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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/182/2005

ATAS/325/2005 du 20.04.2005 ( AF ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/182/2005 ATAS/325/2005

ARRET

DU TRIBUNAL CANTONAL DES

ASSURANCES SOCIALES

5ème chambre

du 20 avril 2005

 

 

En la cause

 

 

 

Madame G__________,

recourante

 

 

 

contre

 

 

 

CAISSE CANTONALE GENEVOISE DE COMPENSATION,

Caisse d’allocations familiales des administrations et institutions

cantonales (CAFAC), sise route de Chêne 54 à Genève

intimée

 


EN FAIT

1. Le 25 juin 2004, Madame G__________ a formé une demande d’allocations familiales pour son fils Valentin, né le 21 mai 2003 et dont le père est Monsieur F__________. Les parents ne sont pas mariés, mais font ménage commun. Ils habitent dans le canton de Genève.

2. L’intéressée travaille en qualité d’enseignante à Genève, tandis que le père de l’enfant est salarié dans le Canton de Vaud.

3. Par décision du 10 août 2004, le Service d’allocations familiales de la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après : la caisse) a refusé la demande d’allocations familiales au motif que le concubin de l’intéressée était salarié d’un employeur domicilié dans le canton de Vaud et qu’à ce titre il devait percevoir l’intégralité des prestations du régime vaudois.

4. Le 2 septembre 2004, l’intéressée a formé opposition à cette décision, en faisant valoir qu’elle était salariée d’une entreprise genevoise et que le domicile familial était dans le Canton de Genève. Elle a ainsi estimé qu’elle avait droit aux allocations familiales de ce canton, en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral (TF). Elle a également relevé qu’elle exerçait seule l’autorité parentale sur son fils.

5. Par décision sur opposition du 23 décembre 2004, la caisse a rejeté l’opposition de l’intéressée après avoir constaté qu’elle était en principe assujettie à la loi genevoise et qu’il n’y avait pas de concordat en matière d’allocations familiales entre le Canton de Vaud et le Canton de Genève. Elle a considéré que l’arrêt du TF du 11 juillet 2003, selon lequel le règlement européen 1408 devait être appliqué par analogie pour déterminer le canton compétent pour verser des allocations familiales lorsque les deux parents travaillaient dans deux cantons différents, ne trouvait pas application dans le cas d’espèce, dans la mesure où ni la législation genevoise ni celle du Canton de Vaud ne consacrait une discrimination entre homme et femme, comme cela avait été le cas dans la cause jugée par le TF.

6. Le 21 janvier 2005, l’intéressée a recouru contre cette décision en concluant à son annulation et l’octroi des allocations familiales pour son fils, tout en reprenant son argumentation antérieure. Elle a également souligné qu’elle détenait seule l’autorité parentale sur son enfant, ce qui lui donnait légalement la priorité pour toucher les allocations familiales.

7. Dans sa détermination du 17 février 2005, l’intimée a conclu au rejet du recours pour les motifs déjà développés.

 

 

EN DROIT

La loi genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ) a été modifiée et a institué, dès le 1er août 2003, un Tribunal cantonal des assurances sociales, composé de 5 juges, dont un président et un vice-président, 5 suppléants et 16 juges assesseurs (art. 1 let. r et 56 T LOJ).

Suite à l’annulation de l’élection des 16 juges assesseurs, par le Tribunal fédéral le 27 janvier 2004 (ATF 130 I 106), le Grand Conseil genevois a adopté, le 13 février, une disposition transitoire urgente permettant au Tribunal cantonal des assurances sociales de siéger sans assesseurs à trois juges titulaires, ce, dans l’attente de l’élection de nouveaux juges assesseurs.

2. Conformément à l'art. 56 V al. 2 let. e LOJ, le Tribunal cantonal des assurances sociales connaît en instance unique des contestations prévues à l’article 38 de la loi cantonale sur les allocations familiales du 1er mars 1996 (LAF). Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

3. L’art. 2 LAF définit le cercle des assujettis comme suit :

a) les personnes salariées au service d’un employeur tenu de s’affilier à une caisse d’allocations familiales ou d’un employeur de personnel de maison domicilié dans le canton;

 

b) les personnes, domiciliées dans le canton, qui exercent une activité indépendante ou qui paient des cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants en tant que salariés d’un employeur non tenu de cotiser;

 

c) les personnes sans activité lucrative, domiciliées dans le canton et assujetties à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants, du 20 décembre 1946.

 

Selon l’art. 3 LAF :

1 Une personne assujettie à la loi peut bénéficier des prestations si elle a la garde d’un ou de plusieurs enfants ou si elle exerce l’autorité parentale ou encore si elle en assume l’entretien de manière prépondérante et durable.

 

4. En l’espèce, la recourante exerce une activité salariée au service d’un employeur assujetti à la LAF et réalise les conditions de l’art. 3 al. 1 de cette loi. Elle peut de ce fait prétendre aux allocations familiales genevoises.

La caisse a cependant rejeté sa demande au motif qu’il appartient au père de l’enfant, travaillant dans le canton de Vaud, de revendiquer les allocations familiales.

5. Aux termes de l’art. 9 LAF :

1 Le même enfant ne donne pas droit à plus d’une allocation du même genre.

 

2 Sous réserve des dispositions particulières du règlement d’exécution ou des conventions et accords visés à l’article 45, alinéa 2, les allocations prévues par la présente loi ne sont pas dues si le même enfant ouvre droit à des prestations familiales en vertu d’une autre législation ou de rapports de service régis par le droit public interne ou international.

L’art. 9 al. 2 LAF n’a donné lieu à aucun débat lors de son adoption par le Grand Conseil (cf. Mémorial du Grand Conseil 1996, p. 1244). Le but de cette disposition vise à éviter le cumul de prestations et à empêcher que les parents puissent choisir, à leur gré, le régime le plus favorable ou passer d’un régime à l’autre suivant les prestations qu’ils désirent obtenir. C’est ainsi que la Commission de recours en matière d’allocations familiales (CRAF), compétente jusqu’au 31 juillet 2003, avait tranché les conflits positifs de compétence en appliquant le principe de la priorité dans le temps (cf. notamment jugement CRAF du 26 février 1999 en la cause L.C. et jugement du 11 avril 2003 cause N.B.). Une telle jurisprudence était satisfaisante dans la mesure où elle permettait d’éviter que les parents recevant jusque-là des allocations d’un canton puissent être dorénavant mis au bénéfice d’allocations d’un autre canton, au motif que celles-ci étaient plus élevées.

Le cas d’espèce est différent. Aucune allocation n’a encore été versée à la recourante et à son concubin. Ce dernier n’a du reste revendiqué aucune prestation de la caisse vaudoise. On ne peut dès lors appliquer le principe de la priorité dans le temps.

6. La recourante se réfère expressément à un arrêt rendu par le Tribunal fédéral le 11 juillet 2003, dans lequel celui-ci a appliqué par analogie la législation européenne selon laquelle, lorsque les deux parents travaillent dans deux pays différents, c’est le pays de résidence des enfants qui est compétent pour verser les prestations familiales (ATFA – 2P.131). C’est en effet une telle règle qui est prise en considération lorsque les parents travaillent l’un dans le canton de Genève et l’autre en France. En l’espèce cependant, la recourante travaille à Genève et son époux dans le canton de Vaud. Aucun concordat n’a été conclu entre les deux cantons.

Il y a ainsi lieu d’examiner ici si la législation européenne s’applique par analogie lorsque les deux parents travaillent dans deux cantons différents et qu’aucun concordat ne règle la question d’un conflit positif de compétence.

Dans son arrêt du 11 juillet 2003, le Tribunal fédéral a clairement déclaré que les dispositions européennes exerçaient une influence directe sur la Suisse non seulement dans ses relations avec les autres Etats européens, mais également dans les relations intercantonales. Aussi a-t-il jugé qu’il se justifiait d’appliquer par analogie la législation européenne dans le cas de parents travaillant dans des cantons différents, considérant en outre qu’il était logique d’accorder la priorité au lieu de résidence des enfants, puisque c’est là que se trouvait le centre des intérêts du couple et là qu’ils dépensaient d’une façon générale.

Le Tribunal de céans constate au surplus que selon l’art. 3a al. 4 du projet de loi modifiant la loi sur les allocations familiales, actuellement en consultation, dont le titre est « concours intercantonal » :

« En application, par analogie, des règles de coordination découlant de l’Accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, l’ordre de priorité est le suivant :

 

a) le canton dans lequel est exercée l’activité lucrative est compétent pour verser les allocations familiales ;

 

b) lorsque les deux parents exercent une activité lucrative dans différents cantons et remplissent dans chacun des cantons les conditions d’ouverture du droit aux prestations, il appartient au canton de domicile des enfants de verser les allocations familiales. L’autre canton doit, le cas échéant, payer un complément différentiel si ses prestations sont plus élevées que celles du canton de domicile des enfants ».

 

Ainsi, le Tribunal de céans a jugé que, lorsque les parents travaillaient dans des cantons différents, le pays de résidence de l’enfant était compétent pour verser des allocations familiales (arrêt du TCAS du 5 avril 2005, ATAS/267/2005, p. 4 s).

7. La recourante a également invoqué, à l’appui de son recours, l’art. 3 al. 2 LAF, lequel est ainsi libellé :

Si deux personnes assujetties à la loi remplissent à l’égard du même enfant, les conditions de l’al. 1er , le droit aux prestations appartient, par ordre de priorité :

 

a) à la personne qui a la garde ;

 

b) à la personne qui exerce l’autorité parentale ;

 

c) à la personne qui assume son entretien de manière prépondérante et durable.

 

A priori, cette disposition n’est pas applicable à la recourante, dans la mesure où elle vise l’hypothèse où les deux parents sont assujettis à la LAF et remplissent à l’égard du même enfant les conditions ouvrant le droit aux allocations familiales. Or, le père de l’enfant n’est en l’occurrence pas assujetti à cette loi, étant donné qu’il travaille dans le canton de Vaud. Toutefois, il y a lieu d’appliquer par analogie l’ordre de priorité consacrée par cette disposition légale, lorsque seul l’un des parents a l’exercice de l’autorité parentale sur l’enfant, ainsi que sa garde et que les parents travaillent dans des cantons différents. En effet, il convient de considérer dans ce cas que les mêmes motifs qui ont incité le législateur à donner dans ce cas la priorité au parent détenteur de l’autorité parentale, sont valables.

Par conséquent, le droit aux allocations familiales peut également être reconnu à la recourante en application par analogie de l’art. 3 al. 2 LAF.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis.

 

 


 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL CANTONAL DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

(conformément à la disposition transitoire de l’art. 162 LOJ)

 

A la forme :

Déclare le recours recevable.

Au fond :

L’admet.

Annule la décision sur opposition du 23 décembre 2004 de la Caisse cantonale genevoise de compensation ;

Octroie à Madame G__________ les allocations familiales pour son fils Valentin.

Dit que la procédure est gratuite.

 

 

La greffière:

 

 

Yaël BENZ

 

 

 

 

La Présidente :

 

 

Maya CRAMER

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le