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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2725/2023

ATA/1487/2024 du 17.12.2024 sur JTAPI/176/2024 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2725/2023-PE ATA/1487/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 décembre 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Anna SERGUEEVA, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er mars 2024 (JTAPI/176/2024)


EN FAIT

A. a. A______, né le ______1960, originaire de Guinée, est arrivé en Suisse en 1996. Il a été mis au bénéfice d'un permis de séjour B.

b. Selon ses indications, il est père de trois enfants nés en Suisse. La justice de paix de Lausanne lui a attribué, le 22 novembre 2022, la garde de sa fille B______, née le ______2006, précisant qu'il l'exerçait déjà de fait depuis avril 2022.

c. Le 12 novembre 2018, A______ a été condamné par la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois à une peine privative de liberté de quinze mois et à l'expulsion de Suisse pour dix ans (art. 66a du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0) pour vol par métier (art. 139 ch. 2 CP) et violation de domicile (art. 186 CP). Cette décision a été confirmée par le Tribunal fédéral le 27 septembre 2019 (ATF 145 IV 455).

d. Par jugement du 13 décembre 2019, le Tribunal de police de Genève l'a déclaré coupable de violation de domicile (art. 186 CP) et de vol (art. 139 ch. 1 CP), le condamnant à une peine privative de liberté de vingt mois et ordonnant son expulsion de Suisse pour une durée de dix ans (art. 66a CP).

e. Le 4 février 2020, la chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de Justice (ci‑après : CPAR) a confirmé ce jugement et a ordonné le maintien en détention de A______ pour motifs de sûreté.

B. a. Le 3 avril 2020, le Ministère public a enjoint à l'office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) d'exécuter les peines et mesures relevant de sa compétence, prononcées à l'encontre de A______ par la CPAR dont la décision était définitive et exécutoire.

b. Le 17 avril 2020, l'OCPM a informé A______ que son expulsion à destination de la Guinée serait exécutable dès sa libération par les autorités judiciaires, étant relevé que rien ne s'y opposait.

Un délai au 30 avril 2020 lui était imparti pour transmettre ses observations à l'aide d'un formulaire joint.

c. Le 21 avril 2020, A______ a retourné ledit formulaire à teneur duquel il s'opposait à son expulsion. Il comptait faire recours. Il était en Suisse depuis 24 ans et trois de ses enfants, alors encore mineurs, y vivaient.

d. Par décision du 8 mai 2020, l'OCPM a refusé de reporter l'expulsion judiciaire de A______.

e. Le 16 octobre 2020, la CPAR a rejeté la demande de révision formée par A______ contre son arrêt du 4 février 2020. Le motif de révision invoqué, soit la péjoration de son état de santé, était en effet postérieur à l'arrêt dont la révision était sollicitée.

f. Le 19 octobre 2020, A______ a sollicité de l'OCPM le report de son expulsion.

Son état de santé s'était passablement aggravé au cours des derniers mois et était incompatible avec une expulsion. Il souffrait notamment d'une hypertension artérielle mal contrôlée, d'une hypercholestérolémie, d'un diabète de type 2 non insulino-requérant, de troubles anxio-dépressifs, de troubles mnésiques et d'un trouble obstructif de la vidange vésicale.

g. Le 2 novembre 2020, l'OCPM lui a répondu que la question de la mise en œuvre de son expulsion ne se posait pas encore, dans la mesure où sa demande de libération conditionnelle avait été rejetée, avec pour conséquence que le terme de l'exécution de sa peine était fixé au 11 avril 2021. Son état de santé et les possibilités de soins dans son pays d'origine seraient analysés le moment venu par les services spécialisés du secrétariat aux migrations (ci-après : SEM).

h. Le 22 janvier 2021, A______ a une nouvelle fois demandé le report de son expulsion à l'OCPM.

Il était hospitalisé à Curabilis. Les médicaments nécessaires à son traitement n'étaient pas remboursés en Guinée et la plupart d'entre eux étaient en rupture de stock. Il transmettait de récents rapports médicaux.

i. Le 16 février 2021, il a fait parvenir à l'OCPM un nouveau rapport médical, persistant dans sa demande de report de l'expulsion.

Sa situation s'était dégradée de sorte qu'un renvoi dans son pays d'origine constituerait une mise en danger de sa santé, voire de sa vie.

j. Le 30 mars 2021, A______ a demandé à l'OCPM de statuer sur sa demande de report de l'expulsion, sa libération étant imminente.

Selon son dernier certificat médical, il souffrait d'une atteinte neuropsychologique dégénérative (démence à corps de Lewy) qui avait été récemment diagnostiquée. Un renvoi en Guinée était dès lors susceptible de mettre sa vie en danger.

k. Le 9 avril 2021, l'OCPM l'a renvoyé à sa décision de non report de la mesure d'expulsion judiciaire du 8 mai 2020 qui n'avait pas fait l'objet d'un recours et à teneur de laquelle il devait quitter le territoire suisse.

l. Selon un rapport de renseignements du 14 avril 2021 de la police à l'intention de l'OCPM, A______ a été libéré le 11 avril 2021.

m. Le 29 novembre 2021, il a de nouveau sollicité un report de son expulsion de l'OCPM.

Sa situation de santé restait très préoccupante, de sorte que ses médecins traitants lui avaient tous indiqué qu'il devait pouvoir bénéficier de soins en Suisse.

n. Par décision du 27 janvier 2022, l'OCPM a reporté l'expulsion du territoire suisse de A______.

Après réexamen de sa situation médicale et au regard des pièces produites, il apparaissait que son expulsion à destination de la Guinée ne pouvait être exécutée. Cette décision était valable pour une durée maximale de douze mois, soit jusqu'au 26 janvier 2023, date à laquelle la situation serait réexaminée.

o. Le 6 décembre 2022, A______ a demandé à l'OCPM de renoncer à un examen annuel du report de sa décision d'expulsion et de consentir à lui octroyer un permis de séjour.

Ses derniers rapports médicaux attestaient que la maladie neurodégénérative dont il souffrait s'aggravait progressivement et nécessitait un accompagnement et une aide professionnelle à vie. Un renvoi risquerait d'entraîner une aggravation de ses pathologies somatiques et de provoquer des complications majeures susceptibles de menacer sa vie.

Compte tenu de son statut administratif précaire, il ne pouvait prétendre qu'à l'aide d'urgence à hauteur de CHF 10.- par mois, laquelle était insuffisante au vu de ses besoins particuliers. De plus, la garde sur sa fille, alors mineure, lui avait été récemment octroyée.

p. Par décision du 27 janvier 2023, l'OCPM a reporté l'expulsion du territoire suisse de A______ une deuxième fois.

Cette décision était valable pour une durée maximale de douze mois, soit jusqu'au 26 janvier 2024, date à laquelle la situation serait réexaminée.

q. Le même jour, l'OCPM a indiqué à A______, en réponse à sa demande du 6 décembre 2022, qu'en vertu de l'art. 83 al. 9 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), une admission provisoire ne pouvait être ordonnée en sa faveur.

r. Le 2 mai 2023, A______ a sollicité de l'OCPM l'octroi d'un permis de séjour à titre humanitaire.

Sur la base de ses derniers certificats médicaux, il n'existait aucune perspective d'une quelconque rémission, cela rendant tout renvoi impossible. Son statut administratif précaire l'empêchait de percevoir de l'assurance invalidité les prestations auxquelles il aurait normalement droit au vu de son état de santé. Il avait par ailleurs la garde de sa fille.

s. Par décision du 26 juin 2023, l'OCPM a refusé d'entrer en matière sur une demande d'autorisation de séjour pour cas de rigueur (permis humanitaire) formée par A______.

Dans la mesure où la décision d'expulsion judiciaire était entrée en force, l'OCPM n'était pas en mesure d'entrer en matière sur la demande (art. 61 al. 1 let. e LEI). L'expulsion pénale obligatoire ordonnée par le juge pénal entraînait en effet la perte du titre de séjour et de tous les droits à séjourner en Suisse, l'obligation de quitter le pays et une interdiction d'entrer sur le territoire pour une certaine durée.

C. a. Par acte du 28 août 2023, A______ a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le TAPI).

b. Le 3 novembre 2023, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

c. Le 5 janvier 2024, A______ a été appréhendé par la police vaudoise en relation avec des vols par introduction clandestine commis dans des appartements à Lausanne ainsi que ses conditions de séjour. Il a été placé en détention préventive jusqu'au 2 février 2024.

d. Par décision du 26 février 2024, l'OCPM a reporté l'expulsion du territoire suisse de A______ une troisième fois.

Cette décision était valable pour une durée maximale de douze mois, soit jusqu'au 26 février 2025, date à laquelle la situation serait réexaminée.

e. Par jugement du 1er mars 2024, le TAPI a rejeté le recours.

Les expulsions judiciaires obligatoires de dix ans prononcées à l'encontre de A______ par des juridictions genevoise et vaudoise l'avaient privé de tout titre de séjour et de tout droit à séjourner en Suisse. Les reports de son expulsion obligatoire et son mauvais état de santé ne lui donnaient pas de droit à un titre de séjour pour cas de rigueur, une telle expulsion obligatoire empêchant l'octroi d'un tel titre. L'OCPM était donc fondé à ne pas entrer en matière sur sa demande d'autorisation pour cas de rigueur.

D. a. Par acte du 19 avril 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation. À titre préalable, il a sollicité sa comparution personnelle.

Il n'était ni contesté qu'il souffrait de troubles neurodégénératifs sévères, ni que son renvoi ne pouvait être prononcé vers la Guinée, faute de soins adéquats dans ce pays, ce qui pouvait mettre sa vie en péril. Le report de son expulsion allait ainsi être prolongé systématiquement chaque année, faute de toutes chances de rémission. En raison de son statut précaire, il ne pouvait bénéficier de l'assistance de l'office d'assurance invalidité ni d'autres prestations lui permettant une prise en charge complète de ses multiples maladies. Il risquait de faire l'objet d'arrestations et d'incarcérations pour séjour illégal ou rupture de ban, ce qui entraînait pour lui un stress incompatible avec son état de santé. Il n'était pas admissible qu'il soit maintenu dans un statut d'« errance » administrative durant toute sa vie. Il était indispensable que sa situation administrative soit régularisée.

b. Le 22 mai 2022, l'OCPM a conclu au rejet du recours.

Le fait que A______ ait pu bénéficier des reports de son expulsion judiciaire en raison de son état de santé ne pouvait entraîner à son égard la réalisation d'un droit de séjour, dans la mesure où cette mesure empêchait tout octroi d'un titre de séjour, respectivement d'une admission provisoire. Le législateur était conscient de cette situation, considérant toutefois qu'elle était la conséquence directe de la disposition constitutionnelle topique (art. 121 al. 3 à 6 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), et que rien ne justifiait de privilégier les personnes frappées d'une expulsion par rapport à celles auxquelles une admission provisoire avait été refusée en vertu de l'art. 83 al. 7 LEI.

c. Par décision du 3 juin 2024, la demande d'assistance juridique formée par A______ a été rejetée.

d. Le 25 septembre 2024, ce dernier a transmis de nouveaux certificats médicaux confirmant les constatations déjà faites dans ceux précédemment produits devant le TAPI.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Il convient au préalable de cerner l'objet du litige.

2.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/242/2020 du 3 mars 2020 consid. 2a).

La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés.

2.2 Il résulte en l'occurrence des conclusions du recourant qu'il n'entend pas remettre en cause les deux mesures d'expulsion judiciaire ordonnées par décision du juge vaudois, confirmée par le Tribunal fédéral le 27 septembre 2019, et par décision de la CPAR le 4 février 2020, ni encore moins le report de l'exécution de son expulsion pour raisons médicales. Arguant que la dégradation de son état de santé rendait tout renvoi impossible et qu'il s'était vu octroyer la garde sa fille, il a demandé à l'OCPM de renoncer à l'examen annuel du report de l'expulsion et de lui accorder un titre de séjour à titre humanitaire. En tant qu'il s'en prend uniquement à la décision de refus de l'OCPM d'entrer en matière sur cette demande, l'objet de la présente procédure est circonscrit à la question de sa conformité au droit.

3.             Le recourant sollicite sa comparution personnelle.

3.1 Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Le droit d’être entendu n’implique pas une audition personnelle de l’intéressé, celui-ci devant simplement disposer d’une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l’issue de la cause (ATF 140 I 68 consid. 9.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_83/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.2).

3.2 En l'espèce, le recourant fait valoir que son audition permettrait à la chambre administrative de mieux constater son état afin d'apprécier de visu qu'il ne pourra jamais être expulsé dans son pays d'origine.

Le recourant a, cela étant, déjà eu l'occasion de s'exprimer à plusieurs reprises par écrit, tant devant le TAPI que devant la chambre de céans. Il a pu donner toutes les explications utiles sur son état médical et produire de nombreuses attestations médicales sur ce point. Il n'explique pas quels éléments supplémentaires son audition serait susceptible d'apporter au dossier, étant relevé que la chambre administrative ne dispose pas des connaissances médicales pouvant lui permettre d'apprécier de visu l'état de santé du recourant et ses perspectives d'évolution. À cela s'ajoute, comme il sera développé ci-dessous, que l'état de santé du recourant et l'absence alléguée de perspectives d'évolution positive ne sont pas pertinents pour l'issue du recours.

Dans ces circonstances, la comparution personnelle ne paraît pas utile et la chambre de céans dispose d'un dossier complet susceptible de lui permettre de statuer en toute connaissance de cause.

Il ne sera pas donné de suite à la demande du recourant.

4.             Le recourant conteste la conformité au droit de la décision de l’OCPM du 26 juin 2023, confirmée par le TAPI, refusant d'entrer en matière sur sa demande d'autorisation de séjour pour cas de rigueur (permis humanitaire).

4.1 Selon l'art. 61 LPA, le recours devant la chambre administrative peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation, ainsi que pour constatation inexacte des faits (al. 1). En revanche, la chambre administrative ne connaît pas de l'opportunité des décisions prises en matière de police des étrangers, dès lors qu'il ne s'agit pas d'une mesure de contrainte (al. 2 ; art. 10 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10, a contrario).

4.2 Selon l'art. 121 al. 3 let. a Cst., les étrangers sont privés de leur titre de séjour, indépendamment de leur statut, et de tous leurs droits à séjourner en Suisse s'ils ont été condamnés par un jugement entré en force pour meurtre, viol, ou tout autre délit sexuel grave, pour un acte de violence d'une autre nature tel que le brigandage, la traite d'êtres humains, le trafic de drogue ou l'effraction.

Ils doivent être expulsés du pays par les autorités compétentes et frappés d'une interdiction d'entrer sur le territoire allant de cinq à quinze ans (art. 121 al. 5 Cst.).

4.3 À teneur de l'art. 66a al. 1 let. d CP, dont la note marginale est « expulsion obligatoire », le juge expulse de Suisse l'étranger qui est condamné pour vol (art. 139 CP) en lien avec une violation de domicile (art. 186 CP).

4.4 L'art. 61 al. 1 let. e LEI prévoit que l'autorisation de séjour de l'étranger prend fin lorsque l'expulsion au sens de l'art. 66a CP ou 49a du Code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM - RS 321.0) entre en force.

De la même manière, le fait d'être frappé d'une expulsion obligatoire exclut d'emblée l'octroi de toute autorisation de séjour (arrêt du Tribunal fédéral 6B_884/2022 du 20 décembre 2022 consid. 3.1).

4.5 Selon l'art. 66d al. 1 CP, l'exécution de l'expulsion obligatoire selon l'art. 66a CP peut être reportée lorsque des règles impératives du droit international s'opposent à l'expulsion.

4.6 Le législateur était conscient du fait que les étrangers expulsés du pays ne disposent plus d'un droit de séjour, même en cas de report de l'exécution (Message du 26 juin 2013 concernant une modification du code pénal et du code pénal militaire [Mise en œuvre de l'art. 121, al. 3 à 6, Cst. relatif au renvoi des étrangers criminels], FF 2013 5373, p. 5403 s.; voir aussi arrêt du Tribunal fédéral 6B_423/2019 du 17 mars 2020 consid. 2.2.2 in fine). Il a cependant été considéré que, d'une part, cette situation est une conséquence directe de la nouvelle disposition constitutionnelle (art. 121 al. 3 à 6 Cst.) et, d'autre part, rien ne justifie qu'on privilégie les personnes frappées d'une expulsion par rapport à celles auxquelles une admission provisoire a été refusée en vertu de l'art. 83 al. 7 LEI. Les personnes dont l’expulsion ne pourra être exécutée n’auront pas le droit d’exercer une activité rémunérée ni de bénéficier d’un regroupement familial ou de mesures d’intégration. L’aide sociale leur sera interdite ; tout au plus pourront-elles toucher une aide d’urgence en cas de besoin (art. 12 Cst. ; FF 2013 5373, p. 5403 s.).

Certains auteurs de doctrine considèrent que ces conséquences du report de l'expulsion sont contreproductives et ne répondent à aucun intérêt public. Il serait partant indiqué, selon eux, que les autorités cantonales renoncent à appliquer la lettre de l'art. 61 al. 1 let. e LEI et ne révoquent pas l’autorisation de séjour avant d’avoir vérifié que l’expulsion peut être exécutée. Au vu toutefois de la pratique administrative consistant à mettre fin immédiatement aux autorisations de séjour des personnes frappées d'une expulsion judiciaire, ils estimaient qu'une admission provisoire devrait être accordée à l’étranger en situation irrégulière de ce fait depuis deux ans, de manière à ce qu’il puisse travailler et ne reste pas indéfiniment une charge économique pour le pays (Camille PERRIER DEPEURSINGE/Hadrien MONOD, in Commentaire romand - code pénal I, Laurent MOREILLON/Nicolas QUELOZ/Alain MACALUSO/Nathalie DONGOIS [éd.], 2e éd., 2021, n. 15 ad art. 66d CP ; Alexandra BÜCHLER, Fanny DE WECK, in Migrationsrecht Kommentar, Marc SPESCHA/Andreas ZÜND/Peter BOLZLI/Constantin HRUSCHKA/Fanny DE WECK/Valerio PRIULI [éd.], 5e éd., Zurich 2019, n. 10 ad art. 66d CP ; Victoria POPESCU/Philippe WEISSENBERGER, Expulsion pénale et droit des migrations: un casse-tête pour la pratique, PJA 2018, p. 362 ss ).

Dans un cas concernant un recourant qui se plaignait qu'en raison de la perte de son titre de séjour suite à la confirmation de son expulsion, il se retrouverait en cas de report de celle-ci parmi les sans-papiers, situation précaire qui le pousserait inévitablement dans l'illégalité, le Tribunal fédéral s'est référé au message précité pour indiquer qu'il ne pouvait rien en déduire sous l'angle de l'application du cas de rigueur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_122/2023 du 27 avril 2023 consid. 1.6)

4.7 L'art. 83 al. 9 LEI dispose que l'admission provisoire n'est pas ordonnée ou prend fin notamment avec l'entrée en force d'une expulsion obligatoire au sens de l'art. 66a CP.

4.8 En l'espèce, il ressort des rapports médicaux que le recourant souffre d'une maladie neurodégénérative qui a rendu son expulsion inexécutable en 2022, 2023 et 2024, obligeant l'OCPM à reporter à trois reprises son exécution par décisions des 27 janvier 2022, 27 janvier 2023 et 26 février 2024. Son expulsion ayant entraîné la perte de son autorisation de séjour, il se retrouve dans une situation précaire l'empêchant de percevoir des prestations de l'assurance invalidité auxquelles il pourrait a priori prétendre au vu de son état de santé. Invoquant l'absence de toute perspective de rémission et le fait qu'il assumait la garde sur sa fille (laquelle a entre-temps atteint la majorité en mars 2024), le recourant considère que les conditions d'un cas de rigueur sont réalisées.

Il ne peut être suivi, son raisonnement n'étant conforme ni à la volonté du législateur ni à la jurisprudence citée. Comme relevé, le législateur était conscient des conséquences de la perte de l'autorisation de séjour ensuite du report de l'expulsion judiciaire, notamment la création d'une population de sans-papiers qui, exclus du marché du travail et ne pouvant bénéficier des prestations sociales, seraient réduits à l'aide d'urgence (art. 12 Cst.). S'accommodant expressément de cette éventualité, il n'a pas prévu l'octroi d'un titre de séjour à ces personnes (FF 2013 5373, p. 5403).

La précarité du statut administratif du recourant, qui entraîne l'impossibilité pour lui d'obtenir des prestations d'assurance sociale, est ainsi la conséquence directe de la réglementation du report de l'expulsion pénale, que le législateur conçoit comme étant incompatible avec un séjour régulier en Suisse. Il n'y a donc pas lieu d'examiner plus avant si sa situation pourrait remplir les conditions d'un cas de rigueur, la délivrance d'une autorisation de séjour étant d'emblée exclue en application de l'art. 61 al. 1 let. e LEI et de la jurisprudence précitée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_884/2022 du 20 décembre 2022 consid. 3.1).

L'octroi d'une admission provisoire n'est pas non plus envisageable, car expressément exclue par l'art. 83 al. 9 LEI. Comme déjà relevé, le législateur a en effet considéré qu'il ne se justifiait pas de traiter plus favorablement les étrangers faisant l'objet d'une mesure d'expulsion obligatoire au sens de l'art. 66a CP que ceux ne pouvant bénéficier d'une admission provisoire en vertu de l'art. 83 al. 7 LEI, visant les cas où la personne a été condamnée à une peine privative de liberté de longue durée ou a fait l’objet de certaines mesures pénales (let. a), attente de manière grave ou répétée à la sécurité et à l’ordre public, les met en danger ou représente une menace pour la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse (let. b), ou encore, par son comportement, a rendu impossible l’exécution du renvoi (let. c) (FF 2013 5373, p. 5403).

L'argument du recourant selon lequel le risque qu'il fasse l'objet d'arrestations et d'incarcérations pour séjour illégal ou rupture de ban serait pour lui la source d'un stress incompatible avec son état de santé ne modifie en rien ces conclusions. Il s'agit là, en effet, d'une conséquence de la nature précaire de son statut en Suisse, laquelle semble au demeurant pouvoir être évitée si le recourant conserve en permanence sur lui une copie de la décision de report d'expulsion de l'OCPM ; il va cela étant sans dire que cette précaution demeurera vaine si le recourant, comme cela a été le cas au mois de janvier 2024, est appréhendé pour des motifs relevant du droit pénal ordinaire.

La situation médicale difficile du recourant ne saurait assurément être minimisée. Il découle toutefois des considérants qui précèdent que la réglementation actuelle fait obstacle à l'octroi d'une quelconque autorisation de séjour en sa faveur. Aucun argument tiré de sa situation personnelle précaire ne permet donc remettre en cause cette conclusion.

Partant, le jugement du TAPI ne prête pas le flanc à la critique, si bien que le recours, entièrement infondé, sera rejeté.

5.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 avril 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 400.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Anna SERGUEEVA, avocate du recourant, à l’office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFFELI BASTIANELLI

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.