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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1212/2024

ATA/1049/2024 du 03.09.2024 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1212/2024-PROF ATA/1049/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 3 septembre 2024

1re section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me David PAPAUX, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU

et

B______ intimés



EN FAIT

A. a. Le 10 février 2023, B______, avocat, a sollicité de la commission du barreau (ci-après : la commission) la levée de son secret professionnel le liant à A______ en vue de recouvrer une créance d’honoraires d’un montant total de CHF 158'152.-.

Il avait été chargé de différents mandats à la défense des intérêts de A______ depuis le 12 mai 2017, date à laquelle elle lui avait donné procuration pour « toute procédure en Suisse ». Le 14 juin 2021, la procuration avait été renouvelée avec la mention « procédure de divorce C/1______/2016 et toutes procédures connexes en Suisse, notamment mais sans s’y limiter toutes les procédures de recouvrement des contributions d’entretien dues pour elle-même et l’enfant C______ et la procédure pénale pour violation du devoir d’entretien contre Monsieur D______ P/2______/2020 ». Une troisième procuration avait été établie en sa faveur, le 17 mai 2022, pour « toute procédure de poursuites, saisies, séquestres ou autres en application de la LPA et tous recours y compris au Tribunal fédéral ».

Il lui avait demandé une provision de CHF 7'290.- le 12 mai 2017. Elle avait été déboutée de sa conclusion en paiement, par la partie adverse, d’une provision ad litem de CHF 40'000.-. Toutes les démarches nécessaires avaient été entreprises avec le service de l’assistance juridique. CHF 178'273.15 avec intérêts à 5 % l’an dès le 14 août 2019 avaient été séquestrés en faveur de sa cliente. Enfin, des dépens à hauteur de CHF 12'550.- avaient été octroyés à A______ par différentes instances.

Il lui avait adressé deux notes de frais et honoraires le 13 octobre 2020, respectivement de CHF 100'646.- et CHF 28'554.- et une le 3 août 2021 de CHF 27'827.-. Le 4 août 2021 A______ avait signé une reconnaissance de dette pour un montant total de CHF 158'152.-.

b. Les 11 mai et 1er juin 2023, A______ s’est opposée à cette demande. Au vu de sa situation financière, elle aurait dû être mise au bénéfice de l’assistance juridique pour toutes les procédures. Son avocat ne démontrait pas qu’il avait fait une demande de provision adéquate ou, à tout le moins, qu’il l’avait informée des coûts que pourraient engendrer les procédures. Il n'établissait pas non plus qu’il l’avait informée de la possibilité de requérir l’assistance juridique pour l’ensemble des procédures ou encore des possibilités de passer par un financeur de procès.

c. Par décision du 16 novembre 2023, le bureau de la commission a délié B______ de son secret professionnel à l’égard de A______ en vue de recouvrer ses honoraires d’avocat. Il a précisé qu’il appartenait à l’avocat, dans le cadre de ses demandes visant à faire constater sa créance, de respecter strictement les principes de la proportionnalité et de subsidiarité en ne révélant que les informations nécessaires à la démonstration du bien fondé de ses prétentions et de préserver la confidentialité des faits qui n’étaient pas en relation directe avec la cause. Il ne devait, en particulier, pas révéler l’existence d’éléments patrimoniaux dont il n’avait eu connaissance que dans l’exercice de son mandat.

d. Le 5 janvier 2024, A______ a sollicité que la cause soit soumise à la plénière de la commission. Elle a pris de nombreuses conclusions, y compris préalables, aux fins notamment que l’entier des échanges avec l’assistance juridique soit produit.

e. La plénière de la commission s’est prononcée sur la cause le 12 février 2024. Elle a fait siennes les considérations de son bureau. Des mesures d’instruction complémentaires n’étaient pas nécessaires. Les arguments invoqués par A______ n’étaient pas pertinents dans le cadre de la présente procédure. Ils devraient, le cas échéant, être invoqués dans la procédure au fond. À suivre l’intéressée, il n’était pas problématique que son avocat expose sa situation personnelle afin de requérir l’assistance juridique à chaque étape des procédures concernées. Or, la situation était identique pour la procédure de recouvrement d’honoraires. A______ n’avait justifié d’aucun motif valable susceptible de s’opposer à ce que les faits concernant la levée du secret professionnel soient révélés dans le cadre du recouvrement d’honoraires.

B. a. Par acte du 12 avril 2024, A______ a interjeté recours contre cette décision devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation. Préalablement, l’avocat devait produire l’entier des échanges avec le service de l’assistance juridique ainsi que l’entier des notes d’honoraires adressées audit service. Une audience de comparution personnelle des parties devait être ordonnée.

Elle n’avait pas été informée régulièrement des frais et honoraires, son avocat laissant la note croître sans limites. Il n’avait pas conclu à l’octroi de l’assistance juridique si la requête de provision ad litem devait être rejetée, contrairement à ce que la diligence aurait commandé. Une demande auprès du service précité aurait dû être déposée au début de chaque procédure. De même, la justice avait reproché à son avocat de ne pas avoir conclu à une contribution d’entretien, ce qui avait conforté les tribunaux dans le rejet de la provision ad litem et de l’assistance juridique. Il s’était attribué les droits issus du séquestre et ne l’avait pas informée sur les possibilités de financement de procès par des tiers.

b. La commission a persisté dans les termes de sa décision.

c. B______ a conclu au rejet du recours.

d. Dans sa réplique, A______ a relevé qu’elle encourait un dommage irréparable notamment par la connaissance, par des tiers, de la relation client avocat qu’elle avait avec B______. La requête du 10 février 2023 à l’assistance juridique détaillait la précarité de sa situation financière. Aucun avocat ne méritait de pouvoir réparer, par la levée du secret professionnel, l’absence de requête antérieure auprès du service de l’assistance juridique. Il n’avait pas sollicité de provision afin d’éviter qu’elle résilie le mandat.

À teneur de l’arrêt du Tribunal fédéral du 24 janvier 2022 que la recourante produit, son époux avait été condamné à lui verser une contribution à l’entretien de leur enfant de CHF 3'000.-/mois dès le 3 juin 2016 et CHF 12'200.-/mois à son propre entretien. Le divorce avait été prononcé par jugement du 17 décembre 2020. Elle avait conclu à plus de 2.5 millions au titre de liquidation du régime matrimonial.

e. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 49 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 [LPAv - E 6 10] ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA – E 5 10).

2.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de la commission de lever le secret professionnel de l’avocat.

2.1 Selon l’art. 13 al. 1 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession, cette obligation n’étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l’égard des tiers.

En droit genevois, l’art. 12 LPAv prévoit que l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession ou dont il a connaissance dans l’exercice de celle-ci, cette obligation n’étant pas limitée dans le temps et étant applicable à l’égard des tiers (al. 1). Sans en avoir l’obligation, l’avocat peut toutefois révéler un secret si l’intéressé y consent (al. 2). Il en est de même si l’avocat obtient l’autorisation écrite de la commission (al. 3). L’autorisation n’est délivrée que si la révélation est indispensable à la protection d’intérêts supérieurs publics ou privés (al. 4).

2.2 Pour agir en recouvrement d’honoraires impayés, l’avocat doit obtenir la levée de son secret professionnel (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_439/2017 du 16 mai 2018 consid. 3.2 ; 6B_545/2016 du 6 février 2017 consid. 2.3 ; François BOHNET/Luca MELCARNE, La levée du secret professionnel de l’avocat en vue du recouvrement de ses créances d’honoraires, in SJ 2020 II 29 ss, p. 37 ; Benoît CHAPPUIS, L’évolution jurisprudentielle récente sur le secret de l’avocat, 2019, Bulletin CEDIDAC n. 83). L’autorité de surveillance doit procéder à une pesée de l’ensemble des intérêts en présence pour déterminer si elle doit accorder la levée du secret. Au regard de l’importance du secret professionnel du double point de vue de l’institution et des droits individuels, la levée du secret ne peut être accordée qu’en présence d’un intérêt public ou privé nettement prépondérant (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_101/2019 du 18 février 2019 consid. 4.3).

Lors de la pesée des intérêts, il faut prendre en considération le fait qu’un avocat a ordinairement un intérêt digne de protection à la levée du secret en vue du recouvrement de ses honoraires. Cet intérêt s’oppose en principe à l’intérêt institutionnel au maintien de la confidentialité et à l’intérêt individuel du client à tenir secrets le mandat et les informations qui s’y rattachent (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 précité consid. 3.4). La justification de l’intérêt au secret ne doit pas être soumise à des exigences excessivement élevées, faute de quoi la protection du secret professionnel consacrée à l’art. 321 ch. 1 CP serait compromise (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_704/2016 du 6 janvier 2017 consid. 3.2).

Dans la pesée des intérêts, il faut également prendre en compte le fait que l’avocat peut en principe se faire verser une provision par le client. Il incombe ainsi à l’avocat qui sollicite la levée du secret de démontrer pourquoi il ne lui était pas possible de faire couvrir les coûts par le versement d’une provision (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3). La procédure de levée du secret professionnel ne préjuge en rien des procédures civiles ultérieures relatives au recouvrement des honoraires. Les questions juridiques de fond n’ont pas à être examinées dans une procédure de levée du secret professionnel de l’avocat, le client étant libre de soulever des objections dans le litige de droit civil au sujet des honoraires (arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 précité consid. 3.3 ; ATA/345/2021 du 23 mars 2021 consid. 4b ; ATA/1526/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4b).

L’argumentation portant sur la négligence dont se serait rendu coupable un avocat dans l’exécution de son mandat relève de la procédure au fond relative au paiement et n’est pas pertinente dans le cadre de la procédure en levée du secret professionnel (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1045/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.4).

2.3 En matière de secret professionnel, l’existence même du mandat que le client a confié à son avocat et, par là même, le nom du client est un fait couvert par le secret (arrêts du Tribunal fédéral 2C_101/2019 du 18 février 2019 consid. 4.1 ; 2C_8/2019 du 1er février 2019 consid. 2.1 ; 2C_439/2017 du 16 mai 2018 consid. 3.2 ; 2C_704/2016 du 6 janvier 2017 consid. 3.1).

2.4 En l’espèce, la recourante considère que les conditions pour la levée du secret professionnel ne sont pas réunies, au motif principalement de manquements de son conseil qui aurait dû solliciter de façon systématique l’assistance juridique pour toute nouvelle procédure, requérir auprès d’elle-même régulièrement des provisions aux fins notamment qu’elle prenne conscience du montant total des honoraires et la conseiller utilement sur les possibilités de financement de procès par des tiers.

Selon la jurisprudence et au regard de l’importance du secret professionnel du double point de vue de l’institution et des droits individuels, la levée du secret ne peut être accordée qu’en présence d’un intérêt public ou privé nettement prépondérant.

Tel est le cas en l’espèce. En effet, l’avocat a produit copie de sa demande initiale de provision en CHF 7'290.- du 12 mai 2017, de la requête en mesures superprovisionnelles avec une conclusion en versement d’une provisio ad litem en CHF 40'000.-, des courriers au service de l’assistance juridique, de la décision le nommant à la défense des intérêts de l’intéressée du 11 décembre 2019 ainsi que les demandes d’extension de l’assistance juridique des 5 mars, 2 et 24 avril 2020. Il a de même produit ses notes d’honoraires des 13 octobre 2020 et 3 août 2021. Il a enfin produit une reconnaissance de dette, pour le montant total, du 4 août 2021, signée par la recourante.

Partant, l’avocat n’a pas attendu la fin de son mandat pour veiller au recouvrement de ses honoraires, ce qui aurait plaidé en défaveur de la levée de son secret professionnel, conformément à la jurisprudence précitée.

De son côté, la recourante a versé à la procédure l’arrêt du Tribunal fédéral du 24 janvier 2022 dans la cause 5A_864/2021 relatif à l’assistance juridique. Il en ressort notamment que cette dernière a été obtenue dans la procédure de divorce dans une mesure limitée à la première instance et à 12 heures d’activité d’avocat. La demande d’extension a été refusée par décision du 3 juin 2021 au motif que l’intéressée n’avait pas renseigné le greffe de l’assistance juridique de sa nouvelle situation financière, malgré plusieurs interpellations en ce sens. Il ressort par ailleurs de cet arrêt que « la recourante laisse entendre que son mandataire aurait accepté de reporter l’encaissement à la libération des montants précités ». En conséquence, elle ne peut reprocher à son mandataire de ne pas lui avoir régulièrement réclamé des provisions si un accord était convenu entre eux dans le sens susmentionné.

Elle n’explique par ailleurs pas en quoi la connaissance par des tiers de sa relation client avocat avec B______ lui causerait un dommage irréparable.

La recourante n’établit ainsi pas l’existence d’éléments rendant vraisemblable qu’elle disposerait d’un intérêt concret au maintien du secret. Elle ne fait, en particulier, valoir aucun argument qui pourrait laisser craindre que l’avocat pourrait, dans le cadre du recouvrement de ses honoraires, dévoiler des informations qui seraient de nature à porter préjudice à ses intérêts. Elle ne rend pas vraisemblable l’existence d’un tel risque et, en particulier, n’évoque ni la nature de ces informations ni la nécessité de les dévoiler dans le cadre du recouvrement d’honoraires, étant rappelé que la levée ordonnée par la commission est circonscrite aux éléments strictement nécessaires à l’établissement des prétentions en paiement de frais et d’honoraires de l’avocat concerné.

Il appert ainsi que l’autorité intimée a dûment apprécié les intérêts des parties en cause à la levée du secret professionnel de l’avocat. Elle a correctement veillé à la limitation de ladite levée, en relevant qu’il appartenait à l’avocat dans le cadre du recouvrement de la créance alléguée de respecter strictement les principes de la proportionnalité et de subsidiarité en ne révélant que les informations nécessaires à la démonstration du bien fondé de ses prétentions et de préserver la confidentialité des faits qui n’étaient pas en relation directe avec la cause. Elle a également précisé que l’avocat ne devait pas révéler l’existence d’éléments patrimoniaux dont il n’avait eu connaissance que dans l’exercice de son mandat.

Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, l’autorité intimée était fondée à retenir que, dans la balance des intérêts en présence, l’intérêt de l’avocat à la levée de son secret professionnel aux fins d’agir en recouvrement de ses honoraires était nettement prépondérant.

Le grief tiré de la violation des art. 13 al. 1 LLCA et 12 LPAv sera par conséquent écarté.

La décision de la commission étant conforme au droit, le recours sera rejeté.

3.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée, l’intimé comparant en personne et n’exposant pas de frais pour la défense de ses intérêts (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 avril 2024 par A______ contre la décision de la commission du barreau du 12 février 2024 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me David PAPAUX, avocat de la recourante, à B______ ainsi qu’à la commission du barreau.

Siégeant : Patrick CHENAUX, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Michèle PERNET, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. RODRIGUEZ ELLWANGER

 

 

le président siégeant :

 

 

P. CHENAUX

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :