Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/56/2025 du 14.01.2025 ( NAVIG ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/2910/2024-NAVIG ATA/56/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 14 janvier 2025 1ère section |
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dans la cause
A______ SA recourante
contre
SERVICE DOMAINE PUBLIC LACUSTRE ET
DE LA CAPITAINERIE intimé
A. a. A______ SA, inscrite le 3 février 2016 au registre du commerce du canton de Genève (ci-après : RC), sise à l’adresse B______ à Genève, a pour but la « fourniture de services "C______" ; conseil en gestion de tous les clients dans le monde entier ; administration et commercialisation mondiale pour tous les clients ; conseil en gestion des "D______" pour tous les clients ».
b. E______ S.A., inscrite le 24 mars 1997 au RC, sise au F______, a pour but des « prestations de services relatives aux conseils en matière de gestion de fortune ».
B. a. Le 27 juin 2017, la place d’amarrage n° 1______ (ci-après : la place d’amarrage) a été attribuée à E______ SA pour l’amarrage de son bateau immatriculé GE 2______ (ci-après : le bateau).
b. Le 15 novembre 2023, le bateau a été immatriculé au nom de A______ SA auprès de l’office cantonal des véhicules.
c. Le 20 novembre 2023, « E______ GROUP Intl (A______) », ayant pour adresse B______, a sollicité du service du domaine public lacustre et de la capitainerie (ci-après : SDPLC) un changement de bateau sur la place d’amarrage. Le formulaire portait le tampon de la société A______ SA.
d. Par décision du 27 novembre 2023, le SDPLC a admis la demande de changement de bateau en faveur de E______ S.A.
e. Par courrier du 6 décembre 2023, le SDPLC a informé E______ SA qu’à la suite d’une vérification auprès du service de la navigation, il avait constaté que le bateau était enregistré au nom de la société A______ SA. Or, le changement de bateau sur la place d’amarrage avait été accepté à la condition que celui-ci demeure enregistré au nom de E______ SA. Les autorisations étaient personnelles et intransmissibles.
Un délai au 15 mai 2024 lui était imparti pour régulariser la situation.
f. À la demande de A______ SA, le SDPLC a confirmé à E______ SA son accord de prolonger le délai jusqu’au 31 juillet 2024, tout en précisant que, passé cette ultime date et sans réponse de sa part, il se verrait contraint de reprendre possession de la place d’amarrage.
g. Par décision du 7 août 2024 adressée à E______ SA, le SDPLC lui a retiré l’autorisation d’amarrage.
La décision faisait suite aux divers échanges que la société avait eus avec le garde‑port et au dernier délai accordé au 31 juillet 2024. Le bateau n’avait toujours pas été enregistré au nom de la société E______ S.A.
h. Le 29 août 2024, A______ SA, sous la signature de deux personnes, non identifiables, a répondu que, de retour à Genève « après plusieurs semaines de vacances, elle » avait pris connaissance de la décision du 7 août 2024. Bien que celle-ci soit susceptible de recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), elle sollicitait « l’humble indulgence » du chef de service « afin de surseoir l’application de ladite décision ».
Elle reconnaissait n’avoir pas respecté strictement l’échéance fixée. Les sociétés E______ SA et E______ GROUP Intl (A______) appartenaient au même groupe. Depuis près d’une année, des démarches internes visant le transfert des actifs du groupe étaient en cours. La tenue des assemblées générales des sociétés aux fins d’obtenir les validations nécessaires prenait du temps. Elle sollicitait un ultime délai pour régulariser la situation.
i. Le 16 septembre 2024, le SDPLC a refusé une nouvelle prolongation du délai et confirmé sa décision du 7 août 2024. Un délai de huit mois avait été suffisant pour régulariser la situation.
C. a. Par acte du 9 septembre 2024, A______ SA a interjeté recours devant la chambre administrative contre la décision du 7 août 2024. Elle a conclu à l’octroi d’un ultime délai pour effectuer les changements nécessaires. Subsidiairement, il devait être sursis à la décision du SDPLC.
b. Le SDPLC a conclu à l’irrecevabilité du recours. Les sociétés E______ S.A et A______ SA avaient des personnalités juridiques distinctes. La recourante n’était pas destinataire de la décision. La société bénéficiaire de l’autorisation initiale n’avait demandé ni le transfert de la place amarrage en faveur de la recourante ni ne s’était associée au recours. Enfin, une seule signature figurait sur le recours, vraisemblablement celle de la directrice de A______ SA, laquelle ne disposait pas d’un droit de signature individuelle et n’était pas autorisée à la représenter. Aucun membre du conseil d’administration ou de la direction ne disposait d’un droit de signature individuelle. En l’absence d’une seconde signature, A______ SA n’avait pas valablement engagé la procédure.
Subsidiairement, le recours devait être rejeté. Les motifs étaient détaillés.
c. Dans sa réplique, A______ SA a précisé que les démarches entre les deux entreprises étaient toujours en cours. E______ SA n’avait pas renoncé à sa place d’amarrage. La chambre administrative pouvait donc constater que cette dernière la conservait et les services compétents lui intimer un délai pour les formalités administratives nécessaires. La réplique était signée par le président et le vice-président de A______ SA.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Se pose la question de la qualité pour recourir.
2.1 À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée sont titulaires de la qualité pour recourir. La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/1078/2024 du 10 septembre 2024 consid. 2.1 et l'arrêt cité ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, p. 184 n. 698).
2.2 Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid. 1.3). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 ; 136 II 101 consid. 1.1) ; si l’intérêt s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4).
2.3 Le recourant doit être touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, et l’intérêt invoqué, qui n’est pas nécessairement un intérêt juridiquement protégé, mais qui peut être un intérêt de fait, doit se trouver, avec l’objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d’être pris en considération (ATF 143 II 506 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_593/2019 du 19 août 2020 consid. 1.2).
Il faut donc que le recourant ait un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 143 II 578 consid. 3.2.2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_536/2021 du 7 novembre 2022 consid. 1). Un intérêt purement théorique à la solution d'un problème est de même insuffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1).
2.4 Cet intérêt doit encore être direct. Le recourant doit démontrer que sa situation factuelle ou juridique peut être avantageusement influencée par l’issue du recours. Tel n’est pas le cas de celui qui n’est atteint que de manière indirecte, médiate ou encore « par ricochet » (ATF 135 I 43 consid. 1.4 ; 133 V 239 consid. 6.2). Un intérêt seulement indirect à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée n’est donc pas suffisant (ATF 138 V 292 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_446/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.3).
D'une manière générale, la jurisprudence et la doctrine n'admettent que de manière relativement stricte la présence d'un intérêt propre et direct lorsqu'un tiers désire recourir contre une décision dont il n'est pas le destinataire (ATF 133 V 239 consid. 6.3). Les tiers ne sont en effet pas touchés par une décision de la même manière que son destinataire formel et matériel, dans la mesure où elle ne leur octroie pas directement des droits ni leur impose des obligations (ATA/639/2024 du 28 mai 2024 consid. 2.3 ; François BELLANGER, La qualité de partie à la procédure administrative, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, Les tiers dans la procédure administrative, 2004, p. 43 ss).
3. La loi sur la navigation dans les eaux genevoises (ci-après : la loi) règle la navigation sur le lac et les cours d’eau publics du canton, ainsi que l’utilisation des installations portuaires (art. 1 LNav).
L’amarrage et le dépôt de bateaux dans les eaux genevoises et sur le domaine public, le long des rives, sont subordonnés à une autorisation « à bien plaire », personnelle et intransmissible (art. 10 al. 1 LNav).
Les autorisations d'amarrage ou de dépôt peuvent être retirées, notamment, en cas de retrait ou d'annulation du permis de navigation (art. 16 al. 2 let. d LNav).
Les bateaux doivent être munis de permis de navigation et de signes distinctifs. Ils sont répertoriés dans un registre (art. 18 LNav).
4. En l’espèce, E______ SA est au bénéfice d’une autorisation d’amarrage sur la place n° 1______ au sens de l’art. 10 al. 1 LNav pour le bateau immatriculé GE 2______ (art. 18 LNav).
Elle n’est toutefois plus détentrice de ce bateau depuis le 15 novembre 2023, ce dont atteste le permis de navigation.
C’est en conséquence à bon droit que le SDPLC lui a notifié une décision de retrait de son autorisation en application de l’art. 16 al. 2 let. d LNav.
La société A______ SA n’est que la nouvelle détentrice du bateau et n’est, partant, à juste titre, pas destinataire de la décision querellée. Bien qu’elle trouve un intérêt à l’annulation de la décision, elle n’est atteinte que « par ricochet » (ATF 135 I 43 consid. 1.4 ; 133 V 239 consid. 6.2). Elle n’a dès lors pas qualité pour recourir.
Le recours est en conséquence irrecevable.
5. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
déclare irrecevable le recours interjeté le 9 septembre 2024 par A______ SA contre la décision du service domaine public lacustre et de la capitainerie du 7 août 2024 ;
met un émolument de CHF 200.- à la charge de A______ SA ;
dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;
communique le présent arrêt à A______ SA ainsi qu'au département du territoire-service domaine public lacustre et de la capitainerie.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Patrick CHENAUX, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
J. PASTEUR
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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