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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1580/2023

ATA/434/2025 du 15.04.2025 sur JTAPI/550/2024 ( ICCIFD ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1580/2023-ICCIFD ATA/434/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 avril 2025

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE recourante

contre

A______

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 juin 2024 (JTAPI/550/2024)


EN FAIT

A. a. L'A______ (ci-après : l'association) est une association au sens des art. 60 ss du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Elle a son siège à B______.

b. Selon son site Internet, elle est membre de trois autres association, à savoir « C______», « D______ » (site Internet : https://geneve______.ch/) et « E______ ». Elle possède aussi une page Facebook.

B. a. Par courrier adressé à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) le 15 avril 2019, l’association a demandé son exonération de l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) et de l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) au moyen du formulaire ad hoc daté du 11 avril 2019.

Elle a joint à sa demande ses statuts modifiés le 2 mai 2018, un extrait de ses procès‑verbaux d’assemblée générale des années 2015 à 2018, son bilan et son compte de recettes et dépenses des années 2014 à 2015.

Selon l’art. 2 de ses statuts du 8 mai 2019, « l’association a pour buts essentiels de défendre la qualité de vie et le développement durable de la commune de B______ et des environs, plus particulièrement dans les domaines de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de la mobilité. Elle veille également à la sauvegarde du caractère villageois de la commune, à la conservation de son patrimoine bâti et environnemental et à la protection du F______ et de la G______, valeurs patrimoniales à préserver aux abords de la ville. Elle a qualité pour la défense des intérêts de ses membres et des habitants en général, y compris lorsque l’association n’est pas elle-même directement touchée. Son but est d’ordre idéal et non lucratif dans tous les domaines précédemment cités. L’association est apolitique et non confessionnelle ».

Selon l’art. 15 des statuts, « les ressources de l’association sont constituées par une cotisation dont le montant est fixé d’année en année par l’assemblée générale ordinaire. L’Association peut également bénéficier de dons, legs ou de tout autre apport qui lui serait attribué ».

« Les membres du comité de [l’Association] agissent bénévolement et ne peuvent prétendre qu’à l’indemnisation de leurs frais effectifs et de leurs frais de déplacement » (art. 16 des statuts).

b. Le 15 juin 2019, elle a remis en complément à sa demande d’exonération l’extrait du procès-verbal de son assemblée générale du 8 mai 2019 avec son rapport d’activité 2018, ainsi que la version finale des statuts approuvée le 8 mai 2019.

c. Par décision du 30 juillet 2019, l’AFC-GE a admis l’exonération de l’association pour les années 2015 à 2021, sous réserve des modifications suivantes de ses statuts, à savoir : a) à l’art. 20 : « En cas de dissolution de l’association, l’actif disponible sera entièrement attribué à une institution poursuivant un but d’intérêt public analogue à celui de l’association et bénéficiant de l’exonération de l’impôt. En aucun cas, les biens ne pourront retourner aux fondateurs physiques ou aux membres, ni être utilisés à leur profit en tout ou partie et de quelque manière que ce soit » ; et b) à l’art. 15 : ajout de la phrase suivante : « Les fonds recueillis sont effectivement utilisés conformément à son but social ».

L’AFC-GE se réservait expressément la faculté de revoir en tout temps l’exonération accordée, notamment dès que les conditions qui l’avaient motivée ne seraient plus réalisées. « À cet égard, toute modification substantielle portant sur le but statutaire ou les activités effectives de l’institution doit être portée sans délai à la connaissance de l’AFC-GE ». Il était en outre précisé : « À l’échéance de la validité de la présente décision, votre institution pourra nous présenter une demande de renouvellement de celle-ci ».

d. Par courrier du 20 avril 2021, l’association a soumis à l’AFC-GE une proposition de révision de ses statuts avant son assemblée générale prévue le 22 septembre 2021, afin de savoir si ses futurs statuts répondaient à tous les critères de reconnaissance d’utilité publique justifiant la prolongation de son exonération à l’ICC et à l’IFD.

e. Par courrier du 10 novembre 2021, l’association a remis à l’AFC-GE une nouvelle demande d’exonération sur formulaire ad hoc, en joignant la nouvelle version de ses statuts résultant de son assemblée générale du 22 septembre 2022, accompagnée de son bilan et de son compte de recettes et dépenses de l’année 2020, ainsi que d’un extrait du procès-verbal de son assemblée générale précitée.

Selon le nouvel art. 2 de ses statuts, « l’Association a pour buts de :

-       « Défendre la qualité de vie et le développement durable de la commune de B______ et environs dans les domaines de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de la mobilité :

-       « Veiller à la sauvegarde du caractère villageois de la commune, à la conservation de son patrimoine bâti et environnemental et à la protection des zones boisées et de verdure ;

-       « Lutter contre toute forme de pollutions et de nuisances en considérant leur impact sur la santé humaine, la faune et la flore. »

« L’association collabore avec d’autres associations sises dans le canton de Genève qui poursuivent des buts similaires à ceux de l’association. Son but est d’ordre idéal et non lucratif dans tous les domaines précédemment cités. L'association est apolitique et non confessionnelle ».

f. Par décision du 9 septembre 2022, l’AFC-GE a rejeté la demande de renouvellement de l’exonération fiscale de l’association.

La motivation se lisait comme suit : « À l’examen de votre requête, nous comprenons que les activités de l’institution consistent en partie à suivre les projets ou décisions prises en termes d’aménagement du territoire ou par exemple de densification. Dans la mesure où ceux-ci peuvent occasionner des nuisances aux habitants du village de B______ et de ses environs, l’association est amenée à intervenir, par exemple au moyen de pétitions, afin de faire entendre son point de vue et celui d’une partie des habitants sur les différents sujets retenus. Bien que l’association exerce des fonctions importantes, en assurant notamment le bon fonctionnement de la démocratie directe, elle défend avant tout sa propre conception des activités et projets en lien avec le village de B______ et de ses environs. Son but n’est ainsi pas de servir directement et prioritairement un but d’utilité publique, mais plutôt les propres convictions de ses membres dans ces activités et projets. Ces activités reflètent dès lors l’intérêt avant tout des membres de l’association et ne correspondent pas aux critères très restrictifs d’intérêt général et de désintérêt au sens de notre législation fiscale ».

C. a. Le 4 octobre 2022, l’association a formé réclamation contre cette décision.

Elle a rappelé brièvement la procédure ayant conduit à son exonération durant les années 2015 à 2021. Elle n’agissait qu’en vue de la défense du développement durable, de la sauvegarde de l’environnement, de la qualité de vie des habitants et de la lutte contre la pollution, sans agir pour la défense des intérêts de ses membres, laquelle n'était pas prévue par les statuts. Elle a également inventorié les activités et projets sur lesquels elle s’était engagée et continuait de s’engager en ligne avec ses statuts. En outre, son site Internet « www.______.ch » était librement accessible à toute personne sans restriction ni identification. Elle émettait deux à trois newsletters par année, qu’elle distribuait gratuitement à tous les ménages de la commune de B______. Ses membres versaient leur cotisation annuelle, non pas pour que l’association les défende, mais en reconnaissance du travail qu’elle effectuait en conformité avec ses buts.

b. Par décision du 11 avril 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. Au vu de l’historique – publié sur son site Internet – des actions menées par l’association depuis sa fondation en 1971, il apparaissait qu’une part essentielle de son activité consistait, dans les faits, à défendre les intérêts, les droits et la qualité de vie des habitants de B______ et des environs. Pour ce faire, l’association effectuait le suivi des décisions prises en termes d’aménagement du territoire ou par exemple de densification. Lorsque celles-ci pouvaient occasionner des nuisances aux habitants du village de B______ et de ses environs, elle était amenée à intervenir, par exemple au moyen de pétitions, afin de faire entendre son point de vue et celui d’une partie des habitants sur les différents sujets retenus. Bien que l’association exerce des fonctions importantes, en assurant notamment le bon fonctionnement de la démocratie directe, elle défendait avant tout sa propre conception des activités et projets de la commune de B______ et de ses environs. Son but n’était ainsi pas de servir directement et prioritairement un but d’utilité publique, mais plutôt les propres convictions de ses membres dans ces activités et projets. Ces activités, pouvant être considérées en grande partie comme de nature principalement politique, reflétaient l’intérêt avant tout de ses membres et ne correspondaient pas aux critères très restrictifs d’intérêt général et de désintérêt au sens de la législation fiscale.

D. a. Par acte du 8 mai 2023, l'association a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et à être exonérée de l'impôt sur le bénéfice et sur le capital.

Reprenant les arguments développés dans le cadre de sa réclamation et précisant que ses activités profitaient à un nombre indéterminé de bénéficiaires, elle a décrit les activités et projets sur lesquels elle s'était engagée ou continuait à s'engager depuis plusieurs années, conformément à ses buts statutaires, soit : la protection de l'Aire et de son vallon avec une participation au groupe de travail sur la « Gouvernance de l'Aire » créée par le département du territoire ; la participation au futur de B______ avec une réflexion sur le plan directeur communal et sur des grands projets d'aménagement du territoire tels que les H______, I______ et J______ ; la protection de la G______, du K______ et de la zone villa et sa biodiversité ; la demande de prolongement de la couverture de l'autoroute à l'office fédéral des routes et au département des infrastructures lors de l'étude pour la création d'une troisième voie autoroutière ; la lutte contre le bruit dû aux transports ou aux incivilités ; la sauvegarde de la forêt urbaine de L______, aujourd'hui en partie sauvée après l'intervention de l'État et de la commune ; la protection du parc des M______ en partenariat avec d'autres associations ; et la réflexion concernant la division de la commune par la route de N______ et les nuisances occasionnées pour les riverains et la petite faune.

L'AFC-GE appuyait sa position sur le fait que l'association aurait participé au référendum de la O______, ce qui était inexact. Par conséquent, elle se vouait bel et bien exclusivement par idéal à l'étude de questions relatives à l'aménagement du territoire, à la protection de l'environnement, à la défense de la qualité de vie des habitants et à la protection des sites, sans agir pour la défense des intérêts de ses membres.

Son site Internet était totalement libre d'accès pour toute personne, sans restriction ni identification. Elle émettait en outre deux ou trois newsletters par année, en imprimait 2'000 exemplaires, dont 1'850 étaient distribués gratuitement à tous les ménages habitant sur le territoire de la commune. Son activité était totalement désintéressée, tout le travail étant effectué entièrement bénévolement. De plus, elle ne faisait jamais la promotion de ses membres.

b. Le 14 juillet 2023, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Il ressortait des diverses activités listées dans la décision litigieuse et dans le recours lui-même qu'elles relevaient de la défense des intérêts de la commune de B______, de ses habitants et des habitants situés aux alentours. En conséquence, l'association avait pour but de poursuivre ses propres intérêts. Elle ne servait donc pas directement et prioritairement un but d'utilité publique. Les critères relatifs au but d'intérêt général et au désintérêt au sens des normes et de la jurisprudence applicable n'était pas remplis.

c. L'association a répliqué le 29 août 2023.

Il était faux d'affirmer que ses membres étaient les principaux bénéficiaires de ces activités. Ces dernières visaient la préservation de l'environnement et de la biodiversité dans leur ensemble, contribuant ainsi à l'amélioration globale de la qualité de vie sur le territoire. La nature et la biodiversité ne connaissaient pas les frontières des communes et des cantons. Ainsi, tous les efforts de l'association contribuaient au bien général. Elle donnait trois exemples de tels efforts, concernant la défense du parc des M______, la protection du vallon de l'Aire et celle des futurs habitants des H______.

Ses activités, son bénévolat et son engagement n'avaient pas changé depuis la création de l'association en 1971, de sorte que le refus soudain de l'AFC-GE de lui permettre de bénéficier d'une exonération contrevenait à la sécurité juridique.

d. Par jugement du 10 juin 2024, le TAPI a admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour nouvelle décision au sens des considérants.

Le litige portait uniquement sur les deux conditions spécifiques de l'exercice d'une activité d'intérêt général en faveur d'un cercle ouvert de destinataires et du désintéressement.

L'argumentation de l'AFC-GE sur ces points n'apparaissait pas convaincante. Le fait qu'une partie plus ou moins importante de l'activité de l'association s'inscrive dans le champ politique ne diminuait en rien la portée d'utilité publique de ses buts statutaires. Au contraire, la politique était par excellence le champ de l'intérêt public et certains domaines y étaient constamment traités, comme c'était le cas de la protection de la nature et de l'environnement, de sorte qu'il était pour ainsi dire impossible de déployer une réelle activité dans de tels domaines sans qu'il y ait interférence avec la sphère politique.

Lorsque l'AFC-GE relevait que l'association défendait sa propre conception des activités et projets de la commune et des environs, ou encore défendait les propres conceptions de ses membres, elle semblait vouloir faire la démonstration que le cercle des bénéficiaires serait trop petit ou qu'il y aurait en réalité assistance mutuelle des membres, prohibée par la jurisprudence. Or, en l'occurrence, l'association faisait la démonstration, par les différents exemples qu'elle citait, de l'étendue géographique relativement importante de ses activités, toujours déployées dans une optique conforme à ses buts statutaires, et soulignait que certains des objets dans lesquels elle s'était investie bénéficiaient à un cercle de personnes qui excédait très largement celui des habitants de la commune.

L'association répondait ainsi entièrement aux conditions pour bénéficier de l'exonération.

E. a. Par acte déposé le 11 juillet 2024, l'AFC-GE a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et au rétablissement de sa décision de refus du 11 avril 2023.

L'opinion du TAPI, selon laquelle le fait qu'une partie plus ou moins importante de l'activité d'une association ne diminuait en rien son caractère d'utilité publique, ne pouvait être suivie. Référence était faite à une motion déposée en 2020 à l'Assemblée fédérale (objet parlementaire 20.4162) et à la réponse du Conseil fédéral.

L'association se disait très attentive à toute modification, même infime, en matière d'aménagement du territoire et de constructions. Son site Internet faisait état de prises de position et d'actions auprès des instances publiques, les termes et le ton employés s'apparentant à du militantisme. L'association défendait ainsi avant tout sa propre conception de l'aménagement du territoire et des projets urbanistiques de sa région, son activité politique étant prépondérante.

L'AFC-GE a joint un certain nombre d'impressions tirées du site Internet de l'association, en particulier de la rubrique « actions ».

b. Le 23 août 2024, sur demande du juge délégué, l'AFC-GE a donné – sous le sceau du secret fiscal – des renseignements sur le statut d'exonération fiscale d'autres associations du même type que l'intimée, dont la plupart étaient recensées à l'adresse électronique https://geneve.______.ch/association/partenaires.

c. Le 21 octobre 2024, l'association a conclu au rejet du recours.

Le jugement attaqué concluait à juste titre qu'elle remplissait toutes les conditions pour être exonérée pour cause de pure utilité publique et avait rejeté de façon convaincante l'argument de l'AFC-GE par rapport à ses interventions dans le débat public.

Dans les trois derniers dossiers qu'elle avait traités, elle défendait l'intérêt de la collectivité et pas seulement ceux de ses membres. La défense du parc des M______ avait pour but de préserver la biodiversité et l'environnement ainsi qu'un lieu de détente pour tous les usagers sans distinction. L'association travaillait depuis près de 50 ans sur la protection du vallon de l'Aire, dont la renaturation était une belle réussite. En lien avec les H______, elle défendait un projet avec moins d'îlots de chaleur, une densité plus raisonnable, une protection des terres agricoles du vallon et des écoles et crèches en nombre suffisant, ceci au bénéfice des futurs habitants de ce quartier, qui n'étaient pas encore membres de l'association.

Elle récusait l'utilisation du terme « militant » pour la désigner. Elle recourait uniquement à des moyens légaux et non violents ainsi qu'à une communication claire et simple. Le militantisme et la politique étaient du reste deux concepts distincts bien que se chevauchant parfois. Enfin, l'argument de l'AFC-GE selon lequel ses actions iraient à l'encontre des propositions étatiques était surprenant et allait à l'encontre du principe même de la démocratie directe suisse.

d. Le juge délégué a fixé aux parties un délai au 22 novembre 2024 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

e. Le 22 novembre 2024, l'AFC-GE a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d'observations complémentaires à formuler.

f. L'association ne s'est quant à elle pas manifestée.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 2 let. e de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2.             Est litigieuse l'exonération fiscale de l'intimée, refusée par la recourante et admise en première instance par le TAPI.

2.1 Selon les art. 49 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et 1 al. 2 de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), les personnes morales soumises à l’impôt sont : a) les sociétés de capitaux (sociétés anonymes, sociétés en commandite par actions, sociétés à responsabilité limitée) et les sociétés coopératives ; b) les associations, fondations et autres personnes morales.

2.2 Selon l’art. 56 let. g LIFD, sont exonérés de l'impôt les personnes morales qui poursuivent des buts de service public ou d’utilité publique, sur le bénéfice exclusivement et irrévocablement affecté à ces buts (1re phr.). Des buts économiques ne peuvent être considérés en principe comme étant d’intérêt public (2e phr.). L’acquisition et l’administration de participations en capital importantes à des entreprises ont un caractère d’utilité publique lorsque l’intérêt au maintien de l’entreprise occupe une position subalterne par rapport au but d’utilité publique et que des activités dirigeantes ne sont pas exercées (3e phr.).

L'art. 9 al. 1 let. f de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15) a une teneur identique, qui correspond aussi à celle de l'art. 23 al. 1 let. f de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). Dans ces conditions, l'interprétation de l'art. 9 al. 1 let. f LIPM peut s'appuyer sur celle du droit fédéral (arrêts du Tribunal fédéral 2C_82/2021 du 8 décembre 2021 consid. 5.1 ; 2C_484/2015 et 2C_485/2015 du 10 décembre 2015 consid. 1).

Il y a lieu de noter qu'anciennement (soit jusqu'au 31 décembre 2005), la LIFD parlait de but « de pure utilité publique » et pas seulement « d'utilité publique ». L'expression est du reste encore employée par le Tribunal fédéral comme si elle figurait encore dans la loi (ATF 147 II 287 consid. 5.2). Le but de cette suppression n'était pas forcément d'étendre les possibilités d'exonération, mais plutôt d'harmoniser les art. 56 al. 1 let. g et 33 al. 1 let. a LIFD (FF 2003 7425, 7445).

2.3 L'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) a en outre édité la circulaire n° 12 du 8 juillet 1994 relative à l'exonération de l'impôt pour les personnes morales poursuivant des buts de service public ou de pure utilité publique ou des buts cultuels et à la déductibilité des versements bénévoles (ci-après : la circulaire), qui ne lie pas le Tribunal fédéral, mais dont il s'inspire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 du 18 juin 2019 consid. 5.1).

Selon le ch. 3 let. a de la circulaire, la poursuite d'un but d'intérêt général est fondamentale pour toute exonération fondée sur un but d'utilité publique. Les activités à caractère caritatif, humanitaire, sanitaire, écologique, éducatif, scientifique et culturel peuvent être considérées comme étant d'intérêt général. Par exemple, l'assistance publique, les arts, la science, l'enseignement, la promotion des droits de l'homme, la sauvegarde du patrimoine, la protection de la nature et des animaux ainsi que l'aide au développement sont de nature à promouvoir l'intérêt général.

Selon le ch. 3 let. b de la circulaire, outre l'élément objectif de l'intérêt général, la notion d'utilité publique comprend un élément subjectif, le désintéressement. Une activité n'est désintéressée, au sens du droit fiscal, que si elle sert l'intérêt public et se fonde sur l'altruisme, dans le sens d'un dévouement à la collectivité. La notion de pure utilité publique suppose donc non seulement que l'activité de la personne morale est exercée dans l'intérêt général, mais aussi qu'elle est désintéressée, c'est-à-dire qu'elle exige de la part des membres de la corporation ou de tiers un sacrifice en faveur de l'intérêt général primant leurs propres intérêts. Ce but désintéressé (altruiste) fait défaut pour les institutions d'assistance mutuelle et les associations de loisirs, de même que lorsque la personne morale poursuit un but lucratif.

2.4 D'une manière générale, l'octroi de l'exonération fiscale ne dépend pas seulement du contenu des statuts de la personne morale, mais encore de son comportement et de ses activités effectives ; le simple fait de prétendre exercer statutairement une activité exonérée de l'impôt n'est pas suffisant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 précité consid. 5.1 et les arrêts cités).

2.5 L'exonération d'une personne morale, sur la base des dispositions légales précitées, suppose la réalisation de trois conditions générales : l'exclusivité de l'utilisation des fonds, l'irrévocabilité de l'affectation des fonds et l'activité effective de l'institution conformément à ses statuts (ATF 131 II 1 consid. 3.3 ; 127 II 113 consid. 6b ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_740/2018 précité consid. 5.3 ; 2C_484/2015 précité consid. 5.3).

2.6 Outre ces trois conditions générales, il faut que la personne morale poursuive un but de service public ou de pure utilité publique ; des conditions spécifiques distinctes s'appliquent à l'exonération selon qu'elle est fondée sur la poursuite d'un but de pure utilité publique ou d'un but de service public (ATF 146 II 359 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_740/2018 précité consid. 5.2). L'exonération fondée sur la poursuite de buts de pure utilité publique – qui est celle litigieuse dans le cas d'espèce – suppose en particulier la réalisation des deux conditions spécifiques suivantes : l'exercice d'une activité d'intérêt général en faveur d'un cercle ouvert de destinataires et le désintéressement (ATF 147 II 287 consid. 5.2 et les arrêts cités).

L'activité d'intérêt général n'est en principe admise que si le cercle des destinataires bénéficiant de l'encouragement ou du soutien est en principe ouvert. Un cercle de destinataires trop restreint (par ex. en se limitant au cercle familial ou aux membres d'une association) exclut une exonération fiscale pour cause d'utilité publique (arrêt du Tribunal fédéral 2C_835/2016 du 21 mars 2017 consid. 2.2.2). La jurisprudence refuse dans ce cadre le statut d'utilité publique aux activités des organisations politiques ou des partis, car leur activité a pour but de poursuivre les intérêts de leurs membres (ibid., consid. 2.2.4).

2.7 À ce sujet, la recourante se réfère à une motion Ruedi NOSER du 24 septembre 2020 (objet parlementaire 20.4162). Ladite motion est aujourd'hui liquidée sans suite, car elle a été adoptée par le Conseil des États le 9 juin 2021, mais rejetée par le Conseil national le 9 décembre 2021.

On relèvera néanmoins que dans son avis du 18 novembre 2020, le Conseil fédéral a indiqué que « suivant les buts définis dans les statuts des organisations exonérées d'impôt, des liens avec des sujets politiques sont possibles (par ex. dans le cas d'organisations actives dans le domaine de la protection de l'environnement, de la santé, de la défense des droits de l'homme, d'organisations représentant les personnes handicapées, etc.). Depuis toujours, les activités de nature principalement politique ne sont pas reconnues comme étant d'utilité publique au sens du droit fiscal dans la doctrine et la jurisprudence. Bien qu'elles exercent des fonctions importantes, les organisations politiques défendent avant tout les intérêts et visions de leurs membres. L'État doit se montrer neutre à l'égard des regroupements politiques. Il doit refuser l'exonération fiscale à une organisation si elle poursuit des buts politiques, mais pas si elle a recours à des moyens politiques pour servir un but d'utilité publique. Dans ce cas, il doit déterminer si le but de l'organisation réside principalement dans la formation de l'opinion publique ou si une possible influence de l'opinion publique n'est qu'une simple conséquence du but poursuivi dans l'intérêt général. Le fait de soutenir des initiatives ou des référendums sur le plan matériel ou idéologique ne s'oppose pas à une exonération fiscale. Cependant, l'engagement politique ne doit pas devenir une activité centrale de l'organisation au point que celle-ci serait considérée dans son ensemble comme ayant un caractère politique. Dans ce cas, l'exonération fiscale devrait être refusée au motif que l'organisation poursuit des intérêts particuliers et pour des raisons de neutralité politique de l'État ».

2.8 En l'espèce, il n'est pas contesté que les trois conditions générales d'exonération soient remplies par l'intimée. Comme l'a justement exprimé le TAPI, le litige porte uniquement sur les deux conditions spécifiques de l'exercice d'une activité d'intérêt général et du désintéressement.

L'opinion des premiers juges selon laquelle « le fait qu'une partie plus ou moins importante de l'activité de l'association s'inscrive dans le champ politique ne diminue en rien la portée d'utilité publique de ses buts statutaires » ne peut en revanche être partagée. Comme cela résulte des considérants qui précèdent, si le but d'une organisation réside principalement dans la formation de l'opinion publique, elle ne peut se voir reconnaître un statut d'utilité publique au sens de l'art. 56 let. g LIFD. Il en va de même des associations de défense des habitants d'un quartier ou d'une commune, dans la mesure où elles défendent les intérêts de leurs membres plus que l'intérêt général.

Par certaines de ses entreprises, l'intimée agit certes dans l'intérêt général, à l'instar d'une association de défense de l'environnement ou du patrimoine. Il en va ainsi de certaines des causes qu'elle a mises en avant dans ses écritures, comme la renaturation et la « gouvernance » de l'Aire et de son vallon ou le maintien du parc des M______. Toutefois, si l'on prend en compte l'ensemble des éléments du dossier, les aspects combinés de défense des intérêts des habitants de B______ (et de sa région) et de formation de l'opinion publique apparaissent prépondérants dans son action. Cela ressort moins de ses statuts, qui ne prévoient certes pas expressément la défense des intérêts de ses membres, que de son nom, de ses liens avec d'autres associations de défense de propriétaires et surtout de ses actions et des informations qu'elle diffuse, qui visent très souvent à prendre position dans le débat public et à infléchir les projets d'aménagement du territoire et de constructions tels que prévus ou autorisés par les pouvoirs publics. À cet égard, il apparaît indifférent de savoir si le vocable de « militantisme » employé par la recourante est approprié ou non. La prépondérance globale desdits aspects de défense des intérêts des habitants et de formation de l'opinion publique sur les activités écologiques ou patrimoniales suffit en effet à considérer que les conditions posées par la jurisprudence en matière d'exercice d'une activité d'intérêt général et de désintéressement ne sont pas remplies.

Le recours est dès lors bien fondé et sera admis, le jugement attaqué devant être annulé et la décision de refus d'exonération du 11 avril 2023 rétablie.

3.             Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA), ni alloué d'indemnité de procédure, la recourante étant une administration cantonale disposant d'un service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 juillet 2024 par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 juin 2024 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 10 juin 2024 ;

rétablit la décision de refus d'exonération du 11 avril 2023 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à l'A______, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :