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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/781/2023

ATAS/282/2024 du 24.04.2024 ( LAA ) , REJETE

En fait

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/781/2023 ATAS/282/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 24 avril 2024

Chambre 8

 

En la cause

A______
représenté par Me Aliénor WINIGER, avocate

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D’ASSURANCE EN CAS D’ACCIDENTS
représentée par Me Jeanne-Marie MONNEY, avocate

intimée

 


EN FAIT

 

A. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né en 1990, a travaillé en tant qu’agent d’entrepôt pour le compte de B______ dès le 11 juillet 2011, réalisant un revenu mensuel brut de CHF 4'430.-, porté à CHF 4'530.- treizième salaire en sus dès le 1er avril 2020 (courrier de l’employeur à l’assuré du 16 avril 2020). À ce titre, il était assuré contre les accidents auprès de la Caisse nationale suisse en cas d’accidents (ci-après : la SUVA ou l’assureur).

B. a. Le 27 février 2020, l’assuré s’est coupé trois doigts de la main gauche en cuisinant à domicile. Il a été admis le jour même aux Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) où les diagnostics suivants ont été posés : plaie palmaire de 2 cm en zone II des doigts III, IV, et V gauches avec section à 100% du fléchisseur profond et du fléchisseur superficiel des 3ème et 4ème doigts, section à 100 % du fléchisseur superficiel du 5ème doigt, section à 100 % du nerf collatéral ulnaire et de l’artère collatérale ulnaire du 3ème doigt (lettre de sortie des HUG du 12 mars 2020).

b. L’assuré a subi une intervention chirurgicale le lendemain, consistant en une suture des fléchisseurs et nerf sectionnés, une reconstruction de la poulie A2 des 3ème et 4ème doigts et de la poulie A4 du 5ème doigt dont les suites ont été sans particularité. Il a pu rejoindre son domicile le 29 février 2020 et a débuté les soins physiothérapeutiques post-opératoires dans les jours suivants (lettre de sortie des HUG du 12 mars 2020).

c. L’assuré ayant toujours des douleurs, surtout nocturnes, une diminution de la motricité des doigts principalement en extension, une diminution de la force de préhension, ainsi que des problèmes de dysesthésie avec décharges électriques au niveau du 3ème doigt déclenchées par le toucher, des examens complémentaires par ultrasons ont été effectués. Ces derniers ont mis en évidence un névrome du nerf ulnaire du 3ème doigt et une intervention chirurgicale a été proposée à l’assuré (rapport de consultation des HUG, Unité de chirurgie de la main et des nerfs périphériques, du 14 août 2020).

d. Le 16 mars 2021, la Docteure C______ a procédé à une neurolyse et enfouissement d’un névrome collatéral ulnaire du 3ème doigt au niveau du muscle interosseux palmaire à gauche (compte-rendu opératoire du 17 mars 2021).

e. En raison de la persistance d’une incapacité de travail totale, la SUVA a mis en place un séjour auprès de la Clinique romande de réadaptation (ci-après : la CRR), dans le but de procéder à une rééducation intensive de la main et à une évaluation des capacités fonctionnelles. L’assuré a séjourné à la CRR du 16 novembre au 22 décembre 2021.

Dans leur avis de sortie détaillé du 14 janvier 2022, les médecins de la CRR ont retenu le diagnostic de traumatisme de la main gauche le 27 février 2020 avec plaie palmaire en D3-D5 avec section 100% FDP + FDS de D3 et D4, et 100% FDS de D5, section à 100% du nerf collatéral ulnaire de D3, section à 100% de l’artère collatérale ulnaire de D3 et névrome du nerf collatéral ulnaire selon US du 12 août 2020, enfoui au niveau du muscle interosseux palmaire à gauche par chirurgie du 16 mars 2021. Compte tenu des observations et des divers tests réalisés au sein des ateliers, les médecins ont considéré que l’assuré pouvait exercer une activité professionnelle qui devait toutefois respecter des limitations fonctionnelles considérées comme provisoires, la mise en place d’une mesure d’évaluation des capacités professionnelles étant préconisée pour accompagner le patient dans son processus de réorientation. Les limitations fonctionnelles retenues étaient les suivantes : port de charges répétitif et/ou prolongé de plus de 15 kg, mouvements nécessitant de la force de la main et du poignet gauche de manière répétitive surtout avec contact avec la paume, activités avec vibrations. Un changement d’activité professionnelle était conseillé.

Une évaluation des capacités professionnelles a été réalisée à la CRR en janvier 2022 sur mandat de l’assurance-invalidité. Dans le domaine informatique, l’assuré était autonome et avait travaillé sans difficultés durant plusieurs heures consécutives. Il en allait de même dans une activité de type mécanicien sur petites pièces. Pour des activités en lien avec l’industrie et le travail à l’établi, l’assuré avait pu travailler dans une activité bimanuelle plusieurs heures d’affilée avec l’aide d’un tiers pour l’utilisation ponctuelle des machines portatives qui s’avéraient douloureuses sur la durée. Diverses pistes professionnelles ont été envisagées au terme de la mesure : vendeur d’automobiles, opérateur en industrie, employé en conditionnement, opérateur d’échantillonnage, contrôleur qualité, gérant de station-service, et technicien du bâtiment, notamment.

f. L’assuré a été soumis à un examen médical confié au médecin conseil de la SUVA en date du 21 juin 2022. Le docteur D______, dans son rapport du 28 juin 2022, a retenu les mêmes diagnostics que les médecins de la CRR. L’assuré faisait état de douleurs prédominantes au niveau de la main avec des décharges électriques lorsqu’il y avait un appui et même à l’effleurement. Au niveau des rayons D3, D4 et D5, l’assuré déclarait essentiellement des douleurs au niveau de D3 et D4. L’assuré déclarait ne pas pouvoir porter avec la main gauche, ni effectuer des mouvements de serrage ou de vissage. La pince pollicidigitale ne présentait en revanche pas de problème. L’examen clinique mettait en évidence une nette diminution de la force de préhension à gauche, la force pollicidigitale étant diminuée aussi, mais dans une moindre mesure. La relation de causalité naturelle avec l’accident du 27 février 2020 était certaine. Selon le Dr D______, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologique de l’appareil locomoteur, il n’y avait plus de traitement, en particulier chirurgical, qui permettrait d’améliorer de manière significative la situation et d’envisager une reprise de son activité habituelle. La situation médicale pouvait donc être considérée comme stabilisée. L’activité habituelle d’agent d’entrepôt et logisticien chez B______ n’était plus exigible, en particulier en ce qui concernait la partie physique de l’activité. Les limitations fonctionnelles définitives suivantes pouvaient être retenues : port de charges même léger, maximum 5kg, avec la main gauche, activité nécessitant de la force avec la main et le poignet gauche, activité entraînant des contacts répétitifs avec la paume gauche, activité répétitive du poing et des doigts de la main gauche, activité avec vibrations. Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, en utilisant principalement le membre et la main droits (main dominante), la capacité de travail était de 100%, sans diminution de rendement.

g. Par décision du 26 septembre 2022, la SUVA a accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité, et lui a refusé le droit à une rente d’invalidité. L’assureur a estimé qu’une activité compatible avec les limitations fonctionnelles lui permettrait de réaliser un salaire annuel de CHF 59'995.- (salaire ESS 2020, pour un homme, niveau de compétence 1, en tenant compte de l’horaire de travail de la branche économique, avec un abattement de 10%, indexé selon le tableau T1.1.10 à l’année 2022). Comparé au revenu qu’il réalisait avant l’accident
(CHF 58'331.-), il n’en résultait aucune perte de salaire.

h. L’assuré a formé opposition à l’encontre de ladite décision par courrier de son mandataire du 28 octobre 2022. En substance, il a contesté les limitations fonctionnelles retenues, car elles n’étaient pas identiques et plus étendues que celles reconnues par les médecins de la CRR, et qu’elles l’entravaient largement dans ses chances de retrouver un emploi. Il a également contesté le revenu sans invalidité retenu, lequel ne prenait pas en considération son revenu annuel moyen. Celui-ci devait donc être fixé à CHF 62'159.- après adaptation. Quant au revenu avec invalidité, si les limitations fonctionnelles devaient être maintenues telles quelles, elles devaient entraîner l’application d’un abattement de 15%. Le taux d’invalidité ainsi déterminé étant de 11%, une rente d’invalidité devait lui être accordée. L’assuré a produit à l’appui de son opposition un extrait de son compte individuel, duquel il ressortait notamment que le revenu annuel réalisé auprès de son ancien employeur a été de CHF 42'539.- en 2012, CHF 66'056.- en 2013, CHF 64'988.- en 2014, CHF 64'717.- en 2015, CHF 64'683.- en 2016, CHF 56'799.- en 2017,CHF 59'912.- en 2018, et CHF 59'645.- en 2019.

i. Le 18 novembre 2022, l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève a rendu un projet de décision par lequel il informait l’assuré de ce qu’une rente entière d’invalidité lui serait accordée du 1er avril 2021 au 30 septembre 2022. Au 28 juin 2022, une capacité de travail entière lui était reconnue dans une activité adaptée. La comparaison des revenus (sans invalidité : CHF 58'890.- ; avec invalidité : CHF 65'322.-) qui s’en suivait ne mettait pas en évidence une perte de gain. Les conditions d’octroi de mesures professionnelles n’étaient pas non plus remplies, dès lors que l’assuré pouvait prétendre à de nombreux emplois en adéquation avec ses connaissances, compétences et expérience. Les postes suivants étaient cités à titre d’exemple : responsable d’une chaîne de production dans l’industrie, préposé à l’emballage de petites pièces ou composants, contrôleur / visiteur en salle blanche dans l’industrie légère, activités de ventes (sans port de charge), accueil / réception, huissier, inventoriste.

j. La SUVA a confirmé sa décision par décision sur opposition du 31 janvier 2023. Elle a toutefois corrigé le revenu sans invalidité retenu, en prenant en considération l’augmentation de salaire notifiée en 2020 à l’assuré. C’est donc au final un revenu d’invalide de CHF 59'597.33 qui a été pris en considération, sans incidence cependant sur un éventuel droit aux prestations, le taux d’invalidité étant de 0.22%.

C. a. L’assuré a interjeté recours contre cette décision par acte du 3 mars 2023, concluant à l’octroi d’une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 11% dès le 1er octobre 2022, sous suite de frais et dépens. À titre préalable, il a sollicité l’audition du Docteur E______, spécialiste en chirurgie de la main.

En substance, le recourant a fait valoir les mêmes griefs à l’encontre de la décision entreprise que lors de la procédure préalable d’opposition. Il a produit un certificat médical établi par son médecin traitant, le Dr E______, lequel a fait état d’une capacité de travail entière dès le 1er janvier 2023 dans une activité adaptée ne comportant pas de port de charge supérieure à 3 kg, pas d’activité répétitive avec le membre supérieur gauche, et pas d’activité avec exposition au froid (certificat du 19 décembre 2022). Il a considéré que son salaire sans invalidité devait être établi sur la base de la moyenne de ses salaires annuels chez son ancien employeur, ce qui correspondait à CHF 62'159.-. Quant au revenu d’invalide – compte tenu de l’ensemble des limitations fonctionnelles qui l’entravaient, soit celles établies par le Dr E______ ajoutées à celles reconnues par le Dr D______ –, il y avait lieu d’appliquer un abattement de 15% sur le salaire statistique déterminé par l’intimée.

b. Dans sa réponse du 26 mai 2023, l’intimée a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens, et au rejet de l’audition du Dr E______ sollicitée par le recourant.

En résumé, l’intimée a considéré que l’évaluation des limitations fonctionnelles effectuée par le Dr D______ devait se voir reconnaître pleine valeur probante. L’assuré n’apportait aucun élément pertinent et motivé justifiant de s’en écarter. Quant au taux d’abattement de 10%, il tenait raisonnablement compte des circonstances du cas, sur la base de la jurisprudence rendue dans des cas comparables. S’agissant enfin du revenu sans invalidité, il n’y avait pas lieu de retenir les salaires réalisés entre 2014 et 2016, car ils n’étaient pas représentatifs de ce que le recourant aurait pu obtenir, sans atteinte à la santé, en 2022. Le revenu sans invalidité tel que déterminé dans la décision sur opposition devait par conséquent être confirmé.

L’intimée a notamment produit, avec son dossier, une évolution théorique du salaire de l’assuré sans atteinte à la santé remise par l’ancien employeur, laquelle fait état d’un salaire annuel à plein temps de CHF 55'590.-, treizième salaire en sus, soit CHF 60'220.-, pour l’année 2022.

c. Le recourant a répliqué le 21 juin 2023. Sur la base d’un certificat du Dr E______ daté du 12 avril 2023, il a persisté dans son argumentation aux termes de laquelle les limitations retenues par l’intimée n’étaient pas conformes à son état de santé. Il a ajouté qu’un abattement de 10% ne tenait pas suffisamment compte de ses possibilités de retour en emploi, étant fortement limité dans toutes les professions qu’il pourrait exercer en raison de son absence de formation.

d. Le 21 juillet 2023, l’intimée a fait parvenir un mémoire de duplique dans lequel elle a maintenu sa position relative aux limitations fonctionnelles. Elle a ajouté, concernant l’abattement sur le revenu d’invalide, que l’absence de formation n’était pas un facteur d’abattement et que le marché équilibré du travail pris en considération dans le domaine de l’assurance-accidents offrait un nombre significatif d’activités légères accessibles au recourant sans formation ni expérience professionnelle spécifique.

e. Cette écriture a été transmise au recourant et la cause gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents, du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             À teneur de l'art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-accidents, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.             Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Dans la mesure où le recours a été interjeté postérieurement au 1er janvier 2021, il est soumis au nouveau droit (cf. art. 82a LPGA a contrario).

4.             Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l'accident est survenu après cette date, le droit du recourant aux prestations d'assurance est soumis au nouveau droit (cf. al. 1 des dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015; arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2016 du 23 mai 2017 consid. 2.2). Les dispositions légales seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur à compter du 1er janvier 2017.

5.             Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable.

6.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité selon la LAA, seuls demeurant litigieux les revenus avant et après invalidité, et, s’agissant de ce dernier, le taux d’abattement sur le revenu statistique.

Le lien de causalité entre l’accident et l’incapacité de travail n’étant pas litigieux, cette question ne sera pas discutée.

7.              

7.1 Si l'assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite d’un accident, il a droit à une rente d'invalidité (art. 18 al. 1 LAA). Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA; méthode ordinaire de la comparaison des revenus).

Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1); seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain; de plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable (al. 2).  

7.2 Selon l'art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu'il n'y a plus lieu d'attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l'état de l'assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l'assurance-invalidité ont été menées à terme. Le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente.

Il faut en principe que l’état de santé de l’assuré puisse être considéré comme stable d’un point de vue médical (arrêt du Tribunal fédéral 8C_591/2022 du
14 juillet 2023 consid. 3.2 et la référence).

8.              

8.1 La plupart des éventualités assurées (par exemple la maladie, l'accident, l'incapacité de travail, l'invalidité, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale) supposent l'instruction de faits d'ordre médical. Or, pour pouvoir établir le droit de l'assuré à des prestations, l'administration ou le juge a besoin de documents que le médecin doit lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 132 V 93 consid. 4 et les références ; 125 V 256 consid. 4 et les références). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1).

8.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2). L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 133 V 450 consid. 11.1.3 ; 125 V 351 consid. 3).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).

8.3 Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Etant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).

Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 LPGA, l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères: s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références ; 142 V 58 consid. 5.1 et les références ; 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.4).

Dans une procédure portant sur l’octroi ou le refus de prestations d’assurances sociales, lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes mêmes faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4.6).  

8.4 En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et les références; ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (ATF 125 V 351 consid. 3a ; 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

9.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références ; 126 V 353 consid. 5b et les références ; 125 V 193 consid. 2 et les références ; cf. 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6. 1 et la référence).

 

10.          

10.1 Chez les assurés actifs, le degré d'invalidité doit être évalué sur la base d'une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 8 al. 1 et art. 16 LPGA). En règle ordinaire, il s'agit de chiffrer aussi exactement que possible ces deux revenus et de les confronter l'un avec l'autre, la différence permettant de calculer le taux d'invalidité. Dans la mesure où ils ne peuvent être chiffrés exactement, ils doivent être estimés d'après les éléments connus dans le cas particulier, après quoi l'on compare entre elles les valeurs approximatives ainsi obtenues (méthode générale de comparaison des revenus ; ATF 137 V 334 consid. 3.3.1).

10.2 Pour procéder à la comparaison des revenus, il convient de se placer au moment de la naissance du droit à la rente; les revenus avec et sans invalidité doivent être déterminés par rapport à un même moment et les modifications de ces revenus susceptibles d'influencer le droit à la rente survenues jusqu'au moment où la décision est rendue doivent être prises en compte (ATF 129 V 222 consid. 4.1 et les références).

10.3 Pour déterminer le revenu sans invalidité, il convient d'établir ce que l'assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s'il n'était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. Partant de la présomption que l'assuré aurait continué d'exercer son activité sans la survenance de son invalidité, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l'assuré avant l'atteinte à la santé, en prenant en compte également l'évolution des salaires jusqu'au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 144 I 103 consid. 5.3 ; 139 V 28 consid. 3.3.2 et les références ; 135 V 297 consid. 5.1 et les références ; 134 V 322 consid. 4.1 et les références). Toutefois, lorsque la perte de l'emploi est due à des motifs étrangers à l'invalidité, le salaire doit être établi sur la base de valeurs moyennes. Autrement dit, dans un tel cas, n'est pas déterminant pour la fixation du revenu hypothétique de la personne valide le salaire que la personne assurée réaliserait actuellement auprès de son ancien employeur, mais bien plutôt celui qu'elle réaliserait si elle n'était pas devenue invalide (arrêt du Tribunal fédéral 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.1 et la référence).

Le salaire réalisé en dernier lieu par l'assuré comprend tous les revenus d'une activité lucrative (y compris les gains accessoires et la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l'assurance-vieillesse et survivants. En effet, l'art. 25 al. 1 du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI – RS 831.201) établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l'AVS et le revenu à prendre en considération pour l'évaluation de l'invalidité; le parallèle n'a toutefois pas valeur absolue. Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l'assurance-accidents, dès lors que la notion d'invalidité y est la même que dans l'assurance-invalidité. On rappellera cependant que l'évaluation de l'invalidité par l'assurance-invalidité n'a pas de force contraignante pour l'assureur-accidents de même, l'assurance-invalidité n'est pas liée par l'évaluation de l'invalidité de l'assurance-accidents. Pour établir le salaire réalisé en dernier lieu et son évolution subséquente, on se fondera en premier lieu sur les renseignements fournis par l'employeur. Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut également se référer aux revenus figurant dans l'extrait du compte individuel de l'AVS (arrêt du Tribunal fédéral 8C_679/2020 du 1er juillet 2021 consid. 5.1 et les références).

Il est toutefois possible de s’écarter du dernier salaire que l’assuré a obtenu avant l’atteinte à la santé quand on ne peut pas l’évaluer sûrement. Ainsi, lorsque le revenu avant l’atteinte à la santé a été soumis à des fluctuations importantes à relativement court terme, il y a lieu de se baser sur le revenu moyen réalisé pendant une période assez longue (arrêt du Tribunal fédéral 8C_157/2023 du
10 août 2023 consid. 3.2 et la référence).

10.4 On évaluera le revenu que l'assuré pourrait encore réaliser dans une activité adaptée avant tout en fonction de la situation concrète dans laquelle il se trouve. Lorsqu'il a repris l'exercice d'une activité lucrative après la survenance de l'atteinte à la santé, il faut d'abord examiner si cette activité est stable, met pleinement en valeur sa capacité de travail résiduelle et lui procure un gain correspondant au travail effectivement fourni, sans contenir d'élément de salaire social. Si ces conditions sont réunies, on prendra en compte le revenu effectivement réalisé pour fixer le revenu d'invalide (ATF 139 V 592 consid. 2.3 et les références ; 135 V 297 consid. 5.2 et les références). 

10.5 En l'absence d'un revenu effectivement réalisé soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l'atteinte à la santé, n'a pas repris d'activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible –, le revenu d'invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l'ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les références; ATF 143 V 295 consid. 2.2 et les références).

Il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table ESS TA1_tirage_skill_level, à la ligne «total secteur privé» (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa). On se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la médiane ou valeur centrale (ATF 126 V 75 consid. 3b/bb ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1), étant précisé que, depuis l'ESS 2012, il y a lieu d'appliquer le tableau TA1_skill_level et non pas le tableau TA1_b (ATF 142 V 178). Lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l'assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières; tel est notamment le cas lorsqu'avant l'atteinte à la santé, l'assuré a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et qu'une activité dans un autre domaine n'entre pas en ligne de compte (arrêt du Tribunal fédéral 8C_205/2021 du 4 août 2021 consid. 3.2.1 et la référence). Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne "total secteur privé" lorsque l'assuré ne peut plus raisonnablement exercer son activité habituelle et qu'il est tributaire d'un nouveau domaine d'activité pour lequel l'ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêt du Tribunal fédéral 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 5.2.1 et les références). En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s'écarter de la table TA1 (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les branches économiques dans le secteur privé) pour se référer à la table TA7 (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon le domaine d'activité dans les secteurs privé et public ensemble), si cela permet de fixer plus précisément le revenu d'invalide et que le secteur en question est adapté et exigible. C'est le lieu de préciser que les tables TA1, T1 et TA7 des ESS publiées jusqu'en 2010 correspondent respectivement aux tables TA1_skill_level, T1_tirage_skill_level et T17 des ESS publiées depuis 2012 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_205/2021 du 4 août 2021 consid. 3.2.2 et les références). La valeur statistique – médiane – s'applique, en principe, à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu'elle est physiquement trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers. Pour ces assurés, ce salaire statistique est suffisamment représentatif de ce qu'ils seraient en mesure de réaliser en tant qu'invalides dès lors qu'il recouvre un large éventail d'activités variées et non qualifiées (branche d'activités), n'impliquant pas de formation particulière, et compatibles avec des limitations fonctionnelles peu contraignantes (cf. arrêts du Tribunal fédéral 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_242/2012 du 13 août 2012 consid. 3). Il convient de se référer à la version de l'ESS publiée au moment déterminant de la décision querellée (ATF 143 V 295 consid. 4 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 3.6).

10.6 La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits, dépend de l'ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d'autorisation de séjour et taux d'occupation) et résulte d'une évaluation dans les limites du pouvoir d'appréciation. Une déduction globale maximum de 25 % sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d'une activité lucrative (ATF 148 V 174 consid. 6.3 et les références; ATF 135 V 297 consid. 5.2; ATF 134 V 322 consid. 5.2 et les références). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu'il existe des indices qu'en raison d'un ou de plusieurs facteurs, l'intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu'avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 148 V 174 consid. 6.3 et les références; ATF 146 V 16 consid. 4.1 et les références; ATF 126 V 75 consid. 5b/aa). Il n'y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération ; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d'appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d'invalide, compte tenu de l'ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3 et les références; ATF 126 V 75 consid. 5b/bb et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 3.3 et les références).

À cet égard, le pouvoir d'examen de l’autorité judiciaire cantonale n'est pas limité à la violation du droit (y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation), mais s'étend également à l'opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l'opportunité de la décision en cause, l'examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l'autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation et en respectant les principes généraux du droit n'aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. À cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l'administration; il doit s'appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2 et la référence).  

Concernant l'abattement pour les limitations fonctionnelles, on rappellera qu'une réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n'entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n'y a plus un éventail suffisamment large d'activités accessibles à l'assuré (ATF 148 V 419 consid. 6 et les références).

Le salaire fondé sur les ESS doit encore être adapté à l’horaire de travail usuel de la branche, et indexé à l’année déterminante en tenant compte des valeurs spécifiques au sexe (ATF 129 V 408).

Le cas échéant, il y a lieu d'adapter le salaire statistique à l'évolution des salaires nominaux en appliquant soit le chiffre définitif de l'indice suisse des salaires nominaux publié au moment déterminant de la décision litigieuse, soit la plus récente estimation trimestrielle (ATF 143 V 295 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_659/2022 du 2 mai 2023 consid. 7.2).

11.         Le taux d'invalidité doit être arrondi au pourcentage supérieur ou inférieur selon les règles mathématiques reconnues. Cela vaut également dans l'assurance-accidents, même si l'arrondi à l'unité supérieure ou inférieure (hormis la valeur de référence de 10 % [cf. art. 18 al. 1 LAA]) représente une perte ou un gain de quelques francs sur le montant mensuel de la rente (ATF 131 V 121 consid. 3.2. et 3.3 et les références; arrêt du Tribunal fédéral 8C_167/2022 du 18 août 2022 consid. 5.4).

12.         Si l’administration ou le juge, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles ils doivent procéder d’office, sont convaincus que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu d’administrer d’autres preuves (appréciation anticipée des preuves ; ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les références ; ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 et les références). Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu selon l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101 - Cst; SVR 2001 IV n. 10 p. 28 consid. 4b), la jurisprudence rendue sous l’empire de l’art. 4 aCst. étant toujours valable (ATF 124 V 90 consid. 4b, ATF 122 V 157 consid. 1d).

13.         Au cas d’espèce, il est constant que l’état de santé du recourant doit être considéré comme stabilisé en 2022, année au cours de laquelle la décision entreprise a été rendue. Ce sont dès lors les données valables à ce moment qui sont déterminantes pour le calcul du taux d’invalidité.

14.          

14.1 Le recourant conteste tout d’abord le revenu sans invalidité retenu par l’intimée. Il estime que celui-ci doit être établi sur la base de la moyenne de ses salaires annuels chez son ancien employeur, ce qui correspondrait à CHF 62'159.-.

14.2 L’intimée a établi le revenu qu’aurait réalisé le recourant en se fondant sur les indications communiquées par son ancien employeur relatives à l’année 2020, soit un revenu annuel de CHF 58'890.- qu’elle a ensuite indexé selon le tableau T1.1.20 (Indice des salaires nominaux, hommes, 2020-2021, « transport et entreposage, Poste et courrier »), l’indice pour 2022 ayant été estimé sur les données des trois premiers trimestres de l’année. Le salaire annuel brut déterminant a ainsi été fixé à CHF 59'597.33.

14.3 Contrairement à ce que prétend le recourant, il n’y a pas lieu d’effectuer une moyenne de ses salaires annuels tels qu’ils ressortent de son compte individuel.

En effet, ses revenus chez son ancien employeur n’ont pas subi d’importantes fluctuations à court terme, au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus
(cf. consid. 11.c). Certes, il a perçu un salaire supérieur durant les années 2013 à 2016, sans toutefois que l’on puisse établir pour quel motif, ni qu’on dispose d’une quelconque indication en faveur de la réalisation d’un tel salaire au moment déterminant du calcul du droit à la rente. Au contraire, sollicité par l’intimée, l’employeur a déclaré que le revenu du recourant devait progresser de manière linéaire entre 2020 et 2022, à raison de CHF 100.- supplémentaires par mois, le salaire prévisible pour 2022 étant fixé à CHF 60'222.-.

C’est ce montant qu’il convient de retenir, puisqu’il correspond, à un degré de haute vraisemblance, à celui que le recourant aurait perçu sans atteinte à la santé en restant au service du même employeur.

15.          

15.1 Le recourant ne conteste pas le salaire statistique d’invalide retenu par l’intimée, mais le taux d’abattement appliqué. Se fondant sur l’avis de son chirurgien traitant, il considère qu’en raison des multiples limitations fonctionnelles qu’il convient de lui reconnaître, c’est un abattement de 15% qui se justifie, et non seulement 10%.

15.2 Le recourant a fait l’objet d’une évaluation lors d’un séjour de plusieurs semaines au sein de la CRR. À l’issue dudit séjour, les médecins ont fait état de limitations fonctionnelles qu’ils ont qualifiées de provisoires, l’intéressé devant encore faire l’objet de tests plus concrets dans le cadre d’une mesure d’évaluation de ses capacités fonctionnelles, qui a été mise en œuvre par l’assurance-invalidité par la suite. Les limitations fonctionnelles provisoires retenues étaient les suivantes : port de charges répétitif et/ou prolongé de plus de 15 kg, mouvements nécessitant de la force de la main et du poignet gauche de manière répétitive surtout avec contact avec la paume, activités avec vibrations. Un changement d’activité professionnelle était conseillé.

Le 28 juin 2022, le Dr D______, médecin-conseil de l’intimée, a rendu un rapport après avoir examiné le recourant. Au terme d’un examen minutieux, d’une anamnèse complète, laquelle reprend notamment les différentes conclusions et constats de ses confrères, il s’est prononcé sur la capacité de travail résiduelle du recourant et de ses limitations fonctionnelles. Ses conclusions, motivées et convaincantes, fondées sur une analyse complète du dossier et ses propres constatations cliniques, emportent conviction. C’est ainsi qu’il a retenu que l’activité habituelle d’agent d’entrepôt et logisticien chez B______ n’était plus exigible, en particulier en ce qui concernait la partie physique de l’activité. Le recourant était en revanche capable de travailler à plein temps et avec un plein rendement dans toute activité adaptée aux limitations fonctionnelles, en utilisant principalement le membre et la main droits (main dominante). Les limitations fonctionnelles définitives suivantes étaient retenues : port de charges même léger, maximum 5kg, avec la main gauche, activité nécessitant de la force avec la main et le poignet gauches, activité entraînant des contacts répétitifs avec la paume gauche, activité répétitive du poing et des doigts de la main gauche, activité avec vibrations.

L’avis légèrement divergent du chirurgien traitant ne saurait justifier que l’on s’écarte des limitations fonctionnelles retenues par le Dr D______. En effet, le Dr E______ se limite à lister les limitations fonctionnelles qu’il retient, sans les motiver, ajoutant dans son second certificat celles retenues par son confrère de la SUVA. En particulier, on ne comprend pas pour quelle raison le médecin considère que les activités répétitives avec le membre supérieur gauche seraient contre-indiquées, alors que seule la main est concernée par les séquelles de l’accident. Cette limitation est par ailleurs contredite par les mensurations des membres supérieurs effectuées par le Dr D______, mensurations qui ne laissent pas apparaître de différence de périmètre au niveau des deux bras, étant rappelé que le membre dominant du recourant est celui qui n’a pas été blessé. Ceci laisse clairement penser que le recourant se sert de ses deux bras de façon équivalente.

L’évaluation des capacités professionnelles à la CRR en janvier 2022 sur mandat de l’assurance-invalidité ne va pas non plus dans le sens des limitations complémentaires retenues par le Dr E______. En effet, l’assuré avait notamment été capable de travailler à l’établi dans un poste bimanuel pendant plusieurs heures d’affilée.

Quant à la nécessité d’éviter les travaux dans le froid, elle ne repose sur aucune plainte du recourant ou constatation clinique. Aucune mention y relative ne se retrouve dans les pièces médicales au dossier. Quoi qu’il en soit, même à admettre que cette restriction supplémentaire doive être retenue, cela serait sans influence sur l’établissement du taux d’invalidité, comme cela sera démontré ci-après.

Au vu de ce qui précède, nul n’est besoin de procéder à l’audition du Dr E______, dans la mesure où ses considérations ne permettent pas de mettre en doute les conclusions du Dr D______, respectivement sont dépourvues d’influence sur la détermination du taux d’invalidité.

15.3 Les limitations fonctionnelles du recourant étant fixées, il convient à présent d’examiner si l’abattement de 10% opéré par l’intimée est conforme à la jurisprudence rappelée ci-dessus, étant précisé qu’aucun autre critère n’est susceptible d’avoir une influence sur les possibilités de gain du recourant dans le cas présent. À ce propos, on rappellera que l’absence de formation n’est pas un critère reconnu par la jurisprudence pour définir l’abattement éventuel sur le salaire statistique, ce d’autant qu’il existe un nombre significatifs d’emplois de nécessitant pas de formation parmi l’ensemble des activité simples et répétitives offertes sur un marché équilibré du travail.

En l’espèce, les capacités fonctionnelles du recourant ont été testées concrètement non seulement lors de son séjour à la CRR, mais aussi et surtout lors de l’évaluation mandatée par l’assurance-invalidité.

Il ressort de cette dernière que le recourant peut prétendre à des postes de travail compatibles avec ses limitations dans de nombreux domaines. Ainsi, les activités retenues – dans une liste non exhaustive et dont la totalité permet de préserver la main du froid – sont suffisamment nombreuses pour considérer que l’intéressé n’est pas péjoré dans ses perspectives de gain au point qu’un abattement supérieur à celui appliqué par l’intimée se justifie. La liste évoquée ci-avant (cf. consid. B.e) a même été complétée par l’assurance-invalidité dans son projet de décision du
18 novembre 2022 (cf. consid. C).

La chambre de céans, au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral, considère d’ailleurs que l’abattement de 10% auquel a procédé l’assureur est plutôt généreux. En effet, la main concernée par les limitations n’est pas la main dominante. Par ailleurs, le recourant se trouve dans une situation de gravité nettement moindre à celle d’un mono-manuel, puisqu’il peut encore faire usage de sa main de diverses manières. Or, notre Haute Cour a déjà considéré qu’un taux d’abattement de 15% était suffisant dans le cas d’un assuré dont la main ne conservait qu’une fonction de stabilisation, c’est-à-dire présentait des limitations bien supérieures à celles du recourant (arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2017 et 8C_773/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.6 et 8.7). Dans le cas d’une assurée ne pouvant plus exercer que des activités avec un seul bras (non-usage de l’intégralité du membre supérieur et non seulement d’une main), un abattement de 15% a été admis (arrêt du Tribunal fédéral du 8C_849/2017 du 5 juin 2018 consid. 3.2). Enfin, un abattement de 10% a été considéré comme justifié dans des activités mono-manuelles à plusieurs reprises (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_383/2020 du 21 septembre 2020 consid. 4.2.2 et les arrêts cités).

Il suit de ce qui précède que le taux d’abattement retenu par l’intimée sera confirmé.

16.          

16.1 Reste par conséquent à procéder au calcul du taux d’invalidité.

16.2 Le revenu d’invalide sera présentement établi sur la base de l’ESS (ESS 2020 TA1_tirage_skill_level, total, niveau 1, hommes [CHF 5'261.-], horaire hebdomadaire de 41.7 h), en prenant en compte l’évolution nominale des salaires pour aboutir pour l’an 2022 à un gain de CHF 66'073.30. Compte tenu d’un abattement de 10% pour tenir compte du fait que l’intimée ne peut plus mettre en valeur sa capacité de travail résiduelle sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, le revenu d’invalide est de CHF 59'466.-.

Comparé au revenu sans invalidité (CHF 60'222.-), il en résulte un taux d’invalidité de 1.25%, arrondi à 1%.

C’est par conséquent à bon droit que l’intimée a refusé le droit à une rente d’invalidité au recourant.

17.         Le recours sera par conséquent rejeté.

18.         Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

A la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

Pascale HUGI

 

 

La présidente suppléante

 

 

 

Laurence PIQUEREZ

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le