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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4072/2023

ATA/1066/2024 du 10.09.2024 ( LIPAD ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4072/2023-LIPAD ATA/1066/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 septembre 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante

contre

JUSTICE DE PAIX intimée

 



EN FAIT

A. a. A______ est la sœur de feu B______, décédée le ______ 2013.

b. Par courrier du 14 avril 2015 adressé à la Justice de paix, A______ s’est opposée à la délivrance d’un certificat d’héritier dans la succession de sa sœur, « ceci pour préjudices moraux et financiers, découlant de malversations sur la procédure illicite de succession effectuée en France ». Sa mère, C______, était également opposée à la délivrance d’un certificat d’héritier.

c. Par courrier du 4 mai 2015, son avocate a confirmé son opposition à la délivrance d’un certificat d’héritier.

d. À la suite de l’homologation du certificat d’héritier, la procédure C/1______ a été archivée le 10 novembre 2021.

B. a. Le 1er octobre 2023, A______ a demandé à la Justice de paix de l’informer de l’avancement du dossier concernant la succession de sa sœur. Cela faisait « bientôt dix ans » qu’elle n’avait plus de nouvelles et souhaitait être informée des événements à la suite des relances auprès du notaire Me D______. Si l’affaire était classée, elle souhaitait en connaître « les conclusions ».

b. Le 25 octobre 2023, le responsable de juridiction en matière d’accès aux documents de la Justice de paix a informé l’intéressée que depuis qu’elle avait laissé son opposition au certificat d’héritier devenir caduque sans faire valoir ses droits dans les délais légaux, elle avait perdu sa qualité de partie à la procédure relative à la succession de sa sœur, de même que tous les moyens pour contester la dévolution successorale et donc tout intérêt à accéder au dossier correspondant auprès de la Justice de paix, archivé le 10 novembre 2021. Il ne pouvait dès lors pas lui donner les informations requises.

c. Le 27 octobre 2023, A______ a sollicité la reconsidération de cette décision. Elle avait la « très nette impression d’avoir été, sans justificatif, exclue de manière illégitime ». Elle n’avait pas le souvenir d’avoir été tenue au courant de l’évolution de la situation.

d. Par décision du 15 novembre 2023, la Justice de paix a rejeté sa requête d’information et d’accès au dossier successoral.

Les règles procédurales applicables ne lui donnaient plus le droit d’accéder au dossier successoral auprès de la Justice de paix pour se renseigner sur la suite ainsi que sur le sort de la succession. Étant donné qu’elle n’avait pas fait valoir ses droits dans les délais légaux, elle avait perdu tous moyens pour contester l’attribution de la succession et donc tout intérêt à accéder au dossier correspondant auprès de la Justice de paix.

C. a. Par acte du 5 décembre 2023, A______ a formé recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision.

Le testament de sa sœur avait été homologué, ce qu’elle respectait. Elle souhaitait « tourner la page ». Elle n’avait pas l’intention de remettre en question la décision de la Justice de paix mais simplement de « finaliser son deuil » en comprenant comment s’était close « la vie administrative de sa sœur ». Elle avait appris son décès, de manière fortuite, quatre mois et demi après celui-ci. L’urne contenant ses cendres n’avait jamais été retrouvée. Elle avait été totalement évincée du droit de regard sur la procédure de succession, ceci alors même que sa sœur n’avait pas de descendance ni même de mari. L’accès aux décisions judiciaires archivées depuis moins de cinq ans était en principe autorisé, sauf si un intérêt public ou privé prépondérant justifiait le refus. Or, dans son cas, elle n’en voyait pas.

b. Par réponse du 24 janvier 2024, la Justice de paix a conclu au rejet du recours.

La demande de la recourante devait être comprise comme une demande d’accès à l’intégralité du dossier de la procédure successorale de sa sœur, lequel avait été archivé le 10 novembre 2021. La Justice de paix lui avait adressé le testament de la défunte par pli du 31 mars 2015, reçu le 7 avril 2015. Si elle s’estimait lésée par le testament, il lui incombait d’intenter une action en nullité ou en réduction, non seulement dans le délai de dix ans dès la date d’ouverture du testament, mais également dans le délai relatif d’un an à compter du jour où elle avait eu connaissance du testament et des hypothétiques causes de nullité ou de lésion de sa réserve héréditaire. Or, la recourante aurait dû contester le testament au plus tard le 4 mai 2016 par-devant le Tribunal de première instance, ce qu’elle n’avait pas fait. À défaut d’avoir intenté ces procès dans les délais légaux, son opposition à la délivrance d’un certificat d’héritier était devenue caduque et elle avait perdu le droit de solliciter la délivrance d’un certificat en sa faveur. Elle avait définitivement perdu ses expectatives de droits successoraux. En l’absence de qualité de partie, les règles procédurales applicables par analogie ne l’autorisaient pas à consulter le dossier requis ni à obtenir des informations sur l’issue de la succession. Elle avait en outre perdu tous moyens pour contester l’attribution de la succession, de sorte qu’elle avait également perdu tout intérêt à accéder au dossier correspondant de la Justice de paix.

c. La recourante n’ayant pas répliqué dans le délai imparti à cet effet, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

 

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 20 al. 3 du règlement du pouvoir judiciaire sur l'accès aux documents et aux données personnelles du 1er novembre 2021 -
RADPJ - E 2 05.52).

Bien que la recourante n’ait pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée, elle a expressément indiqué qu’elle la contestait et a exposé de façon claire les raisons pour lesquelles elle souhaitait accéder au dossier de sa sœur. Ces éléments suffisent pour comprendre qu’elle est en désaccord avec ladite décision et qu’elle souhaite obtenir son annulation.

2.             L’objet du litige est le bien-fondé de la décision du responsable de juridiction en matière d’accès aux documents de la Justice de paix refusant à la recourante l’accès à des documents archivés en rapport avec la succession de sa sœur.

2.1 La loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08) régit l'information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD).

La conservation et l'archivage des documents sont régis par la loi sur les archives publiques du 1er décembre 2000 (LArch – B 2 15 ; art. 29 al. 1 LIPAD). L'accès aux documents versés aux Archives d'État de Genève ou que des institutions sont chargées d'archiver elles-mêmes en lieu et place des Archives d'État de Genève est régi par la LArch (art. 29 al. 2 LIPAD).

Selon l'art. 20 al. 6 LIPAD, la commission de gestion édicte les directives nécessaires à la mise en œuvre des mesures de publication et de protection des intérêts légitimes prévues à l'art. 20 al. 4 et 5 LIPAD. Elle est habilitée, après consultation du préposé cantonal, à apporter à ces mesures les dérogations qui s'imposeraient pour garantir une bonne administration de la justice et la protection de la sphère privée.

Sur cette base-là, la commission de gestion a adopté le RADPJ, dont le but est de déterminer les mesures d'organisation générales et les procédures nécessaires d'accès aux documents judiciaires ou administratifs et aux données personnelles traités par le pouvoir judiciaire, à l'exclusion du Conseil supérieur de la magistrature et de la Cour d'appel du Pouvoir judiciaire (art. 1 RADPJ).

2.2 Selon l’art. 3 al. 2 RADPJ, l'accès aux documents judiciaires de procédures archivées est régi par la LArch et le RADPJ. S'il est de nature judiciaire, un dossier est considéré comme archivé dès que la décision mettant fin à la procédure est définitive (art. 2 al. 1 let. b RADPJ).

L’art. 11 LArch pose le principe de la consultation libre et gratuite des archives publiques. Selon l’art. 12 LArch, dont le titre est « Consultation des archives historiques », les documents versés aux Archives d'État ou que des institutions sont chargées d'archiver elles-mêmes ne peuvent en principe être consultés qu'à l'expiration des délais de protection figurant aux al. 3 et 4 (al. 1). Ils demeurent toutefois accessibles pendant cinq ans dès leur archivage lorsque le requérant aurait pu y avoir accès auparavant en vertu de la LIPAD (al. 2).

Le traitement de données personnelles par les institutions publiques n’est pas soumis à la LIPAD lorsqu’il est effectué par le Conseil supérieur de la magistrature, les juridictions et les autres autorités judiciaires en application des lois de procédure pénale, civile, administrative ou d'entraide judiciaire ou d'autres lois régissant leurs activités, aux fins de trancher les causes dont ils sont ou ont été saisis
(art. 3 al. 3 let. b LIPAD).

Selon l’art. 14 RADPJ, l’accès aux documents judiciaires de procédure archivées depuis moins de cinq ans est autorisé aux conditions prévues par le droit de procédure, appliqué par analogie (al. 1). Toutefois, l’accès aux décisions judiciaires non publiées de procédures archivées depuis moins de cinq ans est en principe autorisé, sauf si un intérêt public ou privé prépondérant digne de protection ne s’y oppose (al. 2).

2.3 En l’espèce, il n’est pas contesté que la recourante sollicite l’accès à des documents judiciaires d’une procédure archivée, soit le dossier successoral de sa sœur. Ainsi, en application de l’art. 3 al. 2 RADPJ, l’accès à ces documents est régi par la LArch et le RADPJ.

Il n’est pas non plus contesté que le dossier successoral a été archivé le 10 novembre 2021. La demande d’accès de la recourante est donc intervenue dans les cinq ans suivant l’archivage du dossier. Il demeure ainsi en principe accessible aux conditions des art. 12 al. 2 LArch et 14 RADPJ.

Dans la mesure où l’art. 12 al. 2 LArch renvoie à la LIPAD, laquelle renvoie au RADPJ (art. 3 al. 3 let. b LIPAD), il convient d’examiner les conditions d’accès telles que définies à l’art. 14 RADPJ. Cette disposition traite des documents judiciaires de procédures archivées depuis moins de cinq ans (al. 1) et des décisions judiciaires non publiées de procédures archivées depuis moins de cinq ans (al. 2).

S’agissant d’abord des documents judiciaires de procédures archivées depuis moins de cinq ans, leur accès est autorisé aux conditions prévues par le droit de procédure. Or, selon l’art. 53 al. 2 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC - RS 272), seules les parties ont le droit de consulter le dossier et de s’en faire délivrer copie, pour autant qu’aucun intérêt prépondérant public ou privé ne s’y oppose. La recourante ne peut toutefois se voir reconnaître la qualité de partie. Ainsi que l’a relevé la Justice de paix, après s’être opposée à la délivrance d’un certificat d’héritier en 2015, elle n’a pas intenté les actions en nullité ou en réduction devant le juge civil dans le délai d'un an des art. 521 et 533 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210). Elle a ainsi perdu sa qualité de partie à la procédure successorale par devant la Justice de paix. Partant, à défaut d’être partie à la procédure (art. 53 al. 2 CPC), elle ne peut accéder aux documents judiciaires de procédure sur la base de l’art. 14 al. 1 RADPJ.

La situation se présente toutefois différemment s’agissant des décisions judiciaires non publiées de procédures archivées depuis moins de cinq ans (art. 14 al. 2 RADPJ), auxquelles la recourante demande expressément l’accès. Dans ce cas, l’accès est en principe autorisé sauf si un intérêt public ou privé prépondérant digne de protection ne s’y oppose. Or, dans la décision entreprise, la Justice de paix n’a pas indiqué d’intérêt prépondérant public ou privé s'opposant à ce que la recourante ait accès aux décisions judiciaires non publiées de la procédure C/1______. De son côté, la recourante fait valoir un intérêt privé. Ainsi, l’intérêt de la recourante de mieux connaître la situation de la défunte au moment de son décès apparaît prépondérant, étant rappelé que la consultation de décisions judiciaires non publiées de procédures archivées depuis moins de cinq ans constitue en principe la règle.

Les considérants qui précèdent conduisent à l’admission partielle du recours. La décision querellée sera annulée en tant qu’elle refuse l’accès aux décisions judiciaires non publiées de la procédure C/1______ archivée depuis moins de cinq ans. Elle sera confirmée pour le surplus.

2.4 Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 250.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure, l’intéressée n’étant pas représentée et n’y ayant pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 décembre 2023 par A______ contre la décision de la Justice de paix du 15 novembre 2023 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision en tant qu’elle refuse l’accès aux décisions judiciaires non publiées de la procédure C/1______ archivée depuis moins de cinq ans ;

la confirme pour le surplus ;

met un émolument de CHF 250.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature de la recourante ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la Justice de paix.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

J. PASTEUR

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :