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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/730/2023

ATA/1358/2024 du 19.11.2024 sur JTAPI/413/2024 ( PE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/730/2023-PE ATA/1358/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 novembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Michel CABAJ, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 mai 2024 (JTAPI/413/2024)


EN FAIT

A. a. Ressortissante russe née le ______ 1954, A______ est arrivée en Suisse en avril 2017 au bénéfice d’un visa de visite valable 90 jours.

b. Sa fille, B______, de nationalité suisse, née le ______ 1985, réside à Genève. Elle est l’épouse de C______, citoyen helvétique. Tous deux sont les parents de D______, né le ______ 2014.

c. Le 5 août 2017, A______ a déposé auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une demande de prolongation de son visa. Elle avait subi une intervention chirurgicale et avait besoin d’être suivie par ses médecins et accompagnée par sa fille durant sa convalescence.

d. Le 20 mars 2018, elle a communiqué à l’OCPM, à la demande de celui-ci, un certificat médical établi le 15 du même mois par le Docteur E______, dont il ressortait qu’elle souffrait d’une hépatite C contractée lors d’une transfusion, qui menait vers la cirrhose hépatique.

e. Selon l’instruction menée par l’OCPM, A______ n’émargeait pas à l’aide sociale, ne faisait pas l’objet de poursuites pour dettes, n’avait pas été condamnée pénalement en Suisse et y disposait d’un compte bancaire.

f. Le 15 mai 2018, A______ s’est engagée à quitter la Suisse au terme de son traitement médical, quelles que soient les circonstances.

g. Le 18 mai 2018, à la demande de l’OCPM, A______ lui a retourné un rapport médical rempli le 1er mai précédent par le Dr E______. Reprenant en partie la teneur du certificat médical du 15 précédent, ce document posait comme pronostic, sans traitement médical, la progression de la cirrhose et le décès. En revanche, avec le traitement préconisé, il prévoyait la guérison de l’intéressée.

h. Le 12 février 2019, A______ a transmis à l’OCPM un nouveau certificat médical. Ce document précisait qu’elle devait prendre un traitement oral pendant douze semaines. Elle avait besoin d’un suivi médical régulier. Pour ce faire, un séjour prolongé d’une année était indiqué médicalement.

i. Le 27 février 2019, l’OCPM lui a délivré à une autorisation de séjour pour traitement médical (permis L), valable jusqu’au 31 mars 2020.

j. Le 30 mars 2020, A______ a déposé auprès de l’OCPM une demande d’autorisation de séjour sans activité lucrative, subsidiairement de renouvellement de son permis L, indiquant que son adresse à l’étranger se trouvait à Kemerovo, en Russie.

Depuis 1997, elle se rendait fréquemment en Suisse où vivaient sa fille et son petit‑fils et où se situait l’ensemble de ses intérêts privés, familiaux et vitaux. L’opération du foie qu’elle avait subie nécessitait un suivi post-opératoire, en particulier des examens médicaux et des soins réguliers.

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, elle était considérée comme une personne à risque, au vu de son âge de plus de 65 ans et se trouvait dans l’impossibilité de voyager hors de Suisse. Elle avait besoin d’une autorisation de séjour, qu’elle n’avait pu déposer auparavant, compte tenu de la crise sanitaire.

Elle apportait un grand soutien à son gendre et à sa fille, en s’occupant de son petit‑fils. Elle disposait d’au moins CHF 500'000.- sur un compte, s’était bien intégrée dans le tissu social genevois, grâce aux amis de sa famille et parlait français. Elle devait rester à Genève en raison de son suivi médical.

Subsidiairement, elle sollicitait le renouvellement de son permis L pour une durée d’un an. Elle avait des rendez-vous médicaux les 19 mars, 8 et 17 avril 2020.

k. Le 25 octobre 2022, l’OCPM a fait part à l’intéressée de son intention de rejeter sa demande d’autorisation de séjour pour traitement médical. Elle ne remplissait par ailleurs pas les conditions pour prétendre à la délivrance d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

l. A______ n’a pas exercé son droit d’être entendue.

m. Par décision du 25 janvier 2023, l’OCPM a refusé de renouveler l’autorisation de séjour pour traitement médical et a prononcé le renvoi de Suisse de l’intéressée. Elle avait terminé sa période post-opératoire et ne se trouvait pas dans une situation médicale précaire, permettant de prétendre au renouvellement de son titre de séjour.

La requête devait, dès lors, être traitée sous l’angle d’une demande d’autorisation de séjour pour cas de rigueur. Or, elle n’en remplissait pas les conditions. Elle s’occupait de son petit-fils, ce qui démontrait que son rétablissement s’était déroulé dans les normes. En outre, elle pourrait avoir accès au traitement ou à l’infrastructure hospitalière dans son pays.

Enfin, il ne résultait pas du dossier que l’exécution de son renvoi se révélerait impossible, illicite ou inexigible.

B. a. Le 15 juin 2023, A______ a déposé auprès de l’OCPM une demande d’autorisation de séjour pour rentière.

Elle s’est prévalue de ses attaches familiales en Suisse et d’un réseau d’amis. Elle disposait de moyens financiers suffisants pour ne pas risquer d’émarger à l’aide sociale.

b. Le 31 juillet 2023, l’OCPM a fait part à l’intéressée de son intention de rejeter sa requête du 25 janvier précédent.

c. A______ s’est déterminée le 1er novembre 2023.

d. Par décision du 7 novembre 2023, l’OCPM a rejeté la demande au motif qu’elle ne remplissait pas la condition légale de liens avec la Suisse pour se voir délivrer une autorisation de séjour pour rentière.

C. a. Par acte du 27 février 2023, A______ a recouru devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision du 25 janvier 2023, requérant, préalablement, sa comparution personnelle ainsi que l’audition de sa fille. Principalement, elle a conclu à l’annulation de la décision et à l’octroi d’une autorisation de séjour. Ce recours a été ouvert sous le numéro de cause A/730/2023.

Elle remplissait les conditions pour obtenir une autorisation de séjour pour rentière. Âgée de 68 ans, elle se rendait depuis 25 ans en Suisse où résidaient sa fille, son beau-fils et son petit-fils, afin d’être le plus souvent possible auprès d’eux. En s’occupant de son petit-fils, elle apportait un grand soutien à son gendre et à sa fille. Elle était établie en Suisse depuis six ans et très bien intégrée. Elle participait activement à la vie sociale et culturelle suisse en faisant partie d’associations genevoises. Sa situation financière était excellente.

Subsidiairement, elle sollicitait une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Au regard de la situation extraordinaire que constituait le conflit entre la Russie et l’Ukraine, elle avait besoin d’un titre de séjour en Suisse. Elle n’était pas en mesure d’obtenir les documents qu’elle sollicitait, à savoir notamment l’acte de décès de son mari survenu en 2022. Elle séjournait en Suisse depuis près de 25 ans, dont six années de manière continue. Elle s’était très bien intégrée dans le tissu socio‑économique genevois et sa présence était d’autant plus nécessaire dans la vie de son petit-fils que ses parents s’étaient séparés et que tous deux exerçaient une activité professionnelle à plein temps. Ainsi, priver sa fille de son aide, sans motif prépondérant se révélait contraire à son droit au respect de la vie familiale, garanti par l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). En outre, veuve, elle ne bénéficiait d’aucun soutien dans son pays d’origine, ni d’aucune relation sociale ou familiale, dès lors que sa seule famille était établie en Suisse. Ses possibilités de réintégration en Russie apparaissaient inexistantes et même dangereuses, compte tenu de son approche du régime existant. Elle ne présentait aucun risque d’émarger à l’aide sociale. Dès lors, un retour dans son pays d’origine la placerait dans une situation de détresse grave sur les plans personnel, économique et social.

b. L’OCPM a proposé le rejet du recours.

L’intéressée faisait l’objet d’un suivi médical qui pouvait être poursuivi en Russie. En conséquence, elle ne remplissait pas les conditions pour prétendre au renouvellement de son autorisation de séjour pour traitement médical.

Sous l’angle du cas de rigueur, son degré d’intégration sociale et culturelle n’avait pas été démontré. Rien ne s’opposait à ce qu’elle retourne dans son pays d’origine, ses possibilités de réintégration ne se révélant pas compromises. En effet, elle y avait vécu jusqu’en 2017 à tout le moins. Elle avait recouvré la santé et disposait d’une fortune personnelle. Faute d’attaches avec la Suisse, la seule présence de sa fille et de son petit-fils à Genève n’apparaissait pas prépondérante sous l’angle de l’art. 31 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Faute de se trouver dans un état de dépendance envers sa famille séjournant en Suisse, elle ne pouvait se prévaloir de la CEDH.

c. Dans sa réplique, l’intéressée a fait valoir qu’en Russie, les opposants politiques ainsi que ceux manifestant un rapprochement avec l’Ukraine étaient traités avec une extrême fermeté. Il régnait dans ce pays un climat de terreur et de délation où tous ceux disposant de liens avec l’Ukraine étaient susceptibles d’être dénoncés et condamnés. Du simple fait qu’elle n’avait plus de proches en Russie et qu’elle avait résidé de nombreuses années à l’étranger en proférant des opinions dissidentes, elle était susceptible de faire l’objet d’une dénonciation qui pouvait mettre sa vie en danger, si sa position venait à être découverte.

Elle devait rester en Suisse, car elle avait besoin d’une prise en charge permanente compte tenu de son hépatite C chronique. Elle fournissait de l’aide à l’éducation de son petit-fils, compte tenu de la séparation douloureuse de ses parents. La protection conférée par l’art. 8 CEDH s’appliquait au cas d’espèce.

Sous l’angle du cas de rigueur, seule demeurait litigieuse la question de son intégration en Suisse. À cet égard, elle a produit plusieurs justificatifs. Elle se trouvait dans une situation d’extrême gravité. Elle ne disposait d’aucun cadre familial en Russie, ni d’un logement et si elle devait y retourner, elle laisserait derrière elle toute sa famille. Si elle ne courait aucun risque en 2017, tel n’était pas le cas en 2024, au vu du conflit opposant l’Ukraine à la Russie. Elle souhaitait vivre dignement en Suisse. Elle était appréciée par les personnes qu’elle côtoyait régulièrement.

D. a. Par acte du 8 décembre 2023, A______ a également recouru devant contre la décision du 7 novembre 2023, concluant, préalablement, à son audition et celle de sa fille. Principalement, elle a conclu à l’annulation de la décision et à l’octroi d’une autorisation de séjour pour rentière. Ce recours a été ouvert sous le numéro de cause A/4168/2023.

Âgée de 69 ans, elle présentait des problèmes de santé chronique. Elle se rendait depuis 25 ans en Suisse où résidaient sa fille, son beau-fils et son petit-fils, afin d’être présente autant que possible auprès d’eux. Elle apportait un grand soutien à son gendre et sa fille, en s’occupant de son petit-fils afin qu’ils puissent exercer leurs activités lucratives respectives. Établie en Suisse depuis six ans et très bien intégrée dans le tissu socio-économique genevois, elle participait à la vie sociale et culturelle suisse en faisant notamment partie d’associations genevoises. Sa situation financière était excellente, dès lors qu’elle disposait d’au moins CHF 500'000.- pour subvenir à ses besoins.

Elle remplissait également les conditions pour obtenir une autorisation de séjour pour cas de rigueur. À ce sujet, elle a repris l’argumentation exposée dans son recours du 27 février 2023.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

L’intéressée n’avait pas démontré qu’elle avait tissé des liens particulièrement étroits avec la Suisse, ces derniers se limitant essentiellement avec ceux entretenus avec sa fille, son gendre et son petit-fils. Les affiliations récentes à diverses associations genevoises ne permettaient pas d’établir à satisfaction de droit des liens avec la Suisse.

Les conditions permettant de retenir l’existence d’un cas de rigueur n’étaient pas remplies, notamment en raison de la brièveté de son séjour en Suisse. Âgée de 69 ans, la précitée avait passé toute sa vie en Russie. Rien au dossier ne permettait de conclure que son renvoi dans son pays d’origine ne se révélerait pas raisonnablement exigible. En particulier, rien ne permettait d’admettre qu’un renvoi la placerait dans une situation de danger grave et concrète.

c. Le TAPI a joint les deux causes sous le n° de cause A/730/2023.

d. Par jugement du 2 mai 2024, il a rejeté les recours.

Si l’intéressée démontrait avoir les moyens financiers lui permettant de subvenir à son entretien en Suisse, il ne pouvait être retenu qu’elle y disposait d’intérêts personnels et indépendants. Le rejet de sa demande d’autorisation de séjour pour rentière était donc fondé.

La durée du séjour en Suisse de A______ était relativement brève. Son intégration à Genève n’était pas particulièrement poussée. Bien qu’attestés, les problèmes de santé de l’intéressée ne nécessitaient pas une assistance de sa fille au quotidien. Même si, en cas de renvoi, elle allait se retrouver seule en Russie, comme elle le soutenait, cette situation, certes difficile, ne se révélait pas à ce point grave qu’il ne puisse être exigé de sa part de retourner dans son pays d’origine. Elle n’avait pas exposé en quoi ou sous quelle forme elle aurait critiqué le régime en place en Russie. Enfin, la durée du suivi médical, estimée à une année en 2018 et 2019, était échue. En 2018, le traitement consistait en la prise de médicaments, en des analyses de sang et un examen clinique durant quatre mois. Aucun document médical plus récent n’indiquait si et dans quelle mesure un traitement était toujours nécessaire.

Partant, le refus d’admettre l’existence d’un cas de rigueur ainsi que le renvoi de l’intéressée ne violaient pas la loi.

E. a. Par acte expédié le 6 juin 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre ce jugement, dont elle a demandé l’annulation. Préalablement, elle a requis un délai pour compléter son recours ainsi que son audition et celle de sa fille. Principalement, elle a requis l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur, subsidiairement un permis L.

Elle n’était plus retournée en Russie depuis 2022. Elle s’engageait auprès de l’association F______, de celle des H______ et était membre du G______. Elle demandait son audition afin d’expliquer les « circonstances tragiques » qui l’accableraient si elle devait retourner en Russie. Elle remplissait les conditions permettant d’obtenir une autorisation de séjour pour rentière. Sa présence régulière en Suisse depuis 25 ans, notamment lors de séjours avec sa fille, avait renforcé ses liens avec ce pays. Elle était active dans la vie sociale et culturelle, avait acquis le niveau B1 en français. À titre subsidiaire, elle remplissait également les conditions d’un cas de rigueur, respectivement d’admission pour traitement médical. Enfin, en toute hypothèse, son renvoi n’était pas exigible, vu l’absence de soutien en Russie, de possibilité de réintégration, voire du danger qu’elle pouvait courir en cas de retour. Elle était mère et grand-mère de citoyens suisses et ne risquait pas de tomber à la charge de l’assistance sociale, vu ses moyens financiers.

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours.

La Russie était dotée d’un système de santé qui permettait de retenir que les soins nécessaires à la recourante étaient disponibles ; rien n’indiquait que la guerre en Ukraine ait péjoré de manière déterminante les possibilités de soins en Russie. La procédure n’avait pas porté sur une autorisation en vue d’un traitement médical, de sorte que ce point ne pouvait être examiné par la chambre administrative.

c. Dans sa réplique, la recourante a relevé que l’OCPM ne s’était pas prononcé sur ses arguments nouveaux, notamment l’amélioration de ses connaissances de la langue française, l’intensification de ses liens avec « le tissu socio-économique local » et le fait qu’elle était reconnue comme dissidente.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.


 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Les décisions querellées ne se rapportant pas à une autorisation pour traitement médical, les conclusions y relatives excèdent l’objet du litige et sont, ainsi, irrecevables. La chambre administrative ne les examinera donc pas.

L’objet du litige porte sur le rejet de la demande d’autorisation de séjour pour rentière et de celle pour cas de rigueur. Seuls ces deux points seront examinés ci-après.

3.             La recourante sollicite son audition et celle de sa fille, se plaignant d’une violation du droit d’être entendue par le TAPI, qui n’avait pas donné suite à sa demande d’actes d’instruction.

3.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

3.2 En l’espèce, l’audition de la fille de la recourante vise à établir la nécessité de la présence de cette dernière aux côtés de sa fille et l’audition de la recourante porte sur son impossibilité de retourner en Russie et les risques qu’elle y encourt ainsi que sur ses attaches avec la Suisse et l’absence d’attaches avec la Russie.

Il n’y a pas lieu de douter des liens affectifs existant entre la recourante et sa fille et son petit-fils, auprès desquels elle vit depuis environ sept ans. Il n’est pas non plus mis en doute que la recourante apporte une aide logistique à sa fille, notamment en allant chercher son petit-fils à l’école. Il n’est donc pas nécessaire d’entendre la fille de la recourante à ce sujet. En tant que la recourante sollicite sa propre audition, il est rappelé qu’elle a eu l’occasion d’exposer son point de vue et apporter toute pièce utile à plusieurs reprises, d’abord devant l’OCPM, puis le TAPI et enfin la chambre de céans. Elle n’explique pas en quoi son auditon apporterait des éléments complémentaires à ceux qu’elle a déjà avancés. De toute manière, comme cela sera exposé ci-après, le dossier comporte suffisamment d’éléments pour statuer en connaissance de cause.

Le TAPI était donc fondé à rejeter les auditions requises. Pour les mêmes motifs, la chambre de céans ne procédera pas aux actes d’instructions sollicités.

4.             La recourante fait valoir qu’elle remplit les conditions pour obtenir une autorisation pour rentière.

4.1 À teneur de l’art. 28 LEI, un étranger qui n’exerce plus d’activité lucrative peut être admis aux conditions suivantes : a) il a l’âge minimum fixé par le Conseil fédéral ; b) il a des liens personnels particuliers avec la Suisse ; c) il dispose des moyens financiers nécessaires.

Un rentière est réputé disposer des moyens financiers nécessaires si ceux-ci dépassent le montant donnant droit (à un résident suisse) au versement de prestations complémentaires pour lui-même et éventuellement pour les membres de sa famille. Autrement dit, il devra être quasiment certain d’en bénéficier jusqu’à sa mort (rentes, fortune), au point que l'on puisse pratiquement exclure le risque qu’il en vienne à dépendre de l'assistance publique (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, 2013 - état au 1er juillet 2022, ch. 5.3). Lorsque les moyens financiers du rentière sont insuffisants, les exigences qualitatives quant aux prestations de soutien par des tiers sont d'autant plus élevées (ATA/253/2023 du 14 mars 2023 consid. 4.4).

4.2 Aux termes de l’art. 25 al. 1 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), les rentières ont des attaches personnelles particulières avec la Suisse notamment lorsqu’ils peuvent prouver qu’ils ont effectué dans le passé des séjours assez longs en Suisse, notamment dans le cadre de vacances, d’une formation ou d’une activité lucrative (let. a) ou lorsqu’ils ont des relations étroites avec des parents proches en Suisse (parents, enfants, petits-enfants ou frères et sœurs ; let. b).

4.3 Selon la doctrine, les exemples cités par l’art. 25 OASA suffisent en eux-mêmes pour justifier un lien suffisamment proche avec la Suisse (Minh Son NGUYEN, Code annoté de droit des migrations vol. II, 2017, ch. 2.3 ad art. 28 LEtr). Dans son message, le Conseil a relevé que le fait d’avoir des ancêtres de nationalité suisse constituait un élément pertinent (FF 2002 p. 3543).

4.4 Les conditions spécifiées à l'art. 28 LEI étant cumulatives, une autorisation de séjour pour rentière ne saurait être délivrée que si l'étranger satisfait à chacune d'elles. Il convient également de rappeler que, même dans l'hypothèse où toutes les conditions prévues à l'art. 28 LEI (disposition rédigée en la forme potestative ou « Kann-Vorschrift ») seraient réunies, l'étranger n'a pas un droit à la délivrance (respectivement à la prolongation) d'une autorisation de séjour, à moins qu'il ne puisse se prévaloir d'une disposition particulière du droit fédéral ou d'un traité lui conférant un tel droit. Les autorités disposent donc d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de l’application de l’art. 28 LEI (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-4128/2020 du 20 décembre 2021 consid. 6.2).

4.5 En l’espèce, la recourante est âgée de 70 ans. Selon une attestation du 31 mai 2023, elle a renoncé à exercer une activité lors de son séjour en Suisse. L’OCPM ne conteste pas qu’elle dispose de moyens financiers suffisants pour subvenir à ses besoins. Tel semble effectivement être le cas puisque, selon le relevé de compte produit, elle bénéficie d’un avoir excédant CHF 500'000.- auprès d’un établissement bancaire en Suisse et qu’il ressort du dossier que la recourante loge gratuitement dans une propriété appartenant à sa fille.

Seuls sont litigieux ses liens avec la Suisse.

La recourante n’a pas de poursuite ni de condamnation pénale. Selon l’attestation de l’École-club Migros du 13 février 2024, elle a atteint le niveau de français B1. Elle a produit plusieurs attestations d’amis et de connaissances exposant bien la connaître, avoir fêté des anniversaires avec elle, passé des week-ends ensemble ou encore les fêtes de Pâques, Noël ou du 1er Août. Elle est membre de F______, du G______ et de la Société H______. Ainsi, bien qu’elle n’ait – conformément à l’engagement qu’elle avait pris en arrivant en Suisse – pas exercé d’activité professionnelle, il s’avère que la recourante s’est intégrée dans la vie associative et culturelle à Genève et y a créé des liens d’amitié. Elle entretient, par ailleurs, des liens affectifs effectifs et vivant avec sa fille et son petit-fils, qui vivent à Genève et sont tous deux de nationalité suisse. Enfin, elle a passé les sept dernières années en Suisse, pays dans lequel elle s’est précédemment régulièrement rendue pour rendre visite à sa fille, son beau-fils et son petit-fils.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’OCPM a abusé de son pouvoir d’appréciation en refusant de lui délivrer une autorisation de séjour pour rentière au motif que la recourante n’avait pas établi qu’elle disposait de liens avec la Suisse.

Le recours s’avère ainsi bien-fondé. Le jugement et la décision querellée seront, par conséquent, annulés et le dossier renvoyé à l’OCPM afin qu’il délivre à la recourante une autorisation de séjour pour rentière.

Cette issue rend sans objet le recours dirigé contre la décision rejetant la demande de la recourante visant l’obtention d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

5.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument et une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée à la recourante, couvrant les procédures de première instance et de recours (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet, dans la mesure de sa recevabilité, le recours interjeté le 6 juin 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 2 mai 2024 ;

annule ce jugement ainsi que la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 7 novembre 2023 ;

renvoie le dossier à l’office cantonal de la population et des migrations pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

constate que le recours dirigé contre la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 25 janvier 2023 est devenu sans objet ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, valant pour la procédure de première instance et de recours, à la charge de l’État de Genève ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la recourante invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michel CABAJ, avocat de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

M. MAZZA

 

 

la présidente siégeant :

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.