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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1888/2023

ATAS/460/2024 du 17.06.2024 ( AI )

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1888/2023 ATAS/460/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Ordonnance d’expertise du 17 juin 2024

Chambre 4

 

En la cause

A______

Représenté par Me Mélanie MATHYS DONZE, avocate

 

 

recourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré ou le recourant), né le ______ 1986, originaire du Kosovo, marié en 2007, séparé en 2021 et père de deux fils, nés en 2013 et 2018. Il a travaillé comme peintre en bâtiments à 100% dès janvier 2018 pour B______ SÀRL.

B. a. Le 15 mars 2018, l’assuré a glissé d’une échelle pendant son travail et s’est blessé au dos.

b. Il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 14 septembre 2018, en raison de lombosciatalgies.

c. La docteure C______, médecin praticien et d’arrondissement de l’assurance-accidents couvrant l’évènement du 15 mars 2018, a conclu, le 5 septembre 2018, que l’assuré souffrait d’une contusion lombaire simple de peu de gravité, qui guérissait habituellement en quatre à six semaines. La persistance des douleurs était à mettre sur le compte de lésions préexistantes. La chute du 15 mars 2018 avait cessé totalement de déployer ses effets au plus tard le 7 mai 2018.

d. Dans un rapport établi le 8 avril 2019, la docteure D______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a indiqué que l’assuré souffrait d’un trouble somatoforme douloureux et d’un épisode dépressif sévère sans symptôme psychotique. Actuellement, sa capacité de travail était nulle dans toute activité, mais la reprise d’une activité adaptée était à envisager dans un avenir proche. La prise en charge spécialisée avait commencé le 13 février 2019. L’assuré était traité par Cymbalta (60 mg) et Stilnox (10 mg). Le monitoring montrait une bonne observance.

e. Dans un rapport du 11 mai 2020, la Dre D______ a indiqué que l’assuré était toujours plaintif, qu’il avait un manque de motivation, se culpabilisait, était irritable et s’occupait peu de ses affaires. Il faisait une fixation sur ses douleurs de dos et ne montrait aucune ouverture à des changements. L’évolution était stationnaire depuis décembre 2019. La dépression était moins sévère. Le trouble somatoforme restait le même. Les dernières consultations avaient eu lieu les 14 avril et 27 mars 2020. Dans une activité adaptée à son état de santé, la capacité de travail de l’assuré était de 50%.

f. Dans un rapport final du 20 mai 2020, le SMR a proposé de suivre l’avis du psychiatre traitant et de retenir une capacité de travail résiduelle exigible de 50% dans une activité adaptée. Le début de l’incapacité de travail durable était de 100% depuis le 14 mars 2018. La capacité de travail exigible était de 0% dans l’activité habituelle mais de 50% dans une activité adaptée depuis décembre 2019. Les limitations fonctionnelles étaient : pas de port de charges, de sollicitations répétées du rachis dorso-lombaire, baisse de la tolérance au stress, attitude négative et pessimiste face aux troubles, douleurs chroniques, manque de motivation, troubles de la concentration. La révision était proposée dans un an.

g. Par décision du 18 septembre 2020, l’OAI a octroyé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 1er avril 2019 au 29 février 2020, puis une demi-rente dès le 1er mars 2020.

C. a. L’assuré a formé une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité le 18 novembre 2021 en raison d’un trouble psychiatrique important et de douleurs au dos (hernie discale).

b. Dans un rapport du 29 novembre 2021, la Dre D______ a indiqué que l’état clinique de l’assuré s’était aggravé depuis le départ de sa femme et de ses enfants de la maison. Les limitations fonctionnelles consistaient en une baisse de la concentration et de la motivation, une grande souffrance responsable d’un évitement social, une thymie triste en permanence, une irritabilité, une baisse de la capacité à faire face au stress, une anxiété importante, des douleurs chroniques au dos et des idées noires. La capacité de travail était nulle dans toute activité.

c. Dans un rapport du 18 avril 2022, la Dre D______ a indiqué que l’assuré avait actuellement un sentiment de désespoir, des idées de mort passives, de l’insomnie, un sentiment de culpabilité vis-à-vis de ses enfants et de sa femme et l’impression que le monde s’écroulait autour de lui. Il prenait du Cymbalta (60 mg par jour), du Stilnox (10 mg par jour) et du Temesta (1 mg par jour).

Elle posait les diagnostics de troubles douloureux somatoformes persistants et d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques. L’assuré ne disposait pas de ressources qui pouvaient lui être utiles pour sa réinsertion. Il ne pouvait plus travailler dans l’activité habituelle ni dans une activité adaptée. Son état clinique s’était aggravé et se répercutait dans les différents domaines de sa vie. Sa mère l’aidait dans le ménage et faisait à manger.

d. Selon un rapport d’examen clinique rhumatologique et psychiatrique établi le 10 janvier 2023 par les docteurs E______, médecin physique et réadaptation FMH, et F______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du SMR, les diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail de l’assuré étaient lombopygalgies gauches chroniques non déficitaires, dans le cadre séquelles de maladie de Scheuermann et une discopathie prédominant en L5-S1. Seul le diagnostic de dysthymie était retenu sur le plan psychiatrique, car l’assuré présentait une dépression chronique de l’humeur dont la sévérité était insuffisante pour justifier le diagnostic de trouble dépressif. Une humeur triste chronique avait été constatée lors de l’examen et dans les rapports médicaux du docteur G______ des 7 décembre 2021 et 23 mars 2022 et de la Dre D______ (rapports des 29 novembre 2021 et 18 avril 2022). Elle apparaissait comme constante, même si son intensité pouvait fluctuer en fonction des circonstances. Il n’avait pas été retrouvé, dans l’anamnèse et les rapports médicaux des médecins traitants de l’assuré depuis 2021, de périodes prolongées (supérieures à deux semaines) de diminution des intérêts, du plaisir et de l’énergie, malgré les indications d’aggravation de l’état clinique de l’assuré, en lien avec le départ de sa femme et de ses enfants du domicile familial, la maladie de sa sœur et le décès de ses proches. L’expert psychiatre était d’accord avec l’augmentation de l’intensité de la tristesse et de l’humeur en lien avec ces événements, mais celle-ci ne permettait pas de sortir du diagnostic de dysthymie. Le discours plaintif, les ruminations, la diminution de la confiance en soi, le théâtralisme et l’hyper-expressivité modérée par l’assuré complétait de façon cohérente le diagnostic de dysthymie. Depuis début 2021, l’intérêt et le plaisir dans le fait de côtoyer sa famille et de jouer avec ses enfants étaient restés intacts. Le diagnostic de dysthymie ne présentait pas de caractère durablement incapacitant.

Le diagnostic d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques n’était pas retenu, bien que l’assuré présentait une humeur triste chronique et fluctuante, car il ne présentait pas d’autres critères majeurs de la CIM-10 permettant de poser ce diagnostic, à savoir une diminution de l’intérêt et du plaisir et une réduction de l’énergie prolongée (supérieure à deux semaines).

Le Dr F______ ne retenait pas le diagnostic de trouble dépressif récurrent contrairement à la Dre D______ dans son rapport du 29 novembre 2021, car il était fait mention d’un premier épisode dépressif diagnostiqué en 2019 et d’une première rechute dépressive en 2021. Dans la mesure où le diagnostic d’épisode dépressif en 2021 n’était pas retenu, il n’était pas possible de poser le diagnostic de trouble dépressif récurrent, car il fallait au moins deux épisodes dépressifs pour pouvoir le poser. Il retenait un épisode dépressif sévère, sans symptôme psychotique, au vu de l’anamnèse et du rapport de la Dre D______ du 8 avril 2019.

e. Dans un avis du 2 mai 2023, le SMR a considéré que l’événement rapporté par la psychiatre de l’assuré ne pouvait être retenu comme durablement incapacitant et que celle-ci n’apportait pas de nouveaux éléments objectifs attestant d’une aggravation durable de l’état de santé psychique de l’assuré. L’examen psychiatrique du SMR était convaincant et les différents diagnostics avaient été analysés selon les critère de la CIM-10. En conclusion, le SMR ne modifiait pas son avis du 13 janvier 2023.

f. Par décision du 3 mai 2023, l’OAI a informé l’assuré que sa demi-rente actuelle serait supprimée après la notification de la décision pour la fin du mois suivant et qu’un recours contre cette décision n’aurait pas d’effet suspensif. Le 18 novembre 2021, l’OAI avait commencé à procéder à une révision de sa rente d’invalidité et mandaté une expertise médicale qui s’était déroulée le 7 décembre 2022. L’OAI retenait qu’il était totalement incapable de travailler dans son activité habituelle d’aide-peintre en bâtiment, mais que sa capacité de travail était de 100% dans une activité adaptée depuis janvier 2021. Par conséquent, l’OAI avait procédé à une comparaison des revenus pour déterminer son degré d’invalidité. La perte de gain s’élevait à 0%, ce qui n’ouvrait pas à l’assuré le droit à une rente d’invalidité.

Les éléments médicaux produits lors de la procédure d’audition ne permettaient pas de modifier sa précédente appréciation.

D. a. Le 5 juin 2023, l’assuré a formé recours contre la décision précitée auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) concluant à l’octroi de l’effet suspensif au recours, à l’annulation de la décision et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité dès le 18 novembre 2021.

b. Par réponse du 20 juin 2023, l’OAI a conclu au rejet du recours.

c. Le 20 juin 2023, le recourant a produit un certificat médical de son médecin traitant du 13 juin 2023 indiquant que ses atteintes à la santé ne lui permettaient actuellement pas de travailler, en raison de son atteinte physique et psychique.

Il a également transmis un formulaire de demande d’admission signé par la Dre D______ pour une hospitalisation afin qu’il soit mis à l’abri d’un éventuel passage à l’acte auto-agressif.

d. Par arrêt incident du 30 juin 2023 (ATAS/542/2023), la chambre de céans a rejeté la demande de restitution de l’effet suspensif.

e. L’assuré, assisté d’un interprète, a été entendu lors d’une audience devant la chambre de céans du 6 décembre 2023.

E. a. Par courrier du 28 mai 2024, la chambre de céans a informé les parties de son intention de mettre en œuvre une expertise psychiatrique et leur a communiqué le nom de l’expert pressenti, ainsi que les questions qu’elle avait l’intention de lui poser, en leur impartissant un délai pour faire valoir une éventuelle cause de récusation et se déterminer sur les questions posées.

b. Par courrier du 4 juin 2024, le recourant a sollicité que l’expert mandaté dispose de connaissances culturelles et linguistiques albanaises, précisant que lors de l’audience de comparution personnelle, une interprète avait été nécessaire. Selon le Dr G______, dans la culture albanaise, évoquer une maladie psychiatrique était tabou, voire interdit. Son médecin psychiatre traitant, la Dre D______ soutenait cette demande de désignation d’un autre expert.

Le Dr G______ suggérait le docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. À titre subsidiaire, l’expertise devrait être réalisée en présence d’un ou d’une interprète en langue albanaise.

Dans la mission d’expertise, il était nécessaire de demander à l’expert de faire un résumé des connaissances culturelles albanaises vis-à-vis des maladies psychiques et quelles étaient les répercussions de la culture albanaise vis-à-vis des diagnostics posés.

c. Le 10 juin 2024, l’intimé a indiqué qu’il s’opposait à la mise en place d’une expertise judiciaire, dès lors qu’un examen clinique rhumatologique et psychiatrique probant figurait déjà au dossier. Si la chambre de céans persistait dans son intention, il n’avait pas de motif de récusation à faire valoir contre l’expert désigné, ni de question complémentaire à poser.

 

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

3.              

3.1 Le 1er janvier 2022, les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705), y compris les ordonnances correspondantes, sont entrées en vigueur. Dans le cadre de cette révision, l'art. 17 LPGA a notamment été adapté.

En l’absence de disposition transitoire spéciale, ce sont les principes généraux de droit intertemporel qui prévalent, à savoir l’application du droit en vigueur lorsque les faits déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et la référence). Lors de l’examen d’une demande d’octroi de rente d’invalidité, est déterminant le moment de la naissance du droit éventuel à la rente. Si cette date est antérieure au 1er janvier 2022, la situation demeure régie par les anciennes dispositions légales et réglementaires en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Si elle est postérieure au 31 décembre 2021, le nouveau droit s’applique (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2. et les références).

Dans les cas de révision selon l'art. 17 LPGA, conformément aux principes généraux du droit intertemporel (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), il convient d’évaluer, selon la situation juridique en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si une modification déterminante est intervenue jusqu’à cette date. Si tel est le cas, les dispositions de la LAI et celles du RAI dans leur version valable jusqu'au 31 décembre 2021 sont applicables. Si la modification déterminante est intervenue après cette date, les dispositions de la LAI et du RAI dans leur version en vigueur à partir du 1er janvier 2022 sont applicables. La date pertinente de la modification est déterminée par l'art. 88a RAI (arrêts du Tribunal fédéral 8C_55/2023 du 11 juillet 2023 consid. 2.2 ; 8C_644/2022 du 8 février 2023 consid. 2.2.3).

La réglementation légale concernant la révision et le réexamen de décisions ou de décisions sur opposition entrées en force (art. 53 LPGA) n'a pas été modifiée dans le cadre du développement de l'AI susmentionné, raison pour laquelle aucune question de droit intertemporel ne se pose à cet égard (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_644/2022 du 8 février 2023 consid. 2.2.2).

3.2 En l’occurrence, la décision litigieuse a été rendue après le 1er janvier 2022, mais la modification des circonstances alléguée par le recourant serait survenue avant cette date, par conséquent, les dispositions applicables seront citées dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021.

4.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente entière d’invalidité, plus particulièrement sur sa capacité de travail et son évolution depuis la dernière décision entrée en force qui lui octroyait une rente entière dès 1er avril 2019 et une demi-rente dès le 1er mars 2020. Le recourant se plaint essentiellement d’une aggravation de son état de santé sur le plan psychique dès 2021, suite au départ de son épouse et de leurs enfants du domicile familial.

5.              

5.1 L’art. 17 al. 1er LPGA dispose que si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Il convient ici de relever que l’entrée en vigueur de l’art. 17 LPGA, le 1er janvier 2003, n’a pas apporté de modification aux principes jurisprudentiels développés sous le régime de l’ancien art. 41 LAI, de sorte que ceux-ci demeurent applicables par analogie (ATF 130 V 343 consid. 3.5).

Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l’art. 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1 ; 134 V 131 consid. 3 ; 130 V 343 consid. 3.5). Tel est le cas lorsque la capacité de travail s'améliore grâce à une accoutumance ou à une adaptation au handicap (ATF 141 V 9 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_622/2015 consid. 4.1). Il n'y a pas matière à révision lorsque les circonstances sont demeurées inchangées et que le motif de la suppression ou de la diminution de la rente réside uniquement dans une nouvelle appréciation du cas (ATF 141 V 9 consid. 2.3 ; 112 V 371 consid. 2b ; 112 V 387 consid. 1b). Un motif de révision au sens de l'art. 17 LPGA doit clairement ressortir du dossier. La réglementation sur la révision ne saurait en effet constituer un fondement juridique à un réexamen sans condition du droit à la rente (arrêt du Tribunal fédéral I 111/07 du 17 décembre 2007 consid. 3 et les références). Un changement de jurisprudence n'est pas un motif de révision (ATF 129 V 200 consid. 1.2).

Le point de savoir si un changement notable des circonstances s’est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu’ils se présentaient au moment de la dernière révision de la rente entrée en force et les circonstances qui régnaient à l’époque de la décision litigieuse. En effet, la base de comparaison déterminante dans le temps pour l'examen d'une modification du degré d'invalidité lors d'une révision de la rente est constituée par la dernière décision entrée en force qui repose sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit (ATF 147 V 167 consid. 4.1 et la référence).

Lorsque les faits déterminants pour le droit à la rente se sont modifiés au point de faire apparaître un changement important de l'état de santé motivant une révision, le degré d'invalidité doit être fixé à nouveau sur la base d'un état de fait établi de manière correcte et complète, sans référence à des évaluations antérieures de l'invalidité (ATF 141 V 9).

5.2 Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique ou mentale et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2).

En vertu de l’art. 28 al. 1 LAI (dans sa version antérieure au 1er janvier 2004), l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 66 2/3% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50 % au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40 % au moins; dans les cas pénibles, l’assuré peut, d’après l’art. 28 al. 1bis LAI, prétendre à une demi-rente s’il est invalide à 40 % au moins. Dès le 1er janvier 2004, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70 % au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60 % au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50 % au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40 % au moins (art. 28 al. 2 LAI).

5.3 Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 273 consid. 4a). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (Ulrich MEYER-BLASER, Bundesgesetz über die Invaliden-versicherung, 1997, p. 8).

5.4  

5.4.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 102 V 165 ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

En 2017, le Tribunal fédéral a modifié sa pratique lors de l'examen du droit à une rente d'invalidité en cas de troubles psychiques. La jurisprudence développée pour les troubles somatoformes douloureux, selon laquelle il y a lieu d'examiner la capacité de travail et la capacité fonctionnelle de la personne concernée dans le cadre d'une procédure structurée d'administration des preuves à l'aide d'indicateurs (ATF 141 V 281), s'applique dorénavant à toutes les maladies psychiques. En effet, celles-ci ne peuvent en principe être déterminées ou prouvées sur la base de critères objectifs que de manière limitée. La question des effets fonctionnels d'un trouble doit dès lors être au centre. La preuve d'une invalidité ouvrant le droit à une rente ne peut en principe être considérée comme rapportée que lorsqu'il existe une cohérence au niveau des limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation de la capacité de travail invalidante n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée (ATF 143 V 409 consid. 4.5 et 143 V 418 consid. 6 et 7).

Même si un trouble psychique, pris séparément, n'est pas invalidant en application de la nouvelle jurisprudence, il doit être pris en considération dans l'appréciation globale de la capacité de travail, qui tient compte des effets réciproques des différentes atteintes. Ainsi, une dysthymie, prise séparément, n'est pas invalidante, mais peut l'être lorsqu'elle est accompagnée d’un trouble de la personnalité notable. Par conséquent, indépendamment de leurs diagnostics, les troubles psychiques entrent déjà en considération en tant que comorbidité importante du point de vue juridique si, dans le cas concret, on doit leur attribuer un effet limitatif sur les ressources (ATF 143 V 418 consid. 8.1).

5.4.2 Il convient dorénavant d'évaluer globalement, sur une base individuelle, les capacités fonctionnelles effectives de la personne concernée en tenant compte, d'une part, des facteurs contraignants extérieurs limitant les capacités fonctionnelles et, d'autre part, les potentiels de compensation (ressources), à l’aide des indicateurs developpés par le Tribunal fédéral suivants :

Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l’étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés.

Il convient encore d'examiner le succès du traitement et de la réadaptation ou la résistance à ces derniers. Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L’échec définitif d’un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d’espèce, on ne peut rien en déduire s’agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d’une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation.

La comorbidité psychique ne doit être prise en considération qu’en fonction de son importance concrète dans le cas d’espèce, par exemple pour juger si elle prive l’assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l’influence du trouble psychique avec l’ensemble des pathologies concomitantes. Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel n’est pas une comorbidité, mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité.

Il convient ensuite d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l’assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu’on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d’autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées.

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles ne doivent pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l’assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut s’assurer qu’une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d’autres difficultés de vie.

Il s’agit, encore, de se demander si l’atteinte à la santé limite l’assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l’exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple, les loisirs). Le critère du retrait social se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l’assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d’activité sociale de l’assuré avant et après la survenance de l’atteinte à la santé.

Il faut examiner ensuite la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, pour évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n’est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l’absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d’une incapacité (inévitable) de l’assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s’appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d’autres raisons que l'atteinte à la santé assurée.

5.4.3 Le juge vérifie librement si l’expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l’atteinte à la santé et si son évaluation de l’exigibilité repose sur une base objective.

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 et 141 V 281 consid. 2.2 et 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_841/2016 du 30 novembre 2017 consid. 4.5.2).

Ce diagnostic doit être justifié médicalement de telle manière que les personnes chargées d’appliquer le droit puissent vérifier que les critères de classification ont été effectivement respectés. Il suppose l’existence de limitations fonctionnelles dans tous les domaines de la vie (tant professionnelle que privée). Les médecins doivent en outre prendre en considération les critères d’exclusion de ce diagnostic retenus par la jurisprudence (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1. et 2.2). Ainsi, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, on conclura, en règle ordinaire, à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit à des prestations d'assurance. Au nombre des situations envisagées figurent la discordance entre les difficultés décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses difficultés dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, les grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (cf. ATF 131 V 49 consid. 1.2).

5.5 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 125 V 261 consid. 4). La tâche du médecin dans le cadre d'une révision de la rente selon l'art. 17 LPGA consiste avant tout à établir l'existence ou non d'une amélioration de l'état de santé de l'assuré en comparant les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la décision initiale avec la situation au moment de son examen (ATF 125 V 369 consid. 2).

Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 351 consid. 3).

Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères: s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références; 142 V 58 consid. 5.1 et les références; 139 V 225 consid. 5.2 et les références; 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).

Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références; ATF 135 V 465 consid. 4). 

En ce qui concerne le grief de l’absence de traducteur pour les examens auxiliaires, on rappellera que la question de savoir si, dans un cas concret, un examen médical doit se dérouler dans la langue maternelle de l’assuré ou avec l’assistance d’un interprète, est en principe laissée à la libre appréciation de l’expert, responsable de la bonne exécution du mandat (arrêts 9C_295/2021 du 23 novembre 2021 consid. 4.1.1; 9C_509/2010 du 4 février 2011 consid. 4.1.1).

5.6 Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références; cf. 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

5.7 Conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales, le juge des assurances sociales doit procéder à des investigations supplémentaires ou en ordonner lorsqu'il y a suffisamment de raisons pour le faire, eu égard aux griefs invoqués par les parties ou aux indices résultant du dossier. Il ne peut ignorer des griefs pertinents invoqués par les parties pour la simple raison qu'ils n'auraient pas été prouvés (VSI 5/1994 220 consid. 4a). En particulier, il doit mettre en œuvre une expertise lorsqu'il apparaît nécessaire de clarifier les aspects médicaux du cas (ATF 117 V 282 consid. 4a; RAMA 1985 p. 240 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 751/03 du 19 mars 2004 consid. 3.3). Lorsque le juge des assurances sociales constate qu'une instruction est nécessaire, il doit en principe mettre lui-même en œuvre une expertise lorsqu'il considère que l'état de fait médical doit être élucidé par une expertise ou que l'expertise administrative n'a pas de valeur probante (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4). Un renvoi à l’administration reste possible, notamment quand il est fondé uniquement sur une question restée complètement non instruite jusqu'ici, lorsqu'il s'agit de préciser un point de l'expertise ordonnée par l'administration ou de demander un complément à l'expert (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.3 et 4.4.1.4; SVR 2010 IV n. 49 p. 151, consid. 3.5; arrêt du Tribunal fédéral 8C_760/2011 du 26 janvier 2012 consid. 3).

6.              

6.1 Il convient d’examiner la valeur probante de l’expertise faite par le SMR, qui est contestée par le recourant.

6.2 Dans son rapport du 10 janvier 2023, l’expert psychiatre a retenu le diagnostic de dysthymie, car le recourant présentait une dépression chronique de l’humeur dont la sévérité était insuffisante pour justifier le diagnostic de trouble dépressif. L’expert précisait n’avoir pas retrouvé dans l’anamnèse et les rapports médicaux des médecins traitants de l’assuré depuis 2021 de périodes prolongées (supérieures à deux semaines) de diminution des intérêts, du plaisir et de l’énergie, malgré les indications d’aggravation de son état clinique, en lien avec le départ de sa femme et ses enfants du domicile familial, la maladie de sa sœur et le décès de ses proches. Depuis début 2021, l’intérêt et le plaisir dans le fait de côtoyer sa famille et de jouer avec ses enfants étaient restés intacts. Le diagnostic de dysthymie ne présentait pas de caractère durablement incapacitant.

On ne comprend pas sur quelles bases l’expert a retenu que le recourant n’aurait pas eu de diminution de l’intérêt et du plaisir et une réduction de l’énergie prolongée supérieure à deux semaines, en particulier suite du départ de son épouse et de ses enfants du domicile familial en 2021. La Dre D______ a attesté au contraire le 29 novembre 2021 qu’il avait très mal vécu cet évènement qui lui avait provoqué une rechute dépressive. Dans un rapport du 18 avril 2022, la Dre D______ a indiqué que le recourant avait actuellement un sentiment de désespoir, des idées de mort passives, de l’insomnie, un sentiment de culpabilité vis-à-vis de ses enfants et de sa femme et l’impression que le monde s’écroulait autour de lui. Il prenait notamment du Cymbalta (60 mg par jour), du Stilnox (10 mg par jour). Il faut noter que ce traitement médicamenteux correspond à celui pris en avril 2019, alors que la Dre D______ retenait une totale incapacité de travail du recourant en raison d’un état dépressif sévère. Le recourant a déclaré à la chambre de céans que sa séparation avait eu un effet très négatif sur lui et que depuis lors, il n'avait plus envie d'être avec personne et restait dans sa chambre. Il avait été vraiment très mal et avait fait des séances supplémentaires avec sa psychiatre. Il avait pensé à se donner la mort.

Il apparaît ainsi vraisemblable que l’état dépressif du recourant a été durablement aggravé par sa séparation, contrairement aux conclusions de l’expert psychiatre.

Celui-ci n’a pas procédé à un examen sérieux de l’évolution de l’état de santé du recourant, en particulier entre sa séparation en 2021 jusqu’à l’expertise. Il n’a notamment pas examiné si ses activités dans le ménage du recourant ou sa capacité à jouer avec ses enfants avaient été modifiées suite au départ de sa famille du domicile conjugal en 2021 et comment la situation avait évolué jusqu’au moment de l’expertise.

Le recourant a en outre indiqué à l’expert psychiatre qu’il avait des idées suicidaires avec un projet à type de pendaison, parfois déclenchées par la simple vision d’un tuyau de chauffage situé en hauteur à son domicile, et qu’il s’inquiétait beaucoup pour sa sœur atteinte d’un cancer. Or, l’expert n’a pas pris en compte ces éléments dans sa discussion sur le diagnostic de dystymie. Il n’a pas non plus commenté les rapports de la Dre D______, qui retenait un épisode dépressif sévère et qui relevait, le 18 avril 2022, que le recourant avait actuellement un sentiment de désespoir et des idées de mort passives.

6.2.1 Le Dr F______ a émis de sérieux doutes sur la compliance médicamenteuse du recourant, car il prenait son antidépresseur dans l’après-midi, alors que celui-ci avait des effets stimulants. Dans la mesure où le recourant avait indiqué à l’expert qu’il prenait le Cymbalta pour calmer ses angoisses, il a donné une explication crédible à ce sujet, de sorte qu’il apparaît discutable de retenir des doutes sur sa compliance pour ce motif.

De même, le fait qu’il ne prenait pas tous les jours un somnifère tel que le Stilnox, qui est utilisé pour les insomnies sévères et qui est déconseillé à long terme (www.creapharma.ch/medicaments-suisse/stilnox) ne permettait pas à l’expert de retenir une absence de compliance, sans plus de motivation. Le recourant a d’ailleurs expliqué à la chambre de céans que s’il prenait un somnifère, il n’arrivait pas à se lever à 8h et qu’il loupait souvent ses rendez-vous médicaux quand ils étaient le matin, ce qui pouvait expliquer qu’il évite d’en prendre.

6.2.2 L’expert a indiqué que les consultations avec la Dre D______ n’étaient pas régulières dans son « appréciation du cas, » et qu’elles oscillaient entre tous les 15 jours et un mois, ce qui apparaît contraire à ce qu’il avait noté précédemment « sous habitudes », à savoir que la fréquence des consultations avec la Dre D______ était d’une fois tous les quinze jours jusqu’à leur espacement récent à un mois. La fréquence des consultations n’apparaît ainsi pas irrégulière.

6.2.3 Les rapports établis les 29 novembre 2021 et 18 avril 2022 par la Dre D______ doivent se voir reconnaître une certaine force probante, dès lors que ce médecin suit le recourant de manière régulière, étant rappelé que l’intimé s’est fondé sur l’appréciation de la Dre D______ pour retenir dans sa décision du 18 septembre 2020. Ils remettent suffisamment en cause le rapport de l’expert psychiatre pour qu’il se justifie de faire procéder à une nouvelle expertise psychiatrique.

7.             La chambre de céans n’entend pas donner suite à la demande du recourant de nommer un expert maîtrisant l’albanais, mais elle invitera l’expert désigné à entendre le recourant en présence d’un interprète et à prendre en compte l’aspect culturel dans le cadre de son appréciation.


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant préparatoirement

1.      Ordonne une expertise psychiatrique du recourant.

2.      Commet à ces fins le docteur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, ______, à Genève.

3.      Dit que la mission d’expertise sera la suivante :

A)      prendre connaissance du dossier de la cause ;

B)       si nécessaire, prendre tous renseignements auprès des médecins ayant traité l’assuré ;

C)       examiner et entendre l’assuré, qui devra être assisté d’un interprète en langue albanaise, après s’être entouré de tous les éléments utiles, au besoin d’avis d’autres spécialistes ;

D)      si nécessaire, ordonner d’autres examens ;

E)       prendre des renseignements sur la culture albanaise en lien avec l’appréciation des maladies psychiques et en tenir compte dans l’appréciation.

4.      Charge l’expert d’établir un rapport détaillé et de répondre aux questions suivantes :

1.         Quelle est l’anamnèse détaillée du cas ?

2.         Quelles sont les plaintes et données subjectives de l’assuré ?

3.         Quels sont le status clinique et les constatations objectives ?

4.         Quels sont les diagnostics psychiatriques, selon la classification internationale ?

Précisez quels critères de classification sont remplis et de quelle manière (notamment l’étiologie et la pathogénèse) :

4.1         Avec répercussion sur la capacité de travail (en mentionnant les dates d'apparition)

4.2         L’état de santé de l’assuré s’est-il aggravé ou amélioré par rapport à celui qu’il était au moment de la dernière décision entrée en force, soit le 18 septembre 2020 (prière de motiver votre réponse).

4.3         Sans répercussion sur la capacité de travail (en mentionnant les dates d'apparition)

4.4         Quel est le degré de gravité de chacun des troubles diagnostiqués (faible, moyen, grave) ?

4.5         Depuis quand les différentes atteintes sont-elles présentes ?

4.6         Les plaintes sont-elles objectivées ?

4.7         Y a-t-il exagération des symptômes ou constellation semblable (discordance substantielle entre les douleurs décrites et le comportement observé ou l’anamnèse, allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, absence de demande de soins médicaux, plaintes très démonstratives laissant insensible l'expert, allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact) ?

4.8         Dans l’affirmative, considérez-vous que cela suffise à exclure une atteinte à la santé significative ?

4.9         Dans l’ensemble, le comportement de l’assuré vous semble-t-il cohérent ?

5.         Quelles sont les limitations fonctionnelles ?

Indiquer les limitations fonctionnelles en relation avec chaque diagnostic psychiatrique (en mentionnant leur date d’apparition) :

5.1         Dans l’activité habituelle ?

5.2         Dans une activité adaptée ?

5.3         Dans quelle mesure les atteintes diagnostiquées limitent-elles les fonctions nécessaires à la gestion du quotidien ? (N’inclure que les déficits fonctionnels émanant des observations qui ont été déterminantes pour le diagnostic de l’atteinte à la santé, en confirmant ou en rejetant des limitations fonctionnelles alléguées par l’assurée).

5.4         Les limitations du niveau d’activité sont-elles uniformes dans tous les domaines (professionnel mais aussi personnel) ? Quel est le niveau d’activité sociale et comment a-t-il évolué depuis la survenance de l’atteinte à la santé ?

5.5         Quelle sont les limitations globales de l’assurée (en tenant compte des conclusions de l’expert rhumatologue, le Dr E______, du 7 décembre 2022.

a)             dans l’activité habituelle,

b)            dans une activité adaptée.

6.         Traitement

6.1 Quels ont été les traitements entrepris et avec quel succès (évolution et résultats des thérapies) ?

6.2 L’assuré a-t-il fait preuve de résistance à l’égard des traitements proposés ? Qualifier la compliance ?

6.3 Dans quelle mesure les traitements ont-ils été mis à profit ou négligés ?

6.4 Les troubles psychiques constatés nécessitent-ils une prise en charge spécialisée ?

6.5 Nécessitent-ils un traitement psychotrope ? si oui, effectuer un dosage sanguin.

6.6 Pour le cas où il y aurait refus ou mauvaise acceptation d’une thérapie recommandée et accessible : cette attitude doit-elle être attribuée à une incapacité de l’assuré à reconnaître sa maladie ou à une autre raison ?

7.         Ressources

7.1         De quelles ressources mobilisables l’assuré dispose-t-il ? (en tenant compte des conclusions du Dr E______).

7.2         Est-ce que l’assuré présente un trouble de la personnalité selon les critères diagnostiques des ouvrages de référence ou une altération des capacités inhérentes à la personnalité ?

7.3         Si oui, quelles sont ses répercussions fonctionnelles (conscience de soi et de l’autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité, motivation, notamment) sur la capacité à gérer le quotidien, à travailler et/ou en termes d’adaptation (motivez votre position) ?

7.4         Quel est le contexte social ? L’assuré peut-elle compter sur le soutien de ses proches ?

8.         Capacité de travail

8.1         Quelle est la capacité de travail (en lien avec les diagnostics psychiatriques retenus) et son évolution depuis la dernière décision entrée en force, soit le 18 septembre 2020 (prière de motiver votre réponse).

a)             dans l’activité habituelle,

b)            dans une activité adaptée.

8.2         Évaluer l’exigibilité, en pourcent, d’une activité lucrative adaptée, indiquer depuis quand une telle activité est exigible et quel est le domaine d’activité adapté.

8.3         Dire s'il y a une diminution de rendement et la chiffrer.

8.4         Si une diminution de rendement est retenue, celle-ci est-elle déjà incluse dans une éventuelle réduction de la capacité de travail ou vient-elle en sus ?

8.5         Serait-il possible d’améliorer la capacité de travail par des mesures médicales ? Indiquer quelles seraient les propositions thérapeutiques et leur influence sur la capacité de travail.

8.6         Quelle est de votre point de vue sur la capacité de travail globale de l’assuré, et son évolution depuis la dernière décision entrée en force, soit le 18 septembre 2020, en tenant compte des conclusions du Dr E______) (prière de motiver votre réponse).

c)             dans l’activité habituelle,

d)            dans une activité adaptée.

8.7         L’état de santé tel qu’il a été retenu dans la dernière décision en force de l’intimé le

9.         Appréciation d’avis médicaux du dossier

9.1 Êtes-vous d'accord avec les diagnostics et la capacité de travail retenus par la Dre D______ (rapports des 29 novembre 2021, 18 avril 2022).

9.2 Êtes-vous d'accord avec les diagnostics et la capacité de travail retenus le Dr F______ (rapport du 7 décembre 2022).

10.     Faire toute remarque et proposition utiles.

5.      Invite l’expert à déposer, dans les trois mois dès réception de la mission d’expertise, un rapport en trois exemplaires à la chambre de céans.

 

La greffière

 

 

 

 

Julia BARRY

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie de la présente ordonnance est notifiée aux parties par le greffe le