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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2951/2024

ATA/153/2025 du 10.02.2025 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2951/2024-EXPLOI ATA/153/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 février 2025

2ème section

 

dans la cause

 

A______ SA recourante
représentée par Me Bénédict FONTANET, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L’ÉCONOMIE ET DE L’EMPLOI intimé
représenté par Me Émilie CONTI MOREL, avocate



EN FAIT

A. a. A______ SA (ci-après : la société), inscrite le 28 juin 2013 au registre du commerce du canton de Genève, a pour buts l’édition, l’impression, la rédaction, la distribution, la diffusion et la vente d’espaces publicitaires, de revues, de journaux, de périodiques, de produits de l’imprimerie et de l’édition et de production photographiques ; la conciergerie, notamment le suivi de clients, la réservation d’hôtels et de restaurants, l’organisation d’activités, la gestion de budget, la réservation de vols ; l’organisation d’expositions et de ventes aux enchères publiques ainsi que le commerce d’objets d’art ; le commerce de marchandises ; le commerce par internet (e-commerce). B______ en était administrateur président jusqu’au 13 juin 2024, C______ est administrateur depuis le 28 janvier 2021 et D______ était administrateur jusqu’au 17 novembre 2022. Elle édite « E______ ».

B. a. Le 11 février 2021, la société a présenté une demande d'aide pour cas de rigueur dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

Le chiffre d’affaires de l’exercice 2018 était de CHF 2’041’755.-, celui de l’exercice 2019 de CHF 2’424’638.-, celui de 2020 de CHF 950’600.-. Les charges totales de l’exercice 2020 étaient de CHF 1’281’000.-.

Elle a joint à sa demande une convention d’octroi de contribution à fonds perdu conclue le 8 février 2021 avec l’État de Genève et signée pour la société par ses administrateurs B______, C______ et D______, laquelle renvoyait à la législation applicable et stipulait notamment que l’entreprise bénéficiaire s’engageait, pour les trois exercices suivant l’octroi des mesures pour cas de rigueur ou jusqu’au remboursement des aides obtenues, à, cumulativement : ne décider ni ne distribuer aucun dividende ou tantième ni ne rembourser d’apport de capital ; ne pas octroyer de prêts à ses propriétaires ; ne pas transférer les fonds accordés par l’État à une société tierce ou à une société du groupe qui lui est directement ou indirectement liée et dont le siège n’est pas en Suisse, étant précisé que le paiement d’intérêts et d’amortissement à l’intérieur d’un groupe demeure admissible et que l’entreprise est libérée de ces obligations si l’aide octroyée a été remboursée (art. 5.2). Les règles relatives à l’obligation d’informer, au suivi et aux restrictions ainsi que les questions de restitution et de poursuites étaient exposées dans le règlement d’application de la loi genevoise (art. 6).

b. Par décision du 30 juin 2021, le département de l’économie et de l’emploi (ci‑après : le département) lui a accordé une aide de CHF 236’677.-, retenant des chiffres d’affaires 2018 et 2019 de respectivement CHF 2’048’507.- et 2’444’022.‑, un chiffre d’affaires 2020 de CHF 1’215’851.-, des coûts totaux 2020 de CHF 1’634’505.- et des coûts fixes de CHF 236’677.-, tels qu’indiqués par les documents transmis.

Il était rappelé que les services du département étaient légitimés à effectuer des contrôles a posteriori, une aide accordée à tort pouvant faire l'objet d'une demande de restitution.

c. Le 22 juin 2021, le département et la société ont conclu un avenant portant sur l’octroi d’une aide complémentaire.

d. Par décision du 9 juillet 2021, le département a accordé à l’entreprise une aide financière extraordinaire sous forme d’acompte pour le premier semestre 2021, d’un montant de CHF 118'338.50. Une nouvelle demande d’aide devrait être déposée pour l’année 2020 sur la base des états financiers 2020 définitifs. Une fois cette demande traitée, les instructions lui seraient adressées pour le dépôt d’une demande d’aide cas de rigueur complémentaire pour la période du 1er janvier au 30 juin 2021. Il était rappelé que les services du département étaient légitimés à effectuer des contrôles a posteriori, une aide accordée à tort pouvant faire l'objet d'une demande de restitution.

e. Le 30 octobre 2021, le département et la société ont conclu un avenant portant sur l’octroi d’une aide complémentaire (extension de la période de couverture du 1er janvier au 30 juin 2021).

f. Le 31 octobre 2021, la société a présenté une demande d'aide complémentaire pour cas de rigueur dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

g. Le 7 février 2022, le département a réclamé à la société des compléments d’information et des documents comptables, lui impartissant un délai au 14 février 2022 pour les produire.

h. Par décision du 31 mars 2021 (recte : 2022), le département a réclamé à la société le remboursement de l’acompte de CHF 118'338.50.

La documentation justificative demandée n’avait pas été produite.

i. Le 26 avril 2022, la société a élevé une réclamation contre cette décision.

Elle avait demandé par deux fois, par courriel, quels documents elle devait produire, compte tenu de leur volume. Elle avait envoyé une première fois la totalité des documents, mais le serveur de l’État avait rejeté l’envoi en raison de son volume. Elle avait alors envoyé les éléments principaux en demandant au département de lui « revenir » avec une sélection de documents mais n’avait jamais obtenu de réponse.

j. Le 29 avril 2022, le département et la société ont conclu un avenant portant sur l’octroi d’une aide complémentaire (deuxième semestre 2021).

k. Le 29 avril 2022, la société a présenté une demande d'aide complémentaire pour cas de rigueur dans le cadre de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

l. Par une première décision, sur réclamation, du 28 octobre 2022, le département a octroyé à la société une aide financière de CHF 134'996.63 pour le premier semestre 2021, sous déduction de l’acompte de CHF 118'338.50 déjà versé.

m. Par une seconde décision du 28 octobre 2022, le département a octroyé à la société une aide financière de CHF 74'965.70 pour le deuxième semestre 2021.

Le plafond fixé par la loi avait été atteint, compte tenu du chiffre d’affaires 2021 de CHF 870'316.92, des coûts totaux de CHF 1'234'885.28 et des coûts fixes de CHF 140'735.90.

n. Le 30 septembre 2022, le département a demandé à la société de produire l’intégralité des décomptes TVA correspondant à la période du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020.

Ses vérifications complémentaires avaient montré que les chiffres d’affaires indiqués à la TVA pour les années 2018 à 2020 ne correspondaient pas à ceux figurant sur la demande d’aide.

o. Le 7 octobre 2022, la société a transmis les pièces requises, précisant que les chiffres d’affaires dans ses états financiers étaient les revenus de l’année qui incluaient les créances ouvertes et les revenus à recevoir.

p. Le 20 décembre 2022, le département a informé la société que les contrôles accomplis ne modifiaient pas les décisions rendues et que l’aide financière accordée était confirmée.

q. Par décision du 8 mai 2024, le département a réclamé à la société le remboursement de la totalité des montants versés, soit CHF 446'639.30.

La société avait annoncé à l’administration fiscale le versement d’un dividende de CHF 750’000.- aux actionnaires au terme de l’exercice 2022.

r. Le 7 juin 2024, la société a élevé une réclamation.

La décision de verser un dividende était intervenue dans un contexte de multiples changements au sein de l’équipe de management et d’une lacune de communication regrettable. Une assemblée générale extraordinaire du 30 mai 2024 avait annulé la distribution du dividende. Elle était toujours en proie à des difficultés financières importantes et ne disposerait pas des liquidités nécessaires pour rembourser les aides.

Elle n’avait pu s’exprimer avant que la décision contestée lui soit notifiée.

L’annulation du versement du dividende devaient conduire à conclure, au terme d’une nouvelle appréciation juridique, qu’elle n’avait pas violé la loi et ses engagements.

s. Par décision du 9 juillet 2024, le département a rejeté l’opposition et maintenu sa décision.

Son droit d’être entendue n’avait pas été violé. L’occasion lui avait été donnée de se déterminer jusqu’au 2 avril, puis jusqu’au 2 mai 2024.

La décision d’octroi d’un dividende était suffisante pour constituer une violation de ses engagements, indépendamment du versement effectif de celui-ci, et l’annulation n’était pas susceptible de guérir cette violation.

C. a. Par acte remis à la poste le 10 septembre 2024, la société a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation.

La décision de verser un dividende était intervenue dans un contexte de multiples changements au sein de l’équipe de management et d’une lacune de communication regrettable, et s’inscrivait également dans un contexte de réorganisation des relations comptables entre des sociétés appartenant au même groupe, dont le principe avait été approuvé par l’auditeur.

Il n’existait aucune volonté d’enrichissement de la part de la société. La décision avait été par la suite annulée et le versement du dividende n’apparaîtrait pas dans les comptes en voie de finalisation. L’annulation du versement du dividende avait également été annoncée à l’administration fédérale des contributions. Cette dernière n’avait pu confirmer l’annulation du versement du dividende car le délai d’exigibilité de 30 jours de l’impôt était dépassé, mais elle l’avait traité comme un nouvel apport de capital et soumis au droit de timbre d’émission.

Elle n’avait pas procédé au versement d’un dividende et n’avait donc pas violé ses engagements. La décision n’avait pas été prise pour les besoins de la cause, comme le pensait le département, mais parce qu’elle ne s’était rendu compte de son erreur que lorsque le département l’avait interpellée.

Lorsque son conseil s’était constitué le 30 avril 2024, il avait demandé une prolongation au 31 mai 2024 du délai pour se déterminer, mais le département avait rendu la décision querellée.

b. Le 14 octobre 2024, le département a conclu au rejet du recours.

L’assemblée générale de la société du 16 octobre 2023, présidée par B______, avait décidé le versement d’un dividende de CHF 750'000.-.

c. Le 29 novembre 2024, la recourante a persisté dans ses conclusions et son argumentation.

La décision de verser un dividende s’inscrivait dans un contexte de réduction de risques économiques, notamment par l’assainissement de participations au sein des sociétés appartenant au même groupe. Elle détenait des participations dans une société anglaise, qui présentait un risque économique pour elle, dès lors que cette société aurait pu exiger d’elle un apport à fonds perdus, ce qui l’aurait mise en difficulté compte tenu de sa situation précaire. L’opération avait donc pour but de déplacer le risque, et les participations en question, vers sa société mère F______. Il s’agissait donc bien d’un simple transfert de parts sociales, traité par la recourante comme une distribution de dividendes en « nature », le but n’étant pas que l’actionnaire reçoive le montant de CHF 750'000.- sous forme d’argent mais sous forme de participations. L’opération avait d’ailleurs été validée par l’auditeur. Il n’y avait aucune volonté d’enrichissement dans ce déplacement d’actifs, l’actionnaire souhaitant uniquement reprendre le potentiel risque économique que ces participations posaient à la recourante.

L’opération ayant été validée par son réviseur, la recourante n’avait aucune raison de revoir le versement du dividende jusqu’à l’interpellation du département. L’annulation avait pour seul but de rétablir la situation et de démontrer sa bonne foi. D’un point de vue comptable, le versement du dividende litigieux n’avait jamais eu lieu. Elle avait agi en toute bonne foi.

Ses bilans provisoires 2023 faisaient état d’une perte annuelle de CHF 542'002.-. Elle ne serait pas en mesure de rembourser les aides perçues. Le maintien de la décision l’entraînerait vers sa « fin » et entraînerait la suppression de huit emplois.

d. Le 2 décembre 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 19 al. 2 de la loi 12'938 du 30 avril 2021 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 - LAFE-2021 ; art. 27 al. 5 du règlement d'application de la LAFE-2021 - RAFE-2021 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du département réclamant la restitution de l’aide financière octroyée à la recourante dans le contexte de l'épidémie de Covid-19 au motif que la recourante avait décidé de verser un dividende de CHF 750’000.- le 16 octobre 2023.

2.1 Le 25 septembre 2020, l'Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l'épidémie de Covid‑19 (loi Covid-19 - RS 818.102), entrée en vigueur le 26 septembre 2020.

Son art. 12, consacré aux « mesures pour les cas de rigueur destinées aux entreprises », a été modifié lors des sessions de l'Assemblée fédérale des 18 décembre 2020 et 19 mars 2021. Le 17 décembre 2021, sa durée de validité a été prolongée au 31 décembre 2022.

À son al. 1ter, il prévoit que pour pouvoir bénéficier d’une mesure pour les cas de rigueur, l’entreprise soutenue ne doit pas, pour l’exercice comptable durant lequel la mesure est octroyée et pour les trois exercices comptables qui suivent : (a) distribuer de dividendes ou de tantièmes ou décider de leur distribution ni (b) rembourser d’apports en capital ou décider de leur remboursement.

2.2 Dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, à la section 2 relative aux exigences relatives aux entreprises et sous la note marginale « restrictions de l’utilisation », l’art. 6 OMCR 20 prévoit que l’entreprise a fourni au canton les garanties suivantes : (a) durant l’exercice au cours duquel des mesures pour cas de rigueur ont été octroyées et pour les trois exercices suivants ou jusqu’au remboursement des aides obtenues : (a) elle ne décide ni ne distribue aucun dividende ou tantième et ne rembourse pas d’apports de capital, et (2) elle n’octroie pas de prêts à ses propriétaires ; (b) elle ne transfère pas les fonds accordés à une société du groupe qui lui est liée directement ou indirectement et n’a pas son siège en Suisse; il lui est toutefois permis en particulier de s’acquitter d’obligations préexistantes de paiement d’intérêts et d’amortissements à l’intérieur d’un groupe.

2.3 Le 30 avril 2021, le Grand Conseil a adopté la LAFE-2021, qui a abrogé l’ancienne loi 12'863 relative aux aides financières extraordinaires de l’État destinées aux entreprises particulièrement touchées par la crise économique ou directement par les mesures de lutte contre l’épidémie de coronavirus pour l’année 2021 du 29 janvier 2021.

La participation financière indûment perçue doit être restituée sur décision du département (16 al. 1 LAFE-2021). Est indûment perçue la participation financière utilisée à d’autres fins que la couverture des coûts fixes tels que précisés à l'art. 5 LAFE‑2021.

2.4 Le 5 mai 2021, le Conseil d’État a adopté le RAFE-2021.

Selon l'art. 3 RAFE-2021, sont bénéficiaires de l'aide les entreprises qui répondent aux exigences de l’OMCR 20, définies dans ses sections 1 et 2 (al. 1). Les entreprises ne répondant pas au critère relatif au chiffre d’affaires doivent répondre aux exigences des sections 1 et 2 OMCR 20 (al. 2 et 3).

2.5 Selon le commentaire de l’OMCR 20 publié le 18 juin 2021 par l'Administration fédérale des finances (www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/67163. pdf), financées par l’État, les mesures pour les cas de rigueur sont destinées à garantir l’existence des entreprises suisses et à préserver les emplois. Par conséquent, l’année au cours de laquelle l’aide est allouée et les trois années qui suivent (c’est-à-dire, pour une contribution versée en 2021, les années 2021 à 2024) ou jusqu’au remboursement intégral de l’aide reçue, les fonds ne doivent pas être utilisés par les entreprises pour décider, ni distribuer des dividendes ou des tantièmes (p. 10). Les cantons auront compétence pour régir le soutien complémentaire. Par principe, ils devront tenir compte des exigences énoncées à l’art. 12 de la loi COVID-19. Ils devront ainsi prendre en considération en particulier la forme juridique et la date de création de l’entreprise, ainsi que le siège, le chiffre d’affaires minimal, la preuve d’un manque à gagner supérieur à 40% ou d’une fermeture ordonnée par les autorités, la situation patrimoniale, la dotation en capital et les coûts fixes non couverts, la viabilité, l’interdiction de distribuer des dividendes et, dans le cas des entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 5 millions de francs, la participation aux bénéfices (p. 17).

Selon le commentaire de l’OMCR 20 du 11 mars 2022 (covid19.easygov.swiss/wp -content/uploads/2022/03/Erlauterungen-Hartefallverordnung-2022_FR.pdf), les mesures pour les cas de rigueur que l'État finance sont destinées à garantir l'existence des entreprises suisses et à préserver les emplois. Par conséquent, l'exercice au cours duquel l'aide sera allouée et les trois années qui suivront (c'est‑à‑dire, pour une contribution versée en 2022, les années 2022 à 2025) ou jusqu'au remboursement intégral de l'aide reçue, les entreprises ne devront pas utiliser les fonds pour décider, ni distribuer des dividendes ou des tantièmes. Dans les cas où l'allocation définitive ou le versement définitif de la contribution pour les cas de rigueur à l'entreprise bénéficiaire n'aura lieu qu'après 2022 en raison de problèmes transitoires (procédures en cours devant une instance administrative ou judiciaire), l'année 2022 sera considérée comme l'année du versement d'une contribution non remboursable. Pendant cette période ou jusqu'au remboursement intégral de l'aide reçue, les entreprises n'auront pas non plus le droit d'utiliser ces ressources pour décider ou exécuter un remboursement des apports en capital. Elles n'auront pas non plus le droit d'accorder des prêts à leurs propriétaires ni de rembourser des prêts à ces derniers afin de conserver les liquidités dans l'entreprise. Il leur sera en revanche permis de s'acquitter d'obligations préexistantes de paiements d'intérêts et d'amortissements ordinaires). Les paiements d'intérêts et d'amortissements ordinaires prévus contractuellement pour des prêts préexistants (y c. intérêts moratoires) seront autorisés aux fins du respect du principe pacta sunt servanda. Par contre, une entreprise n'aura par exemple pas le droit de rembourser un prêt à titre extraordinaire ou anticipé, en dehors des clauses contractuelles prévues (pp. 6‑7). Les contrôles ponctuels ultérieurs ou, si possible, des analyses complètes de données (concernant par ex. l'interdiction de verser des dividendes), associés à des sanctions en cas de manquement, constituent également un instrument important de la lutte contre les abus (p. 12).

2.6 Dans un arrêt 603 2023 54 du 9 janvier 2024, le Tribunal cantonal du canton de Fribourg a rejeté le recours formé par une société contre la demande de remboursement de l’aide Covid. Celle-ci avait distribué un dividende alors qu’elle s’était engagée à y renoncer (consid. 4.1). Le fait que la distribution ne s’était pas encore matérialisée lorsque l’État avait réclamé le remboursement et que la société avait alors renoncé à l’opération n’y changeait rien, la décision de verser un dividende constituant déjà une violation de l’engagement pris (consid. 4.2). Les mesures visaient la sauvegarde des entreprises en difficulté et des emplois, et non le maintien d'une situation financière propice au versement de dividendes pour garantir aux actionnaires un rendement sur leurs investissements (consid. 4.3.2).

2.7 Dans un arrêt récent, la chambre de céans a rejeté le recours d’une société qui avait versé un dividende puis avait annulé la décision et invoqué une inadvertance. Le fait que le dividende n’avait jamais été versé ne lui était d’aucun secours, dès lors que l’engagement qu’elle avait pris portait également sur la simple décision de verser un dividende. Il importait ainsi peu que celui-ci n’eût en pratique jamais été versé (ATA/1235/2024 du 21 octobre 2024 consid. 2.7).

2.8 En l’espèce, la recourante admet avoir décidé du versement d’un dividende durant la période où elle s’était engagée à ne pas le faire.

Elle invoque une inadvertance et une mauvaise communication. Elle doit toutefois se laisser opposer les conséquences de son erreur, d’autant plus qu’elle avait pris un engagement exprès envers l’intimé au moment du versement de l’aide et qu’elle était par ailleurs conseillée par son auditeur.

Le fait que son auditeur ait pu valider l’opération n’exonérait pas la recourante de l’obligation de respecter les engagements stricts qu’elle avait pris en demandant les aides sous la plume de son administrateur président, lequel avait présidé l’assemblée générale qui avait voté le versement du dividende.

La recourante fait valoir que le dividende n’a en réalité jamais été versé. Cet argument ne lui est d’aucun secours, dès lors que l’engagement qu’elle avait pris portait également sur la simple décision de verser un dividende, ainsi que l’a déjà relevé la chambre de céans dans un précédent similaire (ATA/1235/2024 précité). Il importe ainsi peu que celui-ci n’ait effectivement pas été versé.

Elle explique qu’elle s’est ravisée et a annulé la décision de verser le dividende. Pour les motifs exposés ci-dessus, cette circonstance est sans portée, la décision ayant été prise et l’engagement pris ainsi pas respecté. Le motif pour lequel la recourante s’est ravisée n’est par ailleurs pas pertinent.

Le fait que la recourante ait tenté de régulariser la situation auprès de l’administration fiscale ne lui est pareillement d’aucun secours. Elle a en effet présenté dans un premier temps à l’administration fiscale des comptes comprenant le versement d’un dividende. Elle admet par ailleurs ne pas avoir obtenu de rectification de l’administration fiscale sur ce point après avoir annulé sa décision de versement de dividende.

Enfin, les explications que la recourante avance au sujet des modalités prévues pour le versement du dividende (la cession de participations) et des motifs de cette opération (déplacer dans le bilan de la holding le risque inhérent à ces participations) ne changent rien au fait qu’elle a décidé le versement d’un dividende, ce qui suffit pour constituer une violation de ses engagements. À cet égard, la valeur réelle du dividende et le fait qu’il faudrait tenir compte d’un risque associé aux participations à céder sont sans effet sur le fait qu’il s’agit d’un dividende, entraînant au plan comptable une diminution de l’actif de la recourante.

Les difficultés économiques invoquées par la recourante, soit sa capacité à rembourser le montant réclamé et le risque de pertes d’emplois, résultent de ses choix et des aléas de son existence économique et sont sans effet sur l’application de la loi aux aides Covid.

C’est ainsi conformément à la loi et sans abus de son pouvoir d’appréciation que l’intimé a réclamé à la recourante le remboursement de l’aide qu’elle lui avait versée.

Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.

3.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, le département n’y ayant pas conclu et disposant par ailleurs d’un service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 septembre 2024 par A______ SA contre la décision du département de l’économie et de l’emploi du 9 juillet 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Bénédict FONTANET, avocat de la recourante, ainsi qu'à Me Émilie CONTI MOREL, avocate de l’intimé.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

B. SPECKER

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :