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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/389/2025

ATA/266/2025 du 17.03.2025 ( MARPU ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/389/2025-MARPU ATA/266/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 17 mars 2025

sur effet suspensif et mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

A______ AG

représentée par Robert ZIMMERMANN, mandataire recourante

contre

OFFICE CANTONAL DES BÂTIMENTS intimé

_________



Attendu, en fait, que :

1.1. Le 29 juillet 2024, le département du territoire (ci-après : DT), soit pour lui l’office cantonal des bâtiments (ci-après : OCBA) a publié sur la plateforme www.simap.ch un appel d’offres en procédure ouverte, soumis aux accords internationaux, pour un marché public de services d’architecture, d’ingénierie et de planification intitulé « patinoire de Trèfle-Blanc, mandat de spécialiste façades ». Les offres devaient être remises avant le 11 septembre 2024 à minuit.

Les documents d’appel d’offres pouvaient être obtenus sur le site. Figurait notamment parmi ceux-ci un « cahier des charges de mandat – spécialiste façades » (ci‑après : CDC), sous forme d’un tableau Excel mentionnant sur sa page de garde que « Les cellules bleues sont à remplir impérativement »

2.2. A______ AG (ci-après : A______) est une société anonyme sise à B______, inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Bâle-Campagne depuis le ______ 1988, et qui a pour but statutaire : gestion d'un centre d'ingénierie pour les techniques de construction métallique, de fenêtres et de façades, en particulier l'étude de projets, le développement, la construction d'éléments de construction métallique de tous types, la direction de projets, la surveillance de l'exécution, le conseil aux entreprises ainsi que le commerce de marchandises de tous types.

3.3. Le 9 septembre 2024, A______ a soumis une offre pour le marché précité.

4.4. L’OCBA lui a par la suite demandé de clarifier son offre sur plusieurs points.

5.5. A______ a ainsi renvoyé deux questionnaires complémentaires en date des 21 novembre et 11 décembre 2024.

6.6. Par décision du 21 janvier 2025, le DT a exclu l’offre d’A______ au motif que celle‑ci n’était pas conforme aux exigences du cahier des charges, se référant à l’art. 42 al. 1 let. a du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

7.7. Par acte posté le 3 février 2025, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à ce qu’il soit fait interdiction au DT de conclure un contrat en exécution du marché litigieux et à ce que l’OCBA soit invité à lui notifier toute décision d’adjudication, et principalement à l’annulation de la décision attaquée et à l’octroi d’une indemnité de procédure.

Elle avait demandé au DT de lui fournir toute décision parallèle d’adjudication, requête qui avait été rejetée, si bien qu’elle ne savait pas si le marché avait été adjugé ou non. Il convenait en conséquence d’interdire la conclusion de tout contrat jusqu’à droit connu sur le recours et d’exiger de l’intimé qu’il lui notifie une éventuelle décision d’adjudication.

Sur le fond, la recourante invoquait une violation du principe de la bonne foi (l’intimé ne lui ayant fait parvenir la motivation de sa décision que très peu de temps avant l’expiration du délai de recours), la violation du droit d'être entendu et la violation de l’art. 42 RMP. Son offre était complète et conforme au CDC. Elle reprenait ainsi les six points litigieux ne correspondant pas au CDC aux dires du pouvoir adjudicateur :

-          Sur la « réalisation des schémas des prototypes ou éléments-tests » (phase 4.41.1 du CDC), son offre n’indiquait pas de nombre d’heures, mais elle avait clarifié sa réponse en indiquant que de tels schémas ou éléments-tests étaient inclus dans son offre, sauf demande spécifique pour un prototype anticipé ;

-          Sur le « contrôle de la qualité […]. Estimation à 40 visites de chantier » (phase 4.52 point 6 du CDC), elle n’avait pas estimé le nombre de visites qu’elle ferait mais avait répondu que les prestations de cette rubrique étaient incluses dans son offre ;

-          Sur les « contrôles supplémentaires ponctuels […]. Estimation à 10 visites » (phase 4.52 point 7 du CDC), elle avait indiqué que selon son expérience, deux visites en atelier étaient largement suffisantes pour contrôler la qualité de la production, et ce n’était qu’a posteriori que l’OCBA entendait faire du nombre de dix visites un minimum incompressible ;

-          Sur l’« organisation et le contrôle des métrés » (phase 4.52 point 14 du CDC), elle avait confirmé dans le questionnaire de clarification que le contrôle en question était compris dans l’offre, sans limitation – ce à quoi l’OCBA avait semblé acquiescer puisqu’il n’avait émis aucune remarque ;

-          Sur le point « recherche, contrôle et mise à jour de la documentation » (phase 4.53 point 8 du CDC), elle avait indiqué dans son offre que « les documents BET [avaient] déjà été remis en phase 41 », ce qu’elle avait confirmé dans son document de clarification en indiquant qu’elle remettrait également ces études à la fin de la phase 53 ;

-          Sur les points « rédaction et collecte des documents nécessaires pour l’exploitation et la conservation » et « élaboration d’un plan d’entretien pour les éléments de façade et de toiture (phase 4.53 points 21 et 22 du CDC), elle avait mentionné dans son offre « à établir par l’entreprise d’exécution ». Dans son document de clarification, elle avait confirmé ce point en précisant qu’elle contrôlerait l’intégrité et la conformité de ces documents, prestations qui étaient comprises dans son offre.

8.8. Le 13 février 2025, l’OCBA a conclu au rejet de la demande d’octroi de l’effet suspensif.

Le recours était infondé, même sur la base d’une analyse prima facie. Il n’y avait pas de violation du droit d'être entendu de la recourante, la décision attaquée mentionnant que l’exclusion était prononcée pour cause de non-conformité avec le CDC, et il avait été donné suite à la demande de précision sur les motifs de non-conformité dans un délai de trois jours ouvrés.

S’agissant des six points de non-conformité relevés :

-          Pour la phase 4.41.1, point 10 du CDC : dans l’offre, la recourante avait laissé la case vide alors que le CDC mentionnait expressément que toutes les cases en bleu devaient être remplies ; dans ses réponses aux demandes de clarifications, la recourante avait proposé de faire réaliser cette prestation par une entreprise tierce, ce qui n’était pas acceptable ;

-          Pour la phase 4.52 points 6 et 7 du CDC : l’estimation de respectivement 40 et 10 visites donnée dans le CDC ne pouvait pas être modifiée par les soumissionnaires, sans quoi les offres n’auraient pas été comparables qui plus était le nombre exact de contrôles était fixé par les architectes ; dans sa réponse aux demandes de clarifications la recourante s’était contentée de dire que ces prestations étaient incluses dans son offre ;

-          Pour la phase 4.52 point 14 du CDC : la recourante n’avait indiqué aucun nombre d’heures dans son offre, précisant seulement « uniquement pour modifications » ; dans sa réponse aux demandes de clarification, la recourante avait seulement mentionné « le contrôle des métrés de l’entreprise d’exécution est compris dans notre offre », si bien qu’il n’était pas possible de savoir quel était le nombre d’heures prévu ni s’il était vraisemblable ;

-          Pour la phase 4.53, point 8 du CDC : la recourante n’avait indiqué dans son offre aucun nombre d’heures sur ce point, insuffisance qui avait persisté malgré les demandes de clarification car la recourante s’était contentée de renvoyer aux études réalisée durant la phase 41 ;

-          Pour la phase 4.53, points 21 et 22 du CDC : la recourante n’avait indiqué aucun nombre d’heures dans son offre, renvoyant ces tâches à l’entreprise d’exécution et continuant à le faire après demande de clarification.

9. Le 11 mars 2025, la recourante a répliqué sur effet suspensif et mesures provisionnelles, persistant dans ses conclusions.

10. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif et mesures provisionnelles.

 

 

 

 

Considérant, en droit, que :

1.1. Le recours, interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, est prima facie recevable, en application des art. 15 al. 1bis let. d et al. 2 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 55 let. c et 56 al. 1 RMP.

2.2. Les mesures provisionnelles sont prises par le président ou la vice-présidente de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par une autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).

3.3. Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/543/2024 du 30 avril 2024 consid. 3 ; ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, 311-341, p. 317 n. 15).

L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1/2024 du 2 janvier 2024).

4.4. Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur des mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).

5.5. a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre
ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).

b. L’offre est écartée d’office lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a RMP). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L’autorité adjudicatrice rend une décision d’exclusion motivée, notifiée par courrier à l’intéressé, avec mention des voies de recours (art. 42 al. 3 RMP).

c. Le droit des marchés publics est formaliste. L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l'art. 16 al. 2 RMP. Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l'obligation d'assurer l'égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d'examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation (ATA/496/2024 du 16 avril 2024 consid. 3.2).

6.6. La juridiction administrative chargée de statuer est liée par les conclusions des parties ; elle n’est en revanche pas liée par les motifs que les parties invoquent (art. 69 al. 1 LPA).

7.7. En l'espèce, la recourante ne conclut pas à l’octroi de l’effet suspensif, mais à ce qu’il soit fait injonction à l’intimé de ne pas conclure de contrat jusqu’à droit jugé sur le présent recours. Il s’agit donc d’une mesure provisionnelle qui exige toutefois le même type d’examen prima facie des chances de succès du recours que l’octroi de l’effet suspensif.

Le grief de violation du droit d'être entendu n’apparaît à première vue pas suffisant à admettre le recours, dès lors que la décision attaquée mentionnait expressément que l’exclusion était prononcée pour cause de non-conformité au CDC, et que la recourante a pu par la suite recourir en connaissance de cause, dès lors qu’elle a pu examiner en détail les points où une telle non-conformité lui était reprochée.

À ce sujet, si la conformité de certaines réponses de la recourante avec le CDC peuvent se discuter (p. ex. à propos du caractère obligatoire ou minimal du nombre de visites de contrôle, phase 4.52 points 6 et 7), d’autres – en particulier phase 4.53, points 8, 21 et 22 du CDC – apparaissent bien a priori incompatibles avec le CDC, qui mettait en exergue l’obligation de remplir toutes les cases bleues.

Les chances de succès du recours apparaissent ainsi insuffisantes en l'état pour octroyer la mesure provisionnelle sollicitée, étant rappelé que l'absence d'effet suspensif au recours (et de toute mesure susceptible de bloquer le processus décisionnel) constitue la règle en matière de marchés publics. Point n'est besoin dès lors d'examiner s'il existe un intérêt public ou privé prépondérant à l'exécution immédiate du marché, étant rappelé toutefois que selon la jurisprudence, les pouvoirs adjudicateurs doivent prévoir, dans leurs échéanciers, la possibilité que des soumissionnaires interjettent recours contre leurs décisions (ATA/1392/2024 du 27 novembre 2024 consid. 7 ; ATA/842/2024 du 11 juillet 2024 consid. 7).

8. Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse d'octroyer les mesures provisionnelles sollicitées ainsi que, en tant que de besoin, l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Robert ZIMMERMANN, mandataire de la recourante ainsi qu'à l'office cantonal des bâtiments.

 

 

 

Le président :

 

 

 

C. MASCOTTO

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :