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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2788/2023

ATAS/321/2024 du 08.05.2024 ( PC ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2788/2023 ATAS/321/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 8 mai 2024

Chambre 5

 

En la cause

A______

B______

 

et

C______

 

recourants

 

 

appelé en cause

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Madame D______ (ci-après : la bénéficiaire), née E______ le ______ 1930 en Espagne, résidant en Suisse depuis janvier 1962, veuve depuis 1994 et mère de trois enfants, a bénéficié de son vivant de prestations complémentaires et de subsides à l'assurance-maladie versés par le service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l'intimé).

b. La bénéficiaire a intégré un établissement médico-social le 27 juillet 2021.

c. Elle est décédée le 27 juin 2022 en laissant pour héritiers ses trois enfants, A______, C______ et B______.

B. a. Dans une décision du 13 mars 2019 rendue à la suite de la révision du dossier de la bénéficiaire entamée pour tenir compte d'un bien immobilier en Espagne préalablement non déclaré, le SPC a exigé le remboursement des subsides d'assurance-maladie versés indûment, en CHF 37'617.-.

b. Le 31 janvier 2020, le SPC a partiellement admis l'opposition formulée à l'encontre de cette décision et réduit le montant dû à CHF 13'329.-, au motif que la bénéficiaire n'était propriétaire du bien immobilier qu'à 50% et usufruitière des 50% restants. Se référant à une estimation faite par l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) en 2018, il a fixé la valeur du bien à EUR 113'254.95 et adapté ce montant en francs suisses, en fonction du taux de conversion applicable entre 2012 et 2019.

Ladite décision est entrée en force.

c. Par décision du 9 mars 2020, le SPC a refusé la demande de remise élevée par la bénéficiaire, décision qui a été confirmée sur opposition le 7 septembre 2020, puis par arrêt de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci‑après : la chambre de céans) du 19 janvier 2021 (ATAS/19/2021), le recours intenté devant le Tribunal fédéral contre cet arrêt ayant été déclaré irrecevable.

d. Le SPC a par la suite accordé un arrangement de paiement à la bénéficiaire afin de lui permettre de rembourser le montant dû en plusieurs mensualités.

e. Par décision du 19 mai 2023 envoyée sous courrier non prioritaire à A______, le SPC a exposé que les trois héritiers étaient codébiteurs de la somme de CHF 13'340.80 correspondant au montant des prestations légalement perçues par la bénéficiaire, compte tenu d'une fortune nette au moment du décès s'élevant à CHF 62'469.45.

Selon les calculs produits en annexe de la décision, étaient déduits de la fortune nette au moment du décès une dette ouverte auprès du SPC, en CHF 8'911.-, ainsi qu'une franchise de CHF 40'000.-, le solde de CHF 13'558.45 correspondant au montant maximal de la restitution. Une somme de CHF 217.65 était encore retranchée de ce montant, pour aboutir à la somme réclamée de CHF 13'340.80. Dans ses calculs, le SPC tenait compte, en effet, du montant des prestations complémentaires fédérales versées à la bénéficiaire durant les mois de mai et juin 2022 (respectivement CHF 4'925.- puis CHF 4'121.-), soit un total de CHF 9'046.‑, ainsi que des frais de maladie et d'invalidité qui avaient été remboursés à la bénéficiaire entre le 14 janvier 2022 et le 26 juin 2022, à hauteur de CHF 4'294.80 et dont la liste était dressée. Le total de ces deux derniers montants s'élevait par conséquent à CHF 13'340.80, somme que la succession devait restituer, ce qui lui laissait un montant à disposition (hors franchise de CHF 40'000.-) de CHF 217.65.

f. Le 3 juillet 2023, A______ (ci-après : l'opposant) a formé opposition à l'encontre de la décision du 19 mai 2023 et sollicité son annulation pour vice de forme, au motif que, contrairement à ce qu'elle indiquait (« votre fils, Madame D______ »), il n'avait pas d'enfant. Le nom de sa mère n'était par ailleurs pas celui indiqué sur la décision.

g. Par décision sur opposition du 16 août 2023, le SPC a déclaré l'opposition recevable et l'a rejetée. La bénéficiaire, née E______, était décédée le 27 juin 2022 et sa succession n'avait pas été répudiée, si bien que ses héritiers étaient tenus de rembourser les prestations légalement perçues du 1er janvier 2021 au jour du décès. Les calculs inclus dans la décision querellée n'étant par ailleurs pas contestés, ils ne pouvaient qu'être confirmés. Enfin, la décision ne souffrait d'aucun vice de forme car la bénéficiaire était connue dans les registres de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : l'OCPM) sous le nom « D______ ».

h. Par courrier du 21 août 2023, l'opposant a maintenu que la décision présentait un vice de forme, puisqu'elle se référait au décès de l'un de ses fils, confusion qui avait déclenché stupeur et tristesse. Il avait, par ailleurs, accepté de prendre la responsabilité de ce dossier en tant que frère aîné, son frère et sa sœur n'étant pas en mesure de payer la somme réclamée, mais ne disposait pas non plus des fonds nécessaires, de sorte qu'il proposait de réduire le montant dû à CHF 7'000.- pour solde de tous comptes.

i. Le 24 août 2023, le SPC a répondu qu'il n'était pas en mesure de revoir le montant dû, par souci d'égalité de traitement envers ses assurés et/ou débiteurs. En revanche, une demande d'échelonnement du remboursement de la dette pouvait être formulée.

C. a. Par acte du 4 septembre 2023, A______, domicilié dans le canton de Vaud, et B______, domiciliée dans le canton de Genève, (ci‑après : les recourants) ont saisi la chambre de céans, déclarant s'opposer à la demande de restitution en CHF 13'340.80 notifiée par l'intimé. Ils se sont prévalus du fait que l'état vétuste de l'appartement à Madrid, dont leur mère avait été propriétaire à 50%, ne permettait pas de le louer et d'obtenir des revenus locatifs, avant qu'ils ne soit rénové. La décision de rénover la maison avait été prise au début de l'année 2022, après la fin de la procédure concernant la première demande de restitution de l'intimé, et les coûts s'étaient élevés à environ EUR 20'000.-, pièces à l'appui. La rénovation de l'appartement avait été achevée en août 2022 et il était loué depuis octobre 2022, mais leur mère était décédée entretemps. Au vu du montant du loyer perçu, il faudrait près de trois ans avant que les coûts de rénovation soient amortis. Ils avaient le sentiment écrasant d'être lourdement et injustement pénalisés, raison pour laquelle ils sollicitaient l'abandon des poursuites à l'encontre de leur défunte mère et à leur encontre.

b. Dans son mémoire de réponse du 3 octobre 2023, l'intimé a conclu au rejet du recours.

c. Par écriture du 23 octobre 2023, les recourants ont persisté dans leurs conclusions, les prestations complémentaires touchées par leur mère n'ayant rien d'abusif, dans la mesure où elle n'avait matériellement pas les moyens, de son vivant, de tirer le moindre revenu de son bien immobilier.

d. Le 9 novembre 2023, l'intimé a indiqué que la demande de remboursement litigieuse ne concernait pas des prestations complémentaires indûment perçues du vivant de la bénéficiaire. La législation en vigueur depuis le 1er janvier 2021 prévoyait en effet, à charge des héritiers, la restitution des prestations légalement perçues par le bénéficiaire pour la part de la succession dépassant CHF 40'000.-.

e. Par ordonnance du 1er décembre 2023, la chambre de céans a appelé en cause C______, lequel, en sa qualité d'héritier, pouvait aussi être amené à participer au remboursement ordonné par l'intimé et avait donc un intérêt juridique à participer à la procédure.

f. Le 14 décembre 2023, le précité a déclaré s'associer à la démarche des recourants.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

h. Les autres éléments de fait pertinents seront exposés, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30).

Sa compétence matérielle pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 En vertu de l’art. 58 LPGA, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours (al. 1). Si l’assuré ou une autre partie sont domiciliés à l’étranger, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de leur dernier domicile en Suisse ou celui du canton de domicile de leur dernier employeur suisse ; si aucun de ces domiciles ne peut être déterminé, le tribunal des assurances compétent est celui du canton où l’organe d’exécution a son siège (al. 2). Le tribunal qui décline sa compétence transmet sans délai le recours au tribunal compétent (al. 3).

Cette norme est seule applicable pour régler la compétence des tribunaux cantonaux des assurances en matière de prestations complémentaires, la LPC ne contenant aucune disposition réglant différemment la question (ATF 143 V 363 consid. 3).

Les notions d'assuré ou d'autre partie, au sens de l'art. 58 al. 1 LPGA, doivent être interprétées à la lumière de leur signification légale en fonction du domaine de prestations concerné (ATF 143 V 363 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_489/2022 du 27 avril 2023 consid. 3.2.1).

En cas de contestations portant sur des prestations, la compétence à raison du lieu se détermine en principe d'après le domicile de la personne assurée. Le domicile d'une autre partie n'est déterminant que s'il n'existe pas de rattachement au domicile de la personne assurée (ATF 139 V 170).

Les héritiers qui font valoir des droits directs à des prestations d'assurance ne peuvent être considérés eux-mêmes comme la personne assurée, mais tombent sous la définition d' « autre partie » selon la version française de l'art. 58 al. 1 LPGA ; ils peuvent donc agir devant le tribunal de leur lieu de domicile (ATF 135 V 153 consid. 4.11). À l'inverse, en matière de prestations complémentaires, reste compétent le tribunal cantonal des assurances du domicile du bénéficiaire pour la période pour laquelle le droit aux prestations existe concrètement, même en cas de décès de celui-ci, ses héritiers n'ayant qu'un droit dérivé, issu du décès (ATF 143 V 363 consid. 5.3 et la référence).

1.3 En l'occurrence, au vu du décès de la bénéficiaire et compte tenu du fait que l'objet du litige ne concerne pas des prestations qui lui étaient dues, le for du domicile de l'assuré ne trouve pas à s'appliquer.

Les recourants, en tant qu'héritiers pouvant être tenus à restituer les prestations complémentaires légalement perçues, doivent être considérés comme des « autres parties » au sens de l'art. 58 al. 1 LPGA, de sorte que la chambre de céans est compétente à raison du lieu, compte tenu du domicile à Genève de la recourante.

1.4 La chambre de céans est par conséquent compétente ratione materiae et ratione loci pour statuer sur le recours.

2.             Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC).

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Des modifications législatives et réglementaires sont par ailleurs entrées en vigueur le 1er janvier 2021 dans le cadre de la Réforme des PC (LPC, modification du 22 mars 2019, RO 2020 585, FF 2016 7249 ; OPC-AVS/AI [ordonnance du 15 janvier 1971 sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité - RS 831.301], modification du 29 janvier 2020, RO 2020 599).

Du point de vue temporel, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire, le droit applicable est déterminé par les règles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 136 V 24 consid. 4.3 ; 130 V 445 consid. 1 et les références).

Selon les dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019 (Réforme des PC), les art. 16a et 16b LPC ne s’appliquent qu’aux prestations complémentaires versées après l’entrée en vigueur de cette modification (al. 2).

En l’occurrence, la date de décès de la bénéficiaire est postérieure au 1er janvier 2021 et la décision litigieuse porte sur la restitution de prestations complémentaires et frais de maladie et d'invalidité versés entre le 14 janvier 2022 et le 30 juin 2022, de sorte que sont applicables, et seront citées, les dispositions légales et réglementaires en vigueur dès le 1er janvier 2021.

5.             Le délai de recours est de 30 jours (art. 60 al. 1 LPGA ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA).

6.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l'intimé sollicitant la restitution de CHF 13'340.80 à la charge de la succession.

7.             Selon l'art. 3 LPC, les prestations complémentaires se composent de la prestation complémentaire annuelle, versée mensuellement (let. a) et du remboursement des frais de maladie et d'invalidité (let. b).

L’art. 9 al. 1 LPC prévoit que le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants, mais au moins au plus élevé des montants suivants : la réduction des primes la plus élevée prévue par le canton pour les personnes ne bénéficiant ni de prestations complémentaires ni de prestations d’aide sociale (let. a) ; 60% du montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins au sens de l’art. 10 al. 3 let. d LPC (let. b).

À teneur de l’art. 16a al. 1 LPC, les prestations légalement perçues en vertu de l’art. 3 al. 1 LPC doivent être restituées à la charge de la succession après le décès du bénéficiaire. La restitution est seulement exigible pour la part de la succession supérieure à CHF 40'000.-.

Selon l’art. 16b LPC, le droit de demander la restitution s’éteint un an après le moment où l’organe visé à l’art. 21 al. 2 LPC a eu connaissance du fait, mais au plus tard dix ans après le versement de la prestation.

Aux termes de l'art. 27a al. 1 OPC-AVS/AI, pour le calcul de la restitution des prestations légalement perçues, la succession doit être évaluée selon les règles de la législation sur l’impôt cantonal direct du canton du domicile qui concernent l’évaluation de la fortune. La fortune au jour du décès est déterminante. L'al. 2 de la même disposition énonce que les immeubles doivent être pris en compte à leur valeur vénale, sous réserve des cas où la loi prévoit l'imputation d'une valeur moindre sur la part héréditaire.

Les directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI éditées par l'office des assurances sociales (DPC, état au 1er janvier 2024) prévoient que si le montant de la masse successorale ne permet de récupérer qu’une partie des prestations complémentaires, ce sont les prestations complémentaires annuelles, y compris le montant pour l’assurance obligatoire des soins, qui doivent être récupérées en priorité. Elles doivent l’être dans l’ordre chronologique inverse, en partant du mois du décès et uniquement pour des mois entiers (n° 4720.02).

L’élément déterminant pour le montant de la restitution est la succession nette (succession brute moins les dettes) au moment du décès du bénéficiaire de prestations complémentaires et, dans le cas des couples mariés, au moment du décès du deuxième conjoint. Les frais survenus après le décès du bénéficiaire de prestations complémentaires (par exemple les frais découlant du décès) ne sont pas pris en compte. Le moment déterminant est celui de la naissance de la créance et non celui de la facturation (n° 4720.03).

Les demandes pendantes de restitution de prestations complémentaires et d’autres prestations d’assurances sociales indûment perçues doivent être mises au passif de la succession (n° 4720.04).

Pour calculer le montant de la masse successorale, il peut être fait recours à : un inventaire dressé par l’autorité compétente (inventaire successoral, inventaire dressé à titre de mesure conservatoire, inventaire dressé dans le cadre du bénéfice d’inventaire, inventaire fiscal ordinaire, etc.) ; la déclaration ou à la taxation fiscale intermédiaire si aucun inventaire n’est dressé. En l’absence de documents probants, il faut se baser sur la fortune prise en compte pour le dernier calcul des prestations complémentaires (n° 4720.09).

Enfin, en référence à un arrêt de notre Haute Cour spécifiant que la décision par laquelle l'administration demande la restitution de prestations complémentaires indues après le décès du bénéficiaire est valable même lorsqu'elle ne vise qu'un seul héritier (ATF 129 V 70), les DPC prévoient que la décision de restitution doit être communiquée à au moins un héritier ou une héritière (n°4762.04).

8.             En l'espèce, les recourants s'opposent à la demande de restitution, au motif que les prestations complémentaires versées ne l'auraient pas été de manière abusive, leur mère n'ayant pas eu les moyens, de son vivant, de tirer des revenus locatifs de l'immeuble dont elle était copropriétaire.

De tels arguments, qui auraient éventuellement pu être soulevés dans le cadre d'une opposition aux diverses décisions calculant le montant des prestations complémentaires, ne sont pas à même de mettre en échec la demande de remboursement élevée par l'intimé.

En effet, la réforme des prestations complémentaires initiée par le législateur a précisément débouché, entre autres dispositions, sur l'adoption de l'art. 16a LPC, qui oblige l'autorité compétente à solliciter, auprès de la succession, la restitution des prestations légalement perçues depuis le 1er janvier 2021, pour la part qui excède CHF 40'000.-.

Par conséquent, dans le cadre du présent litige, il ne s'agit plus de déterminer si les montants de fortune et de revenus, notamment les produits de la fortune, retenus par l'intimé lors de l'établissement du droit aux prestations étaient corrects, mais d'examiner si les conditions d'application de l'art. 16a LPC sont remplies.

Or, en l'occurrence, les recourants ne contestent pas que la masse successorale excède CHF 40'000.-. Par ailleurs, l'intimé a valablement limité la demande de remboursement aux prestations complémentaires versées dès le 1er janvier 2021, et notifié la demande à un seul héritier. Il a au surplus agi dans le délai de péremption prévu par l'art. 16b LPC.

Enfin, bien que la chambre de céans puisse comprendre que la confusion commise par l'intimé quant à l'identité de la personne décédée ait pu occasionner une gêne certaine auprès des héritiers, la décision ne saurait être annulée pour ce motif, ceux-ci ayant parfaitement compris son sens et sa portée. Au surplus, les recourants ne soutiennent plus que la mention du nom de mariage de leur mère, qui ne correspond pas à celui de célibataire utilisé par l'état civil, serait constitutive d'un vice de forme, ce qui ne peut en effet être admis, la bénéficiaire ayant utilisé le patronyme D______ dans le formulaire de demande de prestations complémentaires et étant enregistrée sous ce nom auprès de l'OCPM.

Sur le principe, la décision de l'intimé concernant le remboursement des prestations complémentaires perçues par la bénéficiaire de son vivant, pour la part de la succession qui excède CHF 40'000.-, ne prête ainsi pas le flanc à la critique.

Il reste néanmoins à déterminer si le calcul du montant à restituer est correct, la succession étant en grande partie composée d'un immeuble sis à l'étranger.

9.              

9.1 Le calcul de l'intimé produit en appui de la décision du 19 mai 2023 retient un « montant connu au moment de la succession » de CHF 62'469.45, correspondant à l'addition de la valeur du bien immobilier sis en Espagne (CHF 61'463.45, tel que retenu dans les calculs de prestations complémentaires dès le 1er janvier 2020) et du montant des avoirs en banque de la bénéficiaire (CHF 1'006.-, tel que retenu dans la décision du 24 novembre 2021 avec effet rétroactif au 1er août 2021). Plus précisément, le montant de CHF 61'463.45 a été fixé sur la base de l'estimation fiscale du bien immobilier sis en Espagne à laquelle a procédé l'AFC en 2018, à savoir EUR 113'254.95 (pièce 19 du dossier de l'intimé), chiffre qui a été repris par l'intimé dans sa décision sur opposition du 31 janvier 2020 et adapté en francs suisses entre 2012 et 2019, en fonction de l'évolution du taux de conversion, puis divisé par deux pour tenir compte du fait que la bénéficiaire n'était que propriétaire par moitié de ce bien.

Or, si l'intimé semble avoir fixé la valeur du bien dès le 1er janvier 2020 à CHF 61'463.45 en fonction du taux de conversion valable au 31 décembre 2019 (EUR 1 = CHF 1.0854 ; (113'254.95 x 1.0854) : 2 = 61'463.46 arrondi à CHF 61'463.45), il sied de constater qu'il n'a pas réactualisé cette valeur en fonction de l'évolution du taux de conversion depuis lors, quand bien même l'art. 27a al. 1 OPC-AVS/AI prescrit de prendre en considération la fortune au jour du décès.

9.2 Il est par ailleurs nécessaire de rappeler les normes applicables pour la conversion des monnaies lorsque des éléments de revenus ou de fortune se trouvent à l'étranger.

Comme exposé par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_412/2020 du 1er février 2021 consid. 5), aux termes de l'art. 1 al. 1 de l'annexe II à l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP ‑ RS 0.142.112.681), entré en vigueur le 1er juin 2002 – intitulée « Coordination des systèmes de sécurité sociale », fondée sur l'art. 8 de l'accord et faisant partie intégrante de celui-ci (art. 15 ALCP) – en relation avec la section A de cette annexe (« Actes juridiques auxquels il est fait référence »), les parties contractantes appliquent entre elles en particulier le règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : le règlement n° 883/2004 - RS 0.831.109.268.1), ainsi que le règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : le règlement n° 987/2009 - RS 0.831.109.268.11), tous deux en vigueur pour la Suisse depuis le 1er avril 2012, et déterminant le contenu de ses annexes. En ce qui concerne la conversion des monnaies, l'art. 90 du règlement n° 987/2009 prévoit qu'aux fins de l'application des dispositions du règlement de base et du règlement d'application, le taux de change entre deux monnaies est le taux de change de référence publié par la Banque centrale européenne ; la date à prendre en compte pour établir les taux de change est fixée par la commission administrative. À cet égard, selon l'annexe II ALCP, section B, point 8, les parties contractantes prennent en considération la décision H3 de la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale du 15 octobre 2009 relative à la date à prendre en compte pour établir les taux de change visée à l'art. 90 du règlement précité. En vertu des points 1 à 3, 4 et 6 de cette décision, dans sa version en vigueur dès le 1er avril 2012, la commission administrative a décidé :

1. aux fins de la présente décision, on entend par « taux de change » le cours du jour publié par la Banque centrale européenne.

2. Sauf disposition contraire dans la présente décision, le taux de change est le taux publié le jour où l'institution exécute l'opération en question.

3. L'institution d'un État membre qui, aux fins de l'établissement d'un droit et du premier calcul d'une prestation, doit convertir un montant dans la monnaie d'un autre État membre, utilise :

a) lorsque, en application de la législation nationale concernée, l'institution doit tenir compte de montants, tels que des revenus ou des prestations, durant une certaine période précédant la date pour laquelle la prestation est calculée : le taux de change publié pour le dernier jour de la période concernée ;

b) lorsque, en application de la législation nationale concernée, pour le calcul de la prestation, l'institution doit tenir compte d'un montant : le taux de change publié pour le premier jour du mois précédant immédiatement le mois au cours duquel la disposition doit s'appliquer.

4. Le paragraphe 3 s'applique mutatis mutandis lorsqu'une institution d'un État membre doit convertir un montant dans la monnaie d'un autre État membre pour recalculer la prestation par suite de changements dans la situation de fait ou de droit de la personne concernée.

6. Aux fins des procédures de compensation et de recouvrement, le taux de change applicable pour convertir la somme qui doit être déduite ou versée est celui du jour de la première transmission de la demande.

De plus, lorsque les droits sont calculés sur le seul fondement des législations nationales, ni l'art. 90 du règlement n° 987/2009 ni la décision H3 ne peuvent recevoir application et les taux de conversion des monnaies demeurent déterminés par la législation interne. Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que la conversion en euros d'une rente de l'assurance-vieillesse calculée uniquement selon le droit suisse en francs suisses doit s'effectuer en vertu du droit interne. En revanche, les dispositions sur la conversion des monnaies du règlement n° 987/2009 et de la décision H3 trouvent application lorsqu'il s'agit d'examiner des situations qui nécessitent une coordination. Il s'agit en particulier des situations dans lesquelles une rente ou une pension versée par une institution de sécurité sociale d'un État membre de l'Union européenne doit être prise en compte dans le cadre de l'examen du droit à des prestations complémentaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_41/2020 du 1er février 2021 consid. 5.3 ; ATF 141 V 246 consid. 5.2.1).

Le Tribunal fédéral ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si la prise en compte d'éléments de fortune sis dans des États de l'Union européenne est une situation qui nécessite une coordination et qui, partant, est soumise à l'art. 90 du règlement n° 987/2009 et à la décision H3. Selon la jurisprudence de la chambre de céans, il y a lieu d’appliquer les DPC pour établir le taux de conversion applicable pour le calcul de la fortune immobilière et de la valeur locative y relative. Bien que ces directives concernent les rentes servies, elles sont en effet applicables par analogie aux autres éléments composant les revenus déterminants, tels que la fortune immobilière (ATAS/866/2023 du 8 novembre 2023 consid. 4 et les références).

Selon le n° 3453.01 DPC, s'agissant des rentes et pensions versées en devises d’États parties à l’accord sur la libre circulation des personnes CH-UE ou à la Convention AELE, le cours de conversion applicable est le cours du jour publié par la Banque centrale européenne. Est déterminant le premier cours du jour disponible du mois qui précède immédiatement le début du droit à la prestation. Les DPC appliquent ainsi la même règle que l'art. 3 let. b de la décision H3 concernant le jour de référence du taux de conversion, article auquel elles renvoient par ailleurs directement.

9.3 La chambre de céans considère qu'il se justifie d'appliquer les DPC, et non la décision H3 établie par la commission administrative pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, dans la mesure où le litige a trait à une demande de remboursement de prestations complémentaires légalement perçues par la bénéficiaire, et est donc fondé sur le seul droit suisse. Il ne s'agit pas, par ailleurs, de prendre en considération une rente étrangère versée en application de la législation en matière de sécurité sociale d'un État membre de l'Union européenne, mais de convertir, en francs suisses, la valeur d'un bien immobilier qui s'y trouve.

Du reste, les DPC et la réglementation européenne convergent sur l'utilisation des taux de conversion publiés par la Banque centrale européenne. Il sied également de constater que la décision H3 ne contient pas de disposition particulière concernant le jour à prendre en considération pour fixer le taux de change lorsque l'autorité concernée élève une demande de remboursement de prestations, de sorte que, conformément à l'art. 2, il s'agirait du taux publié le jour où l'institution exécute l'opération en question.

Bien que les DPC soient également muettes concernant ce cas de figure (et plus généralement pour la prise en considération d'éléments de fortune sis à l'étranger), leur application par analogie conduit à appliquer la règle du n° 3453.01 selon laquelle est déterminant le premier cours du jour disponible du mois qui précède immédiatement le début du droit à la prestation. Transposée à la situation du cas d'espèce qui vise une demande de remboursement, il faut admettre qu'est applicable le premier cours du jour disponible du mois qui précède immédiatement la date à laquelle l'autorité fait valoir la demande de restitution, auprès de la succession.

Ainsi, la fortune est arrêtée au jour du décès de la personne bénéficiaire, conformément à l'art. 27a al.1 OPC-AVS/AI (règle rappelée au n° 4720.03 DPC), mais si elle contient des éléments sis dans l'Union européenne, leur conversion en francs suisses devra se faire au premier cours du jour du mois précédant la date à laquelle la demande de remboursement est établie. Cette solution permet de tenir compte des évolutions des taux de change, entre le décès et la demande de restitution, et de fixer une valeur du bien au plus proche de la date à laquelle cette demande est élevée, étant rappelé que l'autorité dispose d'un délai de péremption d'une année pour ce faire, dès qu'elle a eu connaissance du décès (art. 16b LPC). Au surplus, le taux de conversion ainsi applicable serait proche de celui qui serait appliqué en fonction de la décision H3.

En l'occurrence, selon les données de la Banque centrale européenne, le taux de conversion applicable le 3 avril 2023 (la demande de restitution ayant été établie le 19 mai 2023 et le 1er avril 2023 étant un samedi) était de EUR 1 = CHF 0.9949. Il s'ensuit que, rapporté à la valeur du bien immobilier sis en Espagne, de EUR 113'254.95 – montant fondé sur l'estimation des autorités fiscales de 2018, qui n'est pas critiqué par les recourants et qui, à défaut d'autres données au dossier, en particulier une valeur vénale (cf. art. 27a al. 2 OPC-AVS/AI), un inventaire officiel ou une taxation fiscale intermédiaire (cf. n° 4720.09 DPC), doit être pris en compte – la valeur du bien à prendre en compte dans la succession est de CHF 56'338.70 (113'254.95 x 0.9949 : 2).

9.4 Concernant l'épargne de la bénéficiaire, les recourants ne contestent pas le montant de CHF 1'006.- retenu par l'intimé, pris en compte par ce dernier pour la première fois dans sa décision du 24 novembre 2021, après qu'il eut été en possession des extraits de compte actualisés de la bénéficiaire, lesquels faisaient état d'un avoir de CHF 1'006.- au 31 décembre 2020. Cependant, les documents alors remis établissaient que le solde du compte au 30 avril 2021 se montait à CHF 957.91, somme qu'il s'agit de prendre en considération dans le cas présent, s'agissant de la donnée disponible la plus proche de la date du décès de la bénéficiaire (art. 27a al. 1 OPC-AVS/AI).

Par conséquent, la chambre de céans retiendra que le montant de la succession au moment du décès s'élevait à CHF 57'296.60 (arrondi), au lieu de CHF 62'469.45, tel que retenu par l'intimé.

La dette ouverte en faveur du SPC, par CHF 8'911.-, dont le montant n'est pas remis en cause, doit être déduite de la succession (cf. n° 4720.04 DPC), ainsi que la franchise de CHF 40'000.-. Il s'ensuit que le montant maximal de la restitution auquel peuvent être tenus les héritiers s'élève à CHF 8'385.60.

9.5 S'agissant du sens de priorité du remboursement des prestations perçues, la chambre de céans observe que l'intimé a tenu compte des prestations complémentaires fédérales versées en mai et juin 2022, puis des frais de maladie et d'invalidité versés entre janvier et juin 2022. Cet ordre, sur lequel l'intimé ne s'exprime pas dans ses écritures, ne respecte par les directives applicables, qui, pour rappel, énoncent que si le montant de la masse successorale ne permet de récupérer qu’une partie des prestations complémentaires, ce sont les prestations complémentaires annuelles, y compris le montant pour l’assurance obligatoire des soins, qui doivent être récupérées en priorité. Elles doivent l’être dans l’ordre chronologique inverse, en partant du mois du décès et uniquement pour des mois entiers (n° 4720.02 DPC).

Or, il résulte de la dernière décision de prestations complémentaires du 1er décembre 2021 que la bénéficiaire avait droit à des prestations complémentaires fédérales de CHF 4'925.- par mois et des subsides à l'assurance-maladie de CHF 599.- par mois dès le 1er janvier 2022, soit un total mensuel de CHF 5'524.-. Pour le mois de juin 2022, compte tenu du décès intervenu le 27 juin, l'intimé a exigé le remboursement de CHF 803.- (décision du 30 juin 2022 entrée en force), ce qui implique que la bénéficiaire a perçu CHF 4'721.- à titre de prestations complémentaires fédérales et de subsides le mois en question. Cette somme doit être récupérée en priorité, ce qui laisse un solde disponible de CHF 3'664.60 (CHF 8'385.60 - CHF 4'721.-), insuffisant pour couvrir l’intégralité des prestations versées au mois de mai 2022.

Dans un tel cas de figure, conformément aux exemples développés dans les DPC, les prestations versées antérieurement au mois de juin 2022 ne peuvent pas être récupérées, et aucune restitution ne peut non plus être exigée pour les frais de maladie et d'invalidité (cf. calcul annexe 16, chiffre 16.4, exemple a DPC).

Au vu de ce qui précède, le montant des prestations complémentaires, légalement perçues devant être restituées par la succession, s'élève à CHF 4'721.-.

10.         Le recours sera par conséquent partiellement admis et la décision du 16 août 2023 annulée.

11.         Les recourants, qui plaident en personne et ne font pas valoir des frais indispensables occasionnés par la procédure, n'ont pas droit à des dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03] a contrario).

12.         Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet partiellement.

3.        Annule la décision du 16 août 2023.

4.        Dit que le montant devant être restitué par la succession en faveur de l'intimé s'élève à CHF 4'721.-.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le