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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3449/2024

ATA/1471/2024 du 17.12.2024 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3449/2024-FORMA ATA/1471/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 décembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Cécilia DE MONTMOLLIN, avocate

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE intimé



EN FAIT

A. a. A______, née le ______ 2002, a obtenu une maturité gymnasiale en juin 2021.

b. Elle a ensuite entamé, à la rentrée 2022, un apprentissage, en forme duale, de charpentière qu’elle a été autorisée, au terme de sa première année, à faire en trois ans au lieu de quatre. Elle a, durant ses trois années d’apprentissage, obtenu d’excellents résultats, ses notes se situant entre 5.2 et 6.

c. Fin juillet 2024, elle a résilié son contrat d’apprentissage, souhaitant se réorienter vers une formation d’ébéniste, par la voie de la formation à plein-temps auprès du Centre de formation professionnelle construction (ci-après : CFPC). Le métier ne correspondait plus à ses attentes. Son commissaire d’apprentissage lui avait d’ailleurs indiqué que « la véritable essence de la charpente n’était plus présente dans les pratiques du secteur genevois depuis 20 ans ».

d. Fin août 2024, encouragée par B______, « doyen métiers du bois » du CFPC, elle a adressé une demande d’admission au directeur du CFPC en vue d’y intégrer la formation d’ébéniste à plein-temps, en 2e année. B______ avait précisé que des places étaient disponibles. Une telle formation lui permettrait d’acquérir le savoir-faire artisanal authentique et de se concentrer pleinement sur l’apprentissage des techniques manuelles qui la passionnaient. Lorsqu’elle était dispensée en voie duale, la formation ne permettait pas d’acquérir des compétences suffisamment approfondies. Les entreprises travaillaient en effet avec des matériaux composites ou des panneaux dérivés, utilisés au détriment des méthodes traditionnelles en bois massif. En outre, les places d’apprentissage d’ébénistes valorisant les méthodes artisanales traditionnelles étaient rares. Elle relevait que la maturité gymnasiale n’était pas comparable à une certification dans un métier manuel. Son diplôme gymnasial ne devait donc pas constituer un obstacle à une reconversion professionnelle.

e. Par courriel du 26 septembre 2024 adressé par la direction générale de l’enseignement II (ci-après : DGES II) au directeur du CFPC, la demande a été admise. La DGES II a invité B______ à intégrer A______ dans sa classe.

f. Le lendemain, A______ a reçu un courriel de la DGES II, par lequel la décision de la veille – que l’étudiante n’a reçue que le 2 octobre 2024 – était annulée et remplacée par une nouvelle décision. Celle-ci comporte la même motivation, mais conclut par le rejet de la demande.

B. a. Par acte déposé le 18 octobre 2024, A______ a recouru contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation. Elle a conclu à pouvoir intégrer en 2année la voie plein-temps de la formation d’ébéniste.

La décision violait les art. 95 al. 1 à 3 de la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 (LIP - C 1 10), art. 5 al. 2 et art. 12 du règlement relatif à l'admission dans l'enseignement secondaire II du 14 avril 2021 (RAES II ‑ C 1 10.33). Le nombre de places d’apprentissage en ébénisterie était limité. L’art. 12 al. 2 RAES-II était contraire à l’art. 95 al. 3 LIP. Par ailleurs, l’autorité n’avait nullement tenu compte des circonstances propres à la recourante. En outre, l'autorité avait violé le principe de la bonne foi, en rendant successivement des décisions contradictoires, dont la motivation était de surcroît quasiment identique, sous réserve de l’issue réservée à sa demande.

b. La DGES-II a conclu au rejet du recours.

L’art. 12 RAES-II reposait sur une base légale. Si, certes, l’art. 95 al. 3 LIP ne prévoyait aucune condition d’âge ou d’admission pour la formation en voie duale, le Conseil d’État pouvait en prévoir pour les formations à plein-temps. La recourante ne pouvait se prévaloir de la protection de la bonne foi, dès lors qu’elle avait d’abord reçu la décision négative, qui indiquait clairement que la première décision, positive, était annulée.

c. Par décision du 8 novembre 2024, la chambre administrative a fait droit aux conclusions sur mesures provisionnelles de la recourante, l’autorisant à intégrer, à titre provisionnel, la 2e année de formation à plein-temps en ébénisterie.

d. Lors de l’audience qui s’est tenue le 2 décembre 2024 devant la chambre administrative, la recourante a confirmé qu’elle avait intégré la 2e année au CFPC en formation d’ébénisterie le lundi suivant la décision rendue sur mesures provisionnelles. Cela se passait bien et elle était contente de son choix. Ils étaient environ une quinzaine d’élèves ; à son sens, l’effectif n’était pas complet.

À réception de la décision négative, envoyée par courriel, elle avait appelé B______ pour l’en informer. Celui-ci lui avait souhaité la bienvenue, ce qui avait conduit à un échange entre eux au cours duquel il lui avait fait part du courriel du directeur du CFPC qu’il avait reçu la veille, le priant de l’intégrer dans sa classe.

Comme le courriel qu’elle avait reçu indiquait clairement qu’il faisait suite à une décision erronée et que seul le courriel faisait foi, elle avait bien compris que sa demande avait été rejetée.

d.a La représentante de la DGES II a confirmé qu’il restait une place en 2e année au CFPC dans la filière d’ébénisterie ; c’était celle occupée désormais par la recourante. La DGES II ne s’occupant pas de la formation en voie duale, elle ne pouvait indiquer s’il était difficile de trouver des places d’apprentissage en ébénisterie qui formaient aux techniques artisanales.

d.b La recourante a précisé qu’elle n’avait pas vraiment cherché de places d’apprentissage d’ébéniste. Elle avait fait une très mauvaise expérience lors de son apprentissage en forme duale en entreprise. Elle avait été mal formée et ne souhaitait pas revivre une telle situation. Elle préférait apprendre le métier et plus tard se confronter au milieu professionnel. En outre, B______ l’avait encouragée à former une demande de dérogation.

Elle ne s’était pas présentée aux examens finaux de charpentière car elle estimait qu’au vu de sa formation lacunaire, le CFC ne reflétait pas les compétences attendues d’une charpentière. Elle n’avait jamais taillé de bois en deux ans en entreprise. En trois semaines d’ébénisterie au CFPC, elle avait déjà « touché plus de bois » que durant son apprentissage en entreprise. Elle avait de bons rapports avec ses camarades, comme avec ses enseignants, et était déterminée à aller au terme de cette formation.

Elle a produit une évaluation relative à la méthodologie de pose pour laquelle elle avait reçu une note de 5.5. Elle avait subi les mêmes examens d’évaluation que les autres élèves et eu un 5.5 en dessin assisté par ordinateur, un 4 pour les connaissances professionnelles, un 3 et un 4.5 en atelier et un 4 pour un examen de mathématiques. Le 3 se rapportait à un examen qui avait eu lieu peu après son arrivée.

À la suite des échanges qu’elle avait eus avec B______, elle avait pensé qu’il était possible d’obtenir une dérogation. Elle pensait aussi que sa situation exceptionnelle et particulière permettait peut-être d’aboutir à une décision positive.

Aussi, elle souhaitait bénéficier du même traitement que C______ qui s’était inscrit directement en 1ère année au CFPC à plein-temps et qui était titulaire d’un baccalauréat français.

d.c La représentante de la DGES II a indiqué ne pas avoir connaissance de la situation de l’élève précité ; les écoles et non la DGES II vérifiaient les conditions à l’inscription.

d.d À l’issue de l’audience, il a été convenu que la situation de la recourante allait être rediscutée par la DGES II, qui reviendrait rapidement avec sa réponse.

e. Par courrier du 5 décembre 2024, la DGES II a indiqué qu’elle maintenait sa position.

f. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Est litigieux le refus d’admettre la recourante en 2e année d’ébénisterie en voie plein-temps au CFPC.

2.1 La LIP prévoit que, pour le degré secondaire II, les conditions d’admission, de promotion et d’obtention des titres sont fixées par voie réglementaire (art. 85 al. 1 LIP).

À teneur de l’art. 95 LIP, l’Etat fait la promotion de la formation professionnelle, en collaboration avec les partenaires et les associations professionnelles concernés. Il veille à la création des places de formation correspondant aux besoins, en encourageant la prospection et la création de places d’apprentissage en entreprise ; si l’offre est insuffisante ou si la préparation à l’accès à des formations professionnelles supérieures et à des formations relevant de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale – Genève le rendent nécessaire, il peut créer des places de formation en école à plein-temps (al. 1). Le nombre de places dans les formations professionnelles initiales à plein-temps des centres de formation professionnelle et dans les filières de formation supérieure à plein-temps est limité (al. 2). Pour ces formations, l’admission de candidats et candidates est déterminée en fonction des résultats scolaires. Outre ces résultats, lorsque le nombre de candidats dépasse le nombre de places disponibles, l’admission s’effectue en fonction des résultats scolaires pertinents, d’épreuves communes ou de tests d’aptitude et par concours. Les détails sont fixés par règlement (al. 3).

2.2 Selon l’art. 5 al. 2 du règlement relatif à l'admission dans l'enseignement secondaire II du 14 avril 2021 (RAES II ‑ C 1 10.33), la priorité est donnée aux élèves mineurs pour la formation professionnelle voie plein-temps, hors commerce.

Aux termes de l’art. 12 RAES-II, les élèves déjà au bénéfice d'un titre du degré secondaire II suisse ou étranger ne peuvent pas prétendre à l'admission dans une filière de l'enseignement secondaire II en voie plein-temps (al. 1). Sont réservées les conditions d'admission au service de l'accueil du degré secondaire II, dans une formation nécessitant une première certification de l'enseignement secondaire II, dans les filières pour adultes ainsi que l'admission dans une filière menant à l'obtention d'un certificat fédéral de capacité d'un élève titulaire d'une attestation fédérale de formation professionnelle (al. 2).

2.3 La protection de l’égalité (art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101) et celle contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) sont étroitement liées. Une décision viole le droit à l’égalité de traitement consacré à l’art. 8 Cst. lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_178/2022 du 16 mars 2022 consid. 5.1). L’inégalité de traitement apparaît comme une forme particulière d’arbitraire, consistant à traiter de manière inégale ce qui devrait l’être de manière semblable ou inversement (ATF 142 I 195 consid. 6.1 ; 137 I 167 consid. 3.5 ; 129 I 346 consid. 6).

2.4 En l’espèce, il ressort de l’art. 95 al. 2 LIP que le nombre de places dans les formations à plein-temps est limité. L’admission à ces places de formation est déterminée en fonction des résultats scolaires et, lorsque le nombre de candidats dépasse le nombre de places disponibles, elle s’effectue en fonction des résultats scolaires pertinents, d’épreuves communes ou de tests d’aptitude et par concours (art. 95 al. 3 LIP). Cette dernière disposition délègue ensuite la fixation des détails au Conseil d’État.

L’art. 95 LIP prévoit, en d’autres termes, que les places dans le CFPC pour des formations à plein-temps sont limitées et qu’elles doivent être attribuées en fonction des résultats scolaires. Ce n’est que lorsqu’il y a plus de candidats que de places, que des critères supplémentaires s’appliquent. Ces critères peuvent alors être fixés par le Conseil d’État. Ce dernier a précisé que pour la formation professionnelle voie plein-temps, la priorité était donnée aux élèves mineurs (art. 5 al. 2 RAES II).

Or, in casu, la représentante de la DGES II a indiqué en audience qu’il restait une place en 2e année de formation à plein-temps en ébénisterie ; il s’agissait de celle que la recourante occupait depuis peu. Il n’est pas allégué que celle-ci ne remplirait pas le critère des résultats scolaires. Au contraire, ces derniers sont excellents et ne sauraient s’opposer à son intégration dans la spécialité ébénisterie de la « filière bois ». Par ailleurs, compte tenu de la disponibilité de places, le fait que la recourante soit adulte ne contrevient ainsi pas à la règle de priorité fixée par le Conseil d’État.

En tant que l’art. 12 al. 1 RAES-II exclut les élèves déjà au bénéfice d'un titre du degré secondaire II suisse ou étranger de la « filière » de l'enseignement secondaire II en voie plein-temps, il faut lire cette disposition conjointement avec l’art. 95 LIP. Cette dernière, retenant que les places de formation à plein-temps au CFPC sont limitées, en fixe ensuite les conditions d’accès, singulièrement lorsqu’il y a plus de candidats que de places. Les critères de sélection plus détaillés d’admission prévus à l’art. 12 RAES-II tendent à favoriser l’accès à la formation à plein-temps au CFPC aux élèves – mineurs – n’étant pas encore au bénéfice d’une quelconque formation. Il ne peut cependant, a contrario, en être déduit que, lorsque des places de formation demeurent disponibles, celles-ci ne pourraient pas être occupées par des candidats déjà au bénéfice d’une formation ou d’un titre du degré secondaire II.

Il ressort du « dossier scolaire » de la recourante, produit par la DGES II, que le « doyen métiers du bois » du CFPC était déjà responsable du suivi de la formation de la recourante pendant ses trois années d’apprentissage. Il était ainsi parfaitement informé de son parcours lorsqu’il l’a encouragée à formuler une demande en vue d’intégrer la 2e année de formation en ébénisterie en voie plein-temps. Rien ne permet ainsi de retenir – et l’autorité intimée ne le soutient d’ailleurs pas – que l’intéressée ne présenterait pas les capacités, les compétences ou la motivation pour intégrer cette formation en 2e année.

Enfin, la recourante a cité l’exemple d’un autre élève détenteur du même titre du degré secondaire II qu’elle, qui a été admis à la formation à plein-temps au sein du CFPC. L’autorité intimée n’a pas contesté cette allégation.

Ainsi, au vu de l’ensemble des éléments particuliers qui précèdent, le refus d’admettre la recourante en 2e année de formation en ébénisterie au sein du CFPC à plein-temps relève d’un abus du pouvoir d’appréciation. Partant, le recours devra être admis, la décision querellée annulée et la recourante autorisée à intégrer, en 2e année, la formation précitée.

3.             Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée à la recourante, à la charge de l’État de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 octobre 2024 par A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 27 septembre 2024 ;

au fond :

l’admet et annule la décision précitée ;

ordonne au département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse d’admettre A______ en 2e année de formation en ébénisterie à plein-temps au sein du CFPC ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 800.- à A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Cécilia DE MONTMOLLIN, avocate de la recourante, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Valérie MONTANI, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. MICHEL

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :