Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1392/2024 du 27.11.2024 ( MARPU ) , REFUSE
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE A/3543/2024-MARPU ATA/1392/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Décision du 27 novembre 2024 sur effet suspensif
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dans la cause
A______ SA recourante
représentée par Me Julien PACOT, avocat
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE intimé
_________
Attendu, en fait, que :
1. A______ SA (ci-après : A______) est une société anonyme sise à B______, inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève depuis le ______ 1987, et dont le but statutaire est : « exploitation d'une entreprise de la construction et du bâtiment, en particulier dans les secteurs de la menuiserie et de la charpente ainsi que des métiers s'y rattachant ; acquisition de participations ou investissements dans des sociétés ou entreprises se rapportant au domaine de la construction ».
2. Le 3 septembre 2024, le département du territoire (ci-après : DT), soit pour lui l’office cantonal des bâtiments (ci-après : OCBA), a publié sur la plateforme www.simap.ch un appel d'offres pour un marché public de travaux de construction, intitulé « CO de la Gradelle / Bâtiments D+E - Extension Modulaire : Travaux de fourniture et pose de fenêtres en bois-métal ». Il s'agissait d'un marché en procédure ouverte, non soumis aux accords internationaux, sans indication du montant estimé.
Selon cette publication, des offres partielles étaient admises et la sous-traitance était autorisée.
3. Dans les documents d'appel d'offres, il est mentionné au ch. 3.6 du dossier d’appel d’offres (document K2+) que l’adjudicateur exclura l’offre si celle-ci n’est pas accompagnée des attestations, preuves et documents de toutes les entreprises exécutantes demandées par l’adjudicateur, d’une durée de validité maximum de 3 mois (P2+) ». L’annexe R15+ « Annonce des sous-traitants » contient un cadre pour remplir les coordonnées de chaque sous-traitant, chaque cadre mentionnant en fin de rubrique, en caractères gras italiques : « Fournir pour chaque sous-traitant les attestations demandées dans l’annexe P2+ ».
Ladite annexe recensait les attestations requises, la première phrase du formulaire étant : « L’entreprise a l’obligation de remettre les attestations et preuves ci-dessous dans le même délai que le dépôt de l’offre, y compris celle des sous-traitants si la sous‑traitance est autorisée » ; il était rappelé que le non-respect de cette condition était l’exclusion immédiate de l’offre. De plus, un cadre avec des caractères gras italiques d’une police plus large que le reste du formulaire rappelait que le délai de validité des attestations était de trois mois au maximum. Enfin, un feuillet spécifique « À l’attention des soumissionnaires », qui a été remis à A______, rappelait encore l’obligation de remettre toutes les attestations demandées, y compris pour les sous‑traitants ou les consortiums d’entreprises, sous peine d’exclusion.
4. A______ a, dans le délai de remise, soumis une offre pour un montant toutes taxes comprises (ci-après : TTC) de CHF 340'832.45. Elle entendait sous-traiter 10% du marché, pour la pose des fenêtres. Sous la rubrique « raison sociale du sous‑traitant », elle a indiqué : « non connu à ce stade, sera transmis en cas d’adjudication ». Elle n’a ainsi fourni d’attestations que pour elle-même.
5. Par décision du 14 octobre 2024, le DT a exclu A______ de la procédure d'appel d'offres. Les attestations du sous-traitant (selon annexes P2+ et R15+) manquaient au dossier.
6. Par acte déposé le 25 octobre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d'exclusion précitée, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours et, principalement, à l'annulation de la décision attaquée, au renvoi à l’OCBA pour évaluation de son offre ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.
Elle avait annoncé qu’elle comptait recourir à la sous-traitance pour la pose des fenêtres à concurrence de 10% de l’ensemble du marché, et avait indiqué sous la rubrique « raison sociale du sous-traitant » : « non connu à ce stade, sera transmis en cas d’adjudication ».
Elle avait un grand intérêt à se voir octroyer l’effet suspensif au recours, de sorte à empêcher l’OCBA de conclure un contrat avec un autre soumissionnaire. Son recours était bien fondé et ses chances de succès étaient fortes. Aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’opposait à l’octroi de l’effet suspensif, en particulier pas celui à commencer rapidement le chantier, dès lors qu’aucune urgence n’était alléguée.
Sur le fond, l’exclusion de l’offre ne se justifiait pas en présence de n’importe quel vice. Si l’art. 35 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) prévoyait que le soumissionnaire devait annoncer dans son offre le nom et le domicile ou siège de son ou ses sous-traitants, les al. 7 à 9 de cet article comportaient un régime spécial pour les marchés de construction, qui permettait la régularisation en cas de défaut d’annonce. La chambre administrative avait déjà annulé une révocation d’adjudication en partie fondée sur l’absence d’annonce d’un sous-traitant. En outre, l’exigence d’annonce du sous-traitant était controversée en doctrine, et le Tribunal fédéral ne l’avait pas tranchée définitivement. Maintenir l’obligation de nommer d’emblée les entreprises sous-traitantes potentielles reviendrait indirectement à fournir de fausses informations dans l’offre, dès lors que certaines d’entre elles pourraient finalement ne pas être engagées dans la réalisation du marché. De plus, en l’occurrence, la part du marché sous-traitée, soit 10%, était minime.
7. Le 7 novembre 2024, le DT a conclu au rejet de la demande d'octroi de l'effet suspensif.
La recourante reconnaissait expressément n’avoir pas indiqué dans son offre l’identité de son sous-traitant pour l’exécution du marché, alors que le dossier d’appel d’offres le prévoyait sans équivoque. Le principe d’intangibilité des offres et celui de l’égalité de traitement entre soumissionnaires imposaient d’exclure une telle offre. Le recours était ainsi infondé.
Il existait de plus un intérêt public important à ce que l’effet suspensif ne soit pas octroyé, puisque en cas de retard dans l’adjudication du marché litigieux, la livraison des surélévations devrait être reportée d’au moins une année, ce qui serait problématique dans un contexte notoire de surpopulation.
8. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.
Considérant, en droit, que :
1. Le recours, interjeté en temps utile devant l’autorité compétente, est prima facie recevable, en application des art. 15 al. 1bis let. d et al. 2 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 55 let. c et 56 al. 1 RMP, étant précisé que contrairement aux allégations de la commune adjudicatrice, si la recourante était réintégrée dans l'évaluation des offres et qu'elle obtenait des notes maximales aux critères 2 et 3, elle obtiendrait la note de 470 et donc le marché.
2. Les mesures provisionnelles sont prises par le président ou la vice-présidente de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par une autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020).
3. Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.
L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/543/2024 du 30 avril 2024 consid. 3 ; ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, 2010, 311-341, p. 317 n. 15).
L’octroi de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics (arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2), et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1/2024 du 2 janvier 2024).
4. Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur des mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit, en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3).
5. a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des communes (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés et à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre
ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 let. a et b AIMP).
b. L’offre est écartée d’office lorsque le soumissionnaire a rendu une offre tardive, incomplète ou non conforme aux exigences ou au cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a RMP). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L’autorité adjudicatrice rend une décision d’exclusion motivée, notifiée par courrier à l’intéressé, avec mention des voies de recours (art. 42 al. 3 RMP).
c. Le droit des marchés publics est formaliste. L'autorité adjudicatrice doit procéder à l'examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d'intangibilité des offres remises et le respect du principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l'art. 16 al. 2 RMP. Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l'obligation d'assurer l'égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d'examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation (ATA/496/2024 du 16 avril 2024 consid. 3.2).
6. a. La sous-traitance nécessite l’accord de l’autorité adjudicatrice, qui en fixe les modalités (art. 4 al. 3 L-AIMP, en vigueur depuis le 26 mars 2022).
b. Les soumissionnaires doivent indiquer, lors de la remise de leur offre, le type et la part des prestations qui sont appelées à être sous-traitées, ainsi que le nom et le domicile ou le siège de leurs sous-traitants (art. 35 al. 1 RMP).
c. Au surplus, pour les marchés de construction, l'adjudicataire doit annoncer à l’autorité adjudicatrice tout sous-traitant participant à l’exécution de la prestation, durant toute la durée d’exécution du contrat. L’annonce doit être faite avant le début prévu des travaux sous-traités ; elle doit indiquer, outre les éléments visés à l’art. 35 al. 1 RMP le lieu de la prestation et le début prévu des travaux sous-traités (art. 35 al. 7 RMP). En cas de violation de l’obligation d’annonce, l’autorité adjudicatrice ordonne au sous-traitant de suspendre immédiatement ses travaux et le contraint à quitter le lieu de la prestation. À titre exceptionnel, sur requête de l’autorité adjudicatrice, le Conseil d’État peut renoncer à la mesure, notamment lorsque l’arrêt des travaux est de nature à compromettre un intérêt public prépondérant (art. 35 al. 8 RMP). La suspension des travaux dure jusqu’à ce que l’adjudicataire ait fait l’annonce du sous-traitant prévu à l’art. 35 al. 1 RMP et que les organes de contrôle des conditions de travail aient pu établir que le sous-traitant respecte les prescriptions en la matière (art. 35 al. 9 RMP).
7. En l'espèce, les documents d'appel d'offres étaient clairs au sujet de l’obligation de nommer les sous-traitants et de produire les attestations y relatives, ce que la recourante reconnaît elle-même dans son recours. Elle n’a toutefois pas contesté les documents d’appel d’offres.
Dans son offre, elle a indiqué vouloir sous-traiter environ 10% du marché, mais n’a pas désigné l’entreprise sous-traitante, ni produit d’attestations y relatives.
Dans ces conditions, les chances de succès du recours apparaissent prima facie ténues. En effet, le grief mettant en question l’obligation d’annoncer d’emblée le ou les sous-traitants apparaît à première vue irrecevable, cette obligation découlant des documents d’appel d’offres, lequel n’a pas été contesté en justice ; de plus, cette exigence résulte directement de l’art. 35 al. 1 RMP, disposition qui est à première vue valable indépendamment du dispositif prévu, pour les marchés de construction, par les al. 7 à 9 de l’art. 35 RMP. Quant au formalisme excessif, notamment en lien avec l’absence de production des attestations pour le sous‑traitant, la jurisprudence de la chambre de céans a pour l’instant toujours retenu que la non-production des attestations demandées dans les documents d’appel d’offres au moment du dépôt de l’offre entraînait l’exclusion du soumissionnaire (ATA/1090/2024 du 17 septembre 2024 ; ATA/1273/2023 du 28 novembre 2023), si bien que ce grief apparaît aussi, prima facie, peu susceptible d’être admis en l’espèce malgré la controverse doctrinale et jurisprudentielle mise en exergue dans le recours.
Les chances de succès de ce dernier apparaissent ainsi insuffisantes en l'état pour octroyer l'effet suspensif, étant rappelé que l'absence d'un tel effet au recours constitue la règle en matière de marchés publics. Point n'est besoin dès lors d'examiner s'il existe un intérêt public ou privé prépondérant à l'exécution immédiate du marché, étant rappelé toutefois que selon la jurisprudence, les pouvoirs adjudicateurs doivent prévoir, dans leurs échéanciers, la possibilité que des soumissionnaires interjettent recours contre leurs décisions (ATA/842/2024 du 11 juillet 2024 consid. 7).
8. Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
refuse d'octroyer l’effet suspensif au recours ;
réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public :
si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;
si elle soulève une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;
le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;
communique la présente décision à Me Julien PACOT, avocat de la recourante ainsi qu'au département du territoire.
| Le président :
C. MASCOTTO |
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Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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