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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/629/2021

ATAS/1051/2021 du 12.10.2021 ( CHOMAG ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/629/2021 ATAS/1051/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 12 octobre 2021

9ème Chambre

 

En la cause

A______ SÀRL, sise à GENÈVE

 

 

recourante

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI, sis Service juridique, rue des Gares 16, GENÈVE

 

 

intimé

 


EN FAIT

A.      La société A______ Sàrl (ci-après : la société), avec siège à Genève, a pour but social la distribution à titre professionnel de parts de fonds de placement étrangers et suisses. Monsieur B______ en est l'associé gérant président et Madame C______ en est l'associée gérante. Ils sont tous deux membres de la direction.

La société dispose en outre d'un secteur « commercial » composé de deux employés et d'un secteur « administration », comprenant une employée.

B.       a. Par décision du 26 mars 2020, l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) a partiellement fait opposition à la demande de préavis formée par la société le 17 mars 2020. Pour autant que toutes les autres conditions du droit étaient remplies, la caisse pouvait octroyer l'indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (ci-après : RHT) pour la période du 17 mars au 16 juin 2020 pour le secteur d'exploitation « commercial ».

b. Le même jour, l’OCE a rendu la même décision s'agissant du secteur d'exploitation « administration ».

c. Par décision du 14 avril 2020, l’OCE a partiellement fait opposition à la nouvelle demande de préavis formée par la société le 25 mars 2020. Pour autant que toutes les autres conditions du droit étaient remplies, la caisse pouvait octroyer l'indemnité en cas de RHT pour la période du 25 mars au 24 septembre 2020 pour le secteur d'exploitation « direction ».

d. Par décision du 12 juin 2020, l’OCE n'a pas fait opposition à la demande de préavis formée par la société le 12 juin 2020. Pour autant que toutes les autres conditions du droit étaient remplies, la caisse pouvait octroyer l'indemnité en cas de RHT pour la période du 17 juin au 16 septembre 2020 pour le secteur d'exploitation « administration ».

e. Le même jour, l’OCE a rendu la même décision s'agissant du secteur d'exploitation « commercial ».

C.       a. Le 18 août 2020, la société a transmis à l’OCE un nouveau formulaire de préavis de RHT, annonçant une perte de travail de 60 % pour le secteur d'exploitation « commercial », soit deux employés, du 1er septembre 2020 au 31 mars 2021.

b. Le même jour, la société a transmis à l’OCE un formulaire de préavis de RHT, annonçant une perte de travail de 50 % pour le secteur d'exploitation « administration », soit une employée, du 1er septembre 2020 au 31 mars 2021.

c. Par deux décisions du 19 août 2020, l'OCE a refusé les deux demandes de préavis du 18 août 2020, au motif que la perte de travail n'était pas avérée.

d. Le 3 septembre 2020, la société a fait opposition aux deux décisions du 19 août 2020, en faisant valoir que son activité consistait en la distribution des fonds de placement étrangers à des investisseurs institutionnels suisses. Leurs clients étaient des gestionnaires de ces fonds qui désiraient accéder au marché suisse. Ils mandataient la société afin qu'elle les présente à des investisseurs basés en Suisse. Ils se déplaçaient ainsi régulièrement en Suisse afin de rencontrer des investisseurs potentiels, présenter leurs produits et créer des relations. Depuis mi-mars, toutes les réunions prévues avaient été annulées. Étant donné que tous leurs clients étaient basés à l'étranger, notamment en Inde, aux États-Unis et en Suède, ils étaient fortement touchés par les interdictions de voyage et les obligations de quarantaine imposées par la Suisse. La société avait essayé d'adapter ses activités en organisant des visioconférences, mais avait rapidement compris qu'une alternative digitale ne correspondait pas aux besoins de ses interlocuteurs. Par conséquent, la majorité de ses contrats existants avait été suspendue.

e. Le 17 septembre 2020, répondant aux questions de l'OCE, la société a expliqué que les deux employés du secteur « commercial » étaient chargés du développement des affaires. Leur responsabilité principale était de trouver des investisseurs potentiels susceptibles d'investir dans des fonds que la société avait sous mandat. Ils accompagnaient leurs clients dans leurs rencontres avec les investisseurs. Or, dans la mesure où les clients ne pouvaient plus se déplacer en Suisse, les tâches des deux employés n'étaient plus praticables. De plus, une majorité écrasante des investisseurs était contrainte de mettre tout nouvel investissement en attente à cause du climat d'incertitude. Actuellement, les tâches des employés étaient réduites à maintenir le contact avec les investisseurs. Quant à l'employée du secteur « administration », son activité avait baissé de 50 % en raison de l'annulation des rencontres entre clients et investisseurs et l'absence de nouveaux contrats avec les investisseurs et les clients.

À l'appui de son courrier, la société a notamment produit l'évolution de son chiffre d'affaires de janvier 2018 au 31 août 2020, la liste de ses clients et un résumé de l'état des mandats, ainsi que des courriels de clients confirmant l'annulation ou la suspension des mandats.

f. Par décision du 20 octobre 2020, l'OCE a partiellement admis l'opposition de la société et annulé les décisions du 19 août 2020, en ce sens que les indemnités en cas de RHT pouvaient être accordées à la société du 17 septembre 2020 au 16 décembre 2020. En cas de nouvelle demande de prolongation, la société devrait notamment rendre vraisemblable que sa perte de travail n'était que temporaire. Après réexamen du dossier, il convenait de retenir que la société avait démontré, de manière crédible, qu'elle subissait bien une perte concrète de travail, notamment avec la production de courriels confirmant l'arrêt de certains mandats ou la suspension de ces derniers, et que cette perte de travail était bien attribuable à l’apparition de la pandémie et aux recommandations des autorités. L'OCE a précisé que la RHT concernait toute l'entreprise.

D.      a. Par courriel du 4 décembre 2020, la société a transmis à l’OCE un nouveau formulaire de préavis de RHT, annonçant une perte de travail de 60 % pour toute l'entreprise, soit trois employés, du 17 décembre 2020 au 31 mars 2021.

b. Par décision du 4 décembre 2020, l'OCE a refusé la demande de RHT, au motif que la perte de travail n'était pas avérée.

c. Le 18 décembre 2020, la société a fait opposition à la décision précitée, en reprenant la motivation développée dans son opposition du 3 septembre 2020.

d. Par décision sur opposition du 1er février 2021, l'OCE a confirmé sa décision du 4 décembre 2020. Il était manifeste que la prospection de clients et les contacts avec les clients pouvaient s'effectuer par divers moyens, entre autres par courriel, téléphone et visioconférence, et ne nécessitaient pas des rencontres en présentiel. La société n'apportait au demeurant aucun élément concernant ses allégations. Elle n'avait démontré ni que ses clients étaient tous basés à l'étranger, ni que les mandats avaient été annulés ou reportés. Il appartenait en outre à la société d'essayer d'élargir son domaine d'activités étant donné son but social, par exemple en prospectant de nouveaux marchés ainsi que des mandats plus locaux, ce qu'elle n'avait absolument pas allégué avoir fait. Ainsi, en plus de ne pas être avérée, la perte de travail n'était pas inévitable.

E.       a. Par acte du 22 février 2021, la société a saisi la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : CJCAS) d'un recours à l'encontre de la décision précitée. Elle a expliqué en substance qu'elle aurait dû avoir onze clients sous mandats en 2020. Avec la pandémie, six de ces mandats avaient été annulés ou suspendus indéfiniment et un mandat avait été suspendu pour une période déterminée. Cela équivalait à une perte de travail d'environ 65 %. Depuis le début de la pandémie, la société avait mobilisé ses ressources pour trouver des nouveaux mandats. Un nouveau mandat avait d'ailleurs été récemment conclu avec un temps d'essai de trois mois. Durant la pandémie, la société avait également continué à servir ses clients par le biais de visioconférences. Elle avait également profité de cette période pour développer une plate-forme digitale qui était en phase de finalisation. L'activité de la société était considérée comme du tourisme d'affaires dans le milieu financier. Elle était mandatée pour présenter ses clients à des investisseurs suisses au travers de réunions qui se tenaient en présentiel. Les parties avaient besoin de se rencontrer en présentiel pour créer un début de relation fiable et solide. Or, les restrictions de voyage et les quarantaines restaient d'actualité. La société a précisé qu'il était beaucoup plus difficile d'obtenir des mandats locaux que de conclure des contrats avec des clients basés à l'étranger. Les clients étrangers faisaient appel à la société car elle avait un réseau bien développé d'investisseurs suisses. Or, un client basé en Suisse avait son propre réseau sur place, ce qui lui permettait d'accéder plus aisément à des investisseurs suisses. Cela étant, la société avait tout de même réussi à conclure trois contrats avec des nouveaux clients, dont deux durant la pandémie.

À l'appui de son recours, la société a notamment produit un résumé de l'état des contrats de la société, état au 31 janvier 2021.

b. Par réponse du 25 mars 2021, l'OCE a persisté dans les termes de sa décision.

c. Le 14 avril 2021, la société a renoncé à former des observations complémentaires.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 8 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité, du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss LPA).

3.        Le litige porte sur le droit de la recourante à une indemnité RHT pour la période du 17 décembre 2020 au 31 mars 2021.

4.        a. Afin de surmonter des difficultés économiques passagères, un employeur peut introduire, avec l’accord de ses employés, une RHT, voire une suspension temporaire de l’activité de son entreprise (Boris RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, ch. 1 relatif aux remarques préliminaires concernant les art. 31ss). En effet, selon l’art. 31 al. 1 let. b et d LACI, les travailleurs dont la durée normale de travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de RHT lorsque la perte de travail doit être prise en considération et la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question. Une perte de chiffre d’affaires ne suffit pas à entraîner une indemnisation. Encore faut-il que cette perte se traduise par une diminution des heures travaillées (cf. RUBIN, op. cit., n. 4 ad art. 32 LACI). L’indemnité s’élève à 80 % de la perte de gain prise en considération (art. 34 al. 1 LACI). L’indemnité en cas de RHT doit être avancée par l’employeur (art. 37 let. a LACI) et sera, par la suite, remboursée par la caisse de chômage à l’issue d’une procédure spécifique (art. 36 et 39 LACI), étant précisé qu’un délai d’attente de deux à trois jours doit être supporté par l’employeur (art. 32 al. 2 LACI et 50 al. 2 de l’ordonnance sur l’assurance-chômage obligatoire et l’indemnité en cas d’insolvabilité du 31 août 1983 [ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI - RS 837.02], étant précisé que l’art. 50 al. 2 OACI a été supprimé temporairement en raison de la pandémie de Coronavirus).

b. Le but de l’indemnité en cas de RHT consiste, d’une part, à garantir aux personnes assurées une compensation appropriée pour les pertes de salaire dues à des réductions de temps de travail et à éviter le chômage complet, à savoir des licenciements et résiliations de contrats de travail. D’autre part, l’indemnité en cas de RHT vise au maintien de places de travail dans l’intérêt tant des travailleurs que des employeurs, en offrant la possibilité de conserver un appareil de production intact au-delà de la période de réduction de l’horaire de travail (ATF 121 V 371 consid. 3a).

Une perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due, entre autres conditions, à des facteurs économiques et qu’elle est inévitable (art. 32 al. 1 let. a LACI). Ces conditions sont cumulatives (ATF 121 V 371 consid. 2a). Le recul de la demande des biens ou des services normalement proposés par l’entreprise concernée est caractéristique pour apprécier l’existence d’un facteur économique (DTA 1985 p. 109 consid. 3a). L’art. 32 al. 3, 1ère phrase, prévoit en outre que pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques où à d’autres circonstances non imputables à l’employeur. L’art. 51 OACI concrétise l’art. 32 al. 3 LACI en énumérant, à son al. 2, de façon non exhaustive (cf. ATF 128 V 305 consid. 4), différentes situations (notamment des mesures d’autorités) permettant de prendre en considération une perte de travail (interdiction d’importer ou d’exporter des matières premières ou des marchandises [let. a] ; contingentement des matières premières ou des produits d’exploitation, y compris les combustibles [let. b] ; restrictions de transport ou fermeture des voies d’accès [let. c] ; interruptions de longue durée ou restrictions notables de l’approvisionnement en énergie [let. d] ; dégâts causés par les forces de la nature [let. e]). L’art. 51 al. 4 OACI précise encore que la perte de travail causée par un dommage n’est pas prise en considération tant qu’elle est couverte par une assurance privée.

c. Les pertes de travail au sens de l’art. 51 OACI ne peuvent toutefois être prises en considération que si l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s’il ne peut faire répondre un tiers du dommage (cf. art. 51 al. 1 OACI ; Rubin, op. cit,, n. 15 et 18 ad art. 32 LACI et les références citées). Cette condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage voulant que l’employeur prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail. La caisse niera le droit à l’indemnité uniquement si des raisons concrètes et suffisantes démontrent que la perte de travail aurait pu être évitée et s’il existe des mesures que l’employeur a omis de prendre (ATF 111 V 379 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral des assurances C 218/02 du 22 novembre 2002 consid. 2 ; Bulletin LACI RHT du Secrétariat d’État à l’économie [ci-après : SECO], état au 1er janvier 2021, C3 et C4).

La seule présence d’un motif de prise en considération de la perte de travail au sens des art. 31 et 32 LACI n’est pas suffisante pour conduire à une indemnisation. Lorsque la perte de travail est due à l’un des motifs de l’art. 33 LACI, l’indemnisation est exclue. Ainsi, lorsqu’en plus des mesures prises par les autorités ou des circonstances indépendantes de la volonté de l’employeur au sens de l’art. 51 al. 1 OACI, l’une des conditions de l’art. 33 LACI est réalisée, par exemple en présence d’un risque normal d’exploitation, l’indemnisation est exclue (RUBIN, op. cit., n. 18 ad art. 32 LACI et n. 4 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment ATF 138 V 333 consid. 3.2 et ATF 128 V 305 consid. 4a).

Selon la jurisprudence, doivent être considérées comme des risques normaux d’exploitation au sens de l’art. 33 al. 1 let. a LACI les pertes de travail habituelles, c’est-à-dire celles qui, d’après l’expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l’objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d’exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n’est que lorsqu’elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu’elles ouvrent droit à une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. La question du risque d’exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d’entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l’activité spécifique de l’exploitation en cause (ATF 119 V 498 consid. 1 ; cf. aussi RUBIN, op. cit., n. 10 ad art. 33 LACI et les références citées).

Les pertes de travail liées aux risques économiques ordinaires, tels que le risque commercial, le risque de baisse de compétitivité par rapport à la concurrence ou le risque de ne pas se voir attribuer un marché public, ne sont pas indemnisables. Dans le domaine de la construction, des délais d’exécution reportés à la demande du maître de l’ouvrage et des annulations de travaux en raison de l’insolvabilité de ce dernier ou à cause d’une procédure d’opposition ne représentent pas des circonstances exceptionnelles. De telles circonstances constituent dès lors des risques normaux d’exploitation. Pour une entreprise qui traite essentiellement avec un seul client important, la perte de ce client ou la perspective certaine d’une réduction des mandats constitue également une circonstance inhérente aux risques normaux d’exploitation (cf. RUBIN, op. cit., n. 13 et 16 ad art. 33 LACI et les références citées, notamment DTA 1998 consid. 1 p. 292).

5.        a. En raison de la propagation de la COVID-19, le Conseil fédéral a, le 28 février 2020, qualifié la situation prévalant en Suisse de « situation particulière » au sens de l’art. 6 al. 2 let. b de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (loi sur les épidémies ; LEP - RS 818.101). Sur cette base, le Conseil fédéral a arrêté l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 28 février 2020 (RS 818.101.24 ; RO 2020 573) puis l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus du 13 mars 2020 (ordonnance 2 COVID-19 ; RS 818.101.24 ; RO 2020 773).

À la suite des mesures prises par le Conseil fédéral sur la base de ces ordonnances, il y a eu de nombreuses annulations de vols et des restrictions de voyager, de sorte que les clients internationaux ne se sont plus déplacés à Genève et les expositions internationales, congrès et autres événements de masse prévus au printemps 2020 ont été annulés (cf. ATAS/920/2021 du 10 septembre 2021 consid. 4.4).

b. S’agissant du domaine particulier de l’indemnité en cas de RHT, le Conseil fédéral a adopté, le 20 mars 2020, l’ordonnance sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus (ordonnance COVID-19 assurance-chômage ; RS 837.033), avec une entrée en vigueur rétroactive au 1er mars 2020 (art. 9 al. 1), qui prévoyait, à son art. 8b al. 1 que l’employeur n’était pas tenu de respecter un délai de préavis, lorsqu’il avait l’intention de requérir l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail en faveur de ses travailleurs. Cette disposition a été abrogée avec effet au 1er juin 2020 (RO 2020 3569). Quant à l’art. 8c de l’ordonnance COVID-19 assurance-chômage, il prévoyait qu’en dérogation à l’art. 36 al. 1 LACI, le préavis devait être renouvelé lorsque la réduction de l’horaire de travail durait plus de six mois. Cette disposition a été abrogée par modification du 12 août 2020, avec effet au 1er septembre 2020 (RO 3569).

Le 19 mars 2021, l’Assemblée fédérale a adopté l’art. 17b de la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19 (loi COVID-19 - RS 818.102). D’après son al. 1er, en dérogation à l’art. 36 al. 1 LACI, aucun délai de préavis ne doit être observé pour la réduction de l’horaire de travail. Le préavis doit être renouvelé lorsque la réduction de l’horaire de travail dure plus de six mois. À partir du 1er juillet 2021, une réduction de l’horaire de travail pour une durée de plus de trois mois ne peut être autorisée que jusqu’au 31 décembre 2021 au plus tard. Toute modification rétroactive d’un préavis existant doit faire l’objet d’une demande auprès de l’autorité cantonale jusqu’au 30 avril 2021 au plus tard. L’art. 17b al. 1 est entré en vigueur rétroactivement le 1er septembre 2020 (RO 2021 153).

Aucune modification n’a toutefois été apportée aux critères relatifs à la perte de travail à prendre en considération (art. 31 al. 1 let. b et 32 al. 1 et 3 LACI).

6.        Dans la décision entreprise, l’intimé s’est opposé au paiement de l’indemnité en cas de RHT, au motif que la perte de travail, en plus de ne pas être avérée, n’était pas inévitable. Il a considéré que la prospection de clients et les contacts avec les clients pouvaient s'effectuer par divers moyens, entre autres par courriel, téléphone et visioconférence, et ne nécessitaient pas des rencontres en présentiel. La recourante n'apportait du reste aucune preuve justifiant ses allégués. Elle n'avait, en particulier, pas démontré que ses clients étaient tous basés à l'étranger ni que les mandats avaient été annulés ou reportés. Il appartenait en outre à la recourante d'essayer d'élargir son domaine d'activités étant donné son but social, par exemple en prospectant de nouveaux marchés ainsi que des mandats plus locaux, ce qu'elle n'avait absolument pas allégué avoir fait.

a. Il convient en premier lieu d’examiner si la recourante a subi une perte de travail. Il n'est pas contesté que la recourante est mandatée par des gestionnaires de fond afin de les mettre en relation avec des investisseurs basés en Suisse. La responsabilité principale de ses deux employés du secteur « commercial » est de trouver des investisseurs potentiels susceptibles d'investir dans des fonds que la société a sous mandat. Ils accompagnent leurs clients dans leurs rencontres avec les investisseurs. Quant à l'employée du secteur « administration », son activité consistait à 60 % en la mise en place et l'analyse juridique des contrats de mandat, la facturation des clients, leurs suivis et l'organisation administrative des rencontres entre investisseurs et clients (« Roadshows »).

Devant la chambre de céans, l’intimé conteste l'existence d'une perte de travail, relevant que la recourante n'a pas démontré que les mandats avaient été annulés ou reportés. Dans sa décision sur opposition du 20 octobre 2020, il avait pourtant admis la perte de travail, « notamment avec la production de courriels confirmant l'arrêt de certains mandats ou la suspension de ces derniers ». Ce changement d'appréciation est d'autant moins soutenable que la recourante a démontré, pièces à l'appui, que sur les douze mandats négociés par la recourante avant l'apparition de la COVID-19, cinq avaient été résiliés ou suspendus par ses clients en raison de la situation sanitaire. Cela résulte des courriels de D______ Ltd. du 15 septembre 2020 (pièce 8.f recourante), de E______ Capital SA du 16 septembre 2020, de F______ Limited du 14 novembre 2020 (pièce 8.h recourante), de G______ (Luxembourg) du 4 juin 2020 (pièce 8.g recourante) et de H______ du 29 avril 2020 (pièce 8.i recourante). La recourante a précisé que trois autres mandats avaient été résiliés par téléphone (pièce 2 recourante). La situation s'est encore dégradée depuis la décision sur opposition du 20 octobre 2020, avec la suspension du mandat I______ (Chine) en décembre 2020 et la résiliation de trois autres mandats (J______ Estate, D______ Management et F______ Capital ; pièce 2 recourante). Or, au vu des descriptions des postes des employés des secteurs « commercial » et « administration » de la société, force est d'admettre – au degré de la vraisemblance prépondérante - que la résiliation, voire la suspension, de plus de la moitié des mandats de la société a entraîné une baisse importante d'activité pour ses employés. À cela s'ajoute que les rencontres en présentiel (« Roadshow »), qui constituent une part importante de l'activité de la recourante pour les mandats en cours, ont toutes été annulées, diminuant ainsi encore davantage la charge de travail des employés. La baisse des activités de la recourante s'est d'ailleurs traduite par une baisse de ses revenus, puisque les paiements mensuels des clients n'ont atteint que CHF 17'329.- en 2020, alors que la société prévoyait des rentrées mensuelles à hauteur de CHF 34'960.- (pièce 8.e recourante). Les extraits de compte de la société révèlent également un chiffre d'affaires 2020 bien en-deçà des montants enregistrés les années précédentes (pièces 8-j, 8.k et 8.l).

Compte tenu de ces éléments, l’existence d’une perte de travail doit être admise dans le cas de la recourante, à l’instar de ce qui avait été retenu dans la décision sur opposition de l’intimé du 20 octobre 2020.

b. Il convient ensuite d’admettre que les pertes de travail sont consécutives à des mesures prises par les autorités. Il n’est en effet pas contesté que l’activité principale de la société consiste à mettre en relation ses clients (des gestionnaires de fond) avec des investisseurs basés en Suisse. À cette fin, la recourante organise notamment des réunions d'introduction appelées « Roadshows », qui se tiennent en présence des deux parties. La recourante a expliqué que ses clients se déplaçaient régulièrement en Suisse afin de rencontrer des investisseurs potentiels, présenter leurs produits et créer un début de relation fiable et solide, susceptible de déboucher sur des partenaires d'investissement. Or, avec les annulations des vols, les restrictions de voyager, les décisions de mises en quarantaines prises par les autorités et la fermeture des frontières, les clients internationaux n'ont plus été en mesure de se déplacer à Genève. On peut certes arguer, comme le fait l'intimé, que les contacts avec les clients ne nécessitent pas toujours des rencontres en présentiel. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le but principal de la société est de mettre en relation des potentiels partenaires contractuels. Or, si l'organisation de visioconférences peut se révéler efficace pour entretenir des relations avec la clientèle, les technologies digitales atteignent leurs limites lorsqu'il s'agit de mettre des interlocuteurs en relation en vue d'une éventuelle collaboration professionnelle. Ainsi que le fait valoir la recourante, les parties ont besoin de faire connaissance réellement pour créer un début de relation fiable et solide. Ainsi, compte tenu de ce contexte et de l'incertitude liée à l'évolution de la crise sanitaire, les clients de la recourante ont décidé de suspendre, voire résilier, les mandats conclus avec la recourante, ce qui a entraîné des conséquences directes sur l’activité de la recourante. Les conditions pour la reconnaissance d’un cas de rigueur au sens des art. 32 al. 3 LACI et 51 OACI, dont la liste n’est pas exhaustive, doivent partant être considérées comme étant réalisées. Or, même dans un tel cas de figure, l’indemnisation est exclue si la perte de travail est due à l’un des motifs de l’art. 33 LACI, en particulier en présence d’un risque normal d’exploitation (al. 1 let. a). Par ailleurs, les pertes de travail ne peuvent être prises en considération que si l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou s’il peut faire répondre un tiers du dommage. Comme exposé, cette dernière condition est l’expression de l’obligation de diminuer le dommage voulant que l’employeur prenne toutes les mesures raisonnables pour éviter la perte de travail.

c. S’agissant de l’art. 33 al. 1 let. a LACI, il n’est pas contesté, ni contestable, que la pandémie de Coronavirus constitue une circonstance exceptionnelle dépassant le cadre du risque normal d’exploitation à la charge de l’employeur (cf. directive SECO 2020/15 du 30 octobre 2020). Il convient en effet d’admettre la présence de circonstances exceptionnelles non liées aux risques d’exploitation d’une entreprise.

d. Reste à examiner si, comme le prétend l’intimé, la recourante aurait pu éviter les pertes de travail par des mesures appropriées et économiquement supportables.

Dans la décision entreprise, l'intimé a considéré qu'il appartenait à la recourante d'essayer d'élargir son domaine d'activités, en prospectant de nouveaux marchés ainsi que des mandats plus locaux. Ce point de vue ne convainc pas. Ainsi que l'a expliqué la recourante, la société a pour but de mettre en relation des gestionnaires de fonds avec des investisseurs suisses. Les clients étrangers font appel à la société en raison de son réseau bien développé d'investisseurs suisses. Il va donc de soi que les prestations offertes par la société intéressent davantage les clients basés à l'étranger que les gestionnaires de fonds locaux qui, souvent, ont leur propre réseau d'investisseurs sur place. Ainsi, compte tenu de l'activité principale de la société, on peut se demander si une réorientation de son activité vers une clientèle plus locale apparaît réaliste. Ce serait en effet perdre de vue que le but de l’indemnité en cas de RHT est principalement de maintenir des emplois en cas de baisse temporaire de l’activité et non d’indemniser les pertes de travail durables. Quoiqu'il en soit, il ressort du dossier que, malgré les restrictions sanitaires, la recourante a mobilisé ses ressources et son réseau pour trouver des nouveaux mandats. Il résulte en effet des pièces produites par la recourante devant la chambre de céans que, depuis le début de la crise sanitaire, des négociations ont été entamées avec trois nouveaux clients, dont deux sont basés en Suisse (cf. pièces 2, 8.n et 9 recourante). Les conditions posées par la loi pour lui accorder des indemnités en cas de RHT sont ainsi réunies.

Dans la mesure où le formulaire de préavis a été transmis le 4 décembre 2020, pour des indemnités en cas de RHT du 17 décembre 2020 au 31 mars 2021, l’indemnité en cas de RHT doit être accordée dès la date sollicitée, soit le 17 décembre 2020, étant précisé que, par décision du 20 octobre 2020, les indemnités en cas de RHT lui avaient été accordées jusqu'au 16 décembre 2020. Tenant compte du fait que la période maximale de la RHT était de six mois (cf. art. 17b al. 1 de la loi COVID-19), les indemnités peuvent lui être accordées jusqu'à la fin de la période sollicitée, soit le 31 mars 2021.

7.        Le recours sera donc admis et la décision litigieuse modifiée en ce sens que la recourante a droit à l’indemnité en cas de RHT, du 17 décembre 2020 au 31 mars 2021, sous réserve de l’examen par la caisse de chômage des conditions conformément à l’art. 39 LACI.

Bien qu’obtenant partiellement gain de cause, la recourante, qui n’est pas représentée en justice et qui n’a pas allégué avoir déployé des efforts dépassant la mesure de ce que tout un chacun consacre à la gestion courante de ses affaires, n’a pas droit à des dépens.

Pour le surplus, en l’absence de loi spéciale prévoyant des frais judiciaires, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis LPGA en lien avec l’art. 1 al. 1 LACI).

* * * * * *

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 1er février 2021.

4.        Dit que la recourante a droit à l'indemnité en cas de RHT du 17 décembre 2020 au 31 mars 2021, sous réserve de l’examen par la caisse de chômage des conditions de l’art. 39 LACI.

5.        Dit que la procédure est gratuite.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie NIERMARÉCHAL

 

La présidente

 

 

 

 

Eleanor McGREGOR

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d'État à l'économie par le greffe le