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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3884/2024

ATA/473/2025 du 29.04.2025 ( PATIEN ) , ADMIS

Descripteurs : PESÉE DES INTÉRÊTS;PROPORTIONNALITÉ
Normes : CP.321; LS.86
Résumé : Recours d’un médecin contre la levée de son secret professionnel, qu’il avait lui-même demandée pour donner suite à la requête de la commission de surveillance des professionnels de la santé et des droits des patients. Cette dernière, à la suite d’un précédent arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice, était appelée à examiner concrètement, pour chaque patient polytoxicomane concerné, le respect de obligations du recourant régissant les prescriptions « off-label » de Dormicum et des procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. Or, la présente cause concernait exclusivement la prescription d’un autre médicament, soit la péthidine. Cette prescription n’avait jamais été remise en cause dans le cadre de la procédure menée par la commission de surveillance de la santé et des droits des patients, de sorte que cette dernière n’était pas appelée à l’examiner. Aucun intérêt privé et public prépondérant n’entrait donc en ligne de compte et l’intérêt à la préservation du secret professionnel était supérieur. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3884/2024-PATIEN ATA/473/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 avril 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL intimée



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1953, spécialiste FMH en médecine interne générale, est autorisé à exercer la profession de médecin dans le canton de Genève depuis le ______ 1986.

b. Sa patientèle comprend des toxicodépendants au bénéfice d’un traitement agoniste opioïde de substitution.

Il prescrit également à cette catégorie de patients du Dormicum, dont le principe actif est le midazolam, soit une benzodiazépine. Ce médicament est indiqué comme traitement à court terme des troubles du sommeil et il est aussi utilisé comme sédation dans le cadre de la prémédication lors d’une intervention chirurgicale ou diagnostique. Il exerce une action sédative et hypno-inductrice très rapide ainsi qu’un effet anxiolytique, anticonvulsant et myorelaxant. Sa posologie usuelle chez l’adulte est de 7,5 à 15 mg par jour.

A______ le prescrit toutefois à ses patients toxicodépendants dans des quantités dépassant largement cette posologie (prescription « off-label » ou « hors étiquette »), dans le but de leur éviter des décompensations anxieuses, de les apaiser, de leur permettre de contrôler leurs émotions et de ne pas être submergés par les souvenirs de leurs vécus traumatiques.

c. Cette pratique a été dénoncée à la commission de surveillance des professionnels de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission de surveillance) par des professionnels et institutions de la santé.

La commission de surveillance a ouvert plusieurs procédures, relatives à chaque patient concerné (ci-après : les patients), à l’issue desquelles elle a transmis un préavis au département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : le département).

La procédure n° 1______concernait B______, née le ______ 1955. Elle a été ouverte à la suite d’une dénonciation du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant au sujet de la prescription excessive de péthidine, analgésique opioïde.

d. Par arrêté du 22 novembre 2021, le département a retiré le droit de pratiquer à A______ et lui a fait interdiction avec effet immédiat de traiter des personnes dépendantes au moyen de substances soumises à contrôle telles que définies par la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), ainsi que de prescrire des benzodiazépines ou des substances apparentées de courte durée d’action (ex. : midazolam, triazolam, zolpidem).

e. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cet arrêté, concluant au constat de sa nullité partielle et à son annulation.

L’effet suspensif a été restitué au recours.

f. Par arrêt du 21 mars 2023, la chambre administrative a annulé l’arrêté querellé et renvoyé la cause au département pour nouvelle décision.

Il n’existait pas de consensus tendant à interdire la prescription de benzodiazépines à courte durée d’action dans tous les cas de patients souffrant de toxicodépendance. Il semblait au contraire que dans certaines situations bien définies, une prescription de Dormicum pouvait être justifiée, même durant une période prolongée et avec une posologie importante. L’autorité ne pouvait en conséquence pas retenir une violation des devoirs professionnels du médecin sur la seule base des prescriptions en cause.

Elle aurait dû concrètement vérifier, dans chaque situation, le respect par A______ de ses obligations régissant les prescriptions « off-label » et les procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. Elle aurait ainsi dû examiner si le médecin avait bien vu personnellement ses patients avant chaque prescription, procédé à une analyse des avantages et des inconvénients de sa prise en charge afin de servir au mieux leurs intérêts, si des passages à des benzodiazépines à demi-vie longue avaient été tentés en vain, si les patients avaient bien été informés des risques et inconvénients des prescriptions et des conséquences en cas d’abus de substances, et s’ils avaient préalablement donné leur consentement libre et éclairé.

B. a. Par courriers des 4 septembre et 30 novembre 2023, la commission de surveillance a requis de A______ de lui transmettre le dossier médical complet des patients, parmi lesquels celui concernant la procédure n° 1______.

b. Le 26 décembre 2023, le médecin a saisi la commission du secret professionnel (ci-après : la commission) d’une demande de levée de son secret professionnel concernant les patients, en précisant que B______ était décédée de mort naturelle.

Ces derniers refusaient de manière générale la levée du secret professionnel car ils avaient révélé au médecin les circonstances de leur traumatisme grâce à la relation privilégiée instaurée. Leur pathologie constituait un syndrome du trouble post-traumatique complexe, représentant une blessure particulièrement vive. Ils estimaient ne pas avoir été entendus par les autorités et étaient « épuisés » par la procédure visant le médecin. Ils la percevaient comme une humiliation, une discrimination et une injustice de plus, dans la forme d’un refus de soins indispensables et de la punition du médecin les leur prodiguant. L’intérêt de la commission de surveillance était abstrait, dans la mesure où les institutions de santé l’ayant dénoncé faisaient valoir un point de vue « doctrinal » sur la limitation de l’usage de benzodiazépines. L’intérêt d’un contrôle de sa pratique en l’absence de plaintes des patients était douteuse. Leur intérêt au maintien du secret professionnel était supérieur à celui de la commission de surveillance à accéder à tout leur dossier.

c. Dans le cadre de l’instruction de sa demande, A______ a transmis à la commission les dossiers informatiques médicaux des patients.

d. Entendu, le médecin a expliqué que ses patients étaient pour la plupart des consommateurs de rue. Au nombre approximatif de 70, ils s’inquiétaient de ce qui pourrait leur arriver s’ils n’avaient plus accès à leur traitement. La substitution appropriée était la prescription de Dormicum, qui était indispensable à sa patientèle dont l’instabilité était considérable. L’interruption du traitement était une torture et avait même conduit à un suicide. Les patients décidaient eux-mêmes des doses à prendre.

e. Par décision du 7 novembre 2024, la commission a levé le secret professionnel du médecin dans la cause 1______et l’a ainsi autorisé à transmettre à la commission de surveillance une copie complète du dossier médical de feu B______, en caviardant les éléments concernant les tiers.

Il existait un intérêt prépondérant à cette transmission, pour permettre à la commission de surveillance de faire la lumière sur la pratique médicale de A______. L’intérêt des patients, dont la santé était fragile et qui souffraient d’un trouble de la dépendance, justifiait la levée du secret professionnel, tout comme l’intérêt des entités publiques, lesquels avaient des obligations de contrôle et de surveillance en matière de santé publique et de LStup. Le principe de proportionnalité était respecté sous l’angle de l’aptitude et de la nécessité, et eu égard au caviardage requis.

C. a. Par acte posté le 21 novembre 2024, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation ou au renvoi de la cause à l’autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

La motivation de la décision était vague. Elle ne comportait aucune analyse du dossier de la patiente ni des éléments pertinents à transmettre à la commission de surveillance pour examiner les conditions de la prescription « hors étiquette » ainsi que le respect du devoir d’annonce prévu par la LStup.

La transmission du dossier de la patiente porterait gravement préjudice à la relation thérapeutique, constituant un élément essentiel de la prise en charge médicale. Elle avait souffert d’un trouble de stress post-traumatique complexe résultant d’une extrême violence subie dans le cadre familial. L’établissement du lien thérapeutique avait nécessité un travail de plusieurs mois, voire de plusieurs années.

La patiente n’avait jamais consenti à la levée du secret professionnel.

La commission n’avait pas procédé, sur la base d’un examen concret du dossier médical qui lui avait pourtant été remis dans son intégralité, à une pesée des intérêts en présence. Elle aurait dû mettre en balance l’apparente satisfaction de la patiente, résultant de l’absence de plainte, et l’intérêt de l’autorité à examiner une éventuelle faute du médecin ni précisément décrite ni juridiquement qualifiée, et de sanctionner ce dernier.

b. La commission a conclu au rejet du recours.

La motivation de la décision querellée avait permis au recourant de comprendre les trois arguments principaux justifiant la levée du secret professionnel. Les décisions de la commission ne comportaient aucune information médicale afin de respecter la confidentialité due aux patients. Cela n’avait pas empêché l’autorité de procéder à un examen détaillé du dossier médical ainsi que des motifs ayant conduit à l’ouverture des procédures pendantes devant la commission de surveillance. Elle ne s’était pas penchée sur la qualification de la faute reprochée au médecin, ce point ne relevant pas de sa compétence.

Le décès de la patiente était intervenu avant le début de la procédure devant la commission. La patiente n’avait donc pas eu l’opportunité de s’exprimer. Son absence de consentement ne constituait toutefois pas un obstacle à la levée du secret professionnel. Le médecin ne pouvait en outre plus invoquer le lien thérapeutique, désormais inexistant.

Aux termes de l’arrêt du 21 mars 2023, la commission de surveillance avait l’obligation d’examiner les dossiers médicaux des patients afin de déterminer si le médecin avait respecté les devoirs professionnels régissant les prescriptions « off-label ». Cela représentait un intérêt public à la levée du secret professionnel dépassant les intérêts de la patiente. Il existait également un intérêt public supplémentaire lié à la nécessité de protéger la santé et les droits de l’importante patientèle du recourant, fragile et particulièrement vulnérable.

c. Dans sa réplique, le recourant a relevé que la réponse de l’intimée ne palliait pas l’insuffisance de motivation de la décision querellée. L’autorité ne s’était prononcée que sur l’existence des buts légitimes visés, sans examiner en particulier la question de la proportionnalité sous l’angle de la subsidiarité. Elle avait mal interprété l’arrêt du 21 mars 2023 en partant du principe qu’il impliquait la transmission des dossiers complets des patients.

Il était douteux que toute faute puisse justifier la levée du secret professionnel et la sienne n’avait pas été établie par la chambre administrative. L’existence d’un dommage, pourtant également requise, n’avait pas non plus été établie.

Ni la sécurité publique, du ressort du médecin cantonal ou de l’office fédéral de la santé publique (OFSP), ni la sauvegarde des droits de la patiente, titulaire du droit au respect à la vie privée ainsi qu’aux soins, ne justifiaient la levée du secret professionnel. La sécurité publique fondait une telle mesure seulement dans le cadre de la lutte contre la transmission de maladies infectieuses.

Deux patients avaient consenti à la levée du secret professionnel, à la suite de quoi il avait immédiatement transmis leurs dossiers à la commission de surveillance, ce qui, sous l’angle de la proportionnalité, s’avérait, au moins à titre préalable, suffisant pour examiner le problème en cause.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ;  art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

2.             Le recourant reproche à l’intimée d’avoir insuffisamment motivé sa décision.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend l’obligation pour l’autorité de motiver sa décision, afin que l’intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et exercer son droit de recours à bon escient (ATF 142 I 135 consid. 2.1 ; 138 I 232 consid. 5.1). Pour satisfaire à ces exigences, il suffit que l’autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l’ont guidée et sur lesquels elle a fondé son raisonnement. Elle ne doit pas se prononcer sur tous les moyens des parties, mais peut au contraire se limiter aux questions décisives (ATF 143 III 65 consid. 5.2 ; 142 II 154 consid. 4.2).

2.2 En l’espèce, les motifs sur lesquels s’est appuyée l’intimée pour lever le secret professionnel du recourant – soit la prépondérance de l’intérêt privé des autres patients et de l’intérêt public des autorités de surveillance, ainsi que le respect du principe de proportionnalité – résultent sans ambiguïté de la décision querellée. Le recourant n’a d’ailleurs eu aucune difficulté à les comprendre puis à les critiquer, de sorte que son droit d’être entendu a été respecté. Son grief à cet égard sera rejeté.

3.             Le recourant remet en cause la conformité au droit de la levée de son secret professionnel à l’égard de la commission de surveillance.

3.1 Aux termes de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS - K 3 03), la commission de surveillance veille au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par la loi sur la santé (art. 1).

La commission de surveillance est constituée d'un président ayant une formation juridique adéquate et de 19 membres titulaires (art. 3 al. 1 1ère phrase LComPS). D'office ou sur requête, elle instruit en vue d'un préavis ou d'une décision les cas de violation des dispositions de la loi sur la santé concernant les professionnels de la santé et les institutions de santé, ainsi que les cas de violation des droits des patients (art. 7 al. 1 let. a LComPS).

Conformément à l’art. 17 LComPS, dans les cas visés à l’art. 7 al. 1 let. a et b LComPS, en l'absence de médiation ou en cas d'échec de celle-ci, l'instruction du dossier est confiée à une sous-commission formée de deux membres au moins, soit un médecin et un membre n'appartenant pas aux professions de la santé (al. 1). La sous-commission réunit les renseignements et procède aux enquêtes nécessaires (al. 2 1ère phrase). La sous-commission a le droit d'accéder au dossier médical du plaignant. Lorsqu’elle instruit d’office ou sur dénonciation, elle peut saisir un dossier médical si des faits graves sont allégués et qu’un intérêt public prépondérant le justifie (al. 3). Lorsque ses travaux sont terminés, elle remet ses conclusions à la commission plénière (al. 4).

L’art. 11 al. 1 de la loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf - A 2 20) soumet les commissaires au secret de fonction pour toutes les informations dont ils ont connaissance dans l’exercice de leur mandat.

3.2 Selon l'art. 321 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci, seront, sur plainte, punis d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (ch. 1 al. 1) ; la révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2) ; demeurent réservées les dispositions de la législation fédérale et cantonale statuant une obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (ch. 3).

La libération du secret médical par l’autorité est subsidiaire et entre en considération lorsque le consentement du patient ne peut être obtenu. L’art. 321 ch. 2 CP n’expose pas les critères à prendre en compte par l’autorité compétente pour accorder ou refuser son autorisation. Selon la jurisprudence, une pesée des biens juridiques et des intérêts en jeu doit être effectuée et la levée du secret ne peut être autorisée que lorsqu’elle est nécessaire à la protection d'intérêts privés ou publics prépondérants, respectivement lorsque les intérêts à la levée sont clairement prépondérants. Le secret professionnel médical constitue en lui-même un bien juridique important (ATF 147 I 354 consid. consid. 3.3.2). En particulier, le contenu du dossier, les intérêts du patient et les fautes potentiellement commises par le médecin seront pris en considération (ATF 148 II 465 consid. 8.7.3).

3.3 Aux termes de l'art. 86 LS, les professionnels de la santé et leurs auxiliaires sont tenus au secret professionnel, au sens de l'article 321 CP (al. 1) Ils peuvent en être déliés par le patient ou, s'il existe de justes motifs, par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel (al. 2) ; sont réservées les dispositions légales concernant l'obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (al. 3).

Le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si l'obligation de respecter le secret médical est valable à l'égard de l'autorité compétente en matière disciplinaire, ou si le refus de coopération, qui empêche l'autorité compétente de mener à bien la tâche de surveillance indispensable pour assurer un fonctionnement correct de la profession, ainsi que pour protéger le public, ne constitue pas déjà en lui-même une violation du devoir professionnel consacré à l'art. 40 let. a de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (loi sur les professions médicales, LPMéd - RS 811.11 ; ATF 148 II 465 consid. 8.7.2).

3.4 La levée du secret médical procède toujours d’une pesée des intérêts. Dans cette opération, l’intérêt privé du patient au maintien du secret peut s’opposer à d’autres intérêts privés ou un intérêt public, par exemple l’aboutissement d’une poursuite pénale, le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif, la défense de personnes vulnérables comme les enfants ou l’intérêt collectif dans certains domaines où la santé publique peut être mise en danger. Mais cet intérêt privé concourt également avec un autre intérêt public, à savoir celui qui existe à ce que les patients ne soient pas dissuadés de se faire soigner en raison de l’absence de secret médical ou de son caractère chancelant. Selon la jurisprudence et la doctrine, les intérêts mis en balance avec celui au maintien du secret ne doivent pas être simplement de même importance, ou prévaloir de peu, mais bien être manifestement supérieurs à lui pour autoriser la levée. L’importance même du secret postule ainsi une approche restrictive de la faculté d’y porter atteinte, la démarche revêtant un caractère subsidiaire par rapport à d’autres moyens d’atteindre le but recherché par la libération du secret (ATA/82/2025 du 21 janvier 2025 consid. 3.3.5 et les références citées).

Le respect du secret médical trouve ses limites dans les principes généraux du droit administratif, notamment celui de la proportionnalité (ATA/510/2020 du 26 mai 2020 consid. 3c ; ATA/717/2014 du 9 septembre 2014 consid. 10c). Le secret ne peut être levé que lorsque des intérêts prépondérants le requièrent, qu’il s’agisse de ceux du maître du secret ou de ceux du détenteur de ce secret ou encore de l’intérêt de tiers. La levée du secret se justifie par exemple dans la mesure nécessaire pour permettre au professionnel de se défendre d'une accusation portée contre lui ou encore de faire valoir ses droits lorsqu’il est attaqué en justice par son client ; on peut aussi concevoir la levée du secret pour prévenir la commission d'une infraction (ATA/217/2025 du 4 mars 2025 consid. 4.2).

Les intérêts du patient ne peuvent pas constituer un « juste motif » de levée du secret, si ce dernier n'a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant. La notion de justes motifs se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro‑agressif, ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause (ATA/675/2024 du 4 juin 2024 consid. 4.3).

L'intérêt à la recherche de la vérité matérielle ne constitue pas non plus, en soi, un intérêt prépondérant. C'est l'autorité compétente qui détermine dans quelle mesure et à qui les renseignements doivent être donnés. La levée du secret ne doit en principe être autorisée que dans la mesure où elle est nécessaire dans le cas concret, compte tenu de la sphère secrète du maître du secret (arrêts du Tribunal fédéral 2C_683/2022 du 4 janvier 2024 consid. 6.2.1 ; 2C_1049/2019 du 1er mai 2020 consid. 3.4 ; 2C_37/2018 du 15 août 2018 consid. 6.4.2).

Lorsque le client du médecin ne peut donner son consentement parce qu’il est décédé, la décision de requérir d'être ou non délié du secret professionnel dépend du médecin concerné, qui doit examiner les intérêts contradictoires en présence, étant rappelé que l'autorisation doit être accordée lorsque l'intérêt à la divulgation l'emporte sur celui au maintien du secret (arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2006 du 7 novembre 2006 consid. 2.3.1). L'obligation du médecin de garder le secret ne prend ainsi en principe pas fin avec le décès du patient (ATF 142 II 256 consid. 1.2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_215/2015 du 16 juin 2016 consid. 5.1 et 2C_37/2018 précité consid. 6.2.3).

3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

3.6 En l’espèce, la commission de surveillance a requis la transmission du dossier complet des patients à la suite de l’arrêt du 21 mars 2023, selon les considérants duquel elle doit examiner concrètement les obligations du recourant régissant les prescriptions « off-label » de Dormicum et les procédures d’autorisation et d’annonce prévues par la LStup. La commission de surveillance est en particulier appelée à vérifier si le recourant a vu personnellement les patients avant chaque prescription, s’il a procédé à une analyse des avantages et des inconvénients de leur prise en charge, si des passages à des benzodiazépines à demi-vie longue ont été tentés, si le recourant a bien informé les patients des risques et inconvénients des prescriptions et des conséquences en cas d’abus de substances, et si ces derniers ont donné un consentement libre et éclairé à leur traitement.

Le dossier 1______a toutefois été ouvert à la suite d’une dénonciation concernant des prescriptions excessives de péthidine et ne vise pas, selon les éléments à la procédure, des prescriptions régulières de Dormicum. Or, l’arrêt du 21 mars 2023 ne mentionne spécifiquement ni le dossier 1______, ni le nom de la patiente, ni des prescriptions de péthidine. La commission de surveillance ne sera en conséquence pas amenée à examiner la conformité avec les devoirs professionnels du recourant de telles prescriptions à feu B______. Il ne résulte pas non plus du dossier que d’autres patients reçoivent un traitement à base de péthidine « hors étiquette » ayant alarmé les autorités, de sorte qu’il serait dans leur intérêt, voire dans celui de la collectivité, que la commission de surveillance examine ce point.

La demande de levée du secret professionnel ne vise donc à protéger ni les intérêts du recourant, ni ceux des autres patients toxicodépendants, ni plus généralement la santé publique. L’intérêt de la patiente et de la collectivité à la préservation du secret professionnel est dès lors prépondérant, ce qui aurait dû conduire l’autorité intimée à refuser la levée dudit secret.

Bien fondé, le recours sera admis et la décision querellée annulée.

4.             Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument. Le recourant, qui plaide en personne et ne démontre pas avoir exposé des frais, ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 novembre 2024 par A______ contre la décision du 7 novembre 2024 de la commission du secret professionnel ;

au fond :

l’admet et annule cette décision ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ et à la commission du secret professionnel.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Karine STECK, Francine PAYOT ZEN‑RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :