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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4575/2018

ATAS/380/2024 du 24.05.2024 ( LCA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4575/2018 ATAS/380/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 24 mai 2024

Chambre 9

 

En la cause

A______
représenté par Me Sarah BRAUNSCHMIDT SCHEIDEGGER, avocate

 

 

demandeur

 

contre

ALLIANZ SUISSE, SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SA

défenderesse

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré ou le demandeur), né le ______ 1975, était employé de la société B______ SA en tant que plongeur-casserolier depuis février 2011, et était, à ce titre, assuré contre la perte de gain maladie dans le cadre d'une police d'assurance collective d'indemnités journalières conclue par l'employeur auprès d'ALLIANZ SUISSE, SOCIÉTÉ D'ASSURANCES SA (ci-après : ALLIANZ, l'assureur perte de gain maladie ou la défenderesse).

b. Par courrier du 27 avril 2017, l'employeur a licencié l'assuré avec effet au 31 juillet 2017.

c. Dans un certificat du 2 mai 2017, le docteur C______, spécialiste en médecine interne générale, a attesté d'une capacité de travail nulle du 1er au 7 mai 2017 par suite de maladie. L'assuré était en traitement depuis le 2 mai 2017.

d. Dans un certificat du 2 juin 2017, le Dr C______ a attesté d'une capacité de travail nulle du 5 juin au 4 juillet 2017.

e. Par déclaration de maladie du 13 juin 2017, l'employeur a indiqué que l'assuré avait complètement cessé son activité le 2 mai 2017 en raison d'une maladie. Le salaire de base brut avant le début de l'incapacité de travail était de CHF 4'163.40 par mois, versé treize fois l'an. L'assuré bénéficiait déjà de prestations d'une assurance-accidents pour le sinistre n° 2017 1______.

f. Dans un rapport du 28 juin 2017, le Dr C______ a posé les diagnostics, avec effet sur la capacité de travail, d'état anxio-dépressif réactionnel, de tendinite et d'épicondylite du coude gauche ainsi que de lombalgies. L'affection s'était manifestée à la suite d'une chute en juin 2016 et l'assuré avait éprouvé des douleurs au coude et à l'épaule droite (recte : gauche). L'incapacité de travail totale du 1er au 8 mai 2017 avait été prolongée du 22 mai au 5 juillet 2017, date à laquelle une reprise de travail était prévue à plein temps.

g. Lors d'un entretien le 29 juin 2017 avec un case manager de l'assureur perte de gain maladie, dont le contenu a été transcrit dans un rapport du même jour, l'assuré a déclaré que ses douleurs au dos, présentes depuis trois ans à la suite d'une chute, étaient devenues subitement insupportables après son licenciement. En ce qui concernait la dépression, il avait été victime d'un accident en juin 2016, ayant occasionné une lésion à son coude gauche. Il avait été mis en arrêt de travail pendant un mois. En janvier 2017, il avait présenté une rechute de ses douleurs au coude gauche et son employeur avait décidé de le licencier. Le congé donné par celui-ci n'était toutefois pas valable, en raison de la période de protection. Fin avril 2017, le médecin-conseil de l'assurance-accidents avait conclu à une reprise de travail à 50% dès le 1er mai 2017. Il avait alors repris son emploi à ce moment, mais la direction et le service des ressources humaines avaient été agressifs à son égard. Le case manager a mentionné que l'assuré avait annoncé auparavant six accidents, dont en dernier lieu celui survenu le 21 juin 2016 (sinistre n° 1______).

h. Le 4 juillet 2017, le Dr C______ a attesté d'une capacité de travail nulle du 5 au 31 juillet 2017, qu'il a prolongée à réitérées reprises jusqu'au 31 décembre 2018.

i. Dans un rapport du 10 juillet 2017, le Dr C______ a retenu le diagnostic, avec répercussion sur la capacité de travail, d'état anxio-dépressif. À la suite d'une reprise de travail, l'assuré avait subi un mobbing et avait été licencié pour août 2017 (recte : juillet). L'assuré ne pouvait plus travailler au service de son employeur.

j. Le 31 juillet 2017, ALLIANZ a mis en œuvre une expertise, qui a été confiée à la clinique Corela. La docteure D______, spécialiste en psychiatrie, a examiné l'assuré le 16 septembre 2017 et rendu son rapport le 6 octobre 2017. Elle a posé le diagnostic de trouble de l'adaptation, réaction mixte, anxieuse et dépressive (F43.22), actuellement en phase de status post. Au jour de l'examen, la capacité de travail était entière, sans baisse de rendement.

k. Par décompte du 29 septembre 2017, ALLIANZ a versé à l'employeur 92 indemnités journalières à 100% du 1er juin au 31 août 2017 (à CHF 118.63 par jour), soit un montant total de CHF 10'914.-.

l. Par décompte du 2 octobre 2017, ALLIANZ a versé à l'assuré 30 indemnités journalières à 100% du 1er au 30 septembre 2017, soit un montant total de CHF 3'559.-.

B. a. Par courrier du 9 octobre 2017, ALLIANZ, en se référant aux conclusions de l'expertise Corela, a invité l'assuré, dont le contrat de travail avait été résilié, à chercher un nouvel emploi et à s'inscrire auprès d'une caisse de chômage. Le rapport d'expertise ayant été transmis tardivement, ALLIANZ verserait les prestations en faveur de l'assuré jusqu'au 15 octobre 2017.

b. Dans un certificat du 7 novembre 2017, le docteur E______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a indiqué suivre l'assuré depuis le 31 octobre 2017. Il a diagnostiqué une dépression sévère sans symptômes psychotiques (F32.2). Le score obtenu au test de Hamilton était de 32. L'assuré présentait un état dépressif majeur, avec des symptômes invalidants : troubles du sommeil avec insomnies d'endormissement, réveils nombreux, phénomènes anxieux envahissants, ruminations, tristesse, douleur morale, tension anxieuse, sentiments d'injustice, et sidération.

c. Dans un rapport du 26 novembre 2017, le Dr C______ a posé le diagnostic d'état dépressif grave et de lombosciatalgies, depuis mai-juillet 2017, aggravé en début de septembre. L'incapacité de travail était totale depuis le 22 mai 2017. Une reprise de l'activité professionnelle ou une augmentation de la capacité de travail était possible, selon l'évolution. Il convenait de demander l'avis du psychiatre.

d. Dans un rapport du 27 février 2018, le Dr E______ a mentionné que le traitement instauré, en raison de l'état dépressif majeur, avait apporté une amélioration, qui ne permettait cependant pas d'envisager une reprise de travail ou une capacité de travail entière. L'expertise effectuée par la clinique Corela, par une psychiatre qui ne possédait pas le titre FMH et qui n'était pas inscrite à l'Association des médecins du canton de Genève (AMG ; droit de pratique), était caduque ; cet établissement avait été suspendu pour des manquements graves. Une nouvelle expertise s'imposait.

e. Dans un rapport du 1er mars 2018, le Dr C______ a indiqué que, à la suite d'une tendinite chronique du coude gauche, l'assuré ne pouvait plus travailler comme auparavant ; il devait éviter le port de charges et la station debout prolongée.

f. Par courrier du 9 mars 2018, l'assuré, sous la plume du syndicat Unia
(ci-après : UNIA), a contesté l'expertise effectuée par la clinique Corela et a sommé ALLIANZ de lui verser les indemnités journalières et de procéder à une nouvelle expertise somatique et psychiatrique.

g. Dans un courrier du 26 mars 2018, ALLIANZ a répondu à l'assuré que si l'activité qu'il exerçait auprès de son ancien employeur n'était plus compatible avec son état de santé, une reprise totale de travail pouvait en revanche être envisagée dans une activité adaptée à ses limitations (éviter le port de charges et la station debout prolongée). En regard de son obligation de diminuer le dommage, il était invité à chercher un emploi mieux adapté à son état de santé. À cet effet, ALLIANZ lui accordait un délai de transition jusqu'au 15 janvier 2018 durant lequel l'indemnité journalière lui serait versée.

h. Par décompte du 10 avril 2018, ALLIANZ a versé à l'assuré un montant total de CHF 9'134.- à titre d'indemnités journalières pour la période du 16 octobre 2017 au 15 janvier 2018.

i. Le 25 avril 2018, l'assuré a déposé une demande de prestations auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l'OAI), en invoquant une incapacité de travail totale du 17 janvier au 30 avril 2017, de 50% du 2 au 21 mai 2017 et totale dès le 22 mai 2017.

j. Par courrier du 27 avril 2018 au Dr E______, ALLIANZ a considéré que l'expertise réalisée par la clinique Corela en septembre 2017 demeurait valable, dans la mesure où la sanction prononcée à l'égard de cet établissement visait d'autres expertises. L'assureur perte de gain maladie s'interrogeait par ailleurs sur les motifs qui empêchaient l'assuré, qui aurait souffert de mobbing sur son lieu de travail, de chercher une autre activité, dès lors qu'il ne travaillait plus depuis longtemps pour son employeur.

k. Par pli du 9 mai 2018, l'assuré a sollicité une nouvelle expertise ainsi que le versement des indemnités journalières jusqu'à fin août 2018 au minimum, afin de tenir compte d'un délai de transition de cinq mois dès le courrier d'ALLIANZ du 26 mars dernier.

l. Par pli du 11 mai 2018 adressé à Unia, l'assureur perte de gain maladie a contesté devoir prester jusqu'à fin août 2018. Il avait versé les indemnités journalières jusqu'au 15 janvier 2018 conformément à la jurisprudence, alors que l'incapacité de travail n'était nullement justifiée. L'avis du Dr C______, médecin généraliste, ne pouvait primer celui d'un psychiatre. Or, le Dr E______ n'avait toujours pas spécifié les raisons pour lesquelles son patient ne pouvait pas chercher un emploi, alors que le problème à la base de son incapacité de travail n'existait plus.

m. Dans un rapport du 11 mai 2018 à l'OAI, le Dr C______ a diagnostiqué, avec incidence sur la capacité de travail, un état dépressif et une tendinite. L'incapacité de travail était totale depuis le 1er mai 2018. La capacité de travail dans l'activité habituelle était nulle. L'assuré pouvait travailler dans une activité adaptée moins lourde. Une réadaptation était nécessaire.

n. Par pli du 12 juin 2018, l'assuré a réitéré sa demande d'être payé jusqu'au mois d'août 2018. Le Dr C______ était compétent pour se prononcer sur l'incapacité de travail consécutive à ses troubles physiques. De plus, le fait qu'il ne collaborait plus au service de son employeur ne signifiait nullement que le problème à la base de son incapacité de travail n'existait plus.

o. Par courrier du 26 juin 2018, ALLIANZ a répondu à l'assuré que la date du début de l'incapacité de travail le 1er mai 2017 selon le rapport du Dr C______ du 28 juin 2017 n'était pas le même que le jour de la survenance du sinistre, le 2 mai 2017. Contrairement aux indications figurant dans ce rapport, l'assuré n'avait pas repris son activité le 5 juillet 2017. Dans son rapport subséquent du 10 juillet 2017, ce médecin ne diagnostiquait que l'état anxio-dépressif. Les troubles à l'épaule et les lombalgies, dus à un accident et non à une maladie, ne pouvaient pas être pris en charge. Enfin, le Dr E______ n'était intervenu que le 31 octobre 2017, soit après le courrier du 9 octobre 2017 accordant les prestations jusqu'au 15 octobre suivant.

p. Dans un rapport du 22 mai 2018 à l'OAI, le Dr E______ a posé les diagnostics d'épisode dépressif sévère (F32.2) et de problèmes physiques (arthrose lombaire, tendinite d'Achille, épicondylite). Il a estimé la capacité de travail nulle dans l'activité habituelle et de 70% dans une activité adaptée.

C. a. Par mémoire du 21 décembre 2018, l'assuré, par l'intermédiaire de son nouveau conseil, a assigné ALLIANZ par devant la chambre des assurances sociales de la Cour de justice, sous suite de dépens, en paiement d'une somme de CHF 46'646.40 à laquelle s'ajoutait un intérêt moratoire de 5% l'an dès le 10 mars 2018, ainsi qu'en paiement d'un montant de CHF 126.20 par jour dès le 1er janvier 2019.

Le demandeur a fait valoir que l'expertise effectuée par la clinique Corela devait être écartée. Des manquements aux règles de l'art avaient été constatés dans la réalisation des expertises menées par cet établissement, si bien que le département genevois de l'emploi, des affaires sociales et de la santé lui avait retiré l'autorisation d'exploiter pour une durée de trois mois, mesure qui avait été confirmée par le Tribunal fédéral.

Le demandeur a ensuite exposé que les troubles psychiques dont il souffrait depuis le mois de mai 2017, qui nécessitaient un traitement médical, persistaient et l'empêchaient d'exercer une activité lucrative. Il avait ainsi droit aux indemnités journalières à CHF 126.20 par jour (80% du salaire assuré de CHF 57'576.55 selon le décompte de salaire 2016), soit un montant total de CHF 46'646.40 jusqu'au 31 décembre 2018, après déduction des indemnités déjà versées de CHF 9'134.-, plus intérêts à 5% l'an dès le 10 mars 2018, date de la réception de la première sommation de payer. À partir du 1er janvier 2019, la défenderesse devait lui payer CHF 126.20 par jour pendant 730 jours au maximum conformément à la police d'assurance applicable au cas d'espèce.

Enfin, le demandeur a sollicité son audition et celle de témoins (dont la liste serait déposée ultérieurement) ainsi qu'une expertise neutre et indépendante.

Il a joint en particulier :

-          son décompte de salaire 2016, faisant état d'un salaire annuel brut de CHF 57'576.55 ;

-          son décompte de salaire 2017, mentionnant un salaire mensuel brut de CHF 4'281.95 ; et

-          un courriel de l'employeur du 13 juin 2017 adressé à F______ Sàrl, agence de courtage et gestion d'assurances, auquel étaient joints la déclaration de maladie et les certificats médicaux, et sur lequel un collaborateur de cette agence a écrit à l'attention de l'assistant administratif : « G______, pour traitement de ce dossier, merci de faire le nécessaire avec Allianz pour un contrôle très sévère de ce client (M. A______) ».

b. Dans sa réponse du 1er mars 2019, la défenderesse a conclu au déboutement du demandeur de toutes ses conclusions, avec suite de dépens.

La défenderesse a relevé que le salaire assuré annuel était, selon la déclaration de sinistre du 13 juin 2017, complétée par le preneur d'assurance, de CHF 54'124.20 (soit CHF 4'163.40 par mois × 13) et non pas de CHF 57'576.55 comme l'indiquait le demandeur, de sorte que l'indemnité journalière s'élevait à CHF 118.63 et non pas à CHF 126.20. En outre, le début de l'incapacité de travail remontait au 2 mai 2017 selon la déclaration de sinistre précité, et non pas au 1er mai 2017, comme l'alléguait le demandeur. Le Dr C______ avait d'ailleurs mentionné que le traitement avait débuté le 2 mai 2017. De plus, les médecins traitants, soit les Drs C______ et E______, considéraient, à l'instar de la clinique Corela, que si le demandeur ne pouvait plus travailler auprès de son ex-employeur, en revanche, il disposait d'une capacité de travail dans une activité adaptée. Enfin, les prestations déjà versées au demandeur se montaient à CHF 23'607.-.

La défenderesse a produit notamment son courrier du 21 février 2019 adressé au conseil du demandeur « sous les réserves d'usage », soumettant une proposition de règlement du litige à l'amiable.

c. Par pli du 13 mars 2019, le demandeur a sollicité une audience de débats.

d. Dans sa réplique du 29 avril 2019, le demandeur a notamment persisté à demander la mise sur pied d'une expertise. Son état dépressif sévère perdurait malgré un traitement adapté et une compliance correcte. Son incapacité de travail ne se manifestait pas uniquement dans son ancienne activité. Les témoins cités pouvaient faire part des mauvaises conditions de travail auprès de son
ex-employeur. En outre, la défenderesse n'avait pas été objective dans le traitement de son dossier, l'employeur lui ayant demandé de faire preuve de sévérité. Enfin, le demandeur a reproché à la défenderesse d'avoir produit un courrier frappé des réserves d'usage.

Le demandeur a joint, entre autres :

-          un certificat établi par le Dr E______ le 15 janvier 2019, attestant d'une capacité de travail nulle du 1er au 31 janvier 2019, qu'il avait ensuite prolongée à plusieurs reprises jusqu'au 30 avril 2019 ;

-          un rapport du Dr E______ du 2 avril 2019, indiquant que l'état dépressif de son patient apparaissait sur un mode mélancoliforme, avec une désespérance, un ralentissement, une asthénie, et un mal-être. Celui-ci était tendu, irritable, et son sommeil était perturbé avec des réveils nocturnes. Selon le psychiatre, il existait une forte atteinte narcissique. Les troubles psychologiques entraînaient une baisse de concentration et d'attention et péjoraient également la résistance physique. Sur le plan somatique, l'assuré se plaignait d'une talalgie, liée à une tendinite du tendon d'Achille. Sa capacité de travail était nulle depuis octobre 2017. Il prenait du Relaxane et avait été réticent à une prescription d'antidépresseurs. La compliance avait été correcte. Le patient ne comprenait pas pourquoi l'assurance avait mis en œuvre une expertise auprès d'une clinique épinglée par la justice.

e. Dans sa duplique du 13 mai 2019, la défenderesse a indiqué qu'une audience de débats était superflue. Les rapports des médecins traitants étaient clairs quant à la capacité de travail résiduelle du demandeur, si bien que leur audition n'était pas nécessaire. Les autres témoins proposés n'étant pas des médecins et ne disposant pas des compétences pour se prononcer sur la capacité de travail de celui-ci, leur audition était également inutile. En outre, le demandeur alléguait souffrir d'une dépression sévère. Or, il prenait du Relaxane, médicament pouvant être remis à la pharmacie sans ordonnance médicale. Enfin, dans le courrier du 21 février 2019, écrit sous les réserves d'usage, la défenderesse proposait de régler le litige à l'amiable, sans reconnaissance de responsabilité, mais le demandeur n'y avait donné aucune suite, de sorte qu'elle avait dû déposer son mémoire de réponse.

La défenderesse a produit un extrait du Compendium suisse des médicaments, mentionnant les informations relatives au Relaxane.

f. Le 8 juillet 2019, la chambre de céans a tenu une audience de débats.

Les parties ont déclaré que le point litigieux le plus important concernait la capacité de travail résiduelle du demandeur. Leurs avis divergeaient quant au mode de calcul des indemnités journalières. La défenderesse se référait au salaire de base tel qu'il ressortait de la déclaration de sinistre, tandis que le demandeur prenait en compte non seulement le salaire de base, mais encore les diverses indemnités figurant sur les fiches de salaire. Elles n'étaient pas d'accord non plus s'agissant du montant, respectivement du nombre des indemnités journalières versées. Le demandeur se déterminerait à ce sujet en fonction des pièces qui démontreraient la réalité des versements opérés par la défenderesse.

En ce qui concernait l'échéance des 730 indemnités journalières, la défenderesse considérait que cette période partait du 2 mai 2017, jour du début de l'incapacité de travail. Elle a observé que cette date prenait en compte une incapacité de travail qui était en réalité d'ordre somatique et concernait un cas d'accident pour lequel elle n'intervenait pas. Elle avait toutefois pris en compte, pour ses calculs, cette date-là, pour l'envisager dans le cadre d'un arrangement global. À défaut d'un règlement, elle se déterminerait sur cette question. Le demandeur quant à lui faisait partir la période de 730 jours dès le 1er mai 2017 et estimait que toutes les incapacités de travail concernées par le dossier relevaient de la maladie, que ce soit sur le plan somatique ou psychique.

Pour ce qui était de la procédure AI, le demandeur a indiqué que l'administration n'avait pas encore statué sur sa demande de prestations. Une expertise psychiatrique avait été mise en place, mais il s'était opposé à la désignation de l'expert et avait proposé d'autres noms. Les parties ont affirmé que si la chambre de céans arrivait à la conclusion qu'une expertise était nécessaire, elles seraient d'accord d'attendre le résultat de l'expertise psychiatrique diligentée par l'OAI.

Le demandeur a affirmé n'avoir pas entrepris de procédure prud'homale contre son ex-employeur, notamment par rapport à l'allégation de mobbing. Il a réitéré sa demande d'enquêtes portant sur l'audition de onze témoins. Hormis les deux médecins traitants, les neuf autres témoins étaient son épouse, la fille de celle-ci, et d'anciens collègues qui pourraient témoigner au sujet de son état de santé et de l'existence de conflits avec l'employeur. Bien que ces personnes ne soient pas médecins, elles pourraient conforter les rapports médicaux.

Le demandeur a versé au dossier en particulier les pièces suivantes, immédiatement remises à la défenderesse :

-          un rapport du Dr E______ du 2 octobre 2018 adressé à l'OAI, indiquant que l'état de santé était stationnaire. La capacité de travail était nulle dans toute activité ;

-          un rapport du Dr E______ du 2 juillet 2019, mentionnant que son patient, qui avait pris un traitement antidépresseur du 21 novembre 2017 au 27 février 2018, était réticent vis-à-vis d'un tel traitement, car il avait une image négative des antidépresseurs.

À l'issue de cette audience, la chambre de céans a rendu une ordonnance de preuves. Elle a admis les offres de preuves des parties, ordonné la tenue d'une audience de comparution personnelle des parties à la suite de cette audience, réservé l'audition de témoins et ordonné l'apport du dossier de
l'assurance-invalidité du demandeur.

Lors de la comparution personnelle des parties, le demandeur a expliqué que les difficultés rencontrées avec son ex-employeur remontaient à l'été 2015. Il avait été convoqué à plusieurs reprises dans le bureau du directeur qui lui faisait des reproches par rapport à ce que disait le chef de cuisine à son sujet (par exemple arrivées tardives, etc.). Il avait à un moment donné reçu un avertissement formel qu'il avait contesté à travers UNIA et la situation avait dégénéré. Il n'était pas le seul employé à avoir subi des pressions de la part de l'employeur. Une ancienne collègue avait également été en incapacité de travail. Celle du demandeur avait débuté le 17 janvier 2017, et il avait repris son travail à 50% le 8 mai 2017. Son employeur avait exigé, contrairement à ce qui figurait dans la lettre de congé, qu'il reprenne le travail jusqu'à la fin du délai de préavis. L'employeur et le courtier en assurances l'avaient menacé d'un licenciement s'il retombait malade et de lui mettre l'assurance sur le dos.

Le demandeur a déclaré qu'il s'estimait totalement incapable de travailler dans toute activité. Depuis mai 2017, son état psychique s'était détérioré, de même que son état physique (tendon d'Achille et cheville droite). Il était suivi psychiatriquement par le Dr E______ depuis le 15 octobre 2017, à raison d'une à deux fois par mois. Il s'entretenait avec ce médecin dans le cadre d'une psychothérapie. Celui-ci l'aidait à se mobiliser pour qu'il retrouve un emploi. Il prenait du Relaxane mais pas d'antidépresseurs.

g. Par ordonnance du 24 octobre 2019, la chambre de céans a requis la production par l'OAI du dossier AI du demandeur.

h. Celui-ci, transmis le 8 novembre 2019, contenait notamment :

-          le questionnaire pour l'employeur du 16 mai 2018, indiquant que les rapports de travail avaient pris fin le 31 décembre 2017. Le dernier jour de travail effectif était le 16 janvier 2017 ;

-          un rapport du Dr C______ du 2 octobre 2018, relevant que l'état de santé était resté stationnaire. La capacité de travail dans l'activité habituelle était nulle. Un retour au travail était envisageable ultérieurement, mais une reconversion était nécessaire. Un examen médical complémentaire était indispensable pour évaluer les conséquences de l'atteinte à la santé sur la capacité de travail ;

-          un avis du 6 mars 2019 du service médical régional de l'assurance-invalidité (ci-après : SMR), considérant, sur la base des pièces médicales au dossier, que les pathologies rhumatologiques avancées nécessitaient une reconversion professionnelle et que l'activité habituelle n'était pas adaptée. Le Dr E______ évoquait un épisode de dépression d'intensité sévère motivant une incapacité de travail totale, mais le patient bénéficiait d'un suivi psychiatrique toutes les trois semaines et d'un traitement ne comportant pas d'antidépresseur. Il convenait de mettre en œuvre une expertise psychiatrique. Pour des aspects juridico-administratifs, l'expert était invité à ne pas tenir compte dans son évaluation de l'expertise Corela ;

-          une communication de l'OAI du 6 mai 2019, informant le demandeur de la mise sur pied d'une expertise psychiatrique auprès du docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, remplacé par le docteur I______, de même spécialité, par communication du 25 juillet 2019, à la suite du courrier du conseil du demandeur du 17 mai 2019 ;

-          un courrier du conseil du demandeur du 7 août 2019, demandant la récusation du Dr I______, au motif qu'une expertise consensuelle n'avait pas été mise sur pied et que l'expert désigné rendait très souvent des rapports jugés non probants par la chambre de céans, laquelle l'avait de surcroît condamné à une amende de CHF 1'000.- en raison de son refus répété de se présenter à une audience à laquelle il avait été convoqué ;

-          la décision incidente du 21 août 2019, maintenant l'expertise auprès du Dr I______ - contre laquelle le demandeur a formé recours auprès de la chambre de céans (procédure A/3523/2019).

i. Dans le délai qui lui a été imparti, le demandeur n'a pas formulé d'observations.

j. Dans sa détermination du 9 décembre 2019, en lien avec la décision incidente de l'OAI, la défenderesse a relevé que le Dr C______ avait mis en évidence une affection somatique (tendinite chronique de la cheville droite) pour justifier l'incapacité de travail de son patient. Or, le diagnostic principal ayant donné lieu à l'expertise psychiatrique était un état anxio-dépressif réactionnel. Dans son rapport du 11 mai 2018, ce médecin indiquait de toute manière que son patient pouvait exercer une activité adaptée. Le Dr E______ était du même avis dans son rapport du 22 mai 2018. Ainsi, une expertise n'était pas indispensable. Enfin, les arguments soulevés par le demandeur pour tenter de récuser le Dr I______ n'étaient nullement relevants.

k. Par arrêt incident du 21 février 2020, la chambre de céans a suspendu l’instance, jusqu’à réception du rapport d’expertise qui serait mise en œuvre par l’OAI (ATAS/132/2020).

l. Par arrêt du 9 mars 2020, la chambre de céans a annulé la décision incidente du 21 août 2019 et renvoyé la cause à l'OAI, en considérant que la procédure de désignation consensuelle de l'expert n'avait pas été correctement menée lors de la nomination de l'expert de sorte que l'autorité devait y remédier (ATAS/199/2020). Saisi d'un recours, le Tribunal fédéral a annulé cet arrêt et confirmé ladite décision incidente (arrêt 9C_297/2020 du 3 décembre 2020).

m. Le 30 mars 2022, le demandeur a informé la chambre de céans qu’une première version de l’expertise psychiatrique avait été rendue. L’OAI avait toutefois sollicité des compléments et précisions à l’expert. L’assuré contestait toute valeur probante à cette expertise et sollicitait la reprise de l’instruction, l’expertise diligentée par l’OAI ne permettant en rien d’évaluer son état de santé.

n. Le 29 avril 2022, la défenderesse a invité la chambre de céans à examiner la valeur probante de l’expertise du Dr I______. Il semblait que sa réalisation avait été rendue difficile du fait de l’attitude du demandeur.

o. Par ordonnance du 5 mai 2022, la chambre de céans a ordonné la reprise de l’instruction de la cause.

p. Le 12 juillet 2022, le demandeur a persisté dans ses conclusions, réclamant la somme totale de CHF 92'126.-, sous déduction de la somme de CHF 9'134.- payée par la défenderesse, à titre d’indemnités journalières dès le 2 mai 2017. L’expertise du Dr I______ n’était d’aucune utilité en l’absence d’un examen rétrospectif sur sa capacité de travail.

Il a produit deux attestations des Drs E______, et C______ des 25 avril, respectivement 22 avril 2022.

q. Le 14 septembre 2022, la défenderesse a persisté dans ses conclusions. Le demandeur n’avait pas apporté la preuve de son incapacité de travail, même partielle.

r. Par plaidoiries écrites du 22 novembre 2022, la défenderesse a conclu, sous suite de dépens, au déboutement du demandeur de toutes ses conclusions.

s. Par plaidoiries écrites du 6 décembre 2022, le demandeur a conclu, sous suite de dépens, à ce qu’il soit constaté qu’il avait le droit au paiement de 730 jours d’indemnités journalières à CHF 126.20 le jour et à ce que la défenderesse soit condamnée à lui verser CHF 82'992.- plus intérêt à 5% l’an dès la date moyenne, sous déduction des sommes déjà versées. Il a également informé la chambre de céans que l’OAI avait l’intention de mettre en œuvre une nouvelle expertise rhumato-psychiatrique. Dans la mesure où la chambre de céans avait estimé qu’une expertise était nécessaire, il semblait opportun de suspendre à nouveau l’instruction de la procédure jusqu’à réception d’un nouveau rapport d’expertise psychiatrique.

Il a produit le rapport d’expertise du Dr I______ du 11 novembre 2021 et son complément du 4 février 2022, ainsi que la communication de l’OAI quant à la mise en œuvre d’une expertise bi-disciplinaire et l’avis médical du SMR du 22 novembre 2022.

t. Le 22 décembre 2022, la défenderesse a confirmé son accord quant à la demande de suspension de la présente procédure. Rappelant que le litige portait sur la période de mai 2017 à mai 2019, il était impératif que l’expertise soit en mesure de se prononcer également pour cette période. Elle invitait ainsi la chambre de céans à soumettre ses propres questions dans le cadre de l’expertise à venir. Elle a également sollicité l’apport du dossier AI actualisé.

u. Par arrêt incident du 17 janvier 2023, la chambre de céans a suspendu l'instance jusqu'à réception du rapport d'expertise qui serait mise en œuvre par l'OAI (ATAS/11/2023).

v. Le 7 décembre 2023, la défenderesse a transmis à la chambre de céans son courrier du même jour à l'OAI par lequel elle confirmait, au moyen du formulaire joint, qu'elle n'avait pas de compensation à faire valoir avec les versements de rentes d'invalidité prenant effet au 1er octobre 2018, qui étaient postérieurs à la fin de ses prestations d'indemnités journalières au 15 janvier 2018. Dans l'éventualité où elle devrait des prestations perte de gain maladie après cette dernière date au demandeur, elle compenserait celles-ci directement auprès de celui-ci en cas de surindemnisation pour la période concernée.

w. Par courrier du 12 janvier 2024, le demandeur a fait valoir que le rapport d'expertise établi par le Bureau d'Expertises Médicales (BEM) ainsi que la décision de l'OAI du 18 décembre 2023 le mettant au bénéfice d'une rente d'invalidité entière depuis le 1er octobre 2018, qu'il a produits, confirmaient le bien-fondé de sa demande à l'encontre de la défenderesse.

x. Par ordonnance du 18 janvier 2024, la chambre de céans a ordonné la reprise de la procédure, et imparti un délai à la défenderesse pour se prononcer sur les trois documents précités.

y. Dans sa détermination du 16 avril 2024, la défenderesse a maintenu sa position. Elle invitait la chambre de céans à statuer sur la valeur probante du rapport d'expertise du BEM au regard de l'ensemble des pièces médicales au dossier, en relevant que les médecins-traitants du demandeur lui reconnaissaient une capacité de travail de 70% au moment de leur propre examen. Si, par impossible, elle devait être condamnée à verser un solde d'indemnités journalières au demandeur, il s'élèverait tout au plus à CHF 85'400.- pour la période du 1er juin 2017, à l'échéance du délai d'attente de 30 jours dès le 2 mai 2017, date de début du sinistre, jusqu'au 1er mai 2019, soit durant 700 jours, l'indemnité journalière maximum étant de CHF 122.-. Il convenait de déduire de ce montant la somme déjà versée à ce titre jusqu'au 15 janvier 2018 à hauteur de CHF 23'607.-. Il y avait également lieu de déduire, au titre de la surindemnisation, en application de l'art. 7 des conditions complémentaires applicables au contrat d'assurance conclu par l'ex-employeur, les prestations que l'assurance-invalidité aurait versées si l'assuré n'avait pas déposé sa demande de prestations AI tardivement, soit un montant de CHF 11'311.35 pour la période du 1er janvier 2018 au 1er mai 2019. Les rentes d'invalidité ayant été accordées rétroactivement pour une période postérieure aux prestations d'indemnités journalières déjà avancées, la défenderesse n'avait pas été en mesure de faire valoir sa compensation directement auprès de l'OAI. Quant aux intérêts moratoires, ils ne pouvaient commencer à courir que quatre semaines après le 23 janvier 2024, date de la réception du rapport d'expertise du BEM par la défenderesse.

z. Copie de cette écriture a été transmise au demandeur pour information.

 

EN DROIT

 

1.              

1.1 La compétence de la chambre de céans à raison de la matière et du lieu a été examinée dans l'arrêt incident du 21 février 2020. Il suffit d'y renvoyer.

1.2 Les litiges relatifs aux assurances complémentaires à l'assurance-maladie ne sont pas soumis à la procédure de conciliation préalable de l'art. 197 du Code de procédure civile suisse du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272) lorsque les cantons ont prévu une instance cantonale unique selon l'art. 7 CPC (ATF 138 III 558 consid. 4.5 et 4.6 ; ATAS/577/2011 du 31 mai 2011), étant précisé que le législateur genevois a fait usage de cette possibilité (art. 134 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 [LOJ - E 2 05]).

1.3 Pour le reste, la demande respecte les conditions formelles prescrites par les art. 130 et 244 CPC ainsi que les autres conditions de recevabilité prévues par l’art. 59 CPC, de sorte qu’elle est recevable.

2.              

2.1 Sur le plan matériel, la loi fédérale sur le contrat d'assurance du 2 avril 1908 (loi sur le contrat d'assurance, LCA - RS 221.229.1) a fait l’objet d’une révision entrée en vigueur le 1er janvier 2022 (modification du 19 juin 2020 ; RO 2020 4969 ; RO 2021 357).

2.2 En cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste, en principe, celle qui était en vigueur lors de réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

2.3 Selon la disposition transitoire relative à cette modification, seules les prescriptions en matière de forme (let. a) et le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b LCA (let. b) s’appliquent aux contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de cette modification. S’agissant des autres dispositions de la LCA, elles s’appliquent uniquement aux nouveaux contrats (Message concernant la révision de la loi fédérale sur le contrat d’assurance, FF 2017 4812).

2.4 En l'occurrence, le contrat d'assurance a été conclu avant le 1er janvier 2022 et l’objet du litige ne porte ni sur des prescriptions en matière de forme, ni sur le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b LCA, de sorte que les dispositions de la LCA applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

3.             Le litige porte sur le droit éventuel du demandeur à des indemnités journalières de la part de la défenderesse pendant la durée maximale du droit à l'indemnité.

4.              

4.1 La procédure simplifiée s'applique aux litiges portant sur des assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale au sens de la loi fédérale sur l'assurance-maladie du 18 mars 1994 (LAMal - RS 832.10 ; art. 243 al. 2 let. f CPC) et la chambre de céans établit les faits d'office (art. 247 al. 2 let. a CPC).

La jurisprudence applicable avant l'introduction du CPC, prévoyant l'application de la maxime inquisitoire sociale aux litiges relevant de l'assurance-maladie complémentaire, reste pleinement valable (ATF 127 III 421 consid. 2). Selon cette maxime, le juge doit établir d'office les faits, mais les parties sont tenues de lui présenter toutes les pièces nécessaires à l'appréciation du litige. Ce principe n'est pas une maxime officielle absolue, mais une maxime inquisitoire sociale. Le juge ne doit pas instruire d'office le litige lorsqu'une partie renonce à expliquer sa position. En revanche, il doit interroger les parties et les informer de leur devoir de collaboration et de production des pièces ; il est tenu de s'assurer que les allégations et offres de preuves sont complètes uniquement lorsqu'il a des motifs objectifs d'éprouver des doutes sur ce point. L'initiative du juge ne va pas au-delà de l'invitation faite aux parties de mentionner leurs moyens de preuve et de les présenter. La maxime inquisitoire sociale ne permet pas d'étendre à bien plaire l'administration des preuves et de recueillir toutes les preuves possibles (ATF 125 III 231 consid. 4a).

4.2 La maxime inquisitoire sociale ne modifie pas la répartition du fardeau de la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 4C.185/2003 du 14 octobre 2003 consid. 2.1). Pour toutes les prétentions fondées sur le droit civil fédéral, l'art. 8 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), en l'absence de règles contraires, répartit le fardeau de la preuve et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 133 III 323 consid. 4.1 non publié ; 130 III 321 consid. 3.1 ; 129 III 18 consid. 2.6 ; 127 III 519 consid. 2a). Cette disposition ne prescrit cependant pas quelles sont les mesures probatoires qui doivent être ordonnées (cf. ATF 122 III 219 consid. 3c ; 119 III 60 consid. 2c). Elle n'empêche pas le juge de refuser une mesure probatoire par une appréciation anticipée des preuves (ATF 121 V 150 consid. 5a). L'art. 8 CC ne dicte pas comment le juge peut forger sa conviction (ATF 122 III 219 consid. 3c ; 119 III 60 consid. 2c ; 118 II 142 consid. 3a). En tant que règle sur le fardeau de la preuve, il ne s'applique que si le juge, à l'issue de l'appréciation des preuves, ne parvient pas à se forger une conviction dans un sens positif ou négatif (ATF 132 III 626 consid. 3.4 et 128 III 271 consid. 2b/aa). Ainsi, lorsque l'appréciation des preuves le convainc de la réalité ou de l'inexistence d'un fait, la question de la répartition du fardeau de la preuve ne se pose plus (ATF 128 III 271 consid. 2b/aa).

4.3 En vertu de l'art. 8 CC, chaque partie doit, si la loi ne prescrit le contraire, prouver les faits qu'elle allègue pour en déduire son droit. En conséquence, la partie qui fait valoir un droit doit prouver les faits fondant ce dernier, tandis que le fardeau de la preuve relatif aux faits supprimant le droit, respectivement l’empêchant, incombe à la partie, qui affirme la perte du droit ou qui conteste son existence ou son étendue. Cette règle de base peut être remplacée par des dispositions légales de fardeau de la preuve divergentes et doit être concrétisée dans des cas particuliers (ATF 128 III 271 consid. 2a/aa avec références). Ces principes sont également applicables dans le domaine du contrat d'assurance (ATF 130 III 321 consid. 3.1).

En principe, un fait est tenu pour établi lorsque le juge a pu se convaincre de la vérité d'une allégation. La loi, la doctrine et la jurisprudence ont apporté des exceptions à cette règle d'appréciation des preuves. L'allégement de la preuve est alors justifié par un « état de nécessité en matière de preuve » (Beweisnot), qui se rencontre lorsque, par la nature même de l'affaire, une preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, en particulier si les faits allégués par la partie qui supporte le fardeau de la preuve ne peuvent être établis qu'indirectement et par des indices (ATF 132 III 715 consid. 3.1 ; 130 III 321 consid. 3.2). Tel peut être le cas de la survenance d'un sinistre en matière d'assurance-vol (ATF 130 III 321 consid. 3.2) ou de l'existence d'un lien de causalité naturelle, respectivement hypothétique (ATF 132 III 715 consid. 3.2). Le degré de preuve requis se limite alors à la vraisemblance prépondérante (die überwiegende Wahrscheinlichkeit), qui est soumise à des exigences plus élevées que la simple vraisemblance (die Glaubhaftmachung). La vraisemblance prépondérante suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ou hypothèses envisageables ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 ; 132 III 715 consid. 3.1 ; 130 III 321 consid. 3.3).

En vertu de l'art. 8 CC, la partie qui n'a pas la charge de la preuve a le droit d'apporter une contre-preuve. Elle cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l'exactitude des allégations formant l'objet de la preuve principale. Pour que la contre-preuve aboutisse, il suffit que la preuve principale soit ébranlée, de sorte que les allégations principales n'apparaissent plus comme les plus vraisemblables (ATF 130 III 321 consid. 3.4). Le juge doit procéder à une appréciation d'ensemble des éléments qui lui sont apportés et dire s'il retient qu'une vraisemblance prépondérante a été établie (ATF 130 III 321 consid. 3.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_61/2011 du 26 avril 2011 consid. 2.1.1).

En ce qui concerne la survenance d’un sinistre assuré, le degré de preuve nécessaire est en principe abaissé à la vraisemblance prépondérante (en lieu et place de la règle générale de la preuve stricte ; ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3). Le défendeur conserve toutefois la possibilité d’apporter des contre-preuves ; il cherchera ainsi à démontrer des circonstances propres à faire naître chez le juge des doutes sérieux sur l’exactitude des allégations formant l’objet de la preuve principale (ATF 130 III 321 consid. 3.4).

Cependant, dans un arrêt du 31 août 2021, le Tribunal fédéral a modifié la jurisprudence précitée, en ce sens que l’existence d’un cas d’assurance constitué par une incapacité de travail est désormais soumise au degré de preuve de la preuve stricte (ATF 148 III 105 consid. 3.3.1 in fine). Par conséquent, la preuve est apportée lorsque le tribunal, en se fondant sur des éléments objectifs, est convaincu de l'exactitude d'une allégation de fait. Il suffit qu'il n'y ait plus de doutes sérieux quant à l'existence du fait allégué ou que les doutes qui subsistent éventuellement paraissent légers (ATF 148 III 105 consid. 3.3.1).

Cette précision de jurisprudence concerne le droit matériel et est donc directement applicable (ATF 146 I 105 consid. 5.2.1), y compris au présent litige.

5.              

5.1 Aux termes de l’art. 168 al. 1 CPC, les moyens de preuve sont le témoignage (let. a) ; les titres (let. b) ; l’inspection (let. c) ; l’expertise (let. d) ; les renseignements écrits (let. e) ; l’interrogatoire et la déposition de partie (let. f).

5.2 Le principe de la libre appréciation des preuves s'applique lorsqu'il s'agit de se prononcer sur des prestations en matière d'assurance sociale. Rien ne justifie de ne pas s'y référer également lorsqu’une prétention découlant d'une assurance complémentaire à l'assurance sociale est en jeu (arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2011 du 24 mars 2011 consid. 4.2).

Le principe de la libre appréciation des preuves signifie que le juge apprécie librement les preuves, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Dès lors, le juge doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de statuer sur le droit litigieux (arrêt du Tribunal fédéral 4A_253/2007 du 13 novembre 2007 consid. 4.2).

En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l’affaire sans apprécier l’ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l’objet d’une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu’il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l’expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).

L’expertise en tant que moyen de preuve admis au sens de l’art. 168 al. 1 let. d CPC ne vise que l’expertise judiciaire au sens de l’art 183 al. 1 CPC. Une expertise privée n’est en revanche pas un moyen de preuve mais une simple allégation de partie (ATF 141 III 433 consid. 2.5.2 et 2.5.3). Lorsqu’une allégation de partie est contestée de manière circonstanciée par la partie adverse, une expertise privée ne suffit pas à prouver une telle allégation. En tant qu’allégation de partie, une expertise privée peut, combinée à des indices dont l’existence est démontrée par des moyens de preuve, amener une preuve. Toutefois, si elle n’est pas corroborée par des indices, elle ne peut être considérée comme prouvée en tant qu’allégation contestée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_626/2015 du 24 mai 2016 consid. 2.5).

Cela étant, le juge civil peut ordonner l’apport d’une expertise mise en œuvre dans le cadre d’une autre procédure. La valeur probante de telles expertises n’est pas remise en question du fait que le droit d’être entendu des parties au procès doit être garanti, lequel comprend outre une détermination sur le contenu de l’expertise (art. 187 al. 4 CPC) également la possibilité de s’exprimer sur la personne de l’expert (art. 183 al. 2 CPC) et de poser des questions complémentaires (art. 185 al. 2 CPC). Des expertises diligentées par des tiers sont ainsi tout aussi probantes que celles ordonnées par le juge civil, étant rappelé que leur force probante se détermine selon le principe de la libre appréciation des preuves et qu’une nouvelle expertise portant sur les mêmes questions doit être mise en œuvre lorsque l’expertise diligentée par un tiers ne résiste pas à la critique (ATF 140 III 24 consid. 3.3.1.3).

6.             Depuis l'entrée en vigueur de la LAMal, le 1er janvier 1996, les assurances complémentaires à l'assurance-maladie sociale au sens de cette loi sont soumises au droit privé, plus particulièrement à la LCA ; ATF 124 III 44 consid. 1a/aa). Comme l'art. 100 al. 1 LCA renvoie à la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220) pour tout ce qu'elle ne règle pas elle-même, la jurisprudence en matière de contrats est applicable. D'après celle-ci, les conditions générales font partie intégrante du contrat. Les dispositions contractuelles préformulées sont en principe interprétées selon les mêmes règles que les clauses contractuelles rédigées individuellement (ATF 133 III 675 consid. 3.3 ; 122 III 118 consid. 2a ; 117 II 609 consid. 6c)

La LCA ne comporte pas de dispositions particulières à l'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie ou d'accident, de sorte qu'en principe, le droit aux prestations se détermine exclusivement d'après la convention des parties (ATF 133 III 185 consid. 2). Le droit aux prestations d'assurances se détermine donc sur la base des dispositions contractuelles liant l'assuré et l'assureur, en particulier des conditions générales ou spéciales d'assurance (arrêt du Tribunal fédéral 5C.263/2000 du 6 mars 2001 consid. 4a).

7.              

7.1 En l'espèce, la police d'assurance prévoit une indemnité journalière en cas de maladie s'élevant à 80% du salaire assuré, versée pendant 730 jours au maximum, sous déduction d'un délai d'attente de 30 jours.

Selon l'art. 2 ch. 1 des Conditions générales pour l'assurance maladie collective, Édition 2008 (ci-après : CG), faisant partie intégrante de la police d'assurance, l'assurance couvre, dans le cadre des dispositions contractuelles les conséquences économiques d'un événement assuré, stipulées dans un contrat écrit.

L'art. 3 ch. 1 CG définit la maladie comme suit : « [e]st réputée maladie toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n'est pas due à un accident et qui exige un examen ou un traitement médical ou provoque une incapacité de travail ». Le ch. 4 précise qu'« est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l'aptitude de l'assuré à accomplir, tant dans sa profession actuelle que dans une autre profession ou domaine d'activité, le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. Seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de travail. De plus, il n'y a incapacité de travail que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable ».

Selon l'art. 1 des Conditions complémentaires pour l'assurance de l'indemnité journalière de maladie, Édition 2008 (ci-après : CComp), faisant partie intégrante de la police d'assurance, sont assurées des indemnités journalières en cas d'incapacité de travail par suite d'une maladie ayant pour conséquence une perte de gain.

Selon l'art. 5 ch. 1 CComp, l'indemnité journalière se calcule en fonction du degré de l'incapacité de travail attesté médicalement. Une incapacité de travail de moins de 25% ne donne pas droit à l'indemnité journalière.

7.2 La défenderesse a, dans un premier temps, versé des indemnités journalières au demandeur sur la base des certificats d'arrêt de travail total émis par le Dr C______, médecin traitant généraliste, qui retenait, sur le plan psychique, un état anxio-dépressif, avec effet sur la capacité de travail, depuis le mois de mai 2017 (cf. ses rapports des 28 juin, 10 juillet, et 26 novembre 2017). Ensuite, en se référant au rapport d'expertise psychiatrique de la Dre D______ du 6 octobre 2017, de la clinique CORELA, établi à sa demande, qui considérait que le demandeur, au jour de l'expertise le 16 septembre 2017, disposait d'une capacité de travail entière sans baisse de rendement, la défenderesse a cessé de prester, en dernier lieu, au-delà du 15 janvier 2018, en accordant un délai de transition jusqu'à cette dernière date au demandeur pour qu'il cherche un emploi adapté à son état de santé.

Dans l'arrêt incident du 21 février 2020, la chambre de céans a expliqué les motifs pour lesquels il y avait lieu d'écarter cette expertise, et retenu que les pièces médicales au dossier ne permettaient pas de statuer sur le litige. Une expertise psychiatrique s'avérait nécessaire, comme le requérait le demandeur, afin de clarifier les éventuelles conséquences de son atteinte à la santé psychique sur sa capacité de travail et la manière dont celle-ci avait évolué au fil du temps. La chambre de céans a alors suspendu la procédure jusqu'à réception du rapport d'expertise psychiatrique qui serait mise en œuvre par l'OAI. Il sera relevé que lors de l'audience de débats du 8 juillet 2019, la défenderesse était d'accord d'attendre le résultat de cette expertise.

Ladite expertise a été effectuée par le Dr I______, qui estimait, dans son rapport du 11 novembre 2021 complété le 4 février 2022, que le demandeur présentait, avec répercussion sur la capacité de travail, un trouble de l'humeur persistant, sans précision (F34.9), et sans répercussion sur la capacité de travail, une majoration des symptômes psychiques et/ou physiques pour des raisons psychologiques (F68.0), ainsi qu'une personnalité à traits limites (Z73.1). La capacité de travail de celui-ci dans une activité adaptée à ses éventuelles limitations somatiques objectives était évaluée à 70% dès le 30 avril 2018. Cette date correspond à celle d'un questionnaire préétabli par l'OAI, que le psychiatre traitant a complété le 22 mai 2018 (dossier OAI p. 124-127).

Après que le Dr E______, psychiatre traitant, se soit prononcé sur le rapport d'expertise du Dr I______, en motivant les raisons pour lesquelles l'appréciation de son confrère ne pouvait pas être suivie, l'OAI a décidé de mettre en œuvre une expertise rhumato-psychiatrique. Cela a justifié une nouvelle suspension de la présente procédure dans l'attente dudit rapport d'expertise (arrêt incident du 17 janvier 2023).

Le volet psychiatrique de cette expertise, auprès du BEM, a été confié au docteur J______, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie.

Dans son rapport d'expertise (non daté) reçu par la chambre de céans le 16 janvier 2024, qui est fondé sur l'anamnèse, les pièces médicales au dossier, les données subjectives et objectives, le Dr J______ a posé les diagnostics incapacitants d'épisode dépressif actuellement moyen (F32.1) et de douleur chronique où intervenaient des facteurs somatiques et psychiques (F45.41). L'expert n'a pas objectivé de marques de manipulation, de provocation ou de revendication inadaptée. Il a expliqué les motifs pour lesquels il écartait des diagnostics (y compris celui de trouble spécifique de la personnalité) mais admettait ceux précités, tout en se déterminant sur les avis médicaux au dossier.

En particulier, le Dr J______ retrouvait des signes d'abaissement de l'humeur (épisodes de larmes, mimique et ton de voix pauvres de tendance triste, tonalité du discours triste ou d'expression négative), des signes de fatigue et de fatigabilité, une perte du sentiment de plaisir, une altération de la concentration et de l'attention, une mimique et une expression moroses, ainsi qu'un ralentissement psychomoteur. L'expertisé avait changé de posture à deux reprises accompagnée de contractions douloureuses de la mimique, et sa marche paraissait limitée et claudicante. L'expert a conclu que les limitations fonctionnelles (fatigue et fatigabilité, baisse de motivation, flexibilité et adaptabilité limitées) entraînaient une baisse de la capacité de travail, de 70% dans l'activité habituelle, et de 60% dans une activité adaptée permettant des pauses régulières, au jour de l'expertise. La capacité de travail dans l'activité habituelle, marquée négativement par l'expérience de l'expertisé et qui nécessitait une station debout prolongée dans un environnement stressant, était plus limitée que dans une activité adaptée. Pour la période antérieure, durant laquelle le Dr J______ retenait notamment le diagnostic d'un épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2), à l'instar du psychiatre traitant, l'expert a estimé que la capacité de travail du demandeur était nulle (dès janvier 2017) dans toute activité jusqu'à la fin du mois de septembre 2022. On déduit de la discussion de l'expert au sujet des avis médicaux au dossier qu'il a retenu cette dernière date sur la base du dernier rapport du psychiatre traitant du 14 septembre 2022 (cf. avis du SMR du 22 novembre 2022 qui cite ce rapport).

Le Dr J______ a également souligné que les limitations alléguées, objectivées, étaient uniformes dans l'ensemble des domaines de la vie. En particulier, le demandeur, qui vivait avec son épouse, n'avait plus de hobby (alors qu'auparavant, il pratiquait le fitness, le vélo, et la marche à pied), il ne regardait plus la télévision, ni ne jouait sur son portable, parfois il ne se levait pas de son lit, il n'avait plus d'activité particulière, et restait à la maison en compagnie de ses chats. Le taux de Fluctine était certes inférieur au regard des doses prescrites, et le taux plasmatique de Paracétamol était aussi faible, mais cela pouvait être expliqué par un métabolisme rapide, sans qu'ils remettent en cause la réalité de l'atteinte incapacitante à la santé du demandeur, qui ne simulait pas.

Le rapport d'expertise du Dr J______, auquel l'OAI s'est rallié, permet d'examiner le cas à l'aune des indicateurs déterminants applicables aux troubles psychiques, développés par la nouvelle jurisprudence en lien avec les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281 ; 143 V 418 consid. 6 et 7), et remplit les exigences jurisprudentielles pour se voir reconnaître une pleine valeur probante (ATF 125 V 351 consid. 3).

Par conséquent, le demandeur a prouvé avoir présenté une incapacité de travail totale dans toute activité du 2 mai 2017, date du début du cas de maladie, au 1er mai 2019, au terme de la période maximale d'indemnisation compte tenu de la déduction du délai d'attente de 30 jours. Il sera précisé que dans son écriture du 12 juillet 2022 (p. 2), le demandeur a admis que la période litigieuse courait dès le 2 mai 2017, qui correspond à la date de la cessation d'activité selon la déclaration de maladie du 13 juin 2017, ensuite de quoi le médecin généraliste a établi un certificat d'arrêt de travail en date du 2 mai 2017 pour cause de maladie.

Au passage, contrairement à ce que semble suggérer la défenderesse, le fait que, dans un rapport du 22 mai 2018, le psychiatre traitant ait fait état d'une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée ne discrédite pas les conclusions du Dr J______, qui a étudié ce rapport. En effet, d'une part, dans un avis du 6 mars 2019, le SMR, au vu notamment dudit rapport, a préconisé une expertise psychiatrique. D'autre part, vu que l'expertise de la clinique CORELA du 6 octobre 2017 doit être écartée comme on l'a déjà dit, et que le taux de la capacité de travail dans une activité adaptée est mentionné pour la première fois dans ce rapport du 22 mai 2018, il aurait fallu que la défenderesse impartisse un délai, de trois à cinq mois, au demandeur pour qu'il s'adapte aux nouvelles circonstances et trouve un emploi dans une activité adaptée (ATF 127 III 106 consid. 4c non publié). Or, dans un rapport du 2 octobre 2018, près de cinq mois après le 22 mai 2018, le psychiatre traitant a à nouveau attesté d'une totale incapacité de travail dans toute activité. Ainsi, même à retenir une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée dès le 22 mai 2018, en l'absence d'un avertissement par la défenderesse au demandeur pour qu'il change de profession et de l'octroi d'un délai adéquat pour ce faire, l'indemnité journalière convenue était quoi qu'il en soit également due du 22 mai au 2 octobre 2018.

7.3 En ce qui concerne le montant de l'indemnité journalière, que le demandeur chiffre à CHF 126.20 par jour, en se référant à son décompte de salaire 2016 qui fait état d'un salaire annuel brut de CHF 57'576.55, c'est le lieu de rappeler que selon l'art. 6 ch. 1 par. 1 à 4 des CComp, « [le] salaire versé par le preneur d'assurance à la personne assurée le mois précédent le début du cas de maladie, ou la rechute, constitue le salaire AVS déterminant pour le calcul des indemnités journalières. Des parts de salaire auxquelles la personne assurée a droit sont prises en considération, comme par exemple des bonifications fixées contractuellement ou un 13ème salaire mensuel. Ne sont pas prises en considération des bonifications spéciales comme les gratifications, primes de fidélité ou cadeaux pour années de service. L'indemnité journalière est déterminée dans chaque cas sur la base de la perte de gain effective subie, suite à la maladie, par la personne assurée. Le salaire est converti en salaire annuel et divisé par 365. Il en va de même pour un salaire assuré fixe. L'indemnité journalière ainsi calculée est versée pour chaque jour civil ».

Dans la mesure où le sinistre est survenu le 2 mai 2017, c'est le salaire du mois précédent, soit celui du mois d'avril 2017, qui est déterminant pour le calcul de l'indemnité journalière. Il ressort du décompte de salaire du demandeur de l'année 2017 qu'il a perçu un salaire brut de CHF 4'281.95 ce mois, durant lequel il n'a pas touché d'indemnité pour heure de week-end. Il s'ensuit que l'indemnité journalière s'élève à CHF 122.- par jour ([4'281.95 × 13] × ([80 / 100] / 365), comme retenu par la défenderesse.

En conséquence, le demandeur peut prétendre un montant total de CHF 85'400.- (700 jours × 122) à titre d'indemnités journalières en cas de maladie pour la période du 1er juin 2017, à l'échéance du délai d'attente de 30 jours, au 1er mai 2019, date de l'épuisement des prestations LCA.

Il y a lieu de déduire de ce montant la somme de CHF 23'607.- déjà reçue par le demandeur à ce titre pour la période du 1er juin au 30 septembre 2017 et du 16 octobre 2017 au 15 janvier 2018 selon les décomptes des 29 septembre 2017, 2 octobre 2017 et 10 avril 2018.

7.4 La défenderesse fait valoir qu'il convient encore de déduire du montant éventuellement dû à titre d'indemnités journalières en cas de maladie les rentes de l'assurance-invalidité pour éviter que le cumul de prestations ne conduise à une surindemnisation du demandeur.

Selon l'art. 7 ch. 1 et 2 des CComp, « [l]es prestations provenant d'assurances sociales ou d'autres assurances d'entreprises, ou de tiers responsables, sont imputées sur les indemnités journalières. En plus des prestations déjà fournies seront également imputées les prestations auxquelles la personne assurée aurait eu droit si elle avait rempli en totalité et en temps opportun ses obligations envers les assurances. À l'échéance du délai d'attente, mais au plus tôt dès le début de ces prestations, la Société complète la part non remboursée par celles-ci, jusqu'à concurrence de l'indemnité journalière assurée ».

Selon l'art. 7 ch. 3 des CComp, « [s]i les prestations d'assurances sociales ou d'autres assurances d'entreprises sont allouées rétroactivement pour une période durant laquelle la Société a déjà versé sans réduction les indemnités journalières assurées, celle-ci a le droit d'en demander la restitution (let. a). Les prestations déjà versées par la Société constituent une avance sur les prestations dans la mesure où, ajoutées à celles d'assurances sociales ou d'autres assurances d'entreprises, ou à celles d'un tiers responsable, elles dépassent le pourcentage de perte de gain assuré. Jusqu'à concurrence de cette avance sur les prestations, la Société peut exiger que les prestations allouées rétroactivement pour la même période par les autres assurances lui soient directement versées (let. b). En cas de paiements rétroactifs de l'assurance-invalidité fédérale (AI), la Société est autorisée, notamment à demander directement auprès des assureurs sociaux compétents la compensation de son droit de restitution avec le versement de l'arriéré de l'AI ou d'allocations de maternité selon la LAPG et de réclamer directement le versement de l'arriéré (let. c) ».

Les CComp précitées autorisent la défenderesse à réduire les indemnités journalières assurées du montant tant des prestations effectivement versées au demandeur que des prestations hypothétiques auxquelles celui-ci aurait pu prétendre, comme en l'occurrence, par une assurance sociale (OAI).

Le montant rétroactif des rentes de l'assurance-invalidité n'a pas été versé à la défenderesse en compensation de ses prestations.

Il ressort de la décision de l'OAI du 18 décembre 2023 que le demandeur a été mis au bénéfice d'une rente d'invalidité entière dès le 1er octobre 2018, six mois après le dépôt de sa demande de prestations le 25 avril 2018 (art. 29 al. 1 et 3 de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 [LAI - RS 831.20), alors qu'à l'échéance du délai de carence d'un an (art. 28 al. 1 let. b LAI), le 1er janvier 2018, il pouvait déjà prétendre cette rente.

Pour l'année 2018, l'OAI a reconnu une rente mensuelle de CHF 704.-. Du 1er janvier au 31 décembre 2018, c'est un montant total de CHF 8'448.- (704 × douze mois) qu'il convient donc de déduire des indemnités journalières assurées.

Pour l'année 2019, l'OAI a octroyé une rente mensuelle de CHF 710.- Du 1er janvier au 1er mai 2019, c'est alors un montant total de CHF 2'862.90.- ([710 × quatre mois] + [710 / 31 jours en mai]) qu'il y a lieu de retrancher des indemnités journalières assurées.

Partant, le demandeur a le droit à un solde d'indemnités journalières de CHF 50'482.10 (85'400 - 23'607 - 8'448 - 2'862.90) de la part de la défenderesse.

8.             Le demandeur réclame enfin des intérêts moratoires de 5% dès la date moyenne.

8.1 L'art. 41 al. 1 LCA dispose que la créance qui résulte du contrat est échue quatre semaines après le moment où l'assureur a reçu les renseignements de nature à lui permettre de se convaincre du bien-fondé de la prétention. Les « renseignements » au sens de l'art. 41 LCA visent des questions de fait, qui doivent permettre à l'assureur de se convaincre du bien-fondé de la prétention de l'assuré (cf. l'intitulé de l'art. 39 LCA). Ils correspondent aux devoirs de déclaration et de renseignement institués par les art. 38 et 39 LCA (cf. ATF 129 III 510 consid. 3 p. 512 ; arrêts du Tribunal fédéral 4A_58/2019 du 13 janvier 2020 consid. 4.1 ; 4A_489/2017 du 26 mars 2018 consid. 4.3 ; 4A_122/2014 du 16 décembre 2014 consid. 3.5 ; BREHM, Le contrat d'assurance RC, 1997, nos 512 et 515 s.). Le délai de délibération de quatre semaines laissé à l'assureur ne court pas tant que l'ayant droit n'a pas suffisamment fondé sa prétention ; tel est par exemple le cas lorsque, dans l'assurance contre les accidents, l'état de santé véritable de l'ayant droit n'est pas éclairci parce que ce dernier empêche le travail des médecins (arrêt du Tribunal fédéral 4A_307/2008 du 27 novembre 2008 consid. 6.3.1 ; JÜRG NEF, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag, 2001, n° 15 ad art. 41 LCA).

Le débiteur d'une obligation exigible est mis en demeure par l'interpellation du créancier (art. 102 al. 1 CO en lien avec l'art. 100 al. 1 LCA). L'intérêt moratoire de 5% l'an (art. 104 al. 1 CO) est dû à partir du jour suivant celui où le débiteur a reçu l'interpellation, ou, en cas d'ouverture d'une action en justice, dès le lendemain du jour où la demande en justice a été notifiée au débiteur (arrêt du Tribunal fédéral 5C.177/2005 du 25 février 2006 consid. 6.1). Toutefois, lorsque l'assureur refuse définitivement, à tort, d'allouer des prestations, on admet, par analogie avec l'art. 108 ch. 1 CO, qu'une interpellation n'est pas nécessaire ; l'exigibilité et la demeure sont alors immédiatement réalisées (arrêts du Tribunal fédéral 4A_16/2017 du 8 mai 2017 consid. 3.1 ; 4A_122/2014 précité consid. 3.5 ; 4A_206/2007 du 29 octobre 2007 consid. 6.3 ; 5C.18/2006 du 18 octobre 2006 consid. 6.1 in fine ; cf. NEF, op. cit., n° 20 in fine ad art. 41 LCA, et GROLIMUND / VILLARD, in Basler Kommentar, Nachführungsband 2012, n° 20 ad art. 41 LCA). Un débiteur peut valablement être interpellé avant même l'exigibilité de la créance (ATF 103 II 102 consid. 1a ; Rolf WEBER, Berner Kommentar, 2000, n. 102 ad art. 102 CO). La demeure ne déploie toutefois ses effets qu'avec l'exigibilité de la créance (cf. ATAS/1176/2019 du 18 décembre 2019).

L'intérêt moratoire n'est dû que depuis le début de la demeure, c'est-à-dire le jour suivant la réception de l'interpellation du débiteur - cas échéant le lendemain de la notification au débiteur de la demande en justice ou du commandement de payer (Luc THEVENOZ, in Commentaire romand, Code des obligations I ad art. 104 CO, n. 9 p. 621).

8.2 En l'espèce, les conditions générales ne prévoient aucun terme pour l'exigibilité des prestations qui y sont stipulées. Certes, par courrier du 9 mars 2018, le demandeur a manifesté à la défenderesse pour la première fois sa volonté de percevoir la suite des indemnités journalières découlant de la police d'assurance maladie collective. On ne peut toutefois pas retenir le jour suivant la réception de cette interpellation par la débitrice comme dies a quo de l'intérêt moratoire, pour ne pas statuer ultra petita. On ne peut pas non plus, comme le voudrait la défenderesse, faire courir l'intérêt moratoire quatre semaines après la réception par celle-ci de l'expertise du BEM, car ce document ne fait que corroborer l'incapacité de travail alléguée par le demandeur, étant souligné que la défenderesse n'a pas donné suite à l'invitation du psychiatre traitant à mettre en œuvre une nouvelle expertise, après que celui-ci ait contesté celle de la clinique CORELA. Aussi la défenderesse, qui affirmait ne pas être convaincue du
bien-fondé de la prétention du demandeur sur la base des rapports et certificats d’arrêt de travail établis par les médecins traitants, aurait-elle dû requérir la réalisation d’une nouvelle expertise psychiatrique. Dans ces circonstances, il y a lieu de retenir que la défenderesse était déjà en demeure avant de prendre connaissance du rapport d’expertise du BEM (cf. dans un sens similaire : arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2019 du 13 janvier 2020 consid. 4.3).

Comme le demandeur sollicite le versement des intérêts moratoires pour la période d’indemnisation du 1er au 15 octobre 2017 et du 16 janvier 2018 au 1er mai 2019, à compter d’une date moyenne, on peut fixer celle-ci au 31 août 2018 (700 jours d’indemnisation totale – 214 jours déjà indemnisés du 1er juin au 30 septembre 2017 ainsi que du 16 octobre 2017 au 15 janvier 2018 = 486 jours / 2 = 243 jours du 1er au 15 octobre 2017 et du 16 janvier au 31 août 2018).

9.             En conséquence, la demande en paiement est partiellement admise, en ce sens que la défenderesse sera condamnée à verser au demandeur le montant de CHF 50’482.10.-, représentant le solde d’indemnités journalières pour perte de gain selon la LCA pour la période du 1er au 15 octobre 2017 et du 16 janvier 2018 au 1er mai 2019, avec intérêts à 5% l’an dès le 31 août 2018.

10.         Au vu de ce qui précède, la chambre de céans disposant de tous les éléments nécessaires pour statuer sur le droit du demandeur à des indemnités journalières, il est superflu d’administrer les autres preuves sollicitées par les parties, soit l’audition de témoins et l’apport du dossier de l’assurance-invalidité actualisé.

11.         Le demandeur, représenté par un conseil, obtient partiellement gain de cause, de sorte qu’il a droit à des dépens.

Les cantons sont compétents pour fixer le tarif des frais comprenant les dépens (art. 96 CPC en relation avec l’art. 95 al. 3 let. b CPC). À Genève, le règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC – E 1 05.10) détermine notamment le tarif des dépens, applicable aux affaires civiles contentieuses (art. 1 RTFMC). Ceux-ci sont, en principe, mis à la charge de la partie qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).

La valeur litigieuse, telle que définie par les conclusions du demandeur, s’élève à CHF 59’385.- (82’992 – 23’607), ce qui correspond à des dépens de CHF 7’844.65 selon l’art. 85 al. 1 RTFMC, auxquels il convient d’ajouter la TVA (7,7% dans la mesure où les prestations ont été effectuées essentiellement jusqu’au 31 décembre 2023 par l’avocate) et les débours (3%), de sorte que le montant total, arrondi, s’élève à CHF 8’684.- (art. 25 et 26 al. 1 de la loi d’application du code civil suisse et d’autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 [LaCC – E 1 05] ; art. 84 et 85 RTFMC).

12.         Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 114 let. e CPC).

 

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PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare la demande en paiement du 21 décembre 2018 recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Condamne la défenderesse à verser au demandeur le montant de CHF 50'482.10.-, représentant le solde d'indemnités journalières du 1er au 15 octobre 2017 et du 16 janvier 2018 au 1er mai 2019, avec intérêts à 5% l’an dès le 31 août 2018.

4.        Condamne la défenderesse à verser au demandeur une indemnité de dépens de CHF 8'684.-.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (Tribunal fédéral suisse, avenue du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14), sans égard à sa valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoqués comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) par le greffe le