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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/445/2025

ATA/363/2025 du 01.04.2025 sur JTAPI/161/2025 ( LVD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/445/2025-LVD ATA/363/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er avril 2025

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Diego DUGERDIL, avocat

contre

B______ intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 février 2025 (JTAPI/161/2025)


EN FAIT

A. a. Par décision du 1er février 2025, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de douze jours à l'encontre de A______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée de B______, sise ______ avenue C______, 1206 Genève, et de contacter ou de s'approcher de celle-ci.

Il était reproché à A______ d'avoir porté des coups à la tête de la précitée, mains ouvertes de haut en bas, le 31 janvier 2025.

b. Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 1er février 2025 que le 31 janvier 2025, B______ s'était rendue au poste de police des Pâquis pour déposer plainte à l'encontre de A______, son ex-concubin, pour des faits survenus le jour même. Elle avait expliqué que lors d'une dispute, le précité l'avait frappée à plusieurs reprises au sommet du crâne avec le plat de ses mains. Depuis qu’ils avaient emménagé ensemble dans leur nouvel appartement, en octobre 2024, de nouvelles tensions avaient engendré de nombreux conflits verbaux, A______ la traitant notamment, à plusieurs reprises de « stupide » et « d'escorte ». Les enfants de B______, âgés de onze et seize ans, n’avaient pas assisté aux violences.

Elle a par ailleurs exposé avoir rencontré A______ en avril 2024 au restaurant D______. Ils avaient été en couple pendant trois mois jusqu’au début du mois de juillet 2024. Suite à la fin de son bail, en août 2024, elle avait pensé repartir en Ukraine, ce qu’elle n’avait finalement pas pu faire car sa voiture était tombée en panne. A______ lui avait alors proposé de venir habiter chez lui avec ses deux fils, ce qu’elle avait fait en août 2024. Au mois d'octobre 2024, A______ lui avait demandé de signer un bail en commun avec lui pour que l'Hospice général (ci-après : l'hospice) paie une partie du loyer, lui précisant que le bail serait à leurs deux noms mais qu'il quitterait les lieux deux mois plus tard pour emménager dans un appartement qui allait se libérer aux Pâquis. Les disputes avaient débuté dès le mois d’août et elles étaient devenues plus fréquentes et intenses au fil des mois. Elles étaient, au début, liées à leurs horaires différents, A______ rentrant tard et elle devant se lever tôt pour les enfants. Dans ce cadre, il l’avait traitée « d'escorte » et lui avait dit qu’elle était « stupide », car elle ne parlait pas français. Fin décembre 2024, A______ avait été licencié et était devenu plus agressif. Il lui avait pris des affaires et lisait ses messages sur son téléphone. En janvier 2025, elle avait essayé de trouver un autre logement avec l'aide de sa conseillère de l’hospice mais n’était pas arrivée à discuter avec A______ pour qu'ils résilient le bail. Il lui avait dit qu'il ne pouvait pas payer le loyer tout seul et que si elle partait, elle devrait quand même payer la moitié du loyer. Il avait refusé toutes les propositions qu’elle lui avait faites, ainsi par exemple, qu’une personne emménage à sa place en sous-location. Le 31 janvier 2025, vers 15h30, A______ commençant à déplacer ses affaires dans le salon, elle avait déplacé les siennes et celles de ses enfants dans sa chambre. Il les avait alors jetées par terre puis s’était dirigé vers elle et l’avait frappée du plat de la main sur le sommet du crâne à plusieurs reprises. Il semblait hors de lui. Ne pouvant pas s'enfuir, elle s’était protégée avec ses mains et l’avait repoussé avec sa main droite. Après cela, A______ était parti et elle avait contacté un avocat qui lui avait conseillé de venir déposer plainte. Suite à cet évènement, elle avait mal au majeur de la main gauche qui avait dû se tordre et des maux de tête. Elle avait eu très peur et avait beaucoup pleuré. Elle allait faire un constat médical aux HUG qu’elle transmettrait. Elle ne voulait plus vivre dans le même appartement que A______. La situation impactait sa famille. Son fils ainé était très tendu quand il était dans l'appartement et son fils cadet s’était renfermé sur lui-même. Elle recherchait activement un autre appartement mais n’avait pas d'argent car elle venait de payer le loyer pour le mois de février. Elle n’avait pas de travail, ce qui compliquait les choses.

c. Lors de son audition par la police, A______ a expliqué, en substance, avoir été en couple avec B______ d’avril 2024 au 31 décembre 2024. Lorsqu’ils avaient emménagé à l’avenue E______, B______ devait recevoir la moitié de l’argent du loyer de l'hospice, ce que ce dernier avait confirmé. Or elle lui avait indiqué ne pas avoir reçu d'argent. Le paiement du loyer avait donc été une source de discussion. Malgré ses demandes répétées, elle ne lui avait pas versé de loyer avant le 26 janvier 2025. Il y avait également eu des disputes au sujet des voyages qu'elle faisait en laissant ses enfants en Suisse alors qu'elle était censée ne pas avoir d'argent. Lors de ces disputes, il ne se souvenait pas l'avoir insultée, mais des mots avaient pu lui échapper. Elle l’avait traité de « préservatif usé ». Le 27 janvier 2025, ils avaient discuté concernant la reprise de l’appartement à son nom, car il était en recherche pour un autre appartement. Elle lui avait alors annoncé ne pas avoir de garant et ne pas pouvoir reprendre le bail. Il était toujours en recherche d'appartement. Le 31 janvier 2025 au matin, elle était énervée car il avait fermé la porte de sa chambre la veille au soir. Après le dîner, il s’était rendu compte que la clé de sa chambre avait disparu. Elle lui avait dit que le loyer étant moitié moitié, elle avait le droit à la moitié de l'appartement. Pour répondre à cela, il avait déplacé des affaires dans le vestiaire qui était dans le salon. Elle s’était énervée et il avait retrouvé des affaires à lui par terre dans la chambre. Il transmettrait la vidéo y relative. Comme B______ prenait certaines de ses affaires, il s’en était emparé et la précitée avait frappé sa main contre le vestiaire en disant qu’il l’avait touchée. Voyant cela, il avait pris l'ensemble des clés des parties communes pour éviter qu'elle ne l'enferme plus tard et était parti. Il admettait lui avoir dit qu’elle était « stupide », mais pas de façon agressive et qu’il ne comprenait pas comment elle faisait pour avoir de l'argent pour sortir autant. Il ne l’avait pas frappée à plusieurs reprises sur la tête. Il ne lui avait pas dit qu’elle devrait payer la moitié du loyer jusqu'à la fin du contrat, soit en octobre 2025, même si elle quittait l'appartement. Il aurait voulu partir avant. Il ne souhaitait plus vivre avec elle et voulait juste résoudre la question de l’appartement : soit elle le gardait si la régie était d’accord et il trouvait un autre logement, soit elle trouvait un autre logement et il gardait l'appartement. B______ avait laissé ses enfants sans surveillance à leur domicile à plusieurs reprises. En cas d’éloignement du domicile, il pourrait demander à des amis de l'héberger, mais cela l'embêtait de les déranger.

B. a. A______ a fait opposition à la décision du 1er février 2025 par acte reçu par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le 7 février 2025, concluant à la levée immédiate de la mesure, en l’absence de tout risque de réitération. Cette mesure entraînait des frais excessifs et disproportionnés dès lors qu’il ne pouvait pas se rendre à son domicile, bien qu'il en soit locataire.

b. Par courrier non signé daté du 8 février 2025, B______ a demandé au TAPI la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée à l’encontre de A______ pour une durée de 30 jours supplémentaires. Elle avait peur pour son intégrité corporelle si la mesure devait prendre fin, vu le comportement et les agissements du précité.

c. À l'audience du 10 février 2025 devant le TAPI, A______ a indiqué s'opposer à la mesure d'éloignement pour les motifs allégués dans son courrier du 7 février 2025. Il n’avait rien d'autre à ajouter et confirmait ses déclarations à la police du 31 janvier 2025. Il ne souhaitait plus reprendre la cohabitation avec B______ et faisait des recherches en vue de trouver un appartement. Il lui faudrait pour cela pouvoir récupérer son dossier qui se trouvait à son domicile. Par ailleurs, dans la mesure où il payait également le loyer de l'appartement sis à la rue E______, il souhaitait pouvoir continuer d’y loger le temps de trouver autre chose. B______ avait participé au paiement du loyer pour la première fois le 25 janvier 2025. Auparavant, il le réglait intégralement.

Le 31 janvier 2025, ils avaient effectivement eu une dispute. Il n’avait toutefois pas levé la main sur B______. La dispute avait été uniquement verbale. Il pourrait envisager une cohabitation avec B______ le temps que la situation se dénoue concernant le logement. Quand bien même la clef de sa chambre avait disparu, il pourrait continuer de l’occuper tandis que B______ et ses enfants utiliseraient le salon, comme jusqu’alors. Depuis le prononcé de la mesure d'éloignement, il avait pu se loger chez des amis et pourrait continuer de le faire jusqu'à la fin de la mesure. Il avait pris contact avec l'association VIRES en vue d'un entretien qui aurait lieu le 13 février 2025. Il n’avait eu aucun contact avec B______ depuis le prononcé de la mesure.

B______ a confirmé ses déclarations à la police du 31 janvier 2025 et, en particulier, que ce jour-là, A______ l’avait frappée du plat de la main sur le sommet du crâne à plusieurs reprises. Elle avait peur de rester en cohabitation avec lui. Il en allait de même pour ses enfants qui étaient « agacés » et très stressés. Elle a versé à la procédure une attestation du 6 février 2025 de son psychiatre ainsi qu'une demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de 30 jours supplémentaires. Elle avait peur pour son intégrité corporelle si la mesure prenait fin. Elle avait préparé des dossiers pour la régie qu’elle souhaitait déposer à l'issue de l’audience. Idéalement, elle souhaiterait pouvoir reprendre le bail de l'appartement et que le contrat de bail soit à son seul nom. Si cela n'était pas possible, elle souhaiterait que la régie puisse l'aider à trouver un nouvel appartement. Elle souhaiterait pouvoir rester dans le quartier car ses fils y étaient scolarisés. L'hospice l'aidait financièrement mais pas pour les démarches administratives. Elle entendait également déposer un dossier à la Ville de Genève afin d'obtenir un logement subventionné, A______ n'avait pas cherché à la joindre depuis qu'il était éloigné. Elle n’avait pas de famille à Genève qui pourrait l'héberger. Ses amis à Genève étaient des réfugiés qui ne pouvaient pas la loger avec ses enfants. Elle n’exerçait pas d'activité professionnelle. Elle comprenait que la prolongation de la mesure d'éloignement ne pourrait pas régler le problème du logement. Elle avait toutefois besoin d'une période supplémentaire de 30 jours pour se retourner car il lui était impossible d'envisager de cohabiter à nouveau avec A______. Cas échéant, elle irait au centre des réfugiés à Palexpo ou retournerait en Ukraine. Dans tous les cas, elle quitterait l'appartement si A______ y habitait. Cette situation représenterait une violence morale.

Concernant la demande de prolongation de la mesure d'éloignement, A______ a indiqué ne pas être d’accord pour les mêmes motifs que ceux invoqués en lien avec son opposition.

d. Par jugement du 10 février 2025 (JTAPI/158/2025), le TAPI a rejeté l'opposition formée par A______ et confirmé la mesure d’éloignement prise à son encontre par le commissaire de police le 1er février 2025.

e. Par courriel du même jour, il a informé les parties qu’il statuerait, par jugement séparé, sur la demande de la prolongation de la mesure d’éloignement formée par B______, dès réception du courrier la formulant que l’intéressée indiquait avoir adressé au tribunal le vendredi 7 février 2025. Cas échéant, la demande de prolongation serait recevable, ce qui n’était pas le cas de la demande formulée le jour même en audience, tardive en application de l’art. 11 al. 2 de la Loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 (LVD - F 1 30).

f. Par courriel du 11 février 2025, le TAPI a informé les parties de la bonne réception du courrier le 8 février 2025 de B______.

g. Par jugement du 11 février 2025, le TAPI a admis la demande de prolongation de B______.

Les faits dont B______ se plaignait d'avoir été victime correspondaient à la notion de violences domestiques au sens défini par la loi. Il était pour le surplus indéniable que les intéressés connaissaient des difficultés et que la situation était complexe et tendue entre eux. Leurs déclarations étaient pour l’essentiel contradictoires mais le TAPI avait pu se rendre compte, lors de l’audience du 10 février 2025, que la situation n’était guère apaisée entre eux. Or, à ce stade, la question n'était pas de savoir lequel des intéressés était plus responsable que l'autre de la situation, ce qui était bien souvent impossible à établir. L'essentiel était de séparer les intéressés en étant au moins à peu près certain que celui qui était éloigné du domicile était lui aussi l'auteur de violences, lesquelles pouvaient également être psychologiques. Il était au surplus tenu compte de la situation de plus grande vulnérabilité de B______, mère de deux enfants âgés de onze et seize ans, sans ressources financières propres, ne parlant pas le français et qui semblait disposer de peu de soutien à Genève. Lors de l’audience du 10 février 2025, B______ semblait d’ailleurs encore très affectée par la situation, ce que venait confirmer l’attestation médicale du 6 février 2025 versée à la procédure.

Dans ces circonstances, vu en particulier le caractère récent des événements et leur volonté commune de ne plus avoir à cohabiter et les démarches envisagées à cette fin, la perspective qu'ils se retrouvent dès le 12 février 2025 sous le même toit apparaissait inopportune, le risque de réitération de violences, notamment psychologiques, dans un tel contexte, ne pouvant être exclu.

A______ pourrait venir chercher dans l'appartement des effets personnels, à une date préalablement convenue par les parties et accompagné de la police.

C. a. Par acte déposé le 17 février 2025, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre ce jugement, concluant principalement à son annulation.

Aucun fait ne permettait d'établir une présomption d'actes de violences domestiques commis par le recourant à l'encontre de B______ et il n'existait aucun risque de réitération. La police n'avait rapporté aucun acte de violence. Les affirmations de B______ concernant les violences domestiques qu'elle prétendait avoir subies semblaient purement mensongères. Il avait porté plainte à son encontre pour dénonciation calomnieuse.

b. Le 28 février 2025, A______ a demandé à la chambre de céans la restitution de l'effet suspensif au recours au vu de faits nouveaux, à savoir que l'appartement sis à l'avenue E______, dans lequel il lui était fait interdiction de pénétrer jusqu'au 14 mars 2025, était vacant depuis le 14 février 2025 en raison du départ en Ukraine de B______ avec ses deux fils. La police avait tenté de joindre B______, en vain, afin que le recourant puisse récupérer ses affaires dans son logement. Elle avait déjà sûrement connaissance, au moment de sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement, de son départ en Ukraine quatre jours plus tard, de sorte que cette demande semblait avoir eu pour seul but de nuire aux intérêts du recourant. Par ailleurs, selon ses dires exprimés devant le TAPI, elle sollicitait la prolongation afin de trouver un nouveau logement, démarches qui paraissaient dès lors peu convaincantes au vu de son absence du canton. En raison de son départ en Ukraine, la présomption d'un risque de réitération de violence domestique requise pour la prolongation de la mesure était également sans objet.

c. Dans ses observations du 5 mars 2025, B______ a conclu implicitement au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif et au rejet du recours.

Elle et ses fils résidaient à Genève et elle avait seulement profité des vacances pour passer quelques jours en Ukraine, ce dont le recourant était parfaitement informé. Tout ce qu'elle avait déclaré devant le TAPI était la stricte vérité. Elle avait informé le recourant, dès sa première demande d'accéder à l'appartement pour récupérer ses affaires, que les clés étaient déposées dans le boîte aux lettres et qu'il pouvait passer quand il le souhaitait. Son comportement démontrait un harcèlement obsessionnel à son égard, ce qui l'avait maintenue sous pression et dans la peur. L'idée de partager à nouveau le même logement que lui l'angoissait profondément.

d. Dans sa réplique, A______ a persisté dans ses conclusions. Il n'avait absolument pas connaissance de ce projet de vacances. B______ aurait dû faire preuve de toute la bonne foi nécessaire afin que le TAPI ne prononce pas une mesure d'éloignement pendant la période qui concernait son absence de l'appartement, soit depuis le 14 février 2025 et pendant deux semaines. Contrairement à ce qu'alléguait B______, les clés n'étaient pas dans la boîte aux lettres dès le départ puisqu'une personne de confiance devait venir ouvrir au recourant. Le harcèlement évoqué constituait une accusation grave et dénuée de tout fondement.

e. Le 11 mars 2025, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

1.1 À teneur de l'art. 60 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b).

La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/85/2025 du 21 janvier 2025 consid. 1.1; ATA/1078/2024 du 10 septembre 2024 consid. 2.1).

1.2 Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel (ATF 138 II 42 consid. 1). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2). Si l'intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 139 I 206 consid. 1.1) ; s'il s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1 ; 125 V 373 consid. 1).

Il est toutefois renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d'un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l'autorité de recours (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 131 II 361 consid. 1.2). Il faut en particulier un intérêt public – voire privé – justifiant que la question litigieuse soit tranchée, en raison de l'importance de celle-ci (ATF 135 I 79 consid. 1.1 ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 consid. 1b).

1.3 En l'espèce, la mesure d'éloignement est entièrement exécutée, étant arrivée à échéance le 14 mars dernier. La question se pose ainsi de savoir si le recourant conserve un intérêt actuel digne de protection à ce que le dispositif du jugement attaqué soit annulé.

Or, les questions litigieuses revêtent dans le présent cas une certaine importance, et il ne peut en l'état pas être exclu qu'une procédure administrative au sens de la LVD soit ultérieurement à nouveau intentée par l'un des intéressés, ceux-ci vivant, à teneur du dossier, toujours dans le même logement.

Partant, le recourant conserve un intérêt personnel digne de protection à ce que le dispositif du jugement attaqué soit annulé, de sorte que sous cet angle également, le recours est recevable.

2.             Le litige porte sur le bien-fondé du jugement du TAPI prolongeant la mesure d'éloignement à l'encontre du recourant pendant 30 jours.

2.1 Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le pouvoir d'examen de la chambre de céans se limite à la violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ainsi qu'à la constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Elle ne peut ainsi pas revoir l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), ce qui n'est pas le cas de la chambre administrative, contrairement au TAPI (art. 11 al. 3 LVD).

2.2 Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

2.3 La LVD a été adoptée notamment pour régler les situations dans lesquelles une intervention instantanée est nécessaire, avant le prononcé de mesures superprovisionnelles en matière matrimoniale ou protectrices de l'union conjugale, et alors que l'art. 28b du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) n'existait pas encore (MGC 2004-2005/IV A 2128 ss).

La violence domestique peut prendre différentes formes : la violence physique désigne l'atteinte à l'intégrité corporelle qui se manifeste par des actes tels que battre, frapper, empoigner, étouffer, blesser avec un couteau ou une arme, brûler, séquestrer ou mordre. Le fait de tenter de commettre de tels actes entre également dans la définition de la violence physique. La violence sexuelle regroupe les atteintes ou tentatives d'atteintes à l'intégrité sexuelle par l'imposition des désirs sexuels à un tiers. Elle inclut le harcèlement sexuel et l'exploitation sexuelle. La violence psychologique touche à l'estime de soi, la confiance en soi et l'identité personnelle. Elle comprend tant la violence verbale (cris et injures) que des comportements ayant pour fonction de rabaisser la victime tels qu'humiliation et dénigrement, ou de l'intimider, comme les menaces, les contraintes, l'endommagement d'objets ou l'acharnement sur les animaux de compagnie. La violence économique engendre la dépendance économique de la victime. L'auteur s'approprie l'argent de son partenaire, ou ne contribue pas selon ses ressources aux dépenses du ménage, ou encore empêche son partenaire de suivre une activité professionnelle (MGC 2004-2005/IV A 2116 s.).

2.4 Selon l’art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d’éloignement à l’encontre de l’auteur présumé d’actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes. Selon l’al. 2 de la même disposition, une mesure d’éloignement consiste à interdire à l’auteur présumé de (a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ou (b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes. Selon l’al. 3, la mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de 30 jours au plus.

Elle peut être prolongée pour 30 jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

2.5 Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

2.6 En l'espèce, même si les déclarations des intéressés sont pour l’essentiel contradictoires, il en ressort que la situation entre eux était conflictuelle et tendue à la date du jugement querellé. En tenant compte également du caractère récent des événements, le TAPI était fondé à retenir un risque de réitération de violences, notamment psychologiques et, partant, à prolonger la mesure afin qu'ils ne se retrouvent pas sous le même toit le 12 févier 2025 déjà, soit le lendemain de la date du jugement.

Comme précisé plus haut, les mesures d'éloignement n'impliquent pas un degré de preuve, mais une présomption suffisante de violences, même psychologiques. Comme le TAPI l'a relevé, la question n'est pas de savoir lequel des intéressés est plus responsable que l'autre de la situation, l'essentiel étant de les séparer en étant au moins à peu près certain que celui qui est éloigné du domicile familial est lui aussi l'auteur de violences. À cet égard, il a tenu compte de la situation de plus grande vulnérabilité de B______, mère de deux enfants âgés de onze et seize ans, sans ressources financières propres, ne parlant pas le français et qui semble disposer de peu de soutien à Genève, ce qui n'est pas critiquable.

Quant à la proportionnalité de la mesure, on doit retenir qu'aucune autre mesure administrative n'entrait en ligne de compte pour parvenir au même résultat.

2.7 Dans ses écritures du 28 février 2025, le recourant a fait valoir un fait nouveau, dont le TAPI n'avait pas connaissance, à savoir que l'appartement dans lequel il lui était fait interdiction de pénétrer a été vacant à partir du 14 février 2025, et ce pendant deux semaines en raison des vacances de l'intimée et de ses fils en Ukraine. À cet égard, cette dernière a admis qu'elle avait déjà connaissance de cette future absence lorsqu'elle a requis la prolongation de la mesure et lors de son audition devant le TAPI alors qu'elle avait notamment fait valoir devant cette juridiction qu'elle avait besoin de temps pour s'organiser au niveau du logement et qu'elle ne pouvait retourner en Ukraine faute de moyens financiers.

Si le TAPI avait eu connaissance de ce fait, il n'aurait probablement pas prononcé une mesure d'éloignement pendant la période qui concernait l'absence de l'intimée dans l'appartement en raison du défaut de risque de réitération durant cette période. Il en va de même de l'interdiction qui était faite au recourant de contacter l'intimée durant cette même période puisqu'il ressort de la procédure que son numéro de téléphone portable suisse ne fonctionnait pas durant son séjour en Ukraine et que le recourant a contacté son fils pour obtenir les clés de l'appartement et pouvoir récupérer ses affaires en compagnie de la police. Le TAPI aurait ainsi décidé d'une mesure moins restrictive pour le recourant qu'une prolongation de la mesure d'éloignement pendant une durée de 30 jours.

Le fait pour l'intimée de demander au TAPI la prolongation de la mesure d'éloignement tout en taisant qu'elle séjournerait en Ukraine durant une partie de la période de prolongation sollicitée est non seulement contraire à la bonne foi mais a eu pour conséquence de détourner le but poursuivi par la LVD puisque l'atteinte à la liberté personnelle du recourant résultant du jugement querellé n'a pas permis de la protéger durant sa période d'absence.

Dans la mesure où la chambre administrative ne doit se pencher que sur la situation qui prévalait au moment où le TAPI a rendu son jugement, il convient toutefois de confirmer le jugement querellé et, partant, de rejeter le recours.

3.             Le prononcé du présent arrêt ainsi que la venue à échéance de la mesure contestée rendent sans objet la requête de restitution de l'effet suspensif au recours.

4.             Malgré l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 février 2025 par A_____ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 février 2025 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal-fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi

communique le présent arrêt à Me Diego DUGERDIL, avocat du recourant, à B______, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :