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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3016/2019

ATAS/162/2021 du 18.02.2021 ( AI ) , ADMIS/RENVOI

Recours TF déposé le 29.04.2021, rendu le 31.01.2022, ADMIS, 9C_237/2021
En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3016/2019 ATAS/162/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 18 février 2021

3ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à ONEX, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Thierry STICHER

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


 

 

EN FAIT

 

1.        Le 30 janvier 1992, Madame A______ (ci-après : l'assurée), née en 1968, a déposé une première demande de prestations auprès de l'Office cantonal de l'assurance-invalidité (OAI), en raison des conséquences d'un accident survenu en décembre 1987, des nombreuses opérations ayant suivi et d'une nouvelle entorse intervenue fin 1991.

2.        Par décision du 25 septembre 2002, l'OAI lui a reconnu le droit à une rente entière d'invalidité du 1er août 1994 au 30 septembre 1998.

3.        Le 9 février 2005, le Tribunal cantonal des assurances sociales (TCAS) - alors compétent - a renvoyé la cause à l'OAI pour complément d'instruction et nouvelle décision.

4.        Par décision du 1er juin 2006 - confirmée sur opposition le 15 mars 2007 -, l'OAI a réitéré que le droit à la rente devait être limité dans le temps au 30 septembre 1998.

5.        Le 11 juillet 2006, l'assurée a été victime d'un nouvel accident dont elle a avisé l'OAI.

6.        Saisi d'un recours de l'assurée contre la décision du 15 mars 2007, le TCAS, en date du 24 janvier 2008, l'a rejeté (ATAS/81/2008).

Le Tribunal a considéré que le trouble somatoforme douloureux dont souffrait l'assurée était sans incidence sur sa capacité de travail, restée entière dans une activité adaptée, ce qui conduisait à un degré d'invalidité de 10% après comparaison des revenus avant et après atteinte à la santé.

7.        Par décision du 26 août 2008, l'OAI a nié tout droit aux prestations à l'assurée suite au nouvel accident survenu en juillet 2006.

L'assurée avait certes été dans l'incapacité totale d'exercer la moindre activité du 11 juillet au 31 décembre 2006, mais, à compter du 1er janvier 2007, elle avait retrouvé une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à son état de santé, lequel était alors redevenu identique à ce qu'il était en mars 2006, étant rappelé qu'il équivalait alors à un degré d'invalidité de 10%, insuffisant pour ouvrir droit à des mesures professionnelles.

8.        Saisi d'un recours de l'assurée, le TCAS l'a rejeté en date du 26 novembre 2009 (ATAS/1475/2009).

Le TCAS a statué après avoir entendu, notamment, les docteurs B______ et C______.

Le premier avait exprimé l'avis qu'une capacité de travail de 50% était déjà une conclusion ambitieuse concernant sa patiente, dont il a rappelé qu'elle se plaignait de douleurs importantes depuis plus de vingt ans, au point de s'être forgé une identité centrée sur ses douleurs et ses incapacités fonctionnelles. Certes, peu d'éléments objectifs venaient corroborer les plaintes douloureuses. Suite à l'accident de 2006, s'étaient ajoutées aux plaintes concernant les bras et les cervicales de nouvelles concernant l'épaule droite, mais sans élément objectif venant démontrer une grande aggravation sur le plan clinique. La mobilité cervicale était toujours très limitée. Il était difficile de faire la part des tensions musculaires de défense et des limitations articulaires. Selon ce médecin, il était inenvisageable pour sa patiente de travailler à plus de 50% dans une activité adaptée.

Quant au Dr C______, il avait émis l'avis qu'il était excessif de conclure à une pleine capacité de travail, même dans une activité adaptée, eu égard au lourd passé traumatique de sa patiente, qui restait fragile sur le plan psychologique.

Le TCAS a constaté que les Drs B______ et C______ n'amenaient aucun élément objectif permettant de remettre en question l'évaluation de l'expert mandaté par l'OAI et se contentaient de proposer leur propre appréciation. En définitive, il ressortait du dossier qu'aucune aggravation de l'état de santé de l'assurée n'avait été objectivement mise en évidence qui puisse influencer sa capacité de travail au point de lui ouvrir droit à des prestations de l'assurance-invalidité. Si les douleurs avaient certes augmenté, elles restaient sans substrat organique et les conditions pour reconnaître un caractère invalidant au trouble somatoforme douloureux n'étaient pas remplies.

9.        Saisi à son tour par l'assurée, le Tribunal fédéral l'a également déboutée en date du 9 août 2010 (arrêt 9C_70/2010).

10.    Le 22 juin 2015, l'assurée a déposé une nouvelle demande de prestations en invoquant une aggravation de son état de santé.

11.    Une expertise a été demandée au Centre d'expertises médicales de Lancy (CEML), qui a rendu le 15 avril 2019 un rapport concluant en substance à un syndrome polyalgique chronique entraînant une incapacité de travail de 75-80%.

Interrogé en particulier sur la modification de la situation par rapport à celle décrite en 2008, l'expert a retenu une « nette aggravation des symptômes rhumatologiques » et une aggravation de la fibromyalgie.

Il a précisé ne pouvoir donner de date précise quant à la modification constatée, expliquant que les symptômes étaient d'aggravation « progressive » et que la chirurgie rachidienne cervicale du 15 juillet 2016 n'avait fait qu'accentuer un tableau clinique déjà « très péjoratif » (cf. rapport d'expertise p. 25 et 26).

12.    Le dossier a été soumis au Service médical régional (SMR) qui, le 24 avril 2019, a jugé que l'incapacité de travail durable à 80% avait débuté le 22 mai 2015, date de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) ayant mis en évidence l'atteinte en rapport avec les névralgies cervico-brachiales.

13.    Par décision du 25 juin 2019, l'OAI a reconnu à l'assurée le droit à une rente entière d'invalidité à compter du 1er mai 2016.

À l'issue de l'instruction du dossier médical, l'OAI a admis une incapacité de travail de 80% dans toute activité et ce depuis le 22 mai 2015, début du délai d'attente d'une année. À l'échéance dudit délai, à savoir le 22 mai 2016, l'incapacité de gain était toujours de 80%, ce qui lui ouvrait droit à une rente entière.

14.    Par écriture du 19 août 2019, l'assurée a interjeté recours contre cette décision en demandant à ce que le début du droit à la rente soit fixé au 1er décembre 2015 en lieu et place du 1er mai 2016.

La recourante fait valoir qu'elle a déposé sa nouvelle demande de prestations le 22 juin 2015 et que le délai de carence de six mois lui donne droit à une rente dès le 1er décembre 2015.

Elle argue que l'expert a été incapable de fixer précisément le début de son incapacité de travail mais que celle-ci a été progressive depuis 2008 et qu'il est vraisemblable qu'elle dépassait déjà 40% en décembre 2015 et ce, depuis plusieurs années.

Il n'est pas soutenable de considérer que son invalidité aurait subitement atteint 80% le 22 mai 2015 ; ce serait contraire à l'aggravation progressive décrite par l'expert.

15.    Invité à se déterminer, l'intimé, dans sa réponse du 19 septembre 2019, a conclu au rejet du recours.

L'intimé relève que l'expertise rhumatologique a été réalisée en mars 2019 et qu'à cette date, la capacité de travail a été évaluée à 20%, sans qu'il soit possible d'indiquer précisément depuis quand, étant cependant admis que la chirurgie rachidienne cervicale pratiquée le 15 juillet 2016 n'a fait qu'accentuer le tableau clinique.

L'intimé fait remarquer que le SMR a retenu comme date d'aggravation une date encore antérieure à cette chirurgie, soit le 22 mai 2015, date à laquelle une IRM a montré un trouble dégénératif cervical avec conflit des racines C5-C6 et C7.

Il en tire la conclusion qu'il a bel et bien été tenu compte de l'évolution lentement défavorable en retenant une date largement antérieure à celle de l'expertise et même antérieure à celle suggérée par l'expert.

16.    Dans sa réplique du 25 septembre 2019, la recourante a persisté dans ses conclusions.

Elle allègue que le SMR se serait contenté de retenir comme date de l'incapacité de travail à 80% le 22 mai 2015, sans argumenter sa position, alors que l'expertise retient clairement que l'évolution de l'incapacité de travail a été progressive.

17.    Dans sa duplique du 15 octobre 2019, l'intimé a persisté dans ses conclusions.

 

EN DROIT

 

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.        À teneur de l'art. 1 al. 1 LAI, les dispositions de la LPGA s'appliquent à l'assurance-invalidité, à moins que la loi n'y déroge expressément.

3.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était pendant devant la Cour de céans le 1er janvier 2021, il reste soumis à l'ancien droit (cf. art. 83 LPGA).

4.        Interjeté dans les forme et délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

5.        Le litige se limite à la question de savoir à partir de quand le droit à une rente entière doit être reconnu à la recourante, celle-ci soutenant que c'est à compter du 1er décembre 2015 déjà et non du 1er mai 2016, date retenue par l'intimé.

6.        Selon l'art. 28 al. 1 let. b LAI, l'assuré a droit à une rente s'il présente une incapacité de travail de 40% au moins durant une année sans interruption notable.

7.        À teneur de l'art. 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l'échéance d'une période de six mois à compter de la date à laquelle l'assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l'art. 29 al. 1 LPGA.

8.        En l'espèce, la recourante a déposé sa nouvelle demande de prestations en juin 2015.

L'intimé considère que l'aggravation remonte au 22 mai 2015, date à laquelle elle a été objectivée par une IRM et qu'en conséquence, le droit à la rente n'a pu prendre naissance qu'à l'issue du délai de carence d'une année, en mai 2016.

La recourante allègue quant à elle qu'il est vraisemblable que son incapacité de travail ait déjà été de plus de 40% et ce, depuis plusieurs années, de sorte que seul le délai de six mois à compter du dépôt de sa nouvelle demande devrait s'appliquer.

Certes, il est vrai que l'expert s'est montré dans l'incapacité de fixer précisément la date de l'aggravation constatée, expliquant que celle-ci avait été progressive. Tout au plus a-t-il précisé que l'intervention pratiquée en juillet 2016 avait encore accentué un « tableau clinique déjà très péjoré », ce dont on peut conclure que l'aggravation était alors déjà d'actualité.

Force est cependant de constater que l'intimé en a tenu compte puisqu'il a retenu une date encore antérieure, celle du 22 mai 2015, c'est-à-dire celle de l'IRM qui a permis d'objectiver l'atteinte entraînant les névralgies cervico-brachiales.

Cependant, la recourante soutient qu'il est hautement vraisemblable que sa capacité ait déjà été réduite de 40% au moins depuis longtemps, en tout cas avant décembre 2014 (début du délai de carence dont la fin coïnciderait avec la fin du délai de six mois courant depuis le dépôt de sa demande).

Il est vrai que l'on peut tenir pour établi que les atteintes dégénératives objectivées par l'IRM du 22 mai 2015 ne sont pas apparues du jour au lendemain. Se pose dès lors la question de savoir s'il est raisonnable de soutenir qu'elles étaient déjà présentes et invalidantes six mois plus tôt, en décembre 2014. La Cour de céans estime que tel est le cas, de par la nature même des lésions constatées, dégénératives, ce qui implique qu'elles n'ont pu apparaître subitement. Si l'on considère que l'IMR a été motivée par des douleurs forcément apparues plus tôt et qu'un délai s'est nécessairement écoulé durant lequel l'assurée a consulté et avant que l'examen ne soit programmé, il n'apparaît pas insoutenable, mais au contraire vraisemblable au degré de la vraisemblance prépondérante requis que les atteintes étaient déjà présentes six mois avant l'examen, en décembre 2014, de sorte qu'en décembre 2015, six mois après le dépôt de la nouvelle demande, le délai de carence d'une année était également venu à échéance.

Eu égard à ces considérations, il convient d'admettre le recours et de faire débuter le droit à la rente le 1er décembre 2015 déjà.

Le recours est admis et la décision litigieuse réformée en ce sens.

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Réforme la décision du 25 juin 2019 en ce sens que le début du droit à la rente entière est fixé au 1er décembre 2015.

4.        Renvoie la cause à l'intimé pour calcul des prestations dues.

5.        Condamne l'intimé à verser à la recourante la somme de CHF 1'000.- à titre de participation à ses frais et dépens.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

7.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie-Catherine SÉCHAUD

 

La Présidente

 

 

 

 

Karine STECK

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le