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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/62/2022

ATAS/994/2022 du 15.11.2022 ( LAA ) , ADMIS/RENVOI

En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/62/2022 ATAS/994/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 15 novembre 2022

15ème Chambre

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié à DARDAGNY, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Guy ZWAHLEN

 

 

recourant

 

contre

SUVA CAISSE NATIONALE SUISSE D'ASSURANCE EN CAS D'ACCIDENTS, sise Fluhmattstrasse 1, LUCERNE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Didier ELSIG

 

 

intimée

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après l’assuré ou le recourant), né en 1967, a acquis l’intégralité du capital-actions de la société anonyme B______(ci-après la société), active dans le domaine de la gravure, en 2008. Il en est depuis lors l’administrateur président. Madame C______, épouse de l’assuré, est également administratrice de la société. Dès 2012, la société a déclaré renoncer à un contrôle restreint.

L’assuré a dirigé la société depuis son acquisition et y a déployé une activité de graveur. Dans ce cadre, il était couvert pour les accidents auprès de la Suva (ci-après la Suva ou l’intimée).

b. Selon son extrait de compte individuel AVS, l’assuré a réalisé au service de la société les revenus suivants : CHF 38'298.- en 2009, CHF 13'672.- en 2010, CHF 27'989.- en 2012, CHF 45'500.- par année de 2013 à 2017 et CHF 44'400.- en 2018.

c. Le 5 septembre 2018, l’assuré a été renversé par une voiture alors qu’il roulait à vélo sur une piste cyclable, et a subi un polytraumatisme avec une fracture du crâne. Il a été en incapacité de travail totale dès cette date.

Dans le formulaire d’annonce d’accident rempli le 11 septembre 2018, la case « Membre de la famille, associé » de la rubrique « Cas spéciaux » n’a pas été cochée.

La Suva a versé à l’assuré des indemnités journalières de CHF 157.85.

d. Par courrier du 26 juin 2019, l’assuré a informé la Suva qu’il avait été prévu bien avant l'accident d'augmenter progressivement son salaire, la société en ayant les capacités financières. Son salaire était passé de CHF 3'500.- à CHF 6'000.- par mois en mars 2018. Il était prévu d’augmenter sa rémunération à CHF 10'000.- par mois versés 13 fois par an en mars 2019. Il a joint ses bulletins de salaire, indiquant un revenu mensuel de CHF 3'500.- (plus un 13ème salaire en décembre) de septembre 2017 à février 2018, et de CHF 6'000.- par mois dès mars 2018.

e. Lors d’un entretien avec la Suva le 10 juillet 2019, l’assuré a exposé qu’avant son accident, il travaillait à 100 % dans la gravure et accomplissait en sus des tâches administratives. Il avait une secrétaire-comptable. À cette occasion, la Suva a sollicité des éléments prouvant l’augmentation du salaire annoncée. Elle a réitéré cette demande par courriel du 16 juillet 2019, en invitant l’assuré à demander l’appui de sa fiduciaire et de son avocat.

f. Par communication du 10 juillet 2019, la Suva a informé l’assuré qu’elle avait révisé avec effet rétroactif le montant des indemnités journalières jusqu’alors versées, afin de tenir compte du 13ème salaire et des allocations familiales. Ce montant était désormais de CHF 189.40.

g. Le 14 janvier 2021, l’assuré, par son mandataire, a invité la Suva à recalculer son gain assuré et l’indemnité journalière. En effet, selon les procès-verbaux des assemblées générales de la société, il était prévu que son salaire passe à CHF 8'000.- par mois en 2019 et à CHF 10'000.- par mois en 2020, la société étant en mesure d’octroyer les augmentations de salaires prévues depuis 2018 grâce au remboursement des frais d’acquisition des machines dont il avait avancé les fonds. Il a joint les pièces suivantes à son envoi :

-          procès-verbal d’assemblée de la société de 2017, non daté, mentionnant qu’en raison de l’accident subi par l’assuré en 2018, il convenait de tenir les assemblées générales de la société qui n'avaient pas eu lieu de 2017 à 2019. L’assuré relevait que la situation financière de la société avait évolué favorablement dans les exercices précédents. Les frais importants d'acquisition de machines avaient pu être exposés (sic) durant les exercices 2016 et 2017. L’assuré avait financé ces acquisitions et avait pu se les faire rembourser en partie par la société. Partant, comme cela était prévu, son salaire pourrait être augmenté pour correspondre au revenu usuel dans un tel poste. Ainsi, son salaire passerait de CHF 3'000.- à CHF 6'000.- dès août 2018, à CHF 8'000.- dès 2019, puis à CHF 10'000.- dès 2020. Sous point « Rapport de la fiduciaire », il était indiqué que la bonne marche des affaires avait permis à l’assuré de faire des investissements supplémentaires afin d'obtenir à terme un meilleur rendement, et par conséquent des augmentations de salaires et de dividendes. En outre, les comptes 2017 étaient approuvés ;

-          procès-verbal d’assemblée de la société de 2018, selon lequel la situation financière de la société avait évolué favorablement, ce qui avait permis comme prévu de faire passer le salaire de l’assuré à CHF 6'000.- dès août 2018 et permettrait de procéder aux autres augmentations de salaire à l'avenir. L’accident de septembre 2018, survenu à un moment critique après de nombreux investissements financiers et personnels, avait eu une influence défavorable sur l'activité de la société. Sous la rubrique « Rapport de la fiduciaire », il était indiqué que les remarques pour les comptes 2017 valaient également pour cet exercice. Les comptes de 2018 étaient approuvés ;

-          procès-verbal d’assemblée de la société de 2019, exposant les mesures et modifications dans son organisation et ses activités en raison de l’incapacité de travail de l’assuré, qui avait eu des effets négatifs sur les finances. Pour cette raison, la société avait continué à verser à l’assuré un acompte sur salaire de CHF 6'000.- au lieu du salaire mensuel de CHF 8'000.- prévu. Sous la rubrique « Rapport de la fiduciaire », il était mentionné « Mêmes remarques que les années précédentes en ce qui concerne l'évolution prévisible alors du salaire de l’assuré ».

h. Par courrier du 22 avril 2021, la Suva a indiqué à l’assuré que les éléments du dossier ne permettaient pas de retenir qu’une augmentation de salaire était prévue. Partant, elle maintenait le montant de l’indemnité journalière versée. Elle a précisé par courriel du 5 mai 2021 qu’elle avait examiné l’extrait de compte individuel AVS de l’assuré et les décomptes de primes de la société.

i. Par courriel du 10 mai 2021, l’assuré a transmis à la Suva un document, démontrant selon lui des montants perçus en sus de son salaire, et, partant, la capacité de la société de lui octroyer une rémunération supérieure.

Le document joint consistait en deux tableaux intitulés respectivement 2017 et 2018, énumérant pour l’essentiel des montants correspondant à des prélèvements, des « prélèvements C », des « ordres de bonification [assuré] ».

Le tableau 2017 était suivi des chiffres suivants :

96'476.70

Salaire net- 39'051.05

57'425.65

Le tableau 2018 était suivi des chiffres suivants :

76'333.09

Salaire net- 55'993.60

20'339.49

j. Lors d’un entretien du 3 juin 2021, la Suva a confirmé à l’assuré que les éléments au dossier n’étaient pas probants pour établir une augmentation. L’assuré lui a répondu que des contrats étaient en discussion et devaient générer des rentrées d’argent.

k. Par décision du 4 août 2021, la Suva a confirmé les termes de son courrier du 22 avril 2021 et le montant de l’indemnité journalière versée.

l. L’assuré s’est opposé à cette décision le 9 août 2021.

Le 22 septembre 2021, l’assuré a complété son opposition en reprenant les arguments déjà développés. Le salaire qu’il percevait avant son accident ne correspondait pas à ses responsabilités, et son montant modeste devait permettre à la société de se développer. Le rapprochement avec une autre entreprise pour l’utilisation d’un laser avait permis d’initier certains projets et d’augmenter les revenus de la société, justifiant les augmentations de salaire prévues pour les années concernées. L’assuré a exposé que les activités en développement de la société relevaient de secteurs de niche permettant de dégager des revenus importants. De plus, en tant qu’actionnaire de sa société, son gain assuré devait selon la législation correspondre aux salaires usuels dans sa profession. Ainsi, à partir de 2021, le gain assuré devrait correspondre au salaire moyen mensuel de CHF 12'000.- ressortant des statistiques cantonales.

m. Par décision du 26 novembre 2021, la Suva a écarté l’opposition. Elle a relevé que les procès-verbaux dont l’assuré se prévalait avaient été établis postérieurement à l'accident, si bien qu’on ne saurait en déduire que l'augmentation de salaire alléguée était prévue avant cet événement. Aucune autre pièce au dossier ne l’établissait. Il était par ailleurs étonnant que l’assuré ait attendu janvier 2021 pour annoncer une augmentation de salaire qui devait avoir lieu en 2019. En outre, il ne ressortait pas du dossier que la situation aurait évolué significativement ces dernières années. En qualité d'administrateur et actionnaire unique de la société, l'assuré disposait d'une très grande marge de manœuvre pour fixer le montant de sa rémunération. L'augmentation de salaire n’était pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante. L'assuré se prévalait en outre des salaires usuels dans sa profession, mais il n’était pas établi qu'il réalisait un revenu moindre en raison de sa qualité d'actionnaire.

B. a. L’assuré a interjeté recours contre la décision de la Suva auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : chambre de céans) par écriture du 10 janvier 2022. Il a conclu, sous suite de dépens, préalablement à l'audition de Mme C______ et de Monsieur D______, de la fiduciaire E______, à l’annulation de la décision de l’intimée, au renvoi du dossier à l’intimée pour nouveau calcul des indemnités journalières pour 2019, 2020 et depuis 2021 sur la base d'un salaire mensuel versé 13 fois l'an de CHF 8'000.- en 2019, CHF 10'000.- pour 2020 et CHF 12'000.- dès 2021. Il a pour l’essentiel repris les arguments développés dans le cadre de son opposition, et a répété qu’il avait pu prélever en plus de son salaire des montants de CHF 57'425.65 pour 2017 et de CHF 20'339.50 pour 2018, qui confirmaient la capacité financière de la société. Le recourant a notamment produit les comptes de la société de 2016, 2017 et 2018.

b. Dans sa réponse du 7 février 2022, l’intimée a conclu au rejet du recours. Elle a répété que les assemblées générales avaient eu lieu après l’accident. Les montants de CHF 57'425.65 et CHF 20'339.50 que le recourant affirmait s’être versés en sus de son salaire ne ressortaient pas du document produit. La tardiveté de la demande s'expliquait d'autant moins compte tenu de la position du recourant au sein de l'entreprise. Partant, on ne pouvait retenir une augmentation prévue avant l’accident. Par ailleurs, il n’était pas établi que le recourant avait perçu un revenu inférieur à ce qu'il pourrait réaliser normalement sur le marché du travail, notamment au vu des montants complémentaires allégués.

L’intimée a requis la production des statuts de la société.

c. Par réplique du 11 mars 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions. Il a notamment soutenu que le témoignage de Mme C______ pourrait confirmer ses activités dans la société, tandis que celui de M. D______, qui avait tenu depuis de nombreuses années les comptes de la société et les révisait, pourrait confirmer l'exactitude du contenu des procès-verbaux s’agissant des augmentations de salaire prévues et de la capacité de la société d'y faire face avant l'accident, ainsi que les revenus supplémentaires qu’il avait tirés de sa société. Il a décrit son rôle et ses investissements dans la société, les activités de celle-ci et les collaborations qu’elle entendait conclure. Il n’était pas que graveur, mais directeur et administrateur de la société. Le montant du loyer de son logement confirmait ses capacités financières. Pour des raisons en lien avec l'acquisition d'un bien immobilier, il avait été décidé à l’époque que les salaires du recourant correspondraient à l’avenir aux revenus qu’il pouvait obtenir. L’avocat qui le conseillait dans ce cadre avait confirmé que des augmentations de salaire étaient prévues.

Il a notamment produit les statuts de la société, ainsi qu’un bail conclu par lui, Mme C______ et un bailleur, portant sur la location d’une villa pour CHF 3'090.- par mois dès mars 2016, un courriel de Maître F______ du 4 mars 2022, ainsi qu’un courrier de G______ du 5 juillet 2021, mentionnant que le recourant était autorisé à utiliser une de ses machines dans le cadre d’une collaboration débutée en août 2016 avec la société, ainsi qu’un tableau Excel intitulé Compte 2025 de la société.

d. Par duplique du 28 mars 2022, l’intimée a persisté dans ses conclusions.

e. Par observations du 2 mai 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions. Il a allégué qu’il collaborait avec des universités, et que ses activités relevaient du développement de techniques au niveau intellectuel, soit au niveau de l'ingénierie et de la direction d'entreprise. L’augmentation des salaires prévue avant l’accident était démontrée au degré de la vraisemblance prépondérante.

Il a produit un courriel du 17 mai 2021 d’un collaborateur de l’université de Genève, proposant à la société une collaboration sous forme d’apport scientifique par l’université et d’élaboration d’un plan d’affaires par la société, dans le cadre d’une demande de financement par un fonds d’innovation, ainsi qu’un dépliant scientifique de 2013 portant le nom de la société et de l’EPFL au sujet de la gravure avec des microstructures.

f. L’intimée s’est déterminée le 17 mai 2022 en persistant dans ses conclusions. Elle a répété que le recourant n’établissait pas avoir perçu un revenu inférieur à ce qu'il pourrait réaliser normalement sur le marché du travail. De plus, les données statistiques produites par le recourant, respectivement les salaires de cadres en entreprise, ne tenaient pas compte du fait que le recourant exerçait la fonction de directeur en parallèle à celle de graveur.

g. Par déterminations du 16 juin 2022, le recourant a persisté dans ses conclusions. Il a répété que son activité dépassait celle d’un simple graveur, comme le démontraient ses diplômes. Il a exposé son parcours professionnel, mentionnant notamment des fonctions de représentant, de marketing finance assistant, puis de purchasing officer.

Il a produit son diplôme d’armurier et de management, ainsi que deux attestations selon lesquelles il avait fréquenté les cours de 7ème spéciale de mathématiques et de 5ème en gestion informatique, ayant échoué dans cette matière, entre 1990 et 1991. C’était bien sur le salaire moyen d’un directeur d'entreprise avec des fonctions dans le marketing et le développement de projets de technologie de pointe qu'il fallait se baser, soit CHF 12'000.- par mois versés treize fois l'an.

h. Dans ses déterminations du 29 juin 2022, l’intimée a persisté dans ses conclusions.

i. La chambre de céans a transmis copie de cette écriture au recourant le 1er juillet 2022.

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 5 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-accidents du 20 mars 1981 (LAA - RS 832.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La modification du 21 juin 2019 de la LPGA est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Elle est ainsi applicable au présent recours, dès lors qu'il n'était pas pendant à cette date (art. 82a LPGA a contrario).

3.             Le recours ayant été déposé dans les forme et délai prévus par la loi (art. 56ss LPGA), il est recevable.

4.             Le litige porte sur le gain assuré fondant le calcul des indemnités journalières du recourant dès 2019.

5.             L’assurance-accidents est en principe tenue d'allouer ses prestations en cas d'accident professionnel ou non professionnel en vertu de l’art. 6 al. 1 LAA. Par accident, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique ou mentale (art. 4 LPGA).

Aux termes de l’art. 16 al. 1 LAA, l’assuré totalement ou partiellement incapable de travailler (art. 6 LPGA) à la suite d’un accident a droit à une indemnité journalière. L’art. 17 al. 1 LAA prévoit que l’indemnité journalière correspond, en cas d’incapacité totale de travail (art. 6 LPGA), à 80% du gain assuré. Si l’incapacité de travail n’est que partielle, l’indemnité journalière est réduite en conséquence.

6.             Aux termes de l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1). Est réputé gain assuré pour le calcul des indemnités journalières le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident; est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (al. 2). Le Conseil fédéral édicte des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux, notamment lorsque l’assuré ne gagne pas, ou pas encore, le salaire usuel dans sa profession (2ème phrase de l’al. 3 let. c).

Le gain maximal assuré est celui en vigueur à la date de l’accident (ATF 123 V 133 consid. 2c ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 384/01 du 2 décembre 2004 consid. 4).

6.1 Faisant usage de la compétence qui lui est déléguée à l’art. 15 LAA, le Conseil fédéral a édicté l’art. 23 al. 7 de l’ordonnance sur l'assurance-accidents du 20 décembre 1982 (OLAA - RS 832.202), qui dispose que le salaire déterminant doit être à nouveau fixé pour l’avenir au cas où le traitement médical a duré au moins trois mois et où le salaire de l’assuré aurait été augmenté d’au moins 10% au cours de cette période.

La réglementation de l'art. 23 al. 7 OLAA s'applique en cas d'augmentation du salaire, mais également en cas d'augmentation du temps de travail. Il incombe à l'assuré, en vertu de son devoir de collaborer, de prouver au degré de la vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves en droit des assurances sociales, que l'augmentation aurait bien eu lieu si l'accident ne s'était pas produit (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 241/01 du 4 septembre 2002 consid. 2.1). Afin d’éviter les abus et pour des questions probatoires, la modification au sens de l’art. 23 al. 7 OLAA doit déjà avoir été prévue de manière concrète avant l’accident. Il faut que la modification ait été convenue avant l’accident par le contrat de travail, éventuellement compte tenu de résultats de négociations de conventions collectives de travail, ou qu’une telle modification soit reconnaissable de manière claire en raison d’un autre élément (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 23/03 du 9 mai 2003 consid. 3.1). De simples souhaits ou des déclarations d'intention unilatérales ne sauraient donc suffire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_432/2010 du 1er avril 2011 consid. 3.1). Une augmentation du gain assuré au sens de l’art. 23 al. 7 OLAA ne peut pas être considérée comme vraisemblable lorsqu’elle se fonde sur le salaire que l’assuré aurait pu obtenir en cas d’action en justice à l’encontre de son employeur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 252/03 du 23 mars 2004 consid. 2.3).

6.2 L’art. 22 al. 2 let. c OLAA dispose qu’est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS, compte tenu de la dérogation suivante : pour les membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, les associés, les actionnaires ou les membres de sociétés coopératives, il est au moins tenu compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux.

Le Tribunal fédéral des assurances a confirmé la conformité de cette disposition d’exécution à la norme de délégation contenue à l’art. 15 LAA (RAMA 2/2002 n° U 453 consid. 3b).

6.2.1 Le but de cette réglementation est d'éviter que les assurés qui se trouvent dans un rapport particulier avec leur employeur et, de ce fait, perçoivent un gain inférieur à celui qu'ils pourraient réaliser normalement sur le marché du travail, ne soient désavantagés lorsqu'ils ont droit à des prestations de l'assurance-accidents (arrêt du Tribunal fédéral 8C_82/2017 du 6 décembre 2017 consid. 4.1). La notion de salaire correspondant aux usages professionnels et locaux est liée à la question du gain pouvant être normalement obtenu par l'exercice d'une activité déterminée. Cette notion englobe en premier lieu les salaires d'employés exerçant des fonctions comparables sans lien particulier avec l'employeur (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 282/99 du 30 novembre 2001 consid. 5c). Le salaire conforme aux usages professionnels et locaux est, selon son sens et son but, un revenu hypothétique que la personne assurée pourrait obtenir dans une autre entreprise si elle exerçait la même fonction, fournissait les mêmes prestations et travaillait au même taux. En revanche, il ne s'agit pas de déterminer les éléments effectifs du revenu (salaire soumis à l'AVS, distribution dissimulée de bénéfices, revenus en nature non déclarés, bénéfices laissés à l’employeur, etc.). Ce revenu peut ainsi être déterminé de manière simple, sans la collaboration de l’assuré ou de son employeur, par une enquête auprès d’entreprises géographiquement proches offrant des postes similaires, sur la base de statistiques salariales etc. (arrêt du Tribunal fédéral 8C_230/2007 du 1er février 2008 consid. 3). Le succès économique de l'entreprise n'est pas pertinent. En effet, le but de protection de l'art. 22 al. 2 let. c OLAA est précisément qu'un assuré ne soit pas assuré pour le salaire inférieur que lui verse l'entreprise avec laquelle il a des liens de parenté ou de famille notamment (arrêt du Tribunal fédéral 8C_68/2022 du 6 septembre 2022 consid. 5.5). La prestation effectivement fournie par l’assuré dans l’entreprise à laquelle il est lié n'est pertinente que dans la mesure où il s'agit d'un facteur déterminant le salaire sur le marché du travail, qui inciterait un employeur à lui verser un salaire inférieur ou supérieur à la moyenne pour des motifs purement économiques. En l’absence de tels facteurs, le salaire usuel dans la profession et la localité est toujours un salaire moyen sur le marché du travail, tel qu'il aurait été payé par un autre employeur en fonction de critères purement économiques (arrêts du Tribunal fédéral 8C_893/2011 du 31 mai 2012 consid. 2 et 8C_88/2007 du 30juillet 2007 consid. 3.2.1).

6.2.2 Le principe d’équivalence, qui régit les prestations en espèces de l’assurance-accidents, implique que le gain assuré soit établi sur des facteurs identiques à ceux qui ont servi à la fixation des primes (ATF 127 V 165 consid. 2b). La règlementation de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA ne contrevient pas au principe d’équivalence, dès lors que les primes doivent être facturées sur le salaire conforme aux usages professionnels et locaux (Dorothea RIEDI HUNOLD in HÜRZELER / KIESER [éd.], UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, n. 6 ad art. 15 LAA). Le gain assuré est déterminé en cas de sinistre, indépendamment du montant déclaré par l’employeur en lien avec la fixation des primes par l’assureur-accidents. En cas de différences, il incombe à l’assureur-accidents d’exiger les compléments de primes correspondants ou la restitution de prestations (Kaspar GEHRING in KVG/UVG Kommentar, 2018, n. 11 ad art. 15 LAA). Le salaire correspondant aux usages professionnels et locaux s’applique également lorsque le salaire convenu a été sciemment fixé en dessous de celui-ci (Doris VOLLENWEIDER / Andreas BRUNNER in Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n. 19 ad art. 15 LAA).

6.2.3 Dans le cas d’une entreprise s’étant limitée à communiquer à l’assureur-accidents les salaires réellement versés, et qui n’avait pas réagi aux demandes de celui-ci sur une augmentation du gain assuré alors même qu’il lui avait indiqué sans équivoque que ce gain était trop bas, le Tribunal fédéral a retenu que la situation dans laquelle un assuré – en violation des devoirs de collaboration de son employeur – est couvert contre les accidents sur la base d’un gain assuré déterminé, avant de faire valoir lors d’un sinistre que ce gain ne correspondait de longue date plus aux circonstances concrètes, ne mérite pas de protection juridique. L’interdiction de l’abus de droit et le principe d’équivalence commandent dans un tel cas que le gain assuré déterminant la quotité des prestations soit celui qui a servi à fixer les primes (RAMA 2001/1 n° U 450 du 30 novembre 2001 consid. 6b/bb). Notre Haute Cour a en revanche considéré qu’il n’était pas abusif d’invoquer l’art. 23 al. 2 let. c OLAA dans le cas d’une entreprise qui, trois ans après sa création, avait augmenté le gain assuré de CHF 36'000.- à CHF 81'600.- pour l’adapter aux usages professionnels et locaux après discussion avec l’assureur-accidents, alors même qu’aucune prestation d’assurance n’était en cours (arrêt du Tribunal fédéral 8C_230/2007 du 1er février 2008 consid. 4.3). Le Tribunal fédéral a nié la détermination du gain assuré conformément à l’art. 22 al. 2 let. c OLAA dans le cas d’un assuré à la tête de son entreprise, ayant déclaré de bas revenus aux assureurs, qu’il avait complétés par les bénéfices générés par l’entreprise et qui avait de ce fait selon ses allégations perçu en moyenne un revenu annuel de CHF 131'415.-, ces éléments démontrant que son revenu n’était pas inférieur à celui du marché (arrêt du Tribunal fédéral 8C_53/2019 du 9 mai 2019 consid. 7.3).

7.             Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait dans le doute statuer en faveur de l'assuré (ATF 136 V 39 consid. 6.1), et le défaut de preuve va au détriment de la partie qui entendait tirer un droit du fait non prouvé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_555/2020 du 16 décembre 2020 consid. 2.2.2).

8.             Le recourant se prévaut en premier lieu des augmentations de salaire qu’il affirme prévues de longue date. Il échoue cependant à démontrer au degré de la vraisemblance prépondérante que de telles augmentations étaient concrètement programmées.

À cet égard, il convient de relever que les procès-verbaux des assemblées générales, bien qu’ils ne soient pas datés, ont clairement été établis après l’accident puisqu’ils s’y réfèrent. Ils ne suffisent ainsi par définition pas à démontrer que des augmentations salariales étaient prévues avant l’accident. De plus, le recourant, assisté d’un avocat et invité à plusieurs reprises à produire toute pièce de nature à établir l’intention de la société d’augmenter sa rémunération, n’a fourni aucun des procès-verbaux des assemblées antérieures à l’accident, notamment de 2015 et 2016, dans lesquels les décisions sur les augmentations salariales prévues auraient été consignées, ni aucune autre pièce qui contiendrait un indice que de telles augmentations étaient à l’ordre du jour. De plus, les procès-verbaux produits ne sont signés que par le recourant en sa qualité de président administrateur, et il en est d’ailleurs le procès-verbaliste, contrairement à ce qu’il semble avancer. En effet, ces documents portent uniquement, en sus de la signature du recourant, la mention « A______ » sous la rubrique « Le teneur de procès-verbal». Ces procès-verbaux n’ont ainsi pas de portée autre qu’une déclaration de partie. L’approbation de la fiduciaire quant aux augmentations salariales alléguées, à laquelle se réfère le procès-verbal de 2017, n’est étayée par aucun document émanant directement de celle-ci, qui confirmerait que des augmentations salariales étaient programmées. Quant au courriel de Me F______, il n’a pas la portée que le recourant lui prête. Cet avocat a en effet écrit « J’ai des notes explicites de [juillet, août, octobre et novembre 2017] révélant que l’augmentation de salaire [du recourant] devait naturellement se poursuivre et se maintenir durant les années à venir. [ ] Les conditions fixées par l’établissement bancaire au moment de l’octroi du prêt hypothécaire devant être vérifiées chaque année de manière régulière, il allait de soi que l’augmentation de salaire devait être maintenue, faute de quoi le renouvellement du prêt hypothécaire aurait été compromis ». D’une part, ce courriel peut être compris comme une explication juridique sur la nécessité pour le recourant de réaliser un revenu plus important pour qu’un prêt lui soit consenti. D’autre part, il ne donne aucune indication précise sur la quotité des augmentations et les dates auxquelles elles étaient censées prendre effet. Par ailleurs, interpellé sur l’absence de documents démontrant que des augmentations étaient concrètement prévues, le recourant a fait valoir lors de l’entretien avec l’intimée du 3 juin 2021 qu’il tablait sur des rentrées d’argent à la suite des négociations qui étaient en cours. Or, en l’absence de tout autre élément concret, de simples espérances de croissance ne suffisent pas à considérer que des augmentations étaient prévues, et ce même si le succès financier d’une entreprise peut selon l’expérience générale de la vie conduire à des revalorisations salariales. À ce sujet, le recourant fait également valoir que sa société était en plein essor après une période d’investissements importants, et que les bénéfices escomptés se seraient accrus de manière considérable sans l’accident de 2018. Cela étant, la société a été reprise par le recourant en 2008 déjà. De manière générale, le Tribunal fédéral a admis que la phase du développement d’une entreprise est en pratique achevée au début de la troisième année d’existence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_832/2019 du 5 mai 2020 consid. 6.2.4.3). Le recourant ne donne aucune explication qui permettrait de comprendre pour quels motifs la société qu’il dirigeait depuis 10 ans lors de l’accident avait précisément des raisons d’attendre un accroissement significatif de son chiffre d’affaires à ce moment. Les achats de machines dont il se prévaut – qui ne sont au demeurant pas établis par des pièces – et les démarches entreprises pour pérenniser la société, notamment par le biais de collaborations, peinent à s’en convaincre. En effet, le renouvellement du parc des machines, le développement des produits et la recherche de collaborations et de contrats sont des activités nécessaires à toute société, même établie. De plus, la bonne santé financière d’une société n’implique pas nécessairement une modification des modalités de rémunération, les propriétaires employés dans leur entreprise pouvant préférer une distribution de bénéfices ou de dividendes à une augmentation du salaire déterminant.

S’agissant des montants de CHF 57'425.65 et CHF 20'339.50 que le recourant aurait prélevés dans les comptes de la société en 2017 et 2018, ils ne ressortent pas clairement du tableau établi, dont on ignore l’origine, et qui n’est pas corroboré par des documents bancaires démontrant que ces versements ont bien été opérés et qu’ils l’ont été au titre de rémunération supplémentaire. Par ailleurs, même s’il fallait les considérer comme avérés, cela ne signifie pas pour autant qu’ils devaient à l’avenir être intégrés dans le salaire du recourant. On peut du reste se demander si le fait pour un assuré propriétaire de son entreprise de se verser un salaire bas – et de s’acquitter uniquement des cotisations sociales et des primes d’assurance correspondantes – qu’il complète en puisant dans les bénéfices de son entreprise, puis d’affirmer une fois un cas d’assurance survenu qu’il avait l’intention d’intégrer à l’avenir ces éléments de rémunération dans le salaire déclaré ne relève pas d’un abus de droit. En effet, le Tribunal fédéral a souligné qu'il n’est pas acceptable de ne pas déclarer des revenus aux assurances sociales et de les faire valoir par la suite (arrêt du Tribunal fédéral 8C_930/2012 du 25 janvier 2013 consid. 4.1). 

On doit également souligner que même le salaire prétendument augmenté à CHF 6'000.- par mois – ressortant pourtant des bulletins de salaire remis à l’intimée à sa demande après l’accident – ne correspond pas aux salaires déclarés à l’AVS et inscrits au compte individuel du recourant pour 2018, ce qui soulève des doutes sur la réalité de cette augmentation, a fortiori dès lors que le procès-verbal de l’année 2017 mentionne une augmentation à CHF 6'000.- dès août 2018 seulement, et non dès mars 2018 comme cela ressort des bulletins de salaire. De plus, les dates et les montants articulés par le recourant au sujet des augmentations censément prévues varient : en juin 2019, celui-ci indiquait en effet que sa rémunération devait passer à CHF 10'000.- par mois dès mars 2019. En janvier 2021, il a affirmé que son salaire s’élèverait à CHF 8'000.- dès 2019. Dans son recours, il a fait valoir une augmentation à CHF 8'000.- par mois en 2019 et à CHF 10'000.- par mois en 2020. Ces inexactitudes tendent également à confirmer qu’aucune augmentation n’avait été prévue de manière fixe avant l’accident.

Enfin, les arguments du recourant sur la santé de sa société et les perspectives d’augmentation salariale qu’elle laissait augurer appellent les commentaires suivants.

Aux termes de l’art. 725 al. 2 du Code des obligations (CO – RS 220), s’il existe des raisons sérieuses d’admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d’un réviseur agréé. S’il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d’exploitation, ni lorsqu’ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d’administration en avise le tribunal, à moins que des créanciers de la société n’acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances de la société dans la mesure de cette insuffisance de l’actif.

Il y a ainsi surendettement lorsque la totalité des fonds propres imposés par la loi est consommé par des pertes. Les fonds propres imposés par la loi se décomposent en capital social, composé pour une société anonyme du capital-actions, le cas échéant du capital-participation, et des réserves légales (Henry PETER / Francesca CAVADINI in Commentaire romand, Code des obligations II, 2ème éd., 2017, nn. 2, 9 et 12 ad art. 725). Or, les comptes annuels de la société de 2016 révèlent les chiffres suivants : au 31 décembre 2015, une perte de CHF 26'154.66, une perte reportée de CHF 547'616.77, une dette postposée envers l’actionnaire de CHF 391'470.22 et un capital-actions de CHF 100'000.- ; au 31 décembre 2016, un résultat de CHF 19'473.13, une perte reportée de CHF 573'771.43, une dette postposée envers l’actionnaire de CHF 391'470.22 et un capital-actions de CHF 100'000.-. Les comptes annuels de 2017 indiquent au 31 décembre 2017 une perte de CHF 30'037.31, une perte reportée de CHF 554'298.30, une dette postposée envers l’actionnaire de CHF 391'470.22 et un capital-actions de CHF 100'000.-. Ainsi, même en faisant abstraction de la postposition de la créance du recourant, les pertes de la société étaient supérieures à son capital-actions, ce qui correspond à un surendettement au sens de la loi. Sa situation financière paraissait ainsi très largement obérée en 2015, 2016 et 2017, ce qui est également un argument qui plaide contre une augmentation salariale dès 2018.

Compte tenu des éléments qui précèdent, on ne saurait considérer comme démontré au degré de la vraisemblance prépondérante que des augmentations salariales étaient prévues. Par appréciation anticipée des preuves (arrêt du Tribunal fédéral 8C_253/2020 du 12 novembre 2020 consid. 3.2), la chambre de céans renoncera à l’audition du recourant – qui a eu l’occasion d’articuler toutes ses prétentions par écrit et de fournir les pièces nécessaires à les étayer dans la présente procédure. Quant à l’audition de Mme C______, qui au vu de ses liens avec le recourant ne pourrait en toute hypothèse qu’être entendue à titre de renseignement (art. 31 let. f de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA-GE - E 5 10]), elle ne suffirait pas à pallier l’absence de tout autre élément démontrant que la société avait pris une décision ferme quant aux augmentations alléguées, par exemple un nouveau contrat de travail, une modification des salaires annoncés aux différentes assurances, ou des documents établis par la fiduciaire ou la société avant l’accident. La chambre de céans n’y procédera ainsi pas, pas plus qu’à celle de M. D______. Le recourant allègue que celui-ci serait en mesure de témoigner de la santé financière de la société et des décisions prises en lien avec la rémunération avant l’accident, dès lors qu’il en tient les comptes et en serait le réviseur. Or, cette fiduciaire n’intervient pas comme réviseur, en l’absence d’obligation de contrôle restreint. Le témoignage de M. D______ ne suffirait en toute hypothèse pas à reconsidérer les chiffres ressortant des comptes annuels quant à la santé financière de la société. De plus, comme on l’a vu, même si la société était florissante, ce seul élément ne suffirait pas à retenir que des augmentations de salaires étaient prévues au degré de la vraisemblance prépondérante. Enfin, il n’est de plus pas établi à défaut de toute mention dans le procès-verbal que M. D______ aurait assisté à l’assemblée générale de la société en 2017.

9.             Le recourant fait en outre valoir que le gain assuré n’atteint pas le salaire correspondant aux usages professionnels et locaux au sens de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA. L’intimée se contente, dans une motivation pour le moins péremptoire, d’affirmer qu’il n’est pas établi que ce gain serait inférieur au salaire conforme aux usages professionnels et locaux – alors même qu’il lui appartenait d’établir ce salaire. On notera que l’intimée n’allègue pas qu’elle aurait cherché à vérifier que le gain assuré du recourant correspondait bien au salaire usuel dans l’activité exercée ou qu’elle aurait attiré son attention sur ce point, et que celui-ci se serait dérobé à son obligation de collaborer, si bien qu’on ne peut retenir en l’espèce qu’invoquer l’application de cette disposition relève d’un abus de droit au sens de la jurisprudence citée.

Le recourant entend établir le salaire conforme aux usages locaux et professionnels en référence au salaire mensuel brut standardisé selon le sexe et diverses caractéristiques en 2018 ressortant de la statistique établie par l’Office de la statistique du canton de Genève (OCSTAT). En premier lieu, on ne voit pas à quelle ligne de ce tableau le recourant se réfère lorsqu’il avance que le revenu comparable d’un chef d’entreprise oscille entre CHF 9'000.- et CHF 18'800.-. De plus, ce tableau ne paraît pas applicable, dès lors qu’il recense les revenus en fonction du niveau de formation dans une de ses rubriques et de la position professionnelle (fonction dirigeante ou non) dans l’autre, ce qui peut conduire à des chiffres contradictoires selon que l’on se fonde sur le niveau de formation ou sur le statut dans l’entreprise. Il n’est en outre pas suffisamment représentatif du domaine d’activité du recourant, ni de la taille modeste de la société. De plus, on ne peut ainsi suivre le recourant lorsqu’il prétend se voir imputer à titre de gain assuré le revenu d’un cadre supérieur correspondant au niveau 4 (tâches qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé) de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS). En effet, le recourant a une expérience pratique dans le domaine de la gravure, sans d’ailleurs apparemment disposer d’un diplôme spécifique. La gestion d’une petite société dans ce domaine n’exige pas de connaissances très spécialisées, et les collaborations avec les universités dont il se prévaut révèlent que la société était appelée au plus à élaborer des plans d’affaires, sans être impliquée dans la conception technique des nouveaux outils. De plus, le recourant ne dispose pas d’une formation de niveau supérieur poussée, ni dans le domaine de la technique ni dans la gestion d’entreprise. Il indiquait d’ailleurs lors de l’entretien avec l’intimée du 10 juillet 2019 se consacrer pour l’essentiel aux tâches pratiques de gravure. Par analogie, on peut citer la jurisprudence suivante. S’agissant d’un assuré dirigeant une petite société d’installation de fenêtres, sans disposer d’une formation professionnelle dans ce domaine, aidé par sa fille pour le volet administratif, le Tribunal fédéral a retenu que son activité était essentiellement la pose de fenêtres, si bien que le revenu tiré d’une activité de niveau 1 (tâches physiques ou manuelles simples) dans la construction selon l’ESS dans la construction était applicable, et non une fonction de niveau 4 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_53/2019 du 9 mai 2019 consid. 6.2.4). Pour un assuré dirigeant une société dans la construction, disposant d’une formation professionnelle terminée, le niveau de compétence 3 de l’ESS 2004 – correspondant alors à des connaissances professionnelles spécialisées –, soit le niveau au-dessus des activités simples et répétitives, a été appliqué (arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 538/06 du 30 janvier 2007 consid. 3.4).

Cela étant, il apparaît que le gain assuré de CHF 6'000.- par mois, soit CHF 78'000.- par an, pourrait être inférieur au revenu usuel dans la profession. En effet, si l’on se réfère aux salaires statistiques dans l’horlogerie – secteur dans lequel dans les entreprises de gravure sont généralement actives – soit la ligne 26 du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, même une activité de niveau 2 (tâches pratiques) s’élève avant adaptation à la durée normale de travail à CHF 6'204.- par mois. Les revenus tirés de l’ESS ne sont cependant pas assez précis dans le cas d’espèce, dès lors notamment qu’ils ne sont pas spécifiques à la région lémanique et couvrent bon nombre d’autres activités. Il appartiendra ainsi à l’intimée d’établir le revenu que le recourant aurait pu percevoir en tant que gérant salarié ayant essentiellement une activité en atelier dans une entreprise de gravure de taille similaire, par exemple en se procurant d’autres statistiques, en se renseignant auprès d’employeurs ou en interpellant l’Union suisse des graveurs. Dans ce cadre, il appartiendra également à l’intimée, avec la collaboration du recourant, de vérifier la réalité des prélèvements par lesquels il aurait complété sa rémunération, dont elle sera fondée à tenir compte pour déterminer si le revenu total intégrant ces éléments était inférieur au salaire correspondant aux usages professionnels et locaux déterminé par ses soins, conformément à la jurisprudence.

10.         Compte tenu de ce qui précède, le recours est partiellement admis.

Le recourant a droit à des dépens, qui seront en l’espèce fixés à CHF 1'000.- (art. 61 let. g LPGA).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA a contrario).

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision de l’intimée du 26 novembre 2021.

4.        Renvoie la cause à l’intimée pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

5.        Condamne l’intimée à verser au recourant une indemnité de dépens de CHF 1'000.-.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Marine WYSSENBACH

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral de la santé publique par le greffe le