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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4351/2022

ATAS/273/2024 du 22.04.2024 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/4351/2022 ATAS/273/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 22 avril 2024

Chambre 6

 

En la cause

 

A______

Représenté par le service de protection de l’adulte (SPAd)

 

 

recourant

contre

 

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

 

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l’assuré), né le ______ 1969, de nationalité suisse, divorcé, père de deux enfants, nés en 1993 et 1995, a exercé une activité de cuisinier, chauffeur-livreur, manutentionnaire et manœuvre.

b. Il a déposé le 3 janvier 2011 une demande de prestations d’invalidité pour toxicomanie et dépression.

B. a. Dès 2010, le docteur B______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a attesté d’une capacité de travail nulle de l’assuré. Celui-ci a été hospitalisé dans le service d’addictologie des hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) du 29 juin au 19 juillet 2010 (sevrage de cocaïne).

b. À la demande de l’office de l’assurance-invalidité (ci-après : OAI), le docteur C______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a rendu un rapport d’expertise le 22 août 2013. Il a posé les diagnostics de troubles mentaux et du comportement liés à la consommation de cocaïne, syndrome de dépendance, utilisation continue, de troubles mentaux et du comportement liés à la consommation d’alcool, syndrome de dépendance, utilisation épisodique, de troubles mentaux et du comportement liés à la consommation d’héroïne, actuellement sous traitement de substitution à la Méthadone, d’abus et/ou dépendance au Dormicum et de personnalité de type fonctionnement état limite et sociopathique. Sa capacité de travail était nulle en raison d’une polytoxicomanie primaire.

c. Par décision du 14 octobre 2013, l’OAI a rejeté la demande de prestations, vu la toxicomanie primaire non incapacitante au sens de l’assurance-invalidité.

d. L’assuré a été hospitalisé à l’unité hospitalière d’addictologie des HUG du 2 au 15 avril 2014 (sevrage du Dormicum et stabilisation de la cure de Méthadone).

e. Le 29 août 2014, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations.

f. La docteure D______, spécialiste FMH en médecine interne (Fondation E______), a attesté le 8 mai 2015 d’une capacité de travail nulle. L’assuré souffrait, en plus des troubles psychiques, d’instabilité des deux chevilles. La docteure F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie (Fondation E______), a attesté le 31 juillet 2015 d’un état de santé sans évolution, avec persistance de symptômes dépressifs et un trouble de la personnalité. La capacité de travail était nulle.

g. Le 22 juin 2016, la docteure G______, spécialiste FMH en médecine interne, a attesté d’une intervention chirurgicale le 8 décembre 2014 à la cheville gauche et le 21 juin 2016 à la cheville droite ; l’assuré ne pouvait pas marcher plus de 20 minutes.

h. Le 8 juin 2017, le service médical régional de l’assurance-invalidité (ci-après : SMR) a estimé que l’incapacité de travail due à l’atteinte des chevilles était de trois mois post-opératoire et qu’il n’y avait pas de nouvelle atteinte psychiatrique. La capacité de travail était totale dès juin 2014 dans une activité adaptée aux limitations somatiques.

i. Par décision du 31 août 2017, l’OAI a rejeté la demande de prestations, au motif que le degré d’invalidité était de 10%.

j. Le 13 janvier 2021, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations. Il a joint un rapport du docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, du 21 décembre 2020, attestant d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptômes psychotiques, de trouble mixte de la personnalité et d’une dysthymie entrainant une capacité de travail nulle depuis octobre 2019.

k. Le 19 avril 2021, la Dre G______ a attesté d’un syndrome lombovertébral chronique dans un contexte de déséquilibre sagittal antérieur décompensé, de gonalgies chroniques sur probable gonarthrose, de douleurs chroniques des chevilles sur instabilité de la cheville gauche le 8 décembre 2014 et status post arthroscopie et Bastrome Gould de la cheville gauche le 21 janvier 2016. En raison de ses douleurs lombaires, gonalgies et douleurs des chevilles, l’assuré ne pouvait pas garder une position (debout, assise, marche) plus de dix à quinze minutes hormis la position allongée où il ne ressentait pas la douleur. L’assuré n’était pas capable de travailler en raison de l’importance des limitations fonctionnelles.

l. Le 23 juillet 2021, le Dr H______ a confirmé une capacité de travail nulle depuis octobre 2019.

m. Par ordonnance du 28 août 2021, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant a institué une curatelle de représentation auprès de deux curatrices du service de protection de l’adulte (SPAd) en faveur de l’assuré.

n. A la demande de l’OAI, le I______ (ci-après : I______) (docteur J______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et docteure K______, spécialiste FMH en rhumatologie), a rendu le 13 mai 2022 un rapport d’expertise à la suite d’entretiens avec l’assuré des 31 mars 2022 (psychiatrie) et 11 avril 2022 (rhumatologie). Les experts ont posé les diagnostics de syndrome de dépendance lié à l’utilisation de substances psychoactives multiples avec utilisation actuellement d’opiacés (prise d’héroïne sniffée) de manière relativement continue et de lombalgies chroniques avec troubles statiques dorsolombaires, d’entorses de chevilles à répétition avec ruptures ligamentaires des deux côtés, de ligamentoplastie des ligaments péronéo-astragaliens antérieurs et toilette articulaire, par arthroscopie en 2014 à gauche et 2016 à droite et d’arthrose tibiotarsienne des deux côtés. Il n’y avait pas de limitations fonctionnelles psychiques. Les anciennes activités n’étaient plus exigibles et l’assuré présentait une capacité de travail totale dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles somatiques (activité légère, principalement assise avec possibilité de changer occasionnellement de position, sans station debout ou marche prolongée, sans port de charges).

o. Le 3 juin 2022, le SMR a estimé que l’assuré était capable de travailler dès juin 2014 dans une activité adaptée et incapable de travailler dès cette même date dans les anciennes activités exercées (cuisinier, chauffeur-livreur, manœuvre).

p. Par projet de décision du 23 juin 2022, l’OAI a rejeté la demande de prestations, au motif que le degré d’invalidité de l’assuré était de 10%.

q. Le 20 octobre 2022, l’assuré, représenté par le SPAd, a contesté le projet de décision et transmis :

-     un rapport du Dr H______ du 12 octobre 2022, selon lequel il était perplexe de constater que le Dr J______ ne retenait aucun trouble de la personnalité, alors qu’il était sévère chez l’assuré ; l’assuré suivait un traitement, tentant de s’en sortir au mieux, mais son état s’était dégradé ; il ne pouvait intégrer le marché primaire de l’emploi ;

-     un rapport de la Dre G______ du 26 octobre 2022, selon lequel il était difficile d’envisager un travail adapté à l’état physique de l’assuré mais que c’était principalement en raison des limitations psychiques qu’il était totalement incapable de travailler.

r. Le 11 novembre 2022, le SMR a estimé que les avis du Dr H______ et de la Dre G______ ne modifiaient pas ses propres conclusions.

s. Par décision du 15 novembre 2022, l’OAI a rejeté la demande de prestations.

C. a. Le 21 décembre 2022, l’assuré, représenté par le SPAd, a recouru auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice à l’encontre de la décision précitée, en concluant à son annulation et à l’octroi d’une rente entière d’invalidité. L’expertise du Dr J______ n’avait pas de valeur probante et l’audition du Dr H______ était requise. Il a communiqué un rapport médical du Dr H______ du 12 décembre 2022, selon lequel il était clair que l’assuré présentait une dysthymie et avait des difficultés psychiques antérieures à la prise d’héroïne et que l’amélioration de la thymie et de certaines difficultés interpersonnelles ne voulait pas encore dire qu’il était apte à travailler. Une rente d’invalidité lui permettrait d’intégrer un atelier protégé, ce qui lui serait favorable.

b. Le 20 janvier 2023, l’OAI a conclu au rejet du recours et s’est rallié à un avis du SMR du 20 janvier 2023, selon lequel une dysthymie n’était pas incapacitante et que l’assuré avait débuté une consommation de toxiques en 1998.

c. Le 14 février 2023, l’assuré a répliqué, en relevant que le Dr H______, en sus de la dysthymie, avait conclu à la présence d’un trouble sévère de la personnalité et d’un trouble dépressif récurrent avec plusieurs épisodes sévères et que ses problèmes d’addiction avaient commencé à l’âge de 30 ans, soit tardivement, ce qui démontrait qu’ils étaient liés à des problématiques antérieures.

d. Le 20 mars 2023, la chambre de céans a entendu les parties en audience de comparution personnelle.

e. Par ordonnance du 28 juin 2023, la chambre de céans a confié une expertise judiciaire psychiatrique au docteur L______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et à Madame M______, psychologue, en considérant qu’une instruction médicale était nécessaire vu les avis divergents des Drs J______ et H______.

f. Le 5 mars 2024, les experts ont rendu leur rapport. Ils ont conclu à la présence des diagnostics de trouble de la personnalité de type mixte (traits émotionnellement labiles et antisociaux) (F61.0), de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen, sans symptômes psychotiques (F33.1), de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de cocaïne (F14.25), de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de sédatifs ou d’hypnotiques (F13.25).

L’état psychique s’était nettement détérioré en raison de la consommation de cocaïne / crack avec une perte pondérale de 50 kg durant la dernière année. La capacité de travail était nulle depuis au moins cinq ans.

g. Le 22 mars 2024, le SMR a observé que l’expertise judiciaire mettait en évidence une consommation de cocaïne / crack depuis un an, avec perte de poids. Il se ralliait à l’incapacité de travail totale évaluée par les experts. Cependant, l’état de santé s’était aggravé seulement depuis un an, soit postérieurement à la décision litigieuse.

h. Le 26 mars 2024, l’intimé a conclu au rejet du recours, l’aggravation de l’état de santé du recourant étant postérieur à la décision du 15 novembre 2022.

i. Le 27 mars 2024, le recourant a estimé que l’expertise judiciaire était probante et persisté dans ses conclusions.

 

EN DROIT

1.              

1.1 Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connait, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

1.2 Le 1er janvier 2022, sont entrées en vigueur les modifications de la LAI du 19 juin 2020 (développement continu de l’AI ; RO 2021 705).

En cas de changement de règles de droit, la législation applicable est, en principe, celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 136 V 24 consid. 4.3 et la référence).

En l’espèce, le recourant a déposé une demande de prestations le 13 janvier 2021, en invoquant une incapacité de travail totale depuis le 1er octobre 2019, de sorte qu’un éventuel droit à une rente d’invalidité pourrait naitre en juillet 2021 ; partant, les dispositions légales applicables seront citées dans leur ancienne teneur.

1.3 Interjeté en temps utile, le recours est recevable (art. 60 LPGA).

2.             Le litige porte sur le droit du recourant à une rente d’invalidité, singulièrement sur la question d’une aggravation de son état de santé depuis la dernière décision de l’intimé du 31 août 2017.

3.             Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l’art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l’atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d’une incapacité de gain. De plus, il n’y a incapacité de gain que si celle-ci n’est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

En vertu de l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28 al. 2 LAI).

4.              

4.1 Les atteintes à la santé psychique peuvent, comme les atteintes physiques, entrainer une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1 LAI en liaison avec l'art. 8 LPGA. On ne considère pas comme des conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté ; la mesure de ce qui est exigible doit être déterminée aussi objectivement que possible (ATF 127 V 294 consid. 4c ; ATF 102 V 165 consid. 3.1 ; VSI 2001 p. 223 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 786/04 du 19 janvier 2006 consid. 3.1).

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique suppose la présence d’un diagnostic émanent d’un expert (psychiatre) et s’appuyant selon les règles de l’art sur les critères d’un système de classification reconnu, tel le CIM ou le DSM-IV (ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; ATF 141 V 281 consid. 2.1 et 2.1.1 ; ATF 130 V 396 consid. 5.3 et 6).

4.2 Dans l’ATF 141 V 281, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d'évaluation de la capacité de travail, respectivement de l'incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d'affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d'évaluation au moyen d'un catalogue d'indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d'évaluation aux autres affections psychiques (ATF 143 V 418 consid. 6 et 7 et les références). Aussi, le caractère invalidant d'atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d'un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, au sein desquels figurent notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l'art (ATF 143 V 409 consid. 4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2019 du 17 mars 2020 consid. 3 et les références).

Le Tribunal fédéral a en revanche maintenu, voire renforcé la portée des motifs d'exclusion définis dans l'ATF 131 V 49, aux termes desquels il y a lieu de conclure à l'absence d'une atteinte à la santé ouvrant le droit aux prestations d'assurance, si les limitations liées à l'exercice d'une activité résultent d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, et ce même si les caractéristiques d'un trouble au sens de la classification sont réalisées. Des indices d'une telle exagération apparaissent notamment en cas de discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demande de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que des plaintes très démonstratives laissent insensible l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psycho-social intact (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 et 2.2.2 ; ATF 132 V 65 consid. 4.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_16/2016 du 14 juin 2016 consid. 3.2).

4.3 L'organe chargé de l'application du droit doit, avant de procéder à l'examen des indicateurs, analyser si les troubles psychiques dûment diagnostiqués conduisent à la constatation d'une atteinte à la santé importante et pertinente en droit de l'assurance-invalidité, c'est-à-dire qui résiste aux motifs dits d'exclusion tels qu'une exagération ou d'autres manifestations d'un profit secondaire tiré de la maladie (ATF 141 V 281 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_756/2018 du 17 avril 2019 5.2.2 et la référence).

4.4 Selon la jurisprudence applicable jusqu’ici, un syndrome de dépendance primaire à des substances psychotropes (dont l’alcool) ne pouvait conduire à une invalidité au sens de la loi que s’il engendrait une maladie ou occasionnait un accident ou s’il résultait lui-même d’une atteinte à la santé physique ou psychique ayant valeur de maladie. Cette jurisprudence reposait sur la prémisse que la personne souffrant de dépendance avait provoqué elle-même fautivement cet état et qu'elle aurait pu, en faisant preuve de diligence, se rendre compte suffisamment tôt des conséquences néfastes de son addiction et effectuer un sevrage ou à tout le moins entreprendre une thérapie par (cf. notamment ATF 124 V 265 consid. 3c).

Dans un arrêt du 11 juillet 2019 (ATF 145 V 215), le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que sa pratique en matière de syndrome de dépendance ne peut plus être maintenue. D’un point de vue médical, les syndromes de dépendance et les troubles liés à la consommation de substances diagnostiqués lege artis par un spécialiste doivent également être considérés comme des atteintes (psychiques) à la santé significatives au sens du droit de l’assurance invalidité (consid. 5.3.3 et 6).

Le caractère primaire ou secondaire d’un trouble de la dépendance n’est plus décisif pour en nier d’emblée toute pertinence sous l’angle du droit de l’assurance-invalidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.1.1). Par conséquent, il s’agit, comme pour tous les autres troubles psychiques, de déterminer selon une grille d’évaluation normative et structurée (à cet égard, ATF 141 V 281) si, et le cas échéant, dans quelle mesure un syndrome de dépendance diagnostiqué par un spécialiste influence dans le cas concret la capacité de travail de l’assuré. La gravité de la dépendance dans un cas particulier peut et doit être prise en compte dans la procédure de preuve structurée (ATF 145 V 215 consid. 6.3). Ceci est d'autant plus important que dans le cas des troubles de la dépendance – comme dans celui d'autres troubles psychiques – il y a souvent un mélange de troubles ayant valeur de maladie ainsi que de facteurs psychosociaux et socio-culturels. L’obligation de diminuer le dommage (art. 7 LAI) s'applique également en cas de syndrome de dépendance, de sorte que l’assuré peut être tenu de participer activement à un traitement médical raisonnablement exigible (art. 7 al. 2 let. d LAI). S’il ne respecte pas son obligation de diminuer le dommage, mais qu’il maintient délibérément son état pathologique, l’art. 7b al. 1 LAI en liaison avec l'art. 21 al. 4 LPGA permet le refus ou la réduction des prestations (consid 5.3.1).

4.5 En ce qui concerne l'évaluation du caractère invalidant des affections psychosomatiques et psychiques, l'appréciation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l'application du droit à la lumière de l'ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_585/2019 du 3 juin 2020 consid. 2 et les références). Il peut ainsi arriver que les organes d'application du droit se distancient de l'évaluation médicale de la capacité de travail établie par l’expertise sans que celle-ci ne perde sa valeur probante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_128/2018 du 17 juillet 2018 consid. 2.2 et les références). Du point de vue juridique, il est même nécessaire de s’écarter de l’appréciation médicale de la capacité de travail si l’évaluation n’est pas suffisamment motivée et compréhensible au vu des indicateurs pertinents, ou n’est pas convaincante du point de vue des éléments de preuve instaurés par l’ATF 141 V 281. S’écarter de l’évaluation médicale est alors admissible, du point de vue juridique, sans que d’autres investigations médicales ne soient nécessaires (arrêt du Tribunal fédéral 9C_832/2019 du 6 mai 2020 consid. 2.2). Toutefois, lorsque l’administration ou le juge, au terme de son appréciation des preuves, parvient à la conclusion que le rapport d'expertise évalue la capacité de travail en fonction des critères de médecine des assurances établis dans l'ATF 141 V 281 et qu’il satisfait en outre aux exigences générales en matière de preuves (ATF 134 V 231 consid. 5.1), il a force probante et ses conclusions sur la capacité de travail doivent être suivies par les organes d'application de la loi. Une appréciation juridique parallèle libre en fonction de la grille d'évaluation normative et structurée ne doit pas être entreprise (cf. ATF 145 V 361 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_213/2020 du 19 mai 2020 consid. 4.3 et les références).

En fin de compte, la question décisive est toujours celle des répercussions fonctionnelles d'un trouble. La preuve d'une incapacité de travail de longue durée et significative liée à l’état de santé ne peut être considérée comme rapportée que si, dans le cadre d’un examen global, les éléments de preuve pertinents donnent une image cohérente de l’existence de limitations dans tous les domaines de la vie. Si ce n'est pas le cas, la preuve d'une limitation invalidante de la capacité de travail n'est pas rapportée et l'absence de preuve doit être supportée par la personne concernée (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_423/2019 du 7 février 2020 consid. 3.2.2 et les références).

5.             L’art. 17 al. 1er LPGA dispose que si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Il convient ici de relever que l’entrée en vigueur de l’art. 17 LPGA, le 1er janvier 2003, n’a pas apporté de modification aux principes jurisprudentiels développés sous le régime de l’ancien art. 41 LAI, de sorte que ceux-ci demeurent applicables par analogie (ATF 130 V 343 consid. 3.5).

Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision selon l’art. 17 LPGA. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1 ; ATF 134 V 131 consid. 3 ; ATF 130 V 343 consid. 3.5). Tel est le cas lorsque la capacité de travail s'améliore grâce à une accoutumance ou à une adaptation au handicap (ATF 141 V 9 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_622/2015 consid. 4.1). Il n'y a pas matière à révision lorsque les circonstances sont demeurées inchangées et que le motif de la suppression ou de la diminution de la rente réside uniquement dans une nouvelle appréciation du cas (ATF 141 V 9 consid. 2.3 ; ATF 112 V 371 consid. 2b ; ATF 112 V 387 consid. 1b). Un motif de révision au sens de l'art. 17 LPGA doit clairement ressortir du dossier. La réglementation sur la révision ne saurait en effet constituer un fondement juridique à un réexamen sans condition du droit à la rente (arrêt du Tribunal fédéral I 111/07 du 17 décembre 2007 consid. 3 et les références). Un changement de jurisprudence n'est pas un motif de révision (ATF 129 V 200 consid. 1.2).

Le point de savoir si un changement notable des circonstances s’est produit doit être tranché en comparant les faits tels qu’ils se présentaient au moment de la dernière révision de la rente entrée en force et les circonstances qui régnaient à l’époque de la décision litigieuse. En effet, la base de comparaison déterminante dans le temps pour l'examen d'une modification du degré d'invalidité lors d'une révision de la rente est constituée par la dernière décision entrée en force qui repose sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit (ATF 147 V 167 consid. 4.1 et la référence).

Lorsque les faits déterminants pour le droit à la rente se sont modifiés au point de faire apparaître un changement important de l'état de santé motivant une révision, le degré d'invalidité doit être fixé à nouveau sur la base d'un état de fait établi de manière correcte et complète, sans référence à des évaluations antérieures de l'invalidité (ATF 141 V 9).

6.              

6.1 Pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir (ATF 122 V 157 consid. 1b). Pour apprécier le droit aux prestations d’assurances sociales, il y a lieu de se baser sur des éléments médicaux fiables (ATF 134 V 231 consid 5.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. Dans le cas des maladies psychiques, les indicateurs sont importants pour évaluer la capacité de travail, qui - en tenant compte des facteurs incapacitants externes d’une part et du potentiel de compensation (ressources) d’autre part -, permettent d’estimer la capacité de travail réellement réalisable (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_286/2020 du 6 août 2020 consid. 4 et la référence).

6.2 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; ATF 133 V 450 consid. 11.1.3 ; ATF 125 V 351 consid. 3). Il faut en outre que le médecin dispose de la formation spécialisée nécessaire et de compétences professionnelles dans le domaine d’investigation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_555/2017 du 22 novembre 2017 consid. 3.1 et les références).

Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux.

6.3 Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2 et les références ; ATF 135 V 465 consid. 4.4. et les références ; ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

6.4 Un rapport du SMR a pour fonction d'opérer la synthèse des renseignements médicaux versés au dossier, de prendre position à leur sujet et de prodiguer des recommandations quant à la suite à donner au dossier sur le plan médical. En tant qu'il ne contient aucune observation clinique, il se distingue d'une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou d'un examen médical auquel il arrive au SMR de procéder (art. 49 al. 2 RAI ; ATF 142 V 58 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_542/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1). De tels rapports ne sont cependant pas dénués de toute valeur probante, et il est admissible que l'office intimé, ou la juridiction cantonale, se fonde de manière déterminante sur leur contenu. Il convient toutefois de poser des exigences strictes en matière de preuve ; une expertise devra être ordonnée si des doutes, même faibles, subsistent quant à la fiabilité ou à la pertinence des constatations effectuées par le SMR (ATF 142 V 58 consid. 5 ; ATF 135 V 465 consid. 4.4 et 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_371/2018 du 16 août 2018 consid. 4.3.1).

7.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références ; ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1 et la référence).

8.             En l’occurrence, la chambre de céans a estimé qu’une expertise psychiatrique judiciaire était nécessaire, vu les avis médicaux divergents du psychiatre traitant et de l’expert psychiatre du I______.

8.1 Fondé sur les pièces du dossier, comprenant une anamnèse personnelle, familiale, addictologique, la description d’une journée-type, un status clinique, des diagnostics et limitations fonctionnelles clairs ainsi qu’une évaluation motivée et convaincante de la capacité de travail du recourant, le rapport d’expertise judiciaire du 5 mars 2024 remplit les critères jurisprudentiels précités pour qu’il lui soit reconnu une pleine valeur probante.

8.2 Les parties admettent la valeur probante de cette expertise, sous réserve, pour l’intimé, de la date de survenance de l’incapacité de travail totale, laquelle a été fixée à au moins cinq ans (2019) par les experts judiciaires et est estimée comme étant postérieure à la décision litigieuse par l’intimé. En effet, le SMR relève que l’état de santé du recourant s’est aggravé et est totalement incapacitant depuis la modification de sa consommation de substances, par la prise de cocaïne sous forme de crack depuis un an selon l’anamnèse, et une perte de poids de 50 kg, soit postérieurement au 15 novembre 2022.

8.2.1 À cet égard, les experts ont indiqué que la capacité de travail du recourant était nulle depuis 2019 en raison de l’association des diagnostics (expertise judiciaire p. 14), ou encore depuis au moins cinq ans (expertise judiciaire p. 15), date qui n’a d’ailleurs pas été discutée par le SMR. Ils ont précisé que l’état de santé s’était nettement détérioré en lien avec la consommation de cocaïne / crack (expertise judiciaire p. 9).

L’anamnèse addictologique relève que le recourant regrette d’avoir rechuté bêtement il y a de cela tout juste une année, après un sevrage à l’alcool (expertise judiciaire p. 4). Or, le premier entretien du recourant avec les experts a eu lieu le 7 novembre 2023, de sorte que la déclaration du recourant quant à une rechute de consommation survenue un an auparavant permet de conclure à une aggravation de l’état de santé de celui-ci courant novembre 2022.

On comprend ainsi des explications des experts qu’à partir de novembre 2022, l’état de santé du recourant s’est nettement détérioré, par une rechute de consommation de cocaïne / crack et une perte de poids qui s’en est suivie de plus de 50 kg. Cela dit, les experts ont néanmoins estimé que l’incapacité totale de travail était antérieure à novembre 2022, puisqu’elle était présente depuis cinq ans, ce qui recule la survenance de l’incapacité de travail à courant 2019. Or, cette date est cohérente avec celle retenue par le Dr H______ comme point de départ d’une aggravation de l’état de santé du recourant, avec une incapacité de travail totale signalée depuis octobre 2019 (rapport du Dr H______ du 21 décembre 2020).

8.2.2 Cela dit, la chambre de céans constate que le suivi avec le Dr H______ a débuté le 2 septembre 2020 et que, dans son rapport du 21 décembre 2020, le Dr H______ indique que des démarches ont été entreprises en vue d’une mesure de protection de gestion et de représentation du recourant qui lui parait tout à fait appropriée. Il a encore souligné que c’est en raison d’une aggravation de l’état de santé du recourant que celui-ci a été mis sous curatelle de représentation par ordonnance du TPAE du 28 août 2021 (rapport du Dr H______ du 12 octobre 2022 et ordonnance du TPAE du 28 août 2021).

Au vu de ces faits, il convient de retenir que l’aggravation de l’état de santé du recourant entrainant une incapacité de travail totale est établie à tout le moins au moment du début du suivi par le Dr H______, en septembre 2020, puisque celui-ci a constaté une incapacité de travail totale dès sa prise en charge, soit en temps réel, moment qui coïncide aussi avec une demande de mise sous curatelle par le TPAE, finalement prononcée en avril 2021.

Par ailleurs, l’expertise du Dr J______, dont l’examen clinique a eu lieu le 31 mars 2022, ne saurait faire obstacle à une reconnaissance d’une incapacité de travail totale du recourant depuis septembre 2020, dès lors qu’elle n’est pas convaincante. En effet, l’expert J______ estime que la problématique d’abus de substance est primaire et que les psychiatres traitants ont omis de se prononcer sur le caractère primaire ou secondaire des dépendances aux substances (expertise du Dr J______ pp. 26-27), alors même que cette classification n’est plus pertinente. En conséquence, son évaluation, par ailleurs très sommaire, selon laquelle le syndrome de dépendance primaire n’entraine pas de limitations fonctionnelles, n’est pas convaincante et ne peut être suivie (expertise du Dr J______ p. 27).

Ensuite, comme relevé par le Dr H______, le Dr J______ écarte tout trouble de la personnalité alors que celui-ci a été retenu par les autres médecins ou experts intervenants, sans motivation.

Enfin, le Dr H______ relève que lors de ses premières rencontres avec le recourant, celui-ci avait cherché à montrer un côté jovial, boute-en-train qui avait beaucoup d’amis et qui serait populaire auprès des femmes ; or, par la suite un tout autre tableau avait émergé, avec une personne effondrée, triste, solitaire et évitant au maximum les contacts sociaux (rapport du Dr H______ du 12 octobre 2022). Il avait été frappé par le décalage entre la description du quotidien du recourant et un discours visant à donner une bonne image de lui-même. Il avait ensuite pu être lui-même et la thymie était beaucoup plus abaissée, avec des idées noires permanentes, une anhédonie, des difficultés à passer le temps, un sentiment d’insuffisance permanent, des idées suicidaires récurrentes, des affects congruents à l’humeur, des troubles du sommeil, des épisodes de sidération et d’incapacité à se mobiliser et des ruminations permanentes (rapport du Dr H______ du 21 décembre 2020). Cette analyse permet de mettre en doute les constatations effectuées par l’expert J______, sans analyse approfondie et sur la base d’un seul entretien, selon lesquelles le recourant est souriant, il plaisante, il a de l’humour (expertise du Dr J______ p. 26) et il accueille régulièrement ses enfants et petits-enfants ainsi que son ex-compagne (expertise du Dr J______ p. 21).

Pour toutes ces raisons, cette expertise n’est pas probante.

Au surplus, il convient de relever que le SMR estime que lors de l’expertise du Dr J______, le recourant pesait 160 kg et décrivait un poids stable depuis plusieurs mois. Or, la Dre K______, qui a examiné le recourant onze jours après le Dr J______, a mentionné un poids de 94 kg (expertise de la Dre K______ p. 20) et on constate que le Dr J______ cite un poids non pas de 160 kg mais culminant à 160 kg lors du dernier sevrage à la cocaïne (2015-2018), de sorte que l’analyse du SMR est à cet égard erronée.

8.2.3 Au demeurant, l’aggravation de l’état de santé du recourant, totalement incapacitante, est établie depuis septembre 2020, étant à cet égard rappelé qu’il existe certaines constellations, comme c’est le cas en l’espèce, dans lesquelles il convient de s’écarter de l’incapacité de travail déterminée par une expertise médicale, sans que celle-ci n’en perde sa valeur probante (arrêt du Tribunal fédéral 9C_316/2017 du 5 octobre 2017).

9.             Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que l’état de santé du recourant s’est aggravé depuis la dernière décision de l’intimé du 31 août 2017, de sorte qu’un cas de révision est réalisé.

Le recourant étant totalement incapable de travailler depuis septembre 2020, il a droit, depuis septembre 2021, à une rente entière d’invalidité, sa demande de prestations ayant été déposée en janvier 2021 (art. 29 al. 1 LAI).

10.          

10.1 Conformément à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’art. 45 al. 1 LPGA constitue une base légale suffisante pour mettre les coûts d’une expertise judiciaire à la charge de l’assureur (ATF 143 V 269 consid. 6.2.1 et les références), lorsque les résultats de l'instruction mise en œuvre dans la procédure administrative n'ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels et qu'en soi un renvoi est envisageable en vue d'administrer les preuves considérées comme indispensables, mais qu'un tel renvoi apparait peu opportun au regard du principe de l'égalité des armes (ATF 139 V 225 consid. 4.3).

Cette règle ne saurait entrainer la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore faut-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2). Tel est notamment le cas lorsque l'autorité administrative a laissé subsister, sans la lever par des explications objectivement fondées, une contradiction manifeste entre les différents points de vue médicaux rapportés au dossier, lorsqu’elle aura laissé ouverte une ou plusieurs questions nécessaires à l'appréciation de la situation médicale ou lorsqu'elle a pris en considération une expertise qui ne remplissait manifestement pas les exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de ce genre de documents. En revanche, lorsque l'autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d'une expertise qui répondait aux réquisits jurisprudentiels, la mise à sa charge des frais d'une expertise judiciaire ordonnée par l'autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d'une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 139 V 496 consid. 4.4 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2019 du 6 avril 2020 consid. 5.1).

10.2 En l’occurrence, les frais de l’expertise judiciaire seront mis à la charge de l’intimé. En effet, l’expertise du Dr J______ comporte une analyse erronée du caractère incapacitant du syndrome de dépendance dont souffre le recourant, en se bornant à le qualifier de primaire, de sorte que l’intimé ne pouvait la déclarer probante et faire l’économie d’une instruction psychiatrique complémentaire.

10.3 Le recourant, représenté par ses curatrices, collaboratrices d'un service de l'État, ne peut prétendre à l'allocation de dépens devant l'autorité judiciaire cantonale, faute de justification économique (ATF 126 V 11 consid. 2 et 5).

Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l’intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1 bis LAI).

 


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision de l’intimé du 15 novembre 2022.

4.        Dit que le recourant a droit à une rente entière d’invalidité dès le 1er septembre 2021.

5.        Met les frais de l’expertise judiciaire de CHF 7'686.- à charge de l’intimé.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Adriana MALANGA

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le