Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/134/2024

ATA/509/2025 du 06.05.2025 sur JTAPI/1266/2024 ( LCI ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/134/2024-LCI ATA/509/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 mai 2025

3ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Me Christian D'ORLANDO, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OAC intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2024 (JTAPI/1266/2024)


EN FAIT

A. a. A______ SA (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) depuis le 19 novembre 2020, a pour but de dispenser des cours, toutes prestations et tous conseils en sécurité au travail, appel à des médecins et autres spécialistes de la sécurité au travail (ci-après : MSST), incendie, environnement et ergonomie, suivi de chantier et importation et commercialisation de tout produit y relatif.

b. B______ SA (ci-après : B______) inscrite au RC depuis le 20 mars 1997, a pour but la budgétisation, la planification, l’organisation et la surveillance de travaux de construction pour le compte de tiers.

c. C______ SA (ci-après : C______) a mandaté B______ et A______ pour assurer la direction des travaux, respectivement coordonner la sécurité du chantier, en lien avec l’APA 1______ du 26 novembre 2020 ayant pour objet la rénovation, l’agrandissement et la transformation de la superstructure climatisation de l’immeuble sis, ______, rue D______ à Genève.

d. Le 8 juin 2021, C______ et A______ ont conclu un contrat par lequel cette dernière offrait ses services de coordinatrice sécurité sur le chantier précité.

À teneur de ce contrat, A______ devait analyser le dossier et les conditions de sécurité, participer à l'élaboration des offres et comparaison, émettre des principes de sécurité pour chaque phase du projet et éditer un contrat de coordination de la sécurité, un plan général d'hygiène, de sécurité et de l'environnement.

Durant la phase d'exécution, A______ devait analyser les plans d'hygiène et de sécurité de chaque adjudicataire et sous-traitant, demander une étude des modes opératoires exigés pour les activités présentant des risques particuliers, étudier les risques de coactivité et mettre en œuvre des procédures et la planification pour les gérer, procéder à des audits de sécurité sur le site de façon périodique pour vérifier le respect des mesures de prévention définies en amont, proposer des adaptations aux mesures de prévention ou de planification des activités pour réduire les risques d'accidents détectés, participer aux rendez-vous de chantier selon les besoins, organiser et tenir des séances de sécurité spécifiques et analyser les incidents et accidents.

e. F______, administrateur et employé de la société G______ SA était le mandataire professionnellement qualifié (ci-après : MPQ) du chantier.

f. Le 9 juin 2022, un représentant du département de la sécurité et de l'économie a participé à une réunion de chantier organisée par B______ et, à la suite de cette dernière, a validé son mode opératoire.

g. Le 17 août 2022, à l’occasion d’un contrôle effectué sur le chantier, un inspecteur a constaté que H______, employé par l'entreprise I______ SA (ci-après : I______), était aux commandes d'un monte‑charge ou personnes sans être au bénéfice du permis de machiniste réglementaire.

h. Par décision du 23 août 2022, le département du territoire (ci-après : le département) a ordonné à B______ de rétablir une situation conforme au droit, soit la conduite d’un monte‑charge ou personnes par une personne au bénéfice du permis requis. Un délai de dix jours lui était imparti pour faire valoir ses observations quant à l’infraction constatée.

i. Le 26 août 2022, B______ a exposé l’ensemble des mesures de sécurité prises entre les 28 février et 17 août 2022. L’ouvrier en question avait été inscrit sur les listes afin de suivre la formation et d’obtenir le permis considéré. L’ensemble des règles de sécurité, notamment celle du permis M1, étaient inscrites dans le livret d’accueil sécurité du chantier qui était transmis à chaque entreprise à son arrivée. Elle rappelait également ces règles chaque semaine dans le procès-verbal de chantier.

j. Par décision du 21 septembre 2022, le département a prononcé une amende de CHF 2000.- à l'encontre d’B______, au motif que les prescriptions de sécurité en matière de chantiers avaient été enfreintes, soit en particulier l'art. 233 du règlement sur les chantiers du 30 juillet 1958 (RChant - L 5 05.03).

k. Cette décision a été annulée par jugement du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) JTAPI/625/2023 du 1er juin 2023, entré en force.

Le fait, pour B______, d’avoir instruit, de manière générale, les entreprises sur les mesures à prendre et à respecter était suffisant, dans la mesure où c’était ensuite au coordinateur sécurité qu’il incombait de s’assurer du respect des consignes de sécurité sur le chantier, son mandat portant précisément sur cela. B______ avait pris toutes les mesures commandées par les circonstances, le respect des prescriptions relatives à la sécurité sur le chantier relevant, dans le cas particulier de l’engagement d’un coordinateur de sécurité et non plus de la direction des travaux, soit en l’espèce A______. Les mandats spécifiques des entreprises étaient au surplus connus du département.

l. Le 18 septembre 2023, le département a imparti un délai de dix jours à A______ pour faire valoir ses observations quant à l'irrégularité constatée le 17 août 2022.

m. A______ a expliqué que la nature de son mandat était celui de conseil du maître d'ouvrage. Elle n'était pas responsable de la sécurité du chantier ni du suivi de la sécurité. Elle n'avait pas un contrat de collaboration avec B______ qui lui aurait confié la sécurité du chantier. Son mandat était strictement interne, avec le maître d'ouvrage. Son cahier des charges répondait à la Directive CFST 6508 au même titre que chaque chargé de sécurité ou spécialiste de la sécurité au travail et de la protection de la santé (ci-après : STPS) de chaque entreprise. Elle n'avait aucune légitimité pour intervenir directement auprès des entreprises sur le chantier ou auprès d'B______. Ces prérogatives appartenaient à B______ seule, en sa qualité de direction des travaux dont les prestations incluaient le respect des prescriptions de sécurité de chantier et architecte MPQ. Toutes les prestations de direction des travaux étaient restées sous sa responsabilité. Elle avait régulièrement effectué des rappels aux entreprises concernées s'agissant de leurs obligations, par le biais d'un livret d'accueil. Concernant J______, un rappel sur l'obligation de posséder un permis M1SO pour la conduite du monte-charge lui avait été envoyé le 22 avril 2022.

n. Par décision du 27 novembre 2023, le département a prononcé une amende de CHF 2000.- à l'encontre de A______, au motif que les prescriptions de sécurité en matière de chantiers avaient été enfreintes, en particulier l'art. 233 RChant.

B. a. Par acte du 12 janvier 2024, A______ a recouru auprès du TAPI contre cette décision, concluant à son annulation. Préalablement, elle a implicitement sollicité l'audition de K______, adjoint de direction et responsable sécurité physique d'C______ et de L______, son président et administrateur.

Le 2 mars 2022, immédiatement après l'ouverture du chantier, elle avait organisé une séance de présentation du livret d'accueil santé et sécurité (ci-après : le livret), contenant l'ensemble des consignes de sécurité et de santé qui mentionnait notamment : « je porte toujours sur moi le permis correspondant à l'engin que j'utilise » et que l’ouvrier était obligé d'annoncer son arrivée sur le chantier à la loge. B______ et I______ avaient assisté à cette séance. Par courriel du même jour, elle avait transmis le livret à B______, en lui demandant de bien vouloir en prendre connaissance, de le transmettre à l'ensemble des personnes présentes lors de la séance et de la mettre en copie afin d'avoir tous les contacts.

Elle n'avait commis aucune faute et n'était pas en charge de la direction du chantier, tâche qui incombait à B______ seule. Cette dernière disposait d'ailleurs du livret ce qui lui permettait d'agir auprès des entreprises afin qu'elles respectent les règles édictées. Elle avait été mandatée par le maître d'ouvrage afin d'édicter un plan de sécurité et de prévention des accidents à remettre à la direction des travaux pour le suivi sur place avec les entreprises. Elle avait rappelé à plusieurs reprises à B______ et aux nouvelles entreprises intervenant sur le chantier qu'elles devaient remettre copie des permis des personnes utilisant le monte-charge. Il ne lui appartenait pas de se rendre quotidiennement sur place pour assurer le respect des normes de sécurité et/ou de contrôler les permis des personnes utilisant le monte-charge, tâche qui incombait à la direction des travaux présente sur place quotidiennement. Suivre la position de l'autorité intimée reviendrait à faire assumer une sorte de responsabilité causale à toute personne présente sur le chantier en lien direct ou indirect avec la sécurité et ce, quelles que soient les mesures préventives qui auraient été prises. On ne pouvait retenir une causalité adéquate entre son comportement et celui de H______. I______ avait été suffisamment rendue attentive à la nécessité de ne laisser qu'aux seuls détenteurs de permis le droit d'utiliser le monte-charge. Entre le 2 mars et le 17 août 2022, elle avait rappelé à plusieurs reprises à B______ qu'elle devait veiller à se faire remettre tous les permis des utilisateurs du monte‑charge. On ne pouvait attendre d'elle, qui ne devait se rendre sur place qu'une fois par semaine, qu'elle découvre inopinément et fortuitement que H______ utilisait le monte-charge sans permis. Dès lors, l'amende querellée devait être annulée.

Si par impossible, le principe d'une sanction administrative devait être retenu, sa quotité devait être abaissée à CHF 100.-. La sanction n'avait pas été individualisée par rapport au comportement et à la responsabilité de chacune des parties puisque l'auteur direct, soit I______, s'était vu infliger une amende de CHF 2'000.-, tout comme le MPQ. Elle avait pris toutes les mesures entrant dans le cadre de son mandat. Seule une négligence légère pouvait être retenue à son encontre.

Elle a transmis un chargé de pièces dont :

-          un courriel du 3 mars 2022 d'B______ communiquant le livret aux entreprises en leur demandant de le renvoyer signé à B______ et A______ ; une copie des permis monte-charge devait aussi être transmis ;

-          son courriel du 1er avril 2022 par lequel elle convoquait les entreprises à un point sécurité le 6 avril 2022, concernant le monte-charge et l'échafaudage ; la séance avait notamment pour but d'instruire le personnel utilisant le monte‑charge sur les règles et dispositifs de sécurité, commandes et chargement ; elle demandait à B______ de lui transmettre les permis M1SO de tous les utilisateurs du monte-charge car elle n'avait reçu que celui de Monsieur M______ pour N______ SA et d'avertir les entreprises utilisatrices pour que le personnel soit présent à la séance ;

-          son courriel du 7 avril 2022, adressé notamment à B______, où il est indiqué : « Permis MC : merci à toutes les entreprises utilisatrices du MC de fournir les permis des personnes compétentes » ;

-          son courriel du 22 avril 2022 adressé notamment à B______ et J______, où il est indiqué : « Si vous deviez utiliser le monte-charge merci de nous fournir le permis M1SO de la personne utilisatrice » ;

-          ses rapports de contrôle santé et sécurité des 22 février et 24 août 2022 où elle est mentionnée comme « auditrice » et indiqué qu'il fallait prendre les mesures immédiates afin de corriger les situations conformément à la législation et lui retourner la confirmation d'exécution dans les cinq jours ; dans celui daté du 24 août 2022, il est mentionné en page 5, qu'une personne sans permis M1SO avait été identifiée, que des mesures de contrôle d'accès supplémentaires avaient été définies par C______ et qu'il fallait rappeler à toutes les entreprises que le permis M1SO était obligatoire pour utiliser le monte-charge, sans exception.

b. Le 18 mars 2024, le département a conclu au rejet du recours.

Il ressortait du contrat que A______ était responsable de la sécurité du chantier. Elle était intervenue non seulement dès la phase de préparation du chantier, durant laquelle elle était manifestement chargée de définir des mesures de prévention des risques et de sécurité du chantier mais également lors de son exécution où elle était chargée du suivi de mise en œuvre des mesures de sécurité qu'elle avait édictées. Son activité de coordinateur sécurité entrait donc dans le champ d'application du RChant, dont son art. 233 qui disposait que la conduite des monte-charges était subordonnée à la possession d'un permis. Le livret qu’elle disait avoir remis indiquait uniquement que les machinistes devaient porter leur permis sur eux mais non que la conduite des machines était soumise à l'obligation d'être au bénéfice d'un tel permis. Il lui appartenait de vérifier que l'obligation d'être en possession d'un permis était bien respectée et d'assurer les contrôles nécessaires à cette fin. Il ressortait de ses rapports, qu'elle enjoignait à la direction des travaux et au MPQ de prendre immédiatement les mesures nécessaires afin de corriger les situations constatées, avec confirmation d'exécution sous cinq jours.

Il a notamment produit :

-          un courriel d'B______ à I______ du 31 mars 2022 indiquant : « il me faut d'ici ce soir le permis feu, la liste des collaborateurs allant travaillé sur site, la déclaration de confidentialité et la copie de leur carte d'identité » ;

-          la réponse du même jour d'I______ à B______, avec les documents sollicités en pièces jointes, dans lequel il est notamment indiqué que H______ allait intervenir sur le chantier la semaine suivante ;

-          l'envoi par B______ à A______ le 6 avril 2022 des deux précédents courriels, avec la mention : « Voici le permis feu d'I______ en question pour demain !! Merci d'avance pour la validation » ;

-          la réponse de A______ à B______ du 6 avril 2022 dans lequel il est notamment indiqué : « en parallèle du permis feu, je t'invite à leur transmettre ou retransmettre le livret d'accueil et il faut leur demander qu'ils instruisent bien leur personnel. Registre de formation à retourner signer ».

c. Le 18 avril 2024, A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle était intervenue comme coordinateur de sécurité et de santé uniquement dans la phase d'étude du projet et non dans la phase d'exécution, tâche confiée à B______. Durant la phase d'exécution, elle était intervenue comme conseiller au maître de l'ouvrage. À ce titre, elle se rendait sur le chantier à raison d'une heure par semaine et rédigeait un audit sécurité à un instant T qu'elle remettait au maître d'ouvrage et à B______, à charge pour cette dernière d'appliquer les mesures qu'elle avait préconisées.

Son droit d'être entendue avait été violé car elle n'avait pas été invitée à participer à la procédure opposant B______ à l'autorité intimée, lors de laquelle ses modalités d'intervention avaient été largement exposées entre les parties, sans qu'elle ait eu l'occasion de les contester.

À suivre l'autorité, le seul fait qu'une direction des travaux soit négligente entraînerait une responsabilité du mandataire de sécurité dont la mission serait d'établir des audits de sécurité pour le maître d'ouvrage. Ainsi, quelles que soient les mesures prises, elle devenait punissable pour ne pas avoir constaté une infraction. Autant dire que le métier de conseil à la sécurité serait voué à disparaître dans le canton de Genève si à chaque infraction, le mandataire censé remettre un cahier des charges aux intervenants se voyait systématiquement condamner à une amende de CHF 1'000.-. Dans le cas d'espèce, les auteurs de l'infraction étaient H______, employé d'I______, cette dernière dûment informée de ses obligations, et B______. Il était incompréhensible que la direction des travaux ait pu se dédouaner de ses obligations vis-à-vis du TAPI. L'amende aurait dû être infligée à H______, puis éventuellement à I______, puis encore à la direction des travaux.

d. Le 21 mai 2024, le département a dupliqué.

A______ assurait aussi durant la phase d'exécution le suivi de la mise en œuvre des mesures de sécurité qu'elle avait édictées durant la phase de préparation. Il ne cherchait pas à instaurer une responsabilité causale objective pour tous les coordinateurs de sécurité puisque son analyse se fondait sur un cas concret. Une amende avait également été infligée à I______ et B______, ce qui n'excluait pas le prononcé d'une sanction contre A______ dont la faute était tout aussi grave.

e. Le 27 mai 2024, A______ a sollicité formellement l'audition des parties et de K______, vu les explications données quant au rôle que le département lui attribuait.

f. Par jugement du 19 décembre 2024, le TAPI a écarté la demande d’actes d’instruction et rejeté le recours.

Son droit d’être entendue n’avait pas été violé. La précédente procédure visait uniquement les agissements d'B______ et non pas les éventuels manquements de A______, sans qu'il y ait de conséquences sur sa situation propre vu que celle‑ci était examinée pour elle-même dans la procédure où elle avait pleinement exercé son droit d'être entendue. Il n'y avait donc pas lieu pour le département ni pour le TAPI de l'inviter à se déterminer ou de l'appeler en cause. D'éventuelles fautes concomitantes, comme dans la situation d'espèce, ne suffisaient pas à interrompre le lien de causalité ni ne pouvaient exclure sa propre faute, qu'il y avait lieu d'examiner dans une procédure dirigée à son encontre, ce que le département avait fait, à juste titre. Il n'existait pas de compensation des fautes.

Elle était responsable de s’assurer que les normes de sécurité étaient effectivement respectées. Elle devait émettre des principes de sécurité pour chaque phase du projet et éditer un plan général de sécurité. Durant la phase dite d'exécution, elle devait notamment étudier les risques de coactivité et mettre en œuvre des procédures et de la planification pour les gérer, procéder à des audits sécurité sur le site pour vérifier le respect des mesures de prévention, proposer des adaptations aux mesures de prévention ou de planification des activités et organiser et tenir des séances de sécurité spécifiques. Elle avait notamment édité le livret, l'avait communiqué aux entreprises intervenantes soit directement soit par le biais d'B______, avait exigé, à plusieurs reprises, que celui-ci lui soit retourné signé et que les permis monte‑charge et feu lui soient transmis, tout comme la liste des collaborateurs prévoyant de travailler sur le chantier. Il en allait de même s'agissant du registre de formation. Elle avait également tenu une séance dédiée spécifiquement à l'utilisation du monte-charge et exigé dans ses rapports de contrôle qu'une confirmation d'exécution des mesures à corriger lui soit envoyée dans les cinq jours. Ainsi, elle était clairement chargée de contrôler si les règles de sécurité étaient respectées sur le chantier en cours ou avait, à tout le moins de fait, pris cette position. Elle avait demandé à plusieurs reprises de se voir remettre les permis de divers intervenants sur le chantier et l'identité de ceux-ci. B______ lui avait envoyé le permis feu d'I______ le 6 avril 2022, en lui demandant formellement sa validation et elle avait écrit aux entreprises le 1er avril 2022 aux fins d'obtenir les permis M1SO car elle n'avait reçu que celui de M______ pour N______ SA, démontrant de la sorte qu'elle procédait aux vérifications utiles.

Elle avait manqué à ses obligations et commis l’infraction constatée. Sachant que H______ allait intervenir sur le chantier au vu du courriel du 6 avril 2022, il lui appartenait de vérifier s'il était en possession du permis obligatoire pour utiliser le monte-charge, tout comme elle l'avait fait pour les ouvriers O______, P______, Q______, M______ et R______. Si elle n'entendait pas vérifier elle-même les permis des utilisateurs du monte-charge, il lui appartenait de prévoir clairement dans ses procédures de sécurité qui devait les contrôler, à quel moment et comment, ce qu'elle n'avait pas fait. Il n'était pas suffisant de prévoir dans le livret que les ouvriers devaient toujours porter sur eux le permis correspondant à l'engin ni d'organiser une séance sur l'utilisation du monte-charge après avoir constaté des carences. Il ne s'agissait pas de mesures permettant de vérifier si les utilisateurs du monte-charge possédaient le permis requis mais d'instructions générales sur son utilisation.

Les manquements se rapportaient à des règles essentielles visant à assurer la sécurité d'un chantier aux fins de prévenir des risques d'accidents potentiellement très graves pour les ouvriers y travaillant, voire fatals, ce qui justifiait en soi le prononcé d'une amende élevée. En l'espèce, l'amende se situait très bas dans la fourchette prévue par la loi. Par ailleurs, la peine avait été individualisée puisque le département l'avait fixée en tenant compte de la culpabilité et de la situation personnelle de A______. Une peine était individualisée si elle se rapportait aux circonstances de l'infraction et à la personnalité de son auteur, ce qui était le cas en l'espèce, et non en fonction du comportement et de la responsabilité de chaque auteur. Le montant arrêté à CHF 2'000.- apparaissait adéquat et respectait le principe de proportionnalité, A______ n'alléguant pas que son paiement l'exposerait à une situation financière difficile.

C. a. Par acte remis au greffe le 31 janvier 2025, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au TAPI pour nouvelle décision. Plus subsidiairement, le montant de l’amende devait être ramené à CHF 100.-.

Son droit d’être entendue avait été violé. Le TAPI avait refusé l’audition des témoins C______ et L______, lesquels auraient pu confirmer le rôle qu’elle assumait effectivement sur le chantier. Elle aurait dû être appelée en cause dans la précédente procédure ouverte à la suite du recours d’B______. Cette dernière avait en effet pu se disculper « sur son dos ». Le TAPI avait tenu pour avérés les faits exposés par B______ sans qu’elle ait pu exposer sa position. L’annulation de l’amende se fondait sur le constat erroné qu’B______ avait confié la sécurité du chantier à une entreprise spécialisée.

Le jugement violait le droit et appréciait les faits de manière erronée. Le TAPI avait établi incorrectement son rôle. Son appréciation découlait à l’évidence de son précédent jugement exculpant B______. Seule B______ était en charge de l’accueil sécurité des entreprises et des collaborateurs sur le site et devait s’assurer que ceux‑ci étaient titulaires des permis correspondant à leurs tâches. Elle n’était présente sur le site qu’une heure par semaine et il ne lui appartenait de s’assurer que les permis nécessaires lui étaient bien remis que pour autant qu’elle ait été informée par la direction des travaux que telle ou telle personne entrant sur le site allait accomplir une tâche nécessitant un permis. Si elle avait requis les permis des ouvriers O______, P______, Q______, M______ et R______, c’était justement parce qu’elle savait que ceux‑ci allaient être éventuellement occupés à des tâches nécessitant la titularité d’un permis. Tel n’était pas le cas pour H______.

Aucune faute ne pouvait lui être imputée. Les pièces produites montraient à elles seules qu’I______ était parfaitement informée sur la nécessité de ne laisser qu’aux détenteurs de permis le droit d’utiliser le monte‑charges. Elle avait rappelé à plusieurs reprises à B______ qu’elle devait veiller à se faire remettre les permis, ce qu’B______ avait fait. On ne pouvait attendre d’elle, alors qu’elle n’était qu’une heure par semaine sur le chantier, qu’elle découvre que H______ utilisait le monte‑charge sans permis. Il y avait une rupture de causalité entre son comportement et les éléments constitutifs de l’infraction commise de H______.

La quotité de l’amende était disproportionnée. Le même montant avait été infligé à I______ et B______ alors même que les comportements n’étaient pas identiques et que la faute prépondérante si ce n’est exclusive était d’abord celle d’I______ et de son employé, ce qui était d’autant plus vrai que H______ était inscrit pour la formation visant à l’obtention du permis.

b. Le 5 mars 2025, le département a conclu au rejet du recours.

La recourante n’avait pas attaqué le jugement du TAPI exonérant B______. La procédure ne visait que les agissements d’B______ et non les manquements de la recourante, sans qu’il y ait de conséquences sur sa situation. La faute d’I______ ne pouvait exclure la sienne. Les fautes étaient concomitantes.

c. Le 14 mars 2025, la recourante a renoncé à répliquer.

d. Le 17 mars 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

e. Il sera revenu en tant que de besoin dans la partie en droit sur les arguments et pièces produits par les parties.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Dans un premier grief, d’ordre formel, qu’il y a lieu d’examiner préalablement, la recourante se plaint de la violation de son droit d’être entendue.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit à l’audition orale ni à celle de témoins (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 L’art. 71 al. 1 LPA prévoit que l’autorité peut ordonner, d’office ou sur requête, l’appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d’être affectée par l’issue de la procédure ; la décision leur devient dans ce cas opposable.

Il ressort de la lettre de l’art. 71 LPA que l’autorité saisie a la faculté d’ordonner l’appel en cause, d’office ou sur requête, mais qu’elle n’en a pas l’obligation (arrêt du Tribunal fédéral 9C_127/2021 du 22 août 2012 consid. 4), sauf lorsque le tiers dispose d’un intérêt digne de protection, son droit à l’appel en cause découlant alors directement des art. 89 et 111 LTF (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2 ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, op. cit., n. 904, p. 239).

2.3 En l’espèce, la recourante se plaint en premier lieu de ne pas avoir été appelée en cause dans la procédure ayant conduit au jugement JTAPI/625/2023 du 1er juin 2023 qui a annulé l’amende infligée à B______.

Le grief de violation du droit d’être entendue soulevé par la recourante ne peut porter que sur des actes et des omissions accomplis durant l’instruction ayant conduit à la décision querellée. Or, le fait de ne pas avoir appelé en cause la recourante dans la précédente procédure n’entre pas dans l’instruction de la décision du 17 novembre 2023 contestée dans la présente procédure. À cela s’ajoute que la recourante n’a été interpellée par le département que le 18 septembre 2023.

Cela étant, la recourante n’avait à l’époque fait l’objet d’aucune sanction de la part du département et il ne ressort pas du dossier qu’elle était déjà visée par une instruction – ce n’est en effet que le 18 septembre 2023 que le département allait l’interpeller. Le TAPI n’était saisi que de la sanction frappant B______, de sorte que la position juridique de la recourante était exorbitante à l’objet du litige. On ne voit pas pour le surplus que la décision du TAPI, de confirmer ou d’annuler l’amende d’B______, eût pu être opposable à la recourante. Le TAPI n’avait donc pas à l’appeler en cause.

Le grief est irrecevable.

2.4 En second lieu, la recourante reproche au TAPI de ne pas avoir entendu deux témoins.

Or, il sera vu plus loin que le dossier ne permet pas d’établir la responsabilité de la recourante de contrôler qu’à son arrivée sur le chantier que H______ était bien titulaire du permis de machiniste sur monte-charge.

Les pièces au dossier suffisant pour exclure la responsabilité de la recourante, l’audition des témoins n’était pas nécessaire.

3.             Le litige porte sur le bien-fondé de l’amende infligée à la recourante.

3.1 Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 LPA). La chambre administrative n'a toutefois pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

3.2 Le Conseil d'État fixe par règlements les dispositions relatives à la sécurité et à la salubrité sur les chantiers (art. 151 let. d de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05).

3.3 La prévention des accidents sur les chantiers et les mesures à prendre pour assurer la sécurité des travailleurs, du public, des ouvrages et de leurs abords sont réglées par les dispositions du RChant.

Celui-ci a connu une refonte totale le 15 janvier 2025, laquelle est entrée en vigueur le 22 janvier 2025. Les dispositions pertinentes pour la solution du présent litige sont cependant demeurées inchangées.

3.4 Selon l’art. 1 al. 2 RChant et aRChant, tous les participants à l'acte de construire, démolir, transformer, entretenir, c'est-à-dire toutes les personnes exécutant des travaux se rapportant à l'activité du bâtiment ou du génie civil, ainsi que les personnes physiques ou morales employant des travailleurs à cet effet et les personnes chargées de la surveillance des travaux, notamment pour le compte des bureaux d’ingénieurs, d’architectes, des entreprises générales et des coordonnateurs de sécurité et de santé, sont tenus de se conformer aux prescriptions légales sur la prévention des accidents sur les chantiers.

3.5 Sous la note marginale « permis », l’art. 86 al. 1 let. b et c RChant prévoit que la conduite des monte-charges et monte-personnes est subordonnée à la possession d'un permis. Cette disposition reprend l’art. 233 al. 1 aRChant.

3.6 Selon l’art. 100 RChant, toute personne contrevenant aux dispositions du RChant est passible des peines prévues par les art. 137 s. LCI. Cette disposition reprend l’art. 334 aRChant.

3.7 Selon l'art. 137 LCI, est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant à la LCI, aux règlements et aux arrêtés édictés en vertu de ladite loi, ainsi qu'aux ordres donnés par le département dans les limites de ladite loi et des règlements et arrêtés édictés en vertu de celle-ci (al. 1). Le montant maximum de l'amende est de CHF 20'000.- lorsqu'une construction, une installation ou tout autre ouvrage a été entrepris sans autorisation mais que les travaux sont conformes aux prescriptions légales (al. 2). Il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction. Constituent notamment des circonstances aggravantes la violation des prescriptions susmentionnées par cupidité, les cas de récidive et l'établissement, par le mandataire professionnellement qualifié ou le requérant, d'une attestation, au sens de l'art. 7 LCI, non conforme à la réalité (al. 3). La poursuite et la sanction administrative se prescrivent par sept ans (al. 5).

3.8 Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C'est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/159/2021 du 9 février 2021 consid. 7b).

3.9 En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif. On doit cependant réserver celles qui concernent exclusivement le juge pénal (ATA/440/2019 du 16 avril 2019 consid. 5c et les références citées).

3.10 Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. Selon la jurisprudence constante, l'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi et jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès ou d'abus. Enfin, l'amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst. ; ATA/440/2019 précité consid. 5c et les références citées).

3.11 L'autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d'une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l'auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/440/2019 précité consid. 5c et les références citées).

4.             En l’espèce, il n’est pas contesté que lors du contrôle du 17 août 2022, H______ était dépourvu du permis nécessaire alors qu’il conduisait un monte-charges/personnes.

4.1 Le 21 septembre 2022, le département a dans un premier temps amendé I______ et B______.

Toutefois, le 1er juin 2023, le TAPI a annulé l’amende infligée à B______, au terme du raisonnement suivant : « Le fait d’avoir confié la sécurité du chantier, laquelle ressort en principe du mandat de la direction des travaux, à une entreprise spécialisée permet en effet de retenir une rupture du lien de causalité adéquate entre le comportement et/ou l’omission d’B______ et les éléments constitutifs des infractions commises. Ainsi, le fait, pour B______, d’avoir instruit, de manière générale, les entreprises sur les mesures à prendre et à respecter doit être considéré comme suffisant dans la mesure où c’était ensuite au coordinateur sécurité qu’il incombait de s’assurer du respect des consignes de sécurité sur le chantier, son mandat portant précisément sur cela. Force est dès lors d’admettre, sur la base du dossier et des explications de B______, que cette dernière a pas [recte : pas] pris toutes les mesures commandées par les circonstances dans le cas d’espèce, le respect des prescriptions relatives à la sécurité sur le chantier relevant, dans le cas particulier de l’engagement d’un coordinateur de sécurité, non plus de la direction des travaux mais de ce dernier, soit en l’espèce A______ SA. Les mandats spécifiques des entreprises précitées étaient au surplus connus du département. C’est ainsi à tort que [le département] a retenu qu’B______ avait commis une faute, à tout le moins, par négligence, dont elle était responsable » (JTAPI/625/2023 du 1er juin 2023 consid. 21).

Devant le TAPI, B______ avait soutenu notamment qu’elle était chargée de coordonner l’intervention et les travaux des différentes entreprises sur le chantier « en collaboration avec A______ SA » et qu’elles avaient toutes deux pris les précautions commandées par les circonstances, soit notamment s’assurer qu’I______ respectait les considérations de sécurité, notamment celles pour l’utilisation du monte-charges via un permis M1, qu’elle instruisait l’ensemble de ses employés sur le contenu du livret d’accueil, lequel mentionnait de manière indubitable le comportement à adopter sur le site. B______ ajoutait que son rôle n’était pas d’être présente sur le chantier tous les jours pour contrôler ce qui s’y faisait et que n’employant pas d’ouvriers sur le chantier et n’ayant pas la fonction de MPQ elle n’avait pas à répondre d’une faute, fût-ce par négligence. Elle n’avait pas contesté la gravité des événements du 17 août 2022 puisqu’elle avait contacté l’entreprise concernée et pris des mesures auprès de l’ensemble des intervenants sur le chantier pour éviter un nouvel incident. Elle ne comprenait pas pourquoi une amende lui était infligée ainsi qu’à I______, mais pas à A______.

Le département avait soutenu qu’B______, chargée de la direction et de la surveillance des travaux, était soumise au RChant et devait faire respecter l’obligation de l’art. 233 aRChant. Le fait qu’elle avait instruit les entreprises ne permettait pas d’exclure sa responsabilité. L’engagement d’I______ rappelait uniquement que les machinistes devaient porter leur permis, mais non que la conduite des machines nécessitait un tel permis. Si elle avait requis la liste des collaborateurs intervenant sur le site ainsi que le permis feu, elle n’avait pas requis la production du permis machiniste. Or, H______ avait dûment été annoncé comme intervenant sur le chantier. En n’exigeant pas une copie des permis machinistes, comme elle l’avait fait pour les permis feu, elle n’avait pas pris toutes les mesures commandées par les circonstances. Elle ne pouvait être suivie lorsqu’elle prétendait avoir contrôlée I______. De surcroît, H______ était vraisemblablement intervenu sur le chantier en avril déjà et avait probablement déjà œuvré plusieurs mois sans qu’aucune vérification de son aptitude n’ait été effectuée.

4.2 Le 27 novembre 2023, le département a ensuite amendé la recourante.

Le TAPI a rejeté le recours contre cette sanction. Il a déduit du contrat du 8 juin 2021 et de son activité concrète qu’elle était clairement chargée de contrôler si les règles de sécurité étaient respectées sur le chantier en cours ou avait, à tout le moins de fait, pris cette position. Il a notamment pris en compte le fait qu’elle avait édité le livret, l'avait communiqué aux entreprises intervenantes, soit directement soit par le biais d'B______, avait exigé à plusieurs reprises que celui-ci lui fût retourné signé et que les permis monte-charge et feu lui fussent transmis, tout comme la liste des collaborateurs prévoyant de travailler sur le chantier. Il en allait de même s'agissant du registre de formation. Elle avait également tenu une séance dédiée spécifiquement à l'utilisation du monte-charge et exigé dans ses rapports de contrôle qu'une confirmation d'exécution des mesures à corriger lui fut envoyée dans les cinq jours.

Selon le TAPI, si la recourante était responsable, c’était parce que, hormis pour contrôler si les entreprises et leurs employés possédaient les permis adéquats et valider leur intervention avant leur venue, il n'y avait aucune raison de procéder ainsi. C'était dans cette dynamique qu’B______ lui avait envoyé le permis feu d'I______ le 6 avril 2022, en lui demandant formellement sa validation et qu'elle avait écrit aux entreprises le 1er avril 2022 aux fins d'obtenir les permis M1SO, car elle n'avait reçu que celui de M______ pour N______ SA, démontrant de la sorte qu'elle procédait aux vérifications utiles.

Le TAPI a considéré que la recourante avait commis une faute car, sachant que H______ allait intervenir sur le chantier au vu du courriel du 6 avril 2022, il lui appartenait également de vérifier s'il était en possession du permis obligatoire pour utiliser le monte-charge, tout comme elle l'avait fait pour les ouvriers O______, P______, Q______, M______ et R______ selon la pièce 14 de son chargé. En tout état, si elle n'entendait pas vérifier elle-même les permis des utilisateurs du monte-charge, il lui appartenait de prévoir clairement dans ses procédures de sécurité qui devait les contrôler, à quel moment et comment, ce qu'elle n'avait pas fait. Il n'était ainsi pas suffisant de prévoir dans le livret que les ouvriers devaient toujours porter sur eux le permis correspondant à l'engin ni d'organiser une séance sur l'utilisation du monte-charge après avoir constaté des carences. En effet, il ne s'agissait pas de mesures permettant de vérifier si les utilisateurs du monte-charge possédaient le permis requis mais d'instructions générales sur son utilisation.

4.3 Les éléments déterminantes suivants ressortent de la procédure :

4.3.1 La recourante a produit devant le TAPI l’offre qu’elle a adressée à C______ le 8 juin 2021. Il en résulte qu’elle a proposé les prestations suivantes :

-          étude du projet et collaboration avec la direction des travaux : analyse du dossier et des conditions de sécurité ; participation à l’élaboration des offres et comparaison ; émission de principes de sécurité pour chaque phase du projet ; édition du contrat de coordination de la sécurité ; édition du plan général d’hygiène, de sécurité et de l’environnement (forfait ; CHF 3'900.-) ;

-          pendant l’exécution : analyse des PHS de chaque adjudicataire et sous-traitant ; demande et étude des modes opératoires exigés pour les activités présentant des risques particuliers ; étude des risques de co-activité et mise en œuvre de procédures et de planification pour les gérer (3h par PHS environ 9 PHS ; 18 h ; CHF 2'340.-) ;

-          pendant l’exécution : audits sécurités sur le site de façon périodique (1x/semaine) pour vérifier le respect des mesures de prévention définies en amont (pendant 4 mois – 3h par audit, déplacement rapport y. c. 16 interventions = 48 h) ; propositions d’adaptation de mesures de prévention ou de planification des activités pour réduire les risques d’accidents détectés ; participation aux RDV de chantier (selon besoin) ; organisation et tenue de séances sécurité spécifiques ; analyse des incidents / accidents (48 h ; CHF 6'240.-) ; 2 interventions (audit/séance chantier/analyse d’incidents) par mois pendant 38 mois y. c. rapports (152 semaines x 3h par audit, rapport et déplacement = 456 h ; CHF 59'280.-) ;

-          réserve de 60 h à utiliser si besoin (5 mois environ 1x semaine) (60 h ; CHF 7'800.-).

L’offre mentionne que la directive CFST n° 6508 de la commission pour la coordination de la sécurité au travail fait partie intégrante du devis.

4.3.2 À son annexe 2, intitulée « principales tâches des spécialistes de la sécurité au travail », la directive CFST 6508 Appel MSST de la commission fédérale pour la sécurité au travail (consultée le 23 avril 2025 à l’adresse : guide.cfst.ch/survol-des-directives/directive-msst/annexes-_dir_-csft-6508-appel-msst_/annexe-2-principa les-taches-des-specialistes-de-la-securite-au-travail-_dir_-csft-6508-appel-msst_) recense les tâches pouvant être confiées par l’employeur, entre autres spécialistes aux ingénieurs de sécurité, soit : identifier sur place les dangers pour la sécurité et la santé ; élaborer des propositions pour la prévention des accidents, des maladies professionnelles et pour l’assainissement d’endroits dangereux ; conseiller les employeurs (direction et cadres) et les employés concernant la sécurité et la protection de la santé au poste de travail ; établir les bases de décision pour la direction en matière de sécurité au travail et protection de la santé ; élaborer les appréciations des risques en collaboration avec d’autres spécialistes de la sécurité au travail et fixer les mesures correspondantes ; élaborer une détermination des dangers dans l’entreprise ; organiser les premiers secours, l’assistance médicale d’urgence, le sauvetage et la lutte contre l’incendie ; effectuer la formation de base et complémentaire du personnel de tous les niveaux dans le domaine de la sécurité et de la protection de la santé au poste de travail ; réaliser des audits du système de sécurité dans les entreprises ; établir une documentation sur la sécurité et la protection de la santé au poste de travail ; analyser les causes des accidents, incidents (presqu’accidents) et dommages matériels ; rédiger des rapports périodiques sur le processus des accidents dans l’entreprise et établir des statistiques ; apprécier les risques pour la sécurité et la santé sur le lieu de travail ; développer des concepts de sécurité au niveau de l’entreprise et plus globalement.

4.3.3 La recourante a produit devant le TAPI le livret d’accueil santé et sécurité qu’elle a édité le 1er mars 2022.

Celui-ci mentionne (p. 13) : « Machinistes. Je porte toujours sur moi le permis correspondant à l’engin que j’utilise ».

S’agissant des risques découlant des travaux par point chaud (flamme, étincelle, surface chaude), il indique (p. 16) : « Pour tous travaux par point chaud […] je fais une demande de permis feux au minimum 72h ouvrables avant les travaux prévus. Je suis la procédure ci-après et je ne commence pas les travaux sans que le permis feu soit accordé. Une copie du document doit être disponible sur le chantier ».

Un organigramme décrit ensuite quatre phases en cascade, comme suit :

-          remplir permis feu : modèle fourni au démarrage des travaux par A______ ;

-          contrôle du permis feu : transmettre à A______, copie direction des travaux, pour validation ; A______ transmet validation à entreprise et B______ ;

-          contrôle des mesures lors des travaux : appliquer les mesures de sécurité lors des travaux ;

-          contrôle après les travaux : arrêter les travaux 1h30 avant de quitter le chantier et contrôler la zone ; quittances à la loge de contrôle de la zone après l’arrêt des travaux.

4.3.4 Un accusé de réception du livre de sécurité signé par I______ et produit par la recourante devant le TAPI mentionne que les techniciens des entreprises intervenantes sont responsables de l’instruction de leurs travailleurs, y compris temporaires. Les instructions de tous les nouveaux travailleurs doivent être enregistrées. Un registre type est fourni en annexe. Il doit être transmis à la loge pour tous les nouveaux arrivants afin d’autoriser l’accès au chantier.

4.3.5 Il ressort d’une suite de courriels produite par la recourante devant le TAPI que le 2 mars 2022 elle a transmis à B______ le livret d’accueil avec l’ensemble des consignes de sécurité pour le chantier, le permis feu et le registre de formation, et prie B______ d’en prendre connaissance, de transmettre les documents à l’ensemble des personnes présentes lors de la réunion du jour et de la mettre en copie afin qu’elle ait tous les contacts.

Le 3 mars 2022, B______ a transmis à son tour les documents aux entreprises actives sur le chantier, leur demandant d’en prendre connaissance, de les signer et de le compléter puis de les renvoyer par courriel à B______ ainsi qu’à la recourante. B______ conclut ainsi : « Il faudra aussi nous transmettre les copies des permis monte‑charge svp ».

4.3.6 Le département a produit devant le TAPI le dossier d’infraction I-8'786. Outre la détermination de la recourante, celui-ci contient pour unique preuve matérielle un échange de courriels allant du 3 mars au 6 avril 2022, dont il ressort que :

-          le 31 mars 2022, B______ demande à I______ de lui remettre, avant la fin de la journée, pour les interventions de la semaine suivante, le permis feu, la liste des collaborateurs allant travailler sur le site, les déclarations de confidentialité signées de leur part et la copie de leurs cartes d’identité ;

-          le même jour, I______ indique à B______ qu’elle interviendra à partir de jeudi ou mercredi, et que S______, T______ et H______ seront sur le chantier ;

-          le 6 avril 2022, I______ envoie les documents à B______ ;

-          le même jour, B______ adresse à la recourante le « permis feu d’I______ en question pour demain !! Merci d’avance pour la validation » ;

-          le même jour, la recourante écrit à B______ : « Bonjour, Quelques précisions pour finaliser ce permis feu : attention en cas d’incendie l’alerte est à donner directement au service sécurité de C______, voir les numéros à l’entrée du chantier […]. C’est eux qui déclenchent les secours ; coactivité ou passage à prévoir à proximité des zones de travaux par point chaud ? Veillez à la bonne mise en œuvre des mesures et à la quittance des contrôles après travaux auprès de C______. En parallèle du permis feu je t’invite à leur transmettre ou retransmettre le livret d’accueil et il faut leur demande qu’ils instruisent bien leur personnel. Registre de formation à retourner signé » ;

-          le même jour, B______ transfère ce courriel à I______, indiquant qu’il s’agit des compléments à apporter à son permis feu pour qu’il soit validé, qu’elle trouvera en pièce jointe le livret d’accueil de A______ et qu’il faut faire part à S______ d’ici au lendemain et qu’il le signe ; la recourante est en copie ;

-          le même jour, I______ retourne à B______ le livret d’accueil signé par S______ et U______ ; la recourante est en copie.

4.3.7 La recourante a encore produit devant le TAPI des échanges de courriels ainsi que des rapports de visite.

Il en résulte qu’elle exerçait ponctuellement des contrôles techniques par inspection et rédigeait des rapports et audits illustrés portant sur la conformité des installations et de l’organisation du chantier. Elle tenait également des réunions d’information où étaient rappelés des principes et des procédures.

Il apparaît également dans ces documents qu’B______ était présente à toutes les réunions.

4.4 Il ressort des éléments qui précèdent que la recourante a été engagée par C______ en qualité d’ingénieur sécurité et pour établir des concepts et des protocoles de sécurité puis effectuer des contrôles ponctuels et établir des audits.

Ses compétences, ses tâches et ses responsabilités différaient ainsi notablement de celles d’B______, qui était en charge de la direction des travaux.

L’affirmation d’B______ devant le TAPI dans la précédente procédure – selon laquelle elle était chargée de coordonner l’intervention et les travaux des différentes entreprises sur le chantier « en collaboration avec » la recourante et qu’elles avaient « toutes deux » pris les précautions commandées par les circonstances, soit notamment s’assurer qu’I______ respectait les considérations de sécurité, notamment celles pour l’utilisation du monte-charges via un permis M1 – ne trouve pas appui dans la présence procédure et ne reflète en particulier pas correctement la réalité dans la mesure où les tâches des deux sociétés en matière de sécurité étaient distinctes.

Les échanges de courriels montrent que c’était B______ qui transmettait aux entreprises les instructions et la documentation – dont celle produite par la recourante – et qui en réclamait le retour signé, activité qui correspondait à sa fonction de direction des travaux.

Certes, les permis ont été transmis à la recourante pour « validation », mais c’était par B______, qui les avait auparavant réclamés et obtenus des entreprises et qui poursuivait ensuite elle-même les démarches avec celles-ci, dont I______.

Il ne peut ainsi être inféré de cette circonstance que la recourante aurait été tenue de s’assurer elle-même concrètement que chaque opérateur disposait effectivement d’un permis.

Cette tâche ou responsabilité ne ressort d’ailleurs ni de son offre ni des tâches énumérées par la directive CFST 6508.

Il ne peut pas non plus être établi que la recourante aurait, vu les circonstances, à tout le moins accepté de jouer un tel rôle. De même, il ne peut être reproché à la recourante de n’avoir pas prévu qui vérifiait le respect des prescriptions en matière de permis.

Il ressort en effet clairement des courriels à la procédure que la recourante adresse ses recommandations à B______, et qu’à une reprise au moins, le 6 avril 2022, elle lui rappelle expressément qu’il lui appartient de veiller à « la bonne mise en œuvre des mesures ».

Il ne peut pour le surplus être reproché à la recourante de ne pas avoir expressément imposé dans la documentation qu’elle a établie l’obligation de disposer d’un permis pour la conduite des monte-charges. L’expression « Machinistes. Je porte toujours sur moi le permis correspondant à l’engin que j’utilise » ne peut en effet être comprise que comme comprenant l’obligation de détenir le permis lorsque celui-ci est nécessaire pour la conduite d’un engin.

Enfin, les réunions, les inspections ponctuelles et les rapports d’audit s’inscrivent dans les prestations offertes par la recourante à C______. On ne peut en tirer une obligation supplémentaire de vérifier le respect par chaque travailleur pénétrant sur le chantier de la possession et du port du permis requis.

Il pourra encore être observé que le département n’avait initialement pas amendé la recourante, et ne l’a fait qu’après que le TAPI eut mis B______ hors de cause – en retenant que le respect des prescriptions relatives à la sécurité sur le chantier relevait, dans le cas particulier, de l’engagement d’un coordinateur de sécurité en la personne de la recourante – soit une constatation qui ne peut précisément pas trouver appui dans la procédure.

C’est ainsi par un abus de leur pouvoir d’appréciation que le département et le TAPI ont successivement admis sur la base du dossier la responsabilité de la recourante du fait que H______ travaillait sans permis et lui ont reproché la violation à ce titre de l’art. 233 al. 1 aRChant.

Le recours sera ainsi admis et le jugement et la décision annulés.

5.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’État (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 janvier 2025 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 décembre 2024 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance et la décision du département du territoire du 27 novembre 2023 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ SA une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’État (département du territoire) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian D'ORLANDO, avocat de la recourante, au département du territoire - OAC ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :