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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2154/2024

ATA/1333/2024 du 12.11.2024 sur JTAPI/915/2024 ( PE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2154/2024-PE ATA/1333/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 novembre 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Innocent SEMUHIRE, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 septembre 2024 (JTAPI/915/2024)


EN FAIT

A. a. A______ a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI) le 24 juin 2024 d’un recours contre la décision de l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) du 22 mai 2024 refusant le renouvellement de son autorisation de séjour et prononçant son renvoi de Suisse.

Il a requis le bénéfice de l’assistance juridique.

b. À la suite du refus, le 23 juillet 2024, du Tribunal civil de première instance (ci‑après : TPI) d’accorder l’assistance juridique à A______, le TAPI lui a imparti, le 7 août 2024, un délai au 6 septembre 2024 pour procéder au paiement de l’avance de frais.

c. Par courrier expédié le 6 septembre 2024, l’intéressé a requis une prolongation de 30 jours du délai pour payer l’avance de frais. Son avocat expliquait ne pas avoir, à son retour de vacances, pu joindre son client et ignorait si celui-ci avait versé l’avance de frais. La prolongation du délai lui permettrait aussi de s’assurer des intentions de son client relatives au paiement de l’avance de frais ainsi qu’au recours contre la décision de refus de l’assistance juridique.

d. Le TAPI a refusé cette demande par courrier du 9 septembre 2024, exposant que « les motifs avancés n’[étaient] pas de nature à déroger au délai ».

e. Le 10 septembre 2024, l’avocat de l’intéressé a informé le TAPI qu’un recours contre la décision de refus d’assistance juridique avait été déposé et a requis l’annulation de la demande d’avance de frais jusqu’à droit jugé sur ce recours.

f. Par jugement du 13 septembre 2024, le TAPI a déclaré irrecevable le recours formé devant lui pour défaut du paiement de l’avance de frais.

Dans ses considérants, il a retenu que la demande de prolongation du délai du 6 septembre 2024 « n’était pas fondée » et « en tout état » tardive. En tant que le courrier du 10 septembre 2024 de l’avocat devait être considéré comme une demande de restitution du délai imparti pour le paiement de l’avance de frais fondée sur le recours formé contre la décision du TPI, elle devait être rejetée. Le délai de recours relatif à cette décision était échu et l’avocat ne faisait pas état de circonstances imprévisibles justifiant la restitution du délai.

B. a. Par acte expédié le 15 octobre 2024 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre ce jugement, dont il a demandé l’annulation. La cause devait être renvoyée au TAPI pour qu’il entre en matière sur son recours.

Le TAPI avait arbitrairement refusé la demande de prolongation de délai pour verser l’avance de frais. Celle-ci avait été formée à temps, à savoir dans le délai imparti au 6 septembre 2024, d’une part. D’autre part, les motifs invoqués à l’appui de la demande de prolongation de délai étaient pertinents. Il n’avait pas pu s’entretenir avec son client afin de s’assurer du paiement de l’avance de frais, respectivement du souhait de celui-ci de contester le refus d’assistance juridique. Le refus de prolonger le délai constituait un formalisme excessif et procédait d’une application disproportionnée des art. 16 et 86 LPA.

Dès que la saisie injustifiée sur son salaire avait été levée, le recourant s’était acquitté, le 18 septembre 2024, de l’avance de frais requise par le TAPI.

b. Une copie du recours a été adressée à l’OCPM et les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a ).

2.             Le recourant conteste le bien-fondé du refus de la prolongation du délai imparti pour verser l’avance de frais.

2.1 Aux termes de l’art. 16 LPA, un délai fixé par la loi ne peut être prolongé ; les cas de force majeure sont réservés (al. 1) ; le délai imparti par l’autorité peut être prolongé pour des motifs fondés si la partie en fait la demande avant son expiration (al. 2) ; la restitution pour inobservation d’un délai imparti par l’autorité peut être accordée si le requérant ou son mandataire a été empêché sans sa faute d’agir dans le délai fixé ; la demande motivée doit être présentée dans les dix jours à compter de celui où l’empêchement a cessé (al. 3).

2.2 La jurisprudence et la doctrine considèrent que, pour une première prolongation de délai et pour autant que la nature de la cause ne présente pas d'urgence particulière ou qu'aucun intérêt public ou privé ne s'y oppose, il suffit que le motif soit rendu plausible. Tel est par exemple le cas si une maladie, un accident, une surcharge de travail ou un séjour à l'étranger est invoqué (arrêts du Tribunal fédéral 6B_202/2018 du 11 mai 2018 consid. 1.4 ; 6B_520/2016 du 18 mai 2017 consid. 4.1 ; 6B_229/2015 du 30 avril 2015 consid. 1.1. et les nombreuses références doctrinales citées). Il suffit que soient rendues vraisemblables des circonstances qui, selon l'expérience générale de la vie, sont de nature à empêcher l'observation du délai ou du moins à contrarier l'exécution en temps voulu de l'acte de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5D_87/2013 du 16 juillet 2013 consid. 6.1).

Dans son appréciation, la juge mettra en balance l'importance du motif invoqué et l'intérêt au déroulement régulier de la procédure. Elle tiendra compte des intérêts publics et privés. La sanction qui est attachée à l'inobservation du délai peut également jouer un rôle ainsi que l'exigence de célérité de la procédure que requiert la nature particulière de certaines affaires ou la nature de l'acte de procédure qui doit être accompli (arrêt 5D_87/2013 précité ibidem).

Une demande de prolongation de délai est formée à temps si elle est déposée le dernier jour du délai imparti. Le rejet d’une demande de prolongation de délai qui ne comporte aucune motivation ne consacre pas un formalisme excessif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_86/2024 du 18 juin 2024 consid. 4.6). En revanche, le refus non motivé d’une première demande de prolongation d’un délai judiciaire n’est pas admissible (arrêt du Tribunal fédéral 6B_229/2015 précité consid. 1.3).

2.3 Le formalisme excessif, que la jurisprudence assimile à un déni de justice contraire à l'art. 29 al. 1 Cst., est réalisé lorsque des règles de procédure sont appliquées avec une rigueur que ne justifie aucun intérêt digne de protection, au point que la procédure devient une fin en soi et empêche ou complique de manière insoutenable l'application du droit (ATF 148 I 271 consid. 2.3; 132 I 246 consid. 5). Cette garantie ne s'oppose toutefois pas à ce que des conditions légales de recevabilité doivent être respectées (ATF 143 I 344 consid. 8.2), une stricte application des règles relatives aux délais étant justifiée par des motifs d'égalité de traitement et par un intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (ATF 142 V 152 consid. 4.2).  

En tant qu'elle sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, l'interdiction du formalisme excessif poursuit le même but que le principe de la bonne foi consacré aux art. 5 al. 3 et 9 Cst. À cet égard, elle commande à l'autorité d'éviter de sanctionner par l'irrecevabilité les vices de procédure aisément reconnaissables qui auraient pu être redressés à temps, lorsqu'elle pouvait s'en rendre compte assez tôt et les signaler utilement au plaideur (ATF 135 I 6 consid. 2.1 ; 125 I 166 consid. 3a). 

2.4 Selon le Tribunal fédéral, la non-entrée en matière sur un recours faute de versement de l'avance de frais dans les délais ne constitue pas un formalisme excessif si le requérant a été informé de manière juridiquement suffisante du montant de l'avance, du délai de paiement et des conséquences du retard (arrêts 1C_601/2019 du 27 mars 2020 consid. 3.1; 2C_645/2008 du 24 juin 2009 consid. 2.2). Ce n'est que dans des cas exceptionnels que le droit constitutionnel impose la fixation d'un délai supplémentaire pour le paiement de l'avance de frais, notamment après le rejet d'une demande d'assistance judiciaire gratuite (arrêts du Tribunal fédéral 1C_601/2019 du 27 mars 2020 consid. 3.1 ; 1C_206/2014 du 13 juin 2014 consid. 5.1; 9C_715/2007 du 17 juin 2008 consid. 6.3.2).

2.5 En l’espèce, le TAPI a fixé au recourant, par courrier recommandé du 7 août 2024, un délai au 6 septembre 2024 pour s’acquitter de l’avance de frais. Le recourant a formé la demande de prolongation de ce délai le 6 septembre 2024, soit dans le délai imparti pour effectuer l’avance de frais. Sa demande n’était donc pas tardive.

L’avocat du recourant a motivé la demande de prolongation du délai par la difficulté, après son retour de vacances, de s’assurer auprès de son client qu’il avait versé l’avance de frais et de recueillir ses éventuelles instructions relatives à un recours contre le rejet de sa demande d’assistance juridique. Le TAPI a refusé la demande de prolongation considérant que les motifs avancés à l’appui de celle-ci n’étaient pas « de nature à déroger au délai ». Se pose ainsi la question de savoir si ce refus et la motivation le justifiant sont compatibles avec les interdictions du formalisme excessif et de l’arbitraire.

Pour répondre à cette question, il convient, conformément à la jurisprudence précitée, de prendre en considération l’ensemble des circonstances d’espèce. In casu, la demande de paiement de l’avance de frais a été adressée au recourant, alors que le délai pour contester la décision de refus d’assistance juridique courait ; ce délai arrivait à échéance le 2 septembre 2024, compte tenu de l’absence de suspension des délais en matière d’assistance juridique (art. 145 al. 3 CPC). Le litige se rapporte à l’octroi d’une autorisation de séjour et ne présente donc pas de caractère d’urgence. L’octroi d’une prolongation du délai de paiement de l’avance de frais était de nature à prolonger un peu la durée de la procédure ; il n’empêchait cependant nullement le déroulement régulier de la procédure. L’intérêt public au refus de prolonger ledit délai était donc faible. L’intérêt privé du recourant à ce que la prolongation soit accordée était, en revanche, majeur, puisque le refus de celle-ci entraînait l’irrecevabilité du recours.

Or, il n’apparaît pas que le TAPI ait tenu compte de ces circonstances. Ni son refus de prolonger le délai de paiement de l’avance de frais exprimé dans son courrier du 9 septembre 2024 ni le jugement ne comportent de motivation relative aux motifs invoqués à l’appui de la demande de prolongation du délai de paiement de l’avance de frais. S’agissant d’une première demande de prolongation de délai, intervenue après le rejet de la requête d’assistance juridique, justifiée par une difficulté de l’avocat du recourant – rendue plausible vu la période de vacances – de s’assurer du paiement de l’avance de frais par le recourant et des intentions de celui-ci de recourir contre la décision du TPI, le refus, non motivé, d’accorder ne serait-ce qu’un bref délai complémentaire, consacre une application arbitraire de l’art. 16 al. 2 LPA ainsi qu’un formalisme excessif.

Il s’ensuit que le recours, bien fondé, sera admis. Le jugement sera annulé et la cause renvoyée au TAPI pour instruction et nouvelle décision.

3.             Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument et une indemnité de procédure de CHF 800.- sera allouée au recourant (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 octobre 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 septembre 2024 ;

au fond :

l’admet et annule le jugement précité ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 800.- à la charge de l’État de Genève (Pouvoir judiciaire) ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Innocent SEMUHIRE, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.