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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1178/2017

ATAS/821/2020 du 30.09.2020 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/1178/2017 ATAS/821/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 septembre 2020

4ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à THÔNEX, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Tania NICOLINI

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


 

EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après l'assurée ou la recourante) est née le ______ 1963, originaire d'Espagne et au bénéfice d'un permis C. Elle a été engagée le 26 septembre 1992 par B______(ci-après B______). Selon un avenant du 30 juillet 2014, son taux d'activité était, dès le 18 août 2014, de 31 heures par semaine, correspondant à un 80,52%, pour un salaire mensuel de CHF 3'405.-.

2.        Elle était assurée auprès de Swica Assurance-maladie SA (ci-après Swica), par l'intermédiaire de son employeur, pour l'assurance d'indemnités journalières perte de gain maladie.

3.        En 2012, l'assurée a commencé à souffrir de douleurs au niveau des rachis cervical et lombaire. Des séances de physiothérapie lui ont été prescrites.

4.        Le 5 octobre 2015, le docteur C______, spécialiste FMH en médecine interne et maladies rhumatismales, a indiqué avoir reçu l'assurée les 11 juin et 29 septembre 2015. Elle avait présenté plusieurs problèmes mécaniques au coude droit en 2008, au coude gauche en 2011 et à la cheville droite en mars 2015. Elle se plaignait de douleurs cervico-brachiales prédominant à droite de longue date, dans une moindre mesure accompagnées de dorso-lombalgies avec sciatalgies droites. Compte tenu de la longue évolution des douleurs persistantes, sans signe de synovite ou d'autres éléments spécifiques pour une connectivité, la patiente semblait être entrée dans un cercle de douleurs chroniques qui évoquait une fibromyalgie. Elle pourrait bénéficier d'un traitement de fond avec de la gabapentine associée à un antidépresseur afin de relever son seuil douloureux et du Dafalgan 3 x 1 g. Le recours aux corticoïdes n'était pas indiqué en raison de son diabète.

5.        Dans un rapport du 15 octobre 2015, le docteur D______, médecin généraliste, a indiqué que l'assurée l'avait consulté le 2 septembre 2015 pour des cervicalgies avec des fourmis aux bras, sans déficit, avec blocage de la nuque et des lombalgies qu'elle ressentait depuis quelque temps. S'agissant de l'environnement social, il n'y avait rien à signaler, si ce n'était une fragilité psychique, à cause de la douleur chronique (légère dépression).

6.        Le 8 janvier 2016, l'assurée a requis des prestations de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après l'OAI ou l'intimé).

7.        Swica a confié une expertise pluridisciplinaire de l'assurée à la clinique Corela. L'expertise a été réalisée par la doctoresse E______, rhumatologue, et le docteur F______, psychiatre. Les experts ont retenu, dans leur rapport du 26 février 2016, les diagnostics de protrusions des disques intervertébraux C5 à C6 et C6 à C7 et de protrusion discale et dégénérescence interapophysaire postérieure de L5 à S1, mais pas de diagnostic psychiatrique. Au jour de l'expertise, dans la mesure où aucune limitation n'était retenue, l'incapacité de travail de l'assurée était de 0%, horaire sans baisse de rendement.

8.        Le 21 juin 2016, la doctoresse G______, psychiatrie et psychothérapie FMH, a attesté avoir revu l'assurée à sa consultation du 11 février 2016. Celle-ci était déprimée et angoissée et disait que la vie ne valait pas la peine d'être vécue. Selon l'échelle de Hamilton, la patiente souffrait d'un état anxio-dépressif sévère. Elle se plaignait de troubles du sommeil. Elle était tendue, irritable et inquiète. Elle se plaignait de sécheresse de la bouche, d'indigestions, de gaz, d'éructations, de diarrhées par moment, de crampes, de palpitations et serrements dans la poitrine, de soupirs et de céphalées ainsi que de lourdeur des membres, de fourmillements dans le doigt auriculaire gauche et de douleurs musculaires. Elle présentait un trouble de l'appétit avec prise de poids (9 kg), se sentait fatiguée, avec une perte d'énergie et baisse de libido. Elle était très inquiète pour son état de santé ainsi que son avenir et disait avoir des difficultés à faire face dans la vie de tous les jours. Elle n'avait pas de plaisir, ni de loisirs et se repliait sur elle-même. Elle était en retrait social, n'avait plus confiance en elle ni en les autres et avait des idées de culpabilité avec un grand mal être. Son traitement de Laroxyl avait été augmenté à 75 mg. Le traitement était prescrit pour un état anxio-dépressif sévère avec fibromyalgie. En plus, elle prenait du Xanax 3 x 0,5 mg par jour et Imovane 16,5 mg par jour. De ce fait, la Dresse G______ était en désaccord avec les conclusions de la clinique Corela.

9.        Par projet de décision du 15 novembre 2016, l'OAI a informé l'assurée qu'elle rejetait sa demande de rente d'invalidité, considérant qu'à teneur des pièces médicales en sa possession, elle ne présentait pas d'atteinte à la santé au sens de l'assurance-invalidité.

10.    Le 25 novembre 2017, l'assurée a formé opposition au projet de décision de l'OAI.

11.    Le 6 décembre 2016, l'assurée a formé une demande en paiement contre Swica auprès de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice concluant à la reprise du versement de l'indemnité journalière jusqu'au 31 novembre 2016.

12.    Le 27 décembre 2016, la Dresse G______ a certifié que l'assurée était suivie à sa consultation et souffrait d'un état anxio-dépressif lié à ses souffrances physiques assez importantes malgré un fort dosage de morphine.

13.    Le 29 décembre 2016, le Dr D______ a transmis à l'OAI :

-          un rapport établi par le docteur H______, spécialiste FMH en anesthésiologie, diagnostic et traitement de la douleur, du 21 novembre 2016, dont il ressort que celui-ci estimait qu'il n'y avait pas d'indication à poursuivre l'approche minimalement invasive et qu'ils avaient convenu d'adapter le traitement opiacé. Actuellement, l'assurée bénéficiait modérément de la prise de 12 mg par jour d'hydromorphone. Cette dose serait progressivement augmentée en fonction de la réponse clinique ;

-          un rapport établi le 26 décembre 2016 par le Dr H______ indiquant qu'il avait pris note que le test de dépistage aux opiacés s'était révélé négatif à deux reprises alors que l'assurée était traitée respectivement par buprénorphine et par hydromorphone, sans en obtenir aucun bénéfice. Il s'expliquait d'autant moins le premier résultat négatif que les effets secondaires étaient alors marqués par une rétention hydrique marquée. Il fallait demander un avis pharmacologique à la consultation de la douleur des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

14.    Le 3 janvier 2017, le Dr C______ a estimé que c'était l'abaissement sévère du seuil douloureux lié à la fibromyalgie qui exacerbait les symptômes en lien avec les problèmes mécaniques de l'assurée.

15.    Par décision du 3 mars 2017, l'OAI a rejeté la demande de l'assurée, confirmant son projet de décision.

16.    Le 3 avril 2017, l'assurée a formé recours auprès de la chambre des assurances sociales contre la décision rendue par l'OAI le 3 mars 2017. Elle concluait, préalablement, à sa comparution personnelle ainsi qu'à l'audition des Drs C______ et G______, et à ce que soit ordonnée toute mesure probatoire utile pour rétablir les faits pertinents de la cause, y compris, si nécessaire, une expertise judiciaire, notamment rhumatologique et psychiatrique. Elle concluait principalement à ce qu'il soit dit qu'elle avait droit à une rente d'invalidité entière non limitée dans le temps et à une équitable indemnité de procédure. Elle faisait valoir que les troubles dont elle souffrait avaient un caractère totalement invalidant et que l'expertise de la clinique Corela devait être écartée. Si ses médecins lui avaient prescrit un nombre important de médicaments puissants, c'était bien qu'elle était contrainte de faire face à des douleurs invalidantes. Elle avait des réveils nocturnes dus à la douleur et avait pris en conséquence des médicaments aux effets secondaires dévastateurs avant de les arrêter sur ordre de son médecin. Elle avait porté des patchs de morphine des mois durant. La question des résultats négatifs aux opiacés des tests sérologiques n'était pas pertinente. Elle avait donné à ce sujet une explication médicale, qui pourrait être confirmée par les spécialistes en pharmacologie. L'OAI n'avait pas tenu compte de tous les critères pertinents qui auraient dû guider son analyse pour nier le caractère invalidant de la fibromyalgie dont elle souffrait.

17.    Le 21 avril 2017, l'intimé a conclu au rejet du recours. L'expertise de la clinique Corela devait se voir reconnaître une pleine valeur probante et une nouvelle expertise ne se justifiait pas.

18.    Par réplique du 18 mai 2017, la recourante a indiqué avoir fait l'objet d'une nouvelle expertise, sur mandat de Swica, par le docteur I______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur et de la colonne vertébrale, le 21 mars 2017.

C'était la conséquence de la fibromyalgie sur la capacité de travail qui demeurait la plus litigieuse. Les conclusions de la doctoresse J______ démontraient que les experts de la clinique Corela avaient écarté sa compliance aux opioïdes de façon erronée. Cela démontrait que l'expertise n'avait pas été menée dans les règles de l'art d'un point de vue médical et celle-ci devait être écartée au profit des avis médicaux des Drs C______ et G______.

19.    Le 12 juin 2017, la recourante a transmis à la chambre de céans un rapport médical établi le 6 juin 2017 par Madame K______, docteure en sciences toxicologue forensique SSML. Il en résultait que les tests effectués en décembre 2016 portaient sur des opiacés administrés par voie orale et qu'ils n'avaient pas été détectés au moyen du test idoine.

20.    Le 9 octobre 2017, le Dr C______ a précisé que les limitations fonctionnelles indiquées dans son rapport de février 2016 à l'OAI étaient en lien avec l'abaissement sévère du seuil douloureux lié à la fibromyalgie de l'assurée. Ce n'était pas les troubles ostéo-articulaires qui entraînaient des limitations fonctionnelles significatives mais la fibromyalgie sévère.

21.    Par arrêt du 13 décembre 2017 (ATAS/1137/2017) rendu dans le cadre de la procédure A/4174/2016 (LCA), entré force, mais qui fait l'objet d'une demande de révision encore en cours, la chambre des assurances sociales a reconnu une pleine valeur probante à l'expertise du 26 février 2016 et a rejeté la demande en paiement de l'assurée du 6 décembre 2016.

22.    Dans un rapport médical du 5 février 2018, la Dresse G______ a indiqué que le traitement de l'assurée était : Cymbalta 30 mg par jour, prégabaline (Lyrica) 2 × 75 mg par jour, Temesta trois fois 1 mg par jour et Xanax, 3 × 0,5 mg par jour. Le traitement avait débuté par du Saroten ret. 2 × 50 mg par jour, mais avait dû être arrêté, car il n'y avait pas de résultats sur l'état psychique et les douleurs. Le Cymbalta avait été introduit sans augmentation, car l'assurée avait des tachycardies en plus d'un problème cardiaque. Le 22 janvier 2018, elle avait été hospitalisée pour ce problème. Les troubles psychiques chroniques de l'assurée l'épuisaient moralement à 100 %. Elle était très déprimée et angoissée avec des idées noires, parfois suicidaires. Elle se plaignait d'insomnies avec des réveils nocturnes fréquents, de troubles de la mémoire à court terme, de la concentration et de l'appétit. Elle n'avait pas de libido. Elle était en retrait social et n'avait plus confiance en elle-même ni envers les autres. Elle se sentait incomprise. Il en résultait un épuisement psychique qui la privait de ses ressources pour faire face à ses douleurs de fibromyalgie. Elle était en état de détresse totale lié à ces douleurs. Elle faisait le maximum pour faire face à ses maladies psychique et physique. Elle était limitée dans tous les domaines de la vie. Elle ne sortait de chez elle que pour se rendre à ses rendez-vous médicaux. Elle ne faisait plus le ménage, ni la lessive, ni à manger. Elle n'avait plus de loisirs et ses amis venaient de moins en moins la voir. Elle ne dormait pas bien et s'allongeait souvent. Il y avait une grande différence depuis les premières consultations en février 2016. Au début, elle arrivait à sortir un peu, à voir ses amis assez souvent, à faire un peu de ménage et l'aspirateur et les repas. Depuis mars 2017, ce n'était plus le cas. Elle avait diminué graduellement ses tâches et depuis décembre 2017, elle ne faisait plus rien. Cela était lié à ses douleurs de fibromyalgie. L'état anxio-dépressif que la Dresse G______ avait qualifié de sévère dans son attestation du 5 janvier 2018 était invalidant selon l'échelle de la dépression d'Hamilton de 34/56. Les douleurs de fibromyalgie étaient de 16/18. Elles étaient donc invalidantes physiquement et psychiquement.

23.    Le 1er mars 2018, la recourante a demandé le retrait de l'expertise de la clinique Corela du dossier, dès lors qu'à teneur d'un arrêt du Tribunal fédéral du 22 décembre 2017, il y avait lieu de nourrir des doutes quant à la probité du travail réalisé par les experts de cette clinique.

24.    Par ordonnance du 30 octobre 2018, la chambre de céans a ordonné l'apport de la procédure A/4174/2016 qui avait opposé la recourante à Swica et a octroyé un délai à la recourante pour produire le rapport d'expertise du Dr I______.

25.    Dans son rapport d'expertise du 28 mars 2017, le Dr I______ a indiqué, notamment, que le traitement antalgique était de posologie plus que modeste et infra-thérapeutique. L'appréciation était compliquée par la présomption de fibromyalgie. Si le score permettait de retenir ce diagnostic, il était nécessaire, d'obtenir du médecin traitant la confirmation du diagnostic retenu depuis plus de trois mois, afin de remplir les critères internationaux. Il retenait une présomption de fibromyalgie en 2016, en précisant que la documentation n'était pas disponible. Il n'existait pas de signe en faveur d'une lésion des épicondyliens externes au coude gauche et, en particulier, une lésion séquellaire du traumatisme du 28 janvier 2011. Aucune rechute n'avait été annoncée pendant trois années de travail. La fibromyalgie constituait un diagnostic expliquant clairement les douleurs des deux coudes ainsi que leur date d'apparition. La lésion du nerf interosseux postérieur au coude gauche, en lien de causalité naturelle avec l'accident du 28 janvier 2011, n'entraînait aucune séquelle. La date de guérison des deux lésions précitées était fixée au 28 octobre 2012. Il n'était pas retenu de limitations fonctionnelles. Les plaintes subjectives étaient définies par des douleurs partout, aux cervicales, au bas du dos, aux jambes, aux épaules et aux deux coudes ainsi qu'au bas des fesses. Les douleurs aux cervicales et aux épaules pouvaient être objectivées et il existait une calcification bilatérale des tendons d'épaule. Néanmoins, l'échec du test thérapeutique aux morphiniques remettait fortement en cause ces objectivations, faisant intervenir de façon prépondérante la fibromyalgie. Les autres douleurs ne pouvaient pas être objectivées et entraient dans le cadre de la fibromyalgie.

26.    Le 26 novembre 2018, l'intimé a observé qu'il ressortait de l'expertise du Dr I______ que les lésions à l'épaule et au coude liées à l'accident du 28 janvier 2011 étaient guéries sans séquelles. En conséquence, il maintenait ses précédentes conclusions.

27.    Par ordonnance du 13 mai 2019 (ATAS/415/2019), la chambre de céans a ordonné une expertise de l'assurée considérant qu'il fallait nier une valeur probante au rapport établi le 26 février 2016 par les Drs E______ et F______, de la clinique Corela, car les exigences liées à la qualité de l'exécution d'un mandat d'expertise médicale en droit des assurances sociales ne pouvaient être considérées comme suffisamment garanties au sein du département expertise de celle-ci.

28.    L'expertise a été confiée au docteur L______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et au professeur M______, spécialiste FMH en rhumatologie.

29.    Le rapport établi le 18 août 2019 par le Dr L______ résume le dossier et les autres informations disponibles, notamment la teneur d'un entretien téléphonique avec le psychiatre traitant de la recourante. L'expert a résumé l'histoire personnelle de la recourante et ses plaintes, spontanées et sur demande, sur la base de ses déclarations. Il a notamment mentionné, s'agissant des activités professionnelles exercées, que l'assurée avait diminué son taux d'activité à 40% après la naissance de son fils en 1988. Quand celui-ci avait commencé l'école enfantine, elle avait augmenté son taux de travail à 60%, puis plus tard à 81,5%. L'expert a ensuite décrit ses constatations objectives (status psychiatrique). Sous discussion, il a indiqué : « La plainte principale de l'expertisée est d'ordre douloureux. Selon le dossier, les douleurs sont en partie d'origine organique, en partie sans substrat organique connu. Pour la partie dépourvue de substrat organique connu, le diagnostic de fibromyalgie a été retenu par plusieurs spécialistes en rhumatologie et non contesté. Nous n'avons pas de raison de mettre en cause ce diagnostic au profit de celui de syndrome douloureux somatoforme persistant. Les facteurs psychiques possiblement en relation avec les douleurs (décès de la mère, rupture du couple, perte de l'emploi) semblent en effet être apparus après l'apparition du syndrome douloureux diffus et non avant, et l'expertisée souligne que ses difficultés psychiques sont survenues comme conséquence et non comme cause des douleurs. Hormis les douleurs, il existe des plaintes d'ordre dépressif et d'ordre anxieux (...).

En résumé il existe un syndrome dépressif de longue durée, documenté depuis février 2016 (date du début de la prise en charge spécialisée chez la Dre G______), essentiellement subjectif. L'absence de la plupart des signes objectifs habituellement observés en cas de d'épisode dépressif, a fortiori sévère et/ou de longue durée, parle contre l'existence d'un véritable épisode dépressif au sens de la CIM-10.

Nous diagnostiquons plutôt une dysthymie (F34.l), forme de dépression caractérisée par son intensité modérée et sa chronicité (durée de deux ans au moins). La dysthymie est parfois ancrée dans une personnalité à l'estime de soi fragile, élément peut être présent chez l'expertisée (...). On peut se poser la question de l'existence d'un trouble dépressif récurrent au vu de la survenue répétée de "réactions" dépressives dans le cadre d'épisodes d'un conflit conjugal. Nous ne retenons pas ce diagnostic, car il n'y a pas d'évidence que ces réactions aient atteint le degré de véritables épisodes dépressifs au sens de la CIM-10. Tout cela n'est pas documenté, ni attesté par la psychiatre traitante.

(...) L'élément anxieux est peu spécifique et relativement discret (sous réserve que les vérifications ne s'avèrent pas traduire un véritable TOC), ne justifiant pas un diagnostic séparé. Jusqu'à preuve du contraire, il peut être intégré dans le cadre du trouble dépressif, qui comporte souvent des symptômes anxieux d'accompagnement.

(...) Nous avons relevé durant notre examen de possibles traits anankastiques (méticulosité, perfectionnisme) et dépendants, et une possible fragilité structurelle de l'estime de soi. Il est probable que le contexte traumatique de l'enfance et de l'adolescence aient joué un rôle dans les développement de ces éléments de la personnalité. Il n'y a cependant pas de preuve que ces traits soient réellement des traits de personnalité, c'est-à-dire qu'ils aient été constamment présents chez l'expertisée depuis le début de l'âge adulte, ni qu'ils aient provoqué des problèmes relationnels ou émotionnels constants depuis le début de l'âge adulte, comme on le voit en cas de trouble de la personnalité. Nous retenons comme hypothèse (à examiner dans le cadre clinique par la psychiatre traitante) une possible accentuation de certains traits de la personnalité (Z73.1).

(...) La psychiatre traitante retient depuis 2016 le diagnostic de trouble de l'adaptation, réaction mixte, dépressive et anxieuse. Nous écartons ce diagnostic pour deux raisons. La première est que si le facteur de stress déclenchant a été la perte de l'emploi, il est survenu en mai 2017, soit bien après le début des troubles psychique (début du traitement en février 2016). Et surtout un trouble de l'adaptation ne dure pas plus de six mois après la survenue du facteur de stress déclencheur. Ici on est 27 mois après la survenue du déclencheur. Et si, comme l'indique la Dre G______, le facteur de stress est l'accident professionnel de 2011, le délai contre-indiquant le diagnostic de trouble de l'adaptation est encore plus long. Un autre élément qui s'oppose au diagnostic de trouble de l'adaptation est que celui-ci n'est posé que si le tableau clinique ne correspond pas à un autre trouble psychique spécifié. Or ici, le diagnostic de dysthymie paraît suffisamment étayé pour justifier ce diagnostic. Nous nous écartons, pour la même raison, de l'expertise Corela, qui ne retenait aucun diagnostic psychiatrique. Nous remarquons aussi que les experts avaient relevé une dépression "légère" sur la base des questionnaires administrés. Mais ils ont écarté ce résultat au motif que le résultat était faussé par la présence de douleurs chroniques. Dans ce cas, on se demande pourquoi, sachant que des douleurs chroniques étaient présentes, ils ont utilisé ce questionnaire comme moyen diagnostique, et non un examen clinique méthodique comme il se doit.

(...) La dysthymie est une forme de dépression d'intensité modérée mais de longue durée. Les limitations fonctionnelles sont une diminution de l'énergie et de la motivation pour agir, aggravées par une vision pessimiste de soi et du futur. Avec l'écoulement du temps, ces limitations, qui sont habituellement surmontables par un effort de volonté, peuvent avoir des répercussions sur la capacité de travail, surtout si le trouble dépressif est accompagné d'autres morbidités. Ici la présence de douleurs chroniques diffuses aggrave certainement la difficulté dépressive à se mettre en action et à maintenir l'action entreprise. Mais à elle seule, les limitations fonctionnelles inhérentes à la dysthymie ne sont pas durablement incapacitantes. Il reviendra à l'évaluation bidisciplinaire avec l'expert somaticien d'apprécier si le cumul des atteintes somatiques et psychiques atteint le degré durablement incapacitant.

Le trouble de l'adaptation est une atteinte réactionnelle à un facteur de stress, de gravité modérée et surtout limitée dans le temps. On comprend mal que la Dre G______ fonde son appréciation d'une incapacité de travail totale et durable sur ce diagnostic.

(...) Il est vraisemblable que l'état actuel et ses répercussions soient présents depuis au moins le début du traitement psychiatrique spécialisé, soit février 2016. Il n'y a pas d'indice que depuis lors il y ait un changement significatif de l'état clinique. Par conséquent, sur le seul plan psychique, nous ne retenons pas d'incapacité de travail depuis 2016. Est réservée l'appréciation bidisciplinaire de l'état de santé global, qui relève de la discussion que nous devrons avoir avec notre confrère somaticien. »

L'expert psychiatre après avoir examiné les indicateurs de gravité, a conclu que sur le plan strictement psychiatrique, il n'y avait pas d'incapacité de travail de l'assurée, réservant l'appréciation globale du cas, incluant les aspects somatiques.

30.    Dans son rapport du 3 décembre 2019, le Prof. M______ a posé les diagnostics de :

- syndrome douloureux chronique ;

- tendinopathie sévère aux épaules et coudes ;

- polyarthrose ;

- syndrome douloureux chronique cervicale et lombaire ;

- diabète mellitus type 2.

Il a estimé que « s'agissant des limitations fonctionnelles, le syndrome douloureux chronique est en premier ligne. Il s'agit d'arthromyalgies diffuses en lien avec une fibromyalgie associée aux symptômes classiques tels que troubles de la concentration, de la mémoire, et troubles végétatifs. L'expertisée a clairement des ressources très basses pour des raisons multifactorielles. Elle présente :

-    un syndrome douloureux chronique de type fibromyalgie ;

-    un syndrome d'apnées du sommeil sévère qui ont une influence majeure sur ses ressources (fatigue et troubles de la concentration) ainsi qu'un syndrome anxio-dépressif sévère (avec troubles de la concentration) ;

-    une réduction de ses ressources physiques en raison des discopathies multifocales aux rachis, de la tendinopathie calcifiante importante, notamment à l'épaule droite avec une grande calcification dans le tendon sous-scapulaire ainsi qu'aux coudes qui a été constaté plusieurs fois sur les comptes rendus opératoires ;

-    des enthésopathies au rachis, probablement aussi de nature microcristalline ;

-    une polyarthrose : discale, facettaire, acromio-claviculaire et digitale hyperostotique ;

-    une prise des médicaments psychotropes et la morphine ;

-    un diabète mellitus type 2 ;

-    une hépatopathie sur possible stéatose.

Dans ce contexte, presque tous les mouvements et la performance physique globale sont très limités. Si un diagnostic seul n'aurait pas justifié une limitation majeure, c'est l'ensemble de toutes ces atteintes par contre qui induit des limitations fonctionnelles importantes.

Au vu de l'ensemble du tableau (un syndrome douloureux chronique avec des ressources très faibles, syndrome d'apnée du sommeil, une polyarthrose, une tendinopathie calcifiante importante, un diabète, un syndrome d'apnées du sommeil sévère, et un syndrome anxio-dépressif sévère, l'assuré n'est pas capable de travailler.

Malgré un traitement par Cymbalta et Xanax, la capacité de travail est de 0% dans son activité habituelle comme dans une activité adaptée. L'obésité, bien que réversible, a également un effet négatif sur ses ressources. J'ai noté au laboratoire une augmentation des valeurs hépatiques, a priori dans le cadre d'une stéatose hépatique, qui induisent également une fatigue et une diminution des ressources. Actuellement, les valeurs hépatiques sont normales.

À mon avis, les différents facteurs dans leur ensemble et leurs effets sur les ressources n'ont pas été suffisamment prises en compte dans l'expertise précédente.

L'incapacité de travail existe à mon avis depuis fin 2015 et mon estimation rejoint celle de son généraliste et de son psychiatre. »

31.    Le 23 avril 2020, le Dr L______ a transmis à la chambre de céans l'appréciation consensuelle sur l'état de santé global, somatique et psychique, de la recourante, établi par les deux experts. Ils s'étaient concertés par téléphone le 22 avril 2020 et étaient arrivés à la conclusion commune suivante : sur le plan psychique, il n'y avait pas d'atteinte durablement incapacitante. En revanche, il existait une certaine fragilité au niveau de la personnalité et de l'humeur. Cette situation entraînait une légère diminution des ressources adaptatives, qui renforçait l'effet délétère des atteintes physiques. Sur le plan somatique, il existait des atteintes cliniques et surtout une diminution sévère des ressources dans le cadre du syndrome douloureux chronique, la polyarthrose, la polytendinopathie avec des bursites, sans perspective qu'une activité adaptée aux atteintes permette une reprise d'activité. Globalement, les experts estimaient que l'état de santé de l'expertisée et ses répercussions fonctionnelles entraînaient une incapacité de travail totale dans toute activité depuis décembre 2015. À l'heure actuelle, il n'y avait pas d'argument pour prévoir un changement significatif de la situation dans un délai prévisible.

32.    Le 25 mai 2020, l'intimé a estimé que le courrier du Dr L______ du 23 avril 2020 ne constituait pas une appréciation consensuelle du cas portant sur un examen global de l'état de santé et de la capacité de travail de l'assurée à la lumière des exigences relatives aux diagnostics et des indicateurs déterminants, examen pourtant indispensable à l'évaluation de la capacité de travail. Il ne correspondait ainsi pas aux principes en la matière, selon lesquels l'évaluation de la capacité de travail requiert une appréciation globale, référence faite à l'arrêt du Tribunal fédéral 8C_518/2007 du 7 décembre 2008 consid 3.2.

Les rapports des experts avaient été soumis au SMR pour appréciation. Il ressortait principalement de son avis du 19 mai 2020 que celui-ci ne pouvait se rallier à l'évaluation consensuelle : « En effet, les ressources adaptatives ne peuvent être légères du côté psychiatrique, et sévères du côté somatique. Aucun diagnostic incapacitant n'a été retenu par les experts d'un point de vue psychiatrique et somatique. Les LF (limitations fonctionnelles) constatées n'ont été que subjectives, et l'analyse des indicateurs standards ne permet pas de retenir une affection incapacitante. Les experts ne peuvent en aucun cas additionner des diagnostics qui en soi ne sont pas incapacitants, et ils ne sont pas parvenus à un consensus, si l'on tient compte des indicateurs standards ». Au vu des éléments objectivement vérifiables précités, qui étaient suffisamment pertinents pour remettre en cause le bien-fondé des conclusions de l'expert ou établir le caractère incomplet de son ouvrage (arrêt du Tribunal fédéral 9C 573/2009 du 19 décembre 2009 consid. 2.3), l'intimé considérait que seule l'expertise du Dr L______ pouvait être suivie, mais pas celle du Dr M______, et il maintenait en conséquences ses précédentes conclusions.

33.    La recourante a relevé, le 29 mai 2020, que les deux experts étaient parvenus à la conclusion claire et consensuelle qu'elle ne disposait d'aucune capacité de travail dans toute activité dès décembre 2015. Son recours devait en conséquence être admis.

34.    Le 28 juillet 2020, la recourante a encore produit :

-    un rapport établi le 3 juillet 2020 par la Dresse G______ qui indiquait n'être pas d'accord avec le diagnostic de dysthymie posé par l'expert psychiatre, car la patiente souffrait de dépression depuis 2011. Un traitement médicamenteux lui avait été prescrit dont des antidépresseurs, qui avaient dû être changés et adaptés à plusieurs reprises, car elle ne répondait pas favorablement. Au début, ils avaient fait effet, puis la patiente n'avait plus répondu aux traitements liés à ses douleurs chroniques (fibromyalgie), qui l'empêchaient de dormir (insomnies), et à ses maladies physiques. Son état dépressif s'était aggravé au point de développer des idées suicidaires et manifester son « ras-le-bol » de la vie. Plusieurs épisodes dépressifs déclenchés par des événements stressants (accident au travail, perte d'emploi, décès de sa mère et divorce) confirmaient son diagnostic, qui était un trouble dépressif récurrent sévère sans symptômes psychotiques.

-    un rapport établi le 6 juillet 2020 de par le Dr C______ qui estimait que l'expertise du Prof. M______ respectait parfaitement les règles de l'art. Ses conclusions reprises dans le consilium avec le Dr L______ étaient bien étayées et indiquaient sans équivoque que les troubles somatiques entraînaient des répercussions fonctionnelles avec une incapacité de travail totale dans toute activité et pour les tâches ménagères depuis décembre 2015. Ceci rejoignait son appréciation du caractère invalidant de la maladie de la recourante.

35.    Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.        Le délai de recours est de trente jours (art. 56 LPGA; art. 62 al. 1 de la de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]). Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est ainsi recevable (art. 56 ss LPGA et 62 ss LPA).

3.        Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d'invalidité entière.

4.        Est réputée invalidité, l'incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée, résultant d'une infirmité congénitale, d'une maladie ou d'un accident (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI). Selon l'art. 7 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l'ensemble ou d'une partie des possibilités de gain de l'assuré sur le marché du travail équilibré qui entre en considération, si cette diminution résulte d'une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique et qu'elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (al. 1). Seules les conséquences de l'atteinte à la santé sont prises en compte pour juger de la présence d'une incapacité de gain. De plus, il n'y a incapacité de gain que si celle-ci n'est pas objectivement surmontable (al. 2 en vigueur dès le 1er janvier 2008).

En vertu de l'art. 28 al. 2 LAI, l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 70% au moins, à un trois-quarts de rente s'il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s'il est invalide à 50% au moins, ou à un quart de rente s'il est invalide à 40% au moins.

Pour évaluer le taux d'invalidité, le revenu que l'assuré aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA et art. 28a al. 1 LAI).

En vertu des art. 28 al. 1 et 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à la date dès laquelle l'assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d'au moins 40% en moyenne pendant une année sans interruption notable et qu'au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins, mais au plus tôt à l'échéance d'une période de six mois à compter de la date à laquelle l'assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l'art. 29 al. 1 LPGA. Selon l'art. 29 al. 3 LAI, la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance.

5.        Le diagnostic de fibromyalgie est posé en principe par un rhumatologue dont le diagnostic s'appuie lege artis sur les critères d'un système de classification reconnu (ATF 132 V 65).

La capacité de travail réellement exigible des personnes souffrant d'une symptomatologie douloureuse sans substrat organique, telle que la fibromyalgie, doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sur la base d'une vision d'ensemble, à la lumière des circonstances du cas particulier et sans résultat prédéfini. L'évaluation doit être effectuée sur la base d'un catalogue d'indicateurs de gravité et de cohérence (ATF 141 V 281)

Dans la catégorie « degré de gravité fonctionnel », notre le Tribunal fédéral distingue, dans l'arrêt précité, entre le complexe « atteinte à la santé » avec trois sous-catégories, le complexe « personnalité » et le complexe « environnement social ».

En premier lieu, il convient de prêter d'avantage attention au degré de gravité inhérent au diagnostic du syndrome douloureux somatoforme dont la plainte essentielle doit concerner une douleur persistante, intense, s'accompagnant d'un sentiment de détresse selon la définition de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Dans ce contexte, il faut tenir compte des critères d'exclusion, à savoir des limitations liées à l'exercice d'une activité résultant d'une exagération des symptômes ou d'une constellation semblable, telle qu'une discordance entre les douleurs décrites et le comportement observé, l'allégation d'intenses douleurs dont les caractéristiques demeurent vagues, l'absence de demandes de soins, de grandes divergences entre les informations fournies par le patient et celles ressortant de l'anamnèse, le fait que les plaintes très démonstratives laissent insensibles l'expert, ainsi que l'allégation de lourds handicaps malgré un environnement psychosocial intact (cf. également ATF 132 V 65 consid. 4.2.2).

La gravité de l'évolution de la maladie doit aussi être rendue plausible par les éléments ressortant de l'étiologie et la pathogenèse déterminantes pour le diagnostic, comme par exemple la présence de conflits émotionnels et de problèmes psycho-sociaux.

Un deuxième indicateur est l'échec de tous les traitements conformes aux règles de l'art, en dépit d'une coopération optimale. Il n'y a chronicisation qu'après plusieurs années et après avoir épuisé toutes les possibilités de traitement, ainsi que les mesures de réadaptation et d'intégration. Le refus de l'assuré de participer à de telles mesures constitue un indice sérieux d'une atteinte non invalidante.

Un troisième indicateur, pour la détermination des ressources de l'assuré, constituent les comorbidités psychiatriques et somatiques. À cet égard, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme peut également être considéré comme une comorbidité psychiatrique, selon la nouvelle jurisprudence.

Un quatrième indicateur est la structure de la personnalité de l'assuré pour l'évaluation de ses ressources. Il faut tenir compte non seulement des formes classiques des diagnostics de la personnalité, lesquelles visent à saisir la structure et les troubles de la personnalité, mais également du concept de ce qu'on appelle « les fonctions complexes du moi ». Selon le Tribunal fédéral, « Celles-ci désignent des capacités inhérentes à la personnalité, qui permettent de tirer des conclusions sur la capacité de travail (notamment la conscience de soi et de l'autre, l'examen de la réalité et la formation du jugement, le contrôle des affects et des impulsions ainsi que l'intentionnalité [capacité à se référer à un objet] et la motivation ; Kopp/Marelli, [Somatoforme Störungen, wie weiter?] p. 258 ; Marelli, Nicht können oder nicht wollen?, p. 335 ss ) » (arrêt op. cit. consid. 4.3.2).

Enfin, dans la catégorie du degré de la gravité de l'atteinte psychosomatique, il y a également lieu de prendre en compte les effets de l'environnement social. L'incapacité de travail ne doit pas être essentiellement le résultat de facteurs socio-culturels. Au demeurant, pour l'évaluation des ressources de l'assuré, il y a lieu de tenir compte de celles qu'il peut tirer de son environnement, notamment du soutien dont il bénéficie éventuellement dans son réseau social (arrêt op.cit. consid. 4.3.3).

Dans la catégorie « cohérence », notre Haute Cour a dégagé en premier lieu l'indicateur d'une limitation uniforme des activités dans tous les domaines de la vie. Il s'agit de se demander si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans l'activité lucrative, respectivement dans les actes habituels de la vie, d'une part, et dans les autres domaines de la vie (l'organisation des loisirs, par exemple), d'autre part. À cet égard, le Tribunal fédéral relève que l'ancien critère du retrait social concerne tant les limitations que les ressources de l'assuré et qu'il convient d'effectuer une comparaison des activités sociales avant et après la survenance de l'atteinte à la santé.

Par ailleurs, la souffrance doit se traduire par un recours aux offres thérapeutiques existantes. Il ne faut toutefois pas conclure à l'absence de lourdes souffrances, lorsque le refus ou la mauvaise acceptation d'une thérapie recommandée et exigible doivent être attribués à une incapacité de l'assuré de reconnaître sa maladie. Le comportement de la personne assurée dans le cadre de la réadaptation professionnelle, notamment ses propres efforts de réadaptation, doivent également être pris en compte.

6.        Le juge ne s'écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 consid. 3b/aa et les références).

En ce qui concerne les rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc). S'il est vrai que la relation particulière de confiance unissant un patient et son médecin traitant peut influencer l'objectivité ou l'impartialité de celui-ci (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a 52; ATF 122 V 157 consid. 1c et les références), ces relations ne justifient cependant pas en elles-mêmes l'éviction de tous les avis émanant des médecins traitants. Encore faut-il démontrer l'existence d'éléments pouvant jeter un doute sur la valeur probante du rapport du médecin concerné et, par conséquent, la violation du principe mentionné (arrêt du Tribunal fédéral 9C_973/2011 du 4 mai 2012 consid. 3.2.1).

En cas de divergence d'opinion entre experts et médecins traitants, il n'est pas, de manière générale, nécessaire de mettre en oeuvre une nouvelle expertise. La valeur probante des rapports médicaux des uns et des autres doit bien plutôt s'apprécier au regard des critères jurisprudentiels (ATF 125 V 351 consid. 3a) qui permettent de leur reconnaître pleine valeur probante. À cet égard, il convient de rappeler qu'au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d'expertise (ATF 124 I 170 consid. 4; arrêt du Tribunal fédéral I 514/06 du 25 mai 2007 consid. 2.2.1, in SVR 2008 IV Nr. 15 p. 43), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins traitants font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_369/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.2).

7.        Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3; ATF 126 V 353 consid. 5b; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

8.        En l'espèce, il convient d'examiner en premier lieu, la valeur probante des expertises judiciaires.

Les rapports des Drs L______ et M______ répondent aux réquisits pour se voir reconnaître une pleine valeur probante.

Contrairement à ce qu'a fait valoir l'intimé, le courrier du Dr L______ du 23 avril 2020 constitue une appréciation consensuelle du cas portant sur un examen global de l'état de santé et de la capacité de travail de l'assurée par les experts psychiatre et rhumatologue.

L'examen des indicateurs développés par le Tribunal fédéral a été effectué par l'expert psychiatre dans son rapport du 18 août 2019, ce qui relevait de sa compétence, et celui-ci n'a pas retenu que l'expertisée était incapable de travailler sous l'angle purement psychiatrique, tout en réservant l'appréciation globale du cas, selon les conclusions de l'expert rhumatologue. Après avoir eu connaissance de ces dernières, le Dr L______ a conclu, de manière consensuelle avec l'expert rhumatologue, que la recourante était totalement incapable de travailler en raison de l'ensemble de ses atteintes physiques et psychiques, retenant que l'ensemble de ses atteintes réduisait ses ressources.

L'intimé a fait valoir, à tort, que les experts ne pouvaient pas additionner des diagnostics qui en soi n'étaient pas incapacitants, car les experts ont bien précisé que c'était l'ensemble des atteintes dont souffraient l'expertisée, et en particulier les atteintes physiques, qui la rendaient totalement incapable de travailler, en motivant leurs conclusions de façon convaincante.

Le fait que la Dresse G______ retienne un autre diagnostic que l'expert psychiatre ne suffit pas à remettre en cause les conclusions de ce dernier, qui sont bien motivées et convaincantes sur ce point.

Il convient ainsi de retenir que les expertises judiciaires sont probantes.

9.        Sur cette base, il y a lieu de retenir que la recourante était totalement incapable de travailler dans toute activité dès décembre 2015.

10.    Il faut encore déterminer son taux d'invalidité.

a. Lorsqu'il convient d'évaluer l'invalidité d'un assuré d'après la méthode mixte, l'invalidité des assurés qui n'exercent que partiellement une activité lucrative est, pour cette part, évaluée selon la méthode ordinaire de comparaison des revenus (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 16 LPGA). S'ils se consacrent en outre à leurs travaux habituels, l'invalidité est fixée selon la méthode spécifique pour cette activité. Dans ce cas, il faut déterminer la part respective de l'activité lucrative et celle de l'accomplissement des autres travaux habituels et calculer le degré d'invalidité d'après le handicap dont l'assuré est affecté dans les deux activités en question (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 27bis RAI, ainsi que les art. 16 LPGA et 28a al. 2 LAI en corrélation avec les art. 27 RAI et 8 al. 3 LPGA).

Ainsi, il convient d'évaluer d'une part l'invalidité dans les travaux habituels par comparaison des activités (art. 27 RAI) et d'autre part l'invalidité dans une activité lucrative par comparaison des revenus (art. 28a al. 3 LAI en corrélation avec l'art. 16 LPGA); on pourra alors apprécier l'invalidité globale d'après le temps consacré à ces deux champs d'activité. La part de l'activité professionnelle dans l'ensemble des travaux de l'assuré est fixée en comparant l'horaire de travail usuel dans la profession en question et l'horaire accompli par l'assuré valide; on calcule donc le rapport en pour-cent entre ces deux valeurs (ATF 104 V 136 consid. 2a; RCC 1992 p. 136 consid. 1b). La part des travaux habituels constitue le reste du pourcentage (ATF 130 V 393 consid. 3.3 et ATF 104 V 136 consid. 2a). Activité lucrative et travaux habituels non rémunérés sont en principe complémentaires dans le cadre de la méthode mixte. En d'autres termes, ces deux domaines d'activités forment ensemble, en règle générale, un taux de 100% et la proportion de la partie ménagère ne doit pas être fixée en fonction de l'ampleur des tâches entrant dans le champ des travaux habituels. Aussi, ne sont pas déterminants le temps que l'assuré prend pour effectuer ses tâches ménagères, par exemple, s'il préfère les exécuter dans un laps de temps plus important ou plus court, ou la grandeur de l'appartement (ATF 141 V 15 consid. 4.5). Le fait qu'une personne assurée réduise son taux d'occupation exigible dans l'exercice d'une activité lucrative sans consacrer le temps devenu libre à l'accomplissement de travaux habituels au sens de l'art. 28a al. 2 LAI n'a aucun effet sur la méthode d'évaluation de l'invalidité (ATF 131 V 51 consid. 5.1 et 5.2).

b. Le facteur déterminant pour évaluer l'invalidité des assurés n'exerçant pas d'activité lucrative consiste dans l'empêchement d'accomplir les travaux habituels, lequel est déterminé compte tenu des circonstances concrètes du cas particulier. C'est pourquoi il n'existe pas de principe selon lequel l'évaluation médicale de la capacité de travail l'emporte d'une manière générale sur les résultats de l'enquête ménagère. Pour évaluer l'invalidité des assurés travaillant dans le ménage, l'administration procède à une enquête sur les activités ménagères et fixe l'empêchement dans chacune des activités habituelles conformément à la circulaire concernant l'invalidité et l'impotence de l'assurance-invalidité. La mise en oeuvre d'une enquête ménagère n'est toutefois pas imposée par le droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 99/00 du 26 octobre 2000 consid. 3c in VSI 2001 p. 155). Il n'y a pas lieu de procéder à un acte administratif qu'une appréciation anticipée des preuves désigne clairement comme inutile (arrêt du Tribunal fédéral 9C_103/2010 du 2 septembre 2010).

c. Pour la part professionnelle, le degré d'invalidité doit être évalué sur la base d'une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l'assuré aurait pu réaliser s'il n'était pas invalide est comparé avec celui qu'il pourrait obtenir en exerçant l'activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 8 al. 1 et art. 16 LPGA).

11.    En l'espèce, la recourante a un statut mixte (80,52% part professionnelle, 19,48% part ménagère). Elle est incapable de travailler à 100% dans la sphère professionnelle, de sorte que son taux d'invalidité dans cette sphère est de 80,52%. Il n'y a pas lieu de déterminer sa capacité de travail dans la sphère ménagère, car même si on retenait qu'elle était totalement capable de faire ses activités ménagères, son taux d'invalidité global serait de 80,52%, ce qui lui ouvrirait le droit à une rente entière d'invalidité, étant rappelé qu'en vertu de l'art. 28 al. 2 LAI, l'assuré a droit à une rente entière s'il est invalide à 70% au moins.

Le droit à la rente de la recourante est né le 1er décembre 2016, soit le 1er jour du mois au cours duquel s'est terminé le délai d'un an après le début de l'incapacité totale de travail durable (décembre 2015 selon les experts), étant relevé que le délai six mois après le dépôt de la demande de prestations, qui est intervenu le 8 janvier 2016, s'est achevé en juillet 2016

En conclusion, la recourante a droit à une rente entière d'invalidité dès le 1er décembre 2016.

12.    Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision du 3 mars 2017 sera annulée.

13.    La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 3'000.- lui sera accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en matière administrative du 30 juillet 1986 [RFPA - E 5 10.03]).

14.    Au vu du sort du recours, il y a lieu de condamner l'intimé au paiement d'un émolument de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

A la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet.

3.        Annule la décision du 3 mars 2017.

4.        Dit que la recourante a droit à une rente entière d'invalidité dès le 1er décembre 2016.

5.      Alloue à la recourante, à la charge de l'intimé, une indemnité de CHF 3'000.- à titre de dépens. *Rectification d'une erreur matérielle le 12.10.2020/BRC/mhw

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'intimé.

7.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Isabelle CASTILLO

 

La présidente

 

 

 

 

Catherine TAPPONNIER

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le