladie de la préservation de la fertilité pour raison médicale constitue l’un des enjeux centraux identifiés par les professionnels (Solène Gouilhers/Raphaël Albospeyre-Thibeau/Delphine Gardey, Vers l’inclusion des personnes trans dans les protocoles de préservation de la fertilité en Suisse romande, in Revue médicale suisse, 28 juin 2023).

4.4.2 Le Tribunal fédéral des assurances a également considéré que la stérilisation d’une assurée, mère d’un enfant gravement handicapé, effectuée afin d’éviter une charge psychique provoquée par une éventuelle nouvelle grossesse était une mesure de prévention (art. 26 LAMal). Cette mesure ne figurant pas dans la liste énoncée aux art. 12a-e OPAS, elle ne devait dès lors pas être prise en charge par l’assurance-maladie obligatoire (arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 26 juin 1998, in RMA 1998 n° K 992, pp. 390-393). De la même manière, une intervention chirurgicale de réduction de l’hypertrophie mammaire effectuée dans le dessein d’écarter la possibilité de futurs troubles psychiques dus à l’hypertrophie mammaire (ATF 121 V 211 consid. 6b).

5.             En l’occurrence, il n’est pas contesté que la mesure d’extraction et de cryoconservation des spermatozoïdes a été réalisée alors que la recourante ne présentait aucun symptôme concret de stérilité. Dans cette mesure, l’assurée se trouve dans la même situation que celle du recourant atteint de la maladie de Hodgkin qui s’est vu refuser le remboursement de la mesure de conservation de son sperme au motif que la mesure de cryoconservation avait été réalisée avant la chimiothérapie et alors qu’il ne présentait encore aucun symptôme de stérilité. La situation de la recourante se distingue toutefois de l’affaire précitée en ceci que l’azoospermie ne constitue pas un éventuel effet secondaire indésirable. En effet, interrogé à ce sujet, le Dr C______ a indiqué que le taux d’azoospermie était, dans le cas de patientes transgenres traitées par œstrogènes – ce qui est le cas de la recourante –, de 100%. Le risque d’azoospermie est ainsi certain, ce qui différencie la situation de l’assurée des cas – mentionnés par le médecin - dans lesquels un traitement gonadotoxique (par exemple une chimiothérapie pour maladie oncologique) est administré et où le risque d’aménorrhée ou azoospermie est supérieur à 30%. Dans ces conditions, il y a lieu d’admettre que la menace d’une atteinte à la santé est établie avec un degré de vraisemblance prépondérante, l’azoospermie étant une conséquence directe et certaine du traitement entrepris. On se trouve ainsi dans un cas de suspicion concrète d’une maladie, situation qui tombe sous le coup de l’art. 25 al. 1 LAMal, et non d’une mesure de prévention au sens de l’art. 26 LAMal. L’azoospermie doit ainsi être considérée comme une atteinte secondaire à la maladie initiale, si bien que l’assurance-maladie doit en principe prendre en charge les mesures visant à la traiter au sens de l’art. 25 al. 1 LAMal.

Reste à examiner si les mesures d’extraction et de cryoconservation des spermatozoïdes sont efficaces, appropriées et économiques, auquel cas elles devraient être mises à la charge de l’assurance (cf. supra consid. 3.2).

En l’occurrence, le Dr C______ a indiqué qu’il s’agissait d’une technique efficace pour obtenir des embryons et des grossesses par des procédures de procréation médicalement assistée connues depuis plusieurs années. Il appert ainsi que l’indication médicale est clairement établie. Dans le cas de la recourante, le Dr C______ a relevé que l’extraction du sperme avait été réalisée avec 46 paillettes récupérées. La mesure envisagée permet ainsi d’obtenir le résultat recherché, à savoir préserver la fertilité. Il n’est pas non plus remis en cause qu’il n’existe aucune alternative thérapeutique efficace et appropriée à cette mesure. Les caractères efficace et approprié de la mesure doivent donc être admis. Dans ces conditions, et en l’absence d’une mesure alternative, il n’est pas nécessaire d’examiner si la mesure répond au critère de l’économicité (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_331/2020 du 29 septembre 2020 consid. 6.3.2.3), étant rappelé que le coût total des mesures d’extraction (CHF 150.-) et de cryoconservation pour une année (CHF 150.-) s’élève en l’occurrence à CHF 300.-.

Il résulte de ce qui précède que la mesure proposée, consistant dans l’extraction et la cryoconservation des spermatozoïdes, doit être prise en charge par l’intimée. Compte tenu de cette issue, il n’est pas nécessaire d’examiner le grief de la recourante tirée de la violation de l’égalité de traitement.

6.             Le recours sera donc admis et la décision entreprise annulée.

La recourante obtenant gain de cause, une indemnité lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA en corrélation avec l'art. 89H al. 3 de la loi du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative). L'autorité cantonale chargée de fixer l'indemnité de dépens jouit d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 111 V 49 consid. 4a). Ainsi, l'indemnité allouée sera fixée à CHF 2’500.-.

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition de l’intimée du 30 mars 2022.

4.        Dit que la recourante a droit à la prise en charge des coûts de l’extraction et de la cryoconservation des spermatozoïdes.

5.        Condamne l’intimée à verser à la recourante une indemnité de CHF 2’500.- à titre de dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le